Article de Jamel Kotbi (MS EEDD parcours RSEDD 2024-25)

Introduction

L’eau, élément essentiel à la vie, est de plus en plus convoitée dans le monde. Selon les derniers rapports de l’ONU (1), plus de 2,3 milliards de personnes ont été confrontées au moins une fois dans l’année 2022 au « stress hydrique » et 10 % de la population mondiale vit même dans des pays où ce stress hydrique atteint « un niveau élevé ou critique ». En 2050, selon le PNU, ce chiffre pourrait passer à 4 milliards, soit 40% de la population mondiale projetée à 9,4 milliards (estimation basse des Nations Unies). La question de l’eau potable est devenue un enjeu planétaire.

Source : La terre du futur
Source : La terre du futur

Pendant des décennies, les précipitations et l’eau bleue disponible ont suffi à satisfaire les besoins en eau des humains. Malheureusement, l’accroissement de la population et de ses besoins, le réchauffement climatique et l’augmentation des fréquences et de l’intensité des sècheresses nous placent dans une situation où l’eau douce disponible n’est plus suffisante pour certains pays.

État des lieux

L’eau douce qui peut être utilisée pour la production d’eau potable ne représente que 0,07% de la ressource totale et sa répartition est très inégale. Certains pays bénéficient d’excédents considérables, comme le Canada, le Chili, la Nouvelle-Zélande ou la Norvège où les disponibilités en eau dépassent les 50 000 m3 par personne et par an.

D’autres, au contraire, souffrent de pénuries d’eau qui s’aggravent au fil des ans. C’est le cas des pays du Maghreb, du Golfe ou de l’Asie centrale où les disponibilités en eau sont inférieures à 1 000 m3 par personne et par an. Ces régions vulnérables, souvent situées dans les pays en voie de développement, sont d’autant plus exposées du fait que la croissance rapide de la population crée une pression supplémentaire sur les ressources en eau.

97 % de l’eau présente sur la planète est salée. Au regard du manque d’eau douce dont souffrent de nombreux pays, il paraît donc naturel de se tourner vers cette immense ressource. Ainsi, les usines de dessalement d’eau de mer s’implantent de plus en plus sur les littoraux et la désalinisation de l’eau de mer se présente comme  une solution « miracle » face aux risques de pénurie d’eau.

Le développement exponentiel des usines

Dès l’antiquité l’homme c’est attaché à rendre l’eau de mer potable. Les premières techniques de dessalement par distillation sont attestées dès l’Antiquité. Les Grecs et les Romains utilisaient des méthodes rudimentaires de distillation pour purifier l’eau. C’est à partir du 19° siècle avec la révolution industrielle que des progrès importants ont été réalisés. En 1804, l’inventeur britannique Sir Francis Beaufort a conçu un des premiers appareils de distillation pour la marine Britannique permettant de produire de l’eau douce à partir de l’eau de mer.

La production industrielle d’eau potable par dessalement a débuté dans les années 1950 au Moyen-Orient. Ces régions, pauvres en eau mais riches en combustible, se mettent à construire les premières usines utilisant le principe de la distillation.

Mais c’est en 1959 qu’est mise au point la technologie moderne de dessalement avec le développement de l’osmose inverse qui permet de faire un grand bond en avant. Le scientifique américain Sydney Loeb et son collègue Sourirajan ont inventé la membrane semi-perméable en cellulose acétate, qui a rendu l’osmose inverse commercialement viable. Cette découverte a révolutionné le dessalement en permettant la filtration efficace de l’eau salée, ouvrant la voie à des installations de dessalement à grande échelle.

Mais la production s’est surtout développée ces dernières décennies avec une très forte croissance dans le monde de l’ordre de 15% par an. En 1990, la production était de l’ordre de 10 millions de mètres cubes par jour, passant à 47 millions en 2007, puis 95 millions en 2018 pour atteindre 120 millions de mètres cubes par jours actuellement. En 2007, la production des usines de dessalement représentait environ 8 % de la production totale d’eau potable (2).

En 2022,le nombre d’usines est de l’ordre de 22 000 réparties dans 177 pays différents et de nombreux projets sont également en prévision.

Fig 1. Noticeable increase in the number of desalination plants and desalination capacity over the last two decades (Jones et al. 2019)
Fig 1. Noticeable increase in the number of desalination plants and desalination capacity over the last two decades (Jones et al. 2019)

Longtemps cantonnées aux richissimes pays du golfe Persique (Arabie Saoudite, Émirats arabes unis), les usines s’étendent maintenant à tout le pourtour méditerranéen (Espagne et Algérie en particulier), aux Caraïbes, aux États-Unis, à l’Australie, et récemment en Chine et en Inde. Aujourd’hui, les petites installations locales font place à de grosses unités de production plus rentables et mieux équipées. L’Arabie Saoudite reste cependant le plus gros producteur.

Certains pays ont fait du dessalement leur source principale, voire quasi unique, d’approvisionnement en eau potable comme le Koweït ou 90 % de l’eau potable provient de telles usines, 86 % pour Oman, 75% pour Israël et 70 % pour l’Arabie saoudite.

Les techniques de dessalement

Plusieurs techniques ont été et sont actuellement utilisées dans les usines du monde entier afin de purifier l’eau de mer. Le traitement principal consiste à faire la passer la concentration en sels de l’eau de 35 000 ppm (ou 35 g/l en moyenne) à moins de 500 ppm (ou 0,5 g/l), seuil de potabilité généralement admis. Les deux techniques principalement employées afin de séparer les sels dissous de l’eau sont la distillation et l’osmose inverse.

La distillation est la première technique historiquement utilisée dans le dessalement de l’eau, du fait, probablement, de sa simplicité. Elle consiste à faire chauffer l’eau jusqu’à évaporation ce qui conduit à ce les sels se déposent alors que de la vapeur d’eau s’élève. Cette dernière est ensuite recondensée afin d’obtenir de l’eau potable.

Cette technique a l’avantage de produire une eau très pure mais à l’inconvénient de consommer énormément d’énergie (de 7 à 27kWh/m3 d’eau traitée) (3) et donc de coûter très cher. Elle n’a aujourd’hui d’intérêt que si elle est associée à une production d’électricité (cogénération). Cette technique est encore très largement répandue dans le golfe persique mais elle est aujourd’hui progressivement délaissée au profit de l’osmose inverse.

La seconde technique est l’osmose inverse. C’est un procédé de séparation de l’eau et des sels dissous au moyen de membranes semi-perméables sous l’action d’une pression osmotique (résultant de la différence de concentration de particules dans les fluides de part et d’autre du membrane). Ce procédé fonctionne à température ambiante et ne nécessite pas de chauffer l’eau. Les membranes polymères utilisées laissent passer uniquement les molécules d’eau.

L’énergie requise par l’osmose inverse est uniquement celle consommée principalement par les pompes haute pression ce qui est de l’ordre de 2,5 à 3 kWh/m3 d’eau traitée. (3)

L’osmose inverse est devenue au fil des ans la technique principale des usines de dessalement. En 1990, 40% des installations dans le monde utilisaient l’osmose inverse contre environ 55% en 2005 et 75% en 2020. La majorité des usines construites dans les 20 dernières années ainsi que les futurs projets sont basées sur l’utilisation de cette technique.

Graphique montrant que la capacité mondiale de dessalement a quadruplé (1998-2018) et continue de croître. (4)
Graphique montrant que la capacité mondiale de dessalement a quadruplé (1998-2018) et continue de croître. (4)

Quels impacts sur l’environnement ?

Les techniques utilisées pour le dessalement de l’eau sont très consommatrices en énergie et  cette énergie est le plus souvent fournie par du gaz ou du pétrole (combustibles fossiles) qui représentent pour l’environnement l’inconvénient d’émettre des gaz à effet de serre et des polluants atmosphériques, notamment du dioxyde de carbone (CO2), des oxydes de soufre et d’azote et des particules solides.

Chaque année, le dessalement est responsable de l’émission d’au moins 120 millions de tonnes de dioxyde de carbone (3). D’après une étude de la Banque mondiale, « si rien n’est fait pour rendre le secteur plus durable, il pourrait d’ici 2050 en émettre 280 millions supplémentaires — soit l’équivalent du volume des émissions françaises en 2021 ». Cette contribution à l’effet de serre est loin d’être négligeable dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement climatique.

Les autres impacts des usines de dessalement sont ceux sur l’environnement marin qui sont encore mal connus en raison du manque d’études réalisées sur le sujet, même si certains effets sont d’ores et déjà suspectés ou établis. Selon une étude publiée sous l’égide des Nations unies en 2019 (4), les usines de dessalement déversent chaque jour dans l’océan 141,5 millions de mètres cubes de saumure, un concentré d’eau de mer plus chaude, plus salée, et surtout bourrée de produits chimiques (anti-tartre, anti-chlore, anti-mousse…). Ce sous-produit représente un risque écologique majeur sur lequel l’ONU interpelle l’opinion publique (5).

Le principal problème des eaux rejetées par les usines de dessalement est sa forte teneur en sel. Lorsque cette saumure (eau de mer concentrée) est rejetée sans dilution ni traitement, elle conduit à une augmentation de la concentration en sel autour de la zone de rejet.

Cette grande salinité des eaux de rejets à un fort impact sur les écosystèmes marins. Le rejet de saumure dans la mer aboutit en effet à la formation d’un système stratifié de couches de plus en plus salées en allant vers le fond, ce qui diminue les brassages entre eau de fond et eau de surface. Dans certains cas et en fonction des courants marins locaux, 40 % de la zone environnante est recouverte de sel (6).

De plus, 80 % de ces rejets sont faits à moins de 10 km des côtes et s’accumulent dans les fonds, causant une salinisation accrue des eaux et des écosystèmes marins qui rend la vie difficile, sinon impossible (zones mortes), à leur flore et à leur faune (7).

Des produits chimiques dans les eaux rejetées

De nombreux produits chimiques utilisés tout au long du procédé de dessalement de l’eau se retrouvent également dans les eaux rejetées par ces usines. La nature des eaux rejetées et les impacts associés varient en fonction du procédé de dessalement. Ainsi, la technique de l’osmose inverse qui, comme nous l’avons vu, consomme moins d’énergie que la distillation, présente l’inconvénient de rejeter davantage de produits chimiques.

Les principaux produits chimiques rejetés par les installations à osmose inverse sont des antitartres, des coagulants et des produits agressifs de nettoyage (tensioactifs, produits acides ou basiques, agents chélatants des métaux). Une étude réalisée en 2008, uniquement sur 21 usines, dont la capacité totale dépassait 1,5 millions de mètres cubes par jour, avait permis d’estimer les quantités de produits chimiques rejetés dans la mer Rouge.

D’après ces travaux, bien que les concentrations en polluants soient faibles, le débit de ces usines est tel, qu’environ 2,7 tonnes de chlore, 36 kg de cuivre et 9,5 tonnes de produits anti-tartres étaient rejetés chaque jour à la mer par ces installations (8). Si l’on extrapole ces quantités de polluants rejetées aux milliers d’usines mondiales, on comprend l’impact écologique désastreux de ces installations.

Les apports d’énergie thermique (procédé de distillation) ou d’énergie mécanique (procédé d’osmose inverse) lors du processus de dessalement de l’eau de mer sont à l’origine d’une augmentation de la température de l’eau et donc d’une température élevée de la saumure. Pour les usines à osmose inversé, l’augmentation de température entre l’eau de mer et la saumure est relativement faible (moins d’un degré). Une élévation de 0,65°C a été relevée dans les eaux de rejets de l’usine Fujairah aux Émirats arabes unis.

En revanche, pour les usines à procédé thermique, cette élévation de température est bien plus conséquente, de l’ordre de 3°C en moyenne. La température des eaux de rejet peut même être beaucoup plus élevée lorsque la saumure est mélangée aux effluents d’une centrale électrique (centrale qui permet d’alimenter en énergie l’usine de dessalement) avant déversement à la mer, ce qui est fréquent dans les pays du golfe.

Conclusion

Avec l’augmentation exponentielle et non-critique du dessalement, ce « techno-solutionnisme » pourrait bien être la future bombe climatique. Le recours au dessalement de l’eau ne devrait être retenue que lorsque toutes les autres possibilités durables ont déjà été utilisées et ne devrait se limiter qu’à la production d’eau potable pour la consommation humaine.

Les États doivent investir dans la recherche et le développement afin de favoriser des technologies à faible empreinte carbone, mais aussi et avant tout s’orienter vers des politiques de l’eau qui s’attaquent au problème de la surconsommation par les différents usagers (ménages, industries, secteur agricole, etc.) et des fuites dans les systèmes d’approvisionnement. Aucun de ces points ne reçoit une attention suffisante de la part des États actuellement.

Le dessalement d’eau de mer, gourmand en énergie et à l’origine de rejets polluants, n’est pas une option de développement durable mais il reste une solution clé pour répondre aux besoins en eau dans les régions déficitaires.

Pour qu’il soit durable à long terme, il est essentiel de continuer à améliorer l’efficacité des technologies et à minimiser les impacts environnementaux. Lorsque le dessalement est l’unique solution pour alimenter les populations en eau douce, des études scientifiques précises doivent être menées sur site avant implantation de l’usine, pour en limiter les impacts, et réduire le risque de détruire les écosystèmes marins locaux.

De plus, les procédés de désalinisation doivent être améliorés par le développement de nouvelles techniques de traitement utilisant moins de produits chimiques (microfiltration, nanofiltration…). Une prise en compte urgente et plus en profondeur de l’écologie doit s’imposer au niveau mondial dans ces usines de dessalement.

Sources

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