Article de Marcela Cofre (RSE DD 2023-24)

Introduction

Nous savons déjà que la note sera salée. Pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030, la France doit « faire en 10 ans ce que nous avons eu de la peine à faire en 30 ans » explique le récent rapport de l’économiste de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz¹,
« Les incidences économiques de l’action pour le climat² ». Dans ce rapport, un chiffre retient l’attention : les investissements devront augmenter de 66 milliards d’euros d’ici 2030 pour réussir la transition en France.

Par conséquent, l’Hexagone, comme tous les pays du monde (ou presque), avec son engagement envers l’accord de Paris³ et son ambition de devenir neutre en carbone d’ici 2050, fait face à un défi de taille : comment financer cette transformation vers une économie plus respectueuse de l’environnement, en embarquant tout le monde, tout en tenant compte des facultés contributives de chacun ?

Tous, scientifiques comme politiques, s’accordent à dire que l’équation est compliquée. Plusieurs scénarii ont été examinés visant à déterminer le coût de l’investissement (1), et qui va devoir mettre la main au porte monnaie (3) mais aussi le coût  de l’inaction (2) car il y a un fort lien entre ces deux approches.

LE COÛT DE L’INVESTISSEMENT CLIMAT

Selon l’édition 2022 du panorama des financements climat, la France paie au prix fort une dépendance aux énergies fossiles entretenue par un manque chronique d’investissements dans la décarbonation de l’économie. Dans un contexte post crise sanitaire, bouclier tarifaire et crise énergétique, les investissements climat des ménages, des entreprises et des administrations publiques augmentent fortement et atteignent 84 milliards d’euros en 2021, soit 18 milliards de plus que ceux de l’année précédente.

Source : Panorama 2022 des financements climat.
Source : Panorama 2022 des financements climat.

Toutefois, le niveau d’investissement reste fragile. Face à des matériaux plus chers, au manque de main d’œuvre et d’expertise, les ménages, les entreprises et les collectivités ont de plus en plus de mal à entreprendre et à financer leurs projets d’investissements climat. Et les prix exceptionnellement élevés des énergies (et du reste) les privent soudainement d’une partie de leurs capacités de financement.

L’investissement climat vise à la protection du climat (de nos émissions et notre vulnérabilité de demain) et dans cette perspective, il repose sur des investissements financiers importants tant public que privé pour rénover énergétiquement les bâtiments, installer des bornes de recharge électriques, transformer l’industrie ou encore adapter les infrastructures aux conséquences du réchauffement climatique. La liste est longue.

Rappelons que ces chiffres servent aux pouvoirs publics pour répondre à deux questions.

  • D’une part, quel sera le besoin de dépense publique ? Ils y répondent en attribuant à l’État (et aux collectivités) une partie du montant d’investissements estimés nécessaires.
  • D’autre part, comment préparer toute l’économie à la transition ? Car s’il faut investir davantage, cela implique de produire plus, de consommer moins, ou d’attirer des capitaux étrangers pour financer les investissements.

À partir des scénarios « Transition(s) 2050 » de l’ADEME, l’institut de l’économie pour le climat (https://www.i4ce.org/) a fait une estimation en 2021 des investissements climat supplémentaires qu’il faudrait réaliser dans les bâtiments, les transports et la production d’énergie pour s’engager sur le chemin de la neutralité carbone. Ils se situent entre 14 milliards d’euros par an pour une transition frugale, et jusqu’à 30 milliards d’euros par an dans un scénario où les progrès techniques préservent les modes de vie. Il s’agit de plus des estimations des montants minimums, qui ne couvrent pas les besoins dans l’agriculture, l’industrie ou encore l’adaptation au changement climatique.

 

Source : Panorama 2022 des financements climat.
Source : Panorama 2022 des financements climat.

Les expertises se sont multipliées ces trois dernières années pour évaluer le coût de l’investissement, celui de Panorama 2022 n’en est qu’une. En effet,  les experts divergent sur le montant nécessaire et pas qu’un peu ! Si on parle de 22 milliards d’euros de plus chaque année d’après la dernière évaluation du Panorama 2022 des financements climat⁴ ; ces montants peuvent s’élever à 57 milliards d’euros d’après l’Institut Rousseau⁵ ; à 58 à 80 milliards d’après l’institut Rexecode⁶ ; 100 milliards dans une évaluation par l’ADEME et le CGDD⁷ ; et à peu près autant dans une étude de l’INSEE parue en 2020⁸.

Ces différences de chiffrage s’expliquent principalement par les choix de trajectoire de référence, puis par le champ retenu pour calculer les investissements « nets », enfin par l’horizon de temps. Le gouvernement a donc choisi de retenir le chiffre avancé dans le rapport Pisani de 66 milliards.

Notre propos ici n’est pas de débattre de cette question d’experts qu’à parfaitement clarifié l’institut I4CE dans son article « investissement climat : la querelle des milliards⁹ ». Le montant a été tranché : les investissements devront augmenter de 66 milliards d’euros d’ici 2030 notamment pour rattraper le retard accumulé ces dernières années et les besoins d’investissements à venir. Le rapport souligne que c’est dans la rénovation des bâtiments qu’il faudra faire le gros de l’effort. Les écarts de chiffres sont donc moins une question technique qu’un choix politique : le choix, pour le gouvernement et les parlementaires, de la nouvelle stratégie bas-carbone de la France.

De plus, le pays doit investir dans la modernisation de son infrastructure pour s’adapter aux conséquences du changement climatique, comme les inondations et les vagues de chaleur de plus en plus fréquentes. Selon le ministère de la Transition écologique, les investissements nécessaires pour l’adaptation sont estimés à environ 170 milliards d’euros sur 30 ans.

En fin de compte, le financement de la transition climatique est un investissement dans un avenir plus durable, et bien que les coûts soient significatifs, l’inaction face au changement climatique serait probablement encore plus coûteuse à long terme.

 

LE COUT DE L’INACTION FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Nous avons vu qu’il est difficile à quantifier de manière précise les investissements nécessaires. Bien évidemment, il en va de même pour les coûts de l’inaction face au changement climatique, en raison de sa complexité et de ses multiples implications économiques, sociales et environnementales. Cependant, plusieurs études et rapports ont tenté d’estimer les conséquences économiques de l’inaction et notamment France Stratégie « le coût de l’inaction face au changement climatique en France » publié en mars 2023¹⁰.

Voici quelques éléments clés :

  • Les événements climatiques extrêmes peuvent endommager les réseaux d’énergie. Les effets conjugués de la baisse de demande en chauffage et de l’augmentation des besoins en climatisation pourraient conduire à une baisse globale de la demande énergétique annuelle de 5% à l’horizon 2050. Toutefois, l’investissement induit par la multiplication des aléas climatiques extrêmes est estimé à 1,7 milliard d’euros à l’horizon 2050, soit 56 millions d’euros en moyenne par an.

 

  • La surface de la forêt française a augmenté de 21% depuis 1985. Mais la mortalité des arbres atteint 0,4% du volume de bois vivant, soit une augmentation de 50% entre les périodes 2005-2013 et 2012-2020. Cette évolution peut perdurer. De plus, si les risques d’incendie sont actuellement circonscrits à certaines régions, ils pourraient s’étendre à l’ensemble du territoire à l’horizon 2060.

 

  • Entre 1990-2001 et 2002-2018, la ressource en eau renouvelable a diminué de 14% (de 229 à 197 milliards de mètres cube en moyenne annuelle). Ces diminutions ont des conséquences économiques sur l’ensemble des secteurs consommateurs d’eau, telles que les centrales nucléaires. De 1,78% à 10,11% des besoins en électricité seraient non satisfaits en 2070, alors qu’en 2006 ces besoins étaient intégralement couverts. D’autres secteurs peuvent également subir des conséquences importantes, comme l’agriculture ou encore le tourisme.

 

  • Le niveau moyen global des mers a augmenté de 14 à 25 centimètres entre 1901 et 2018. À l’horizon 2100, le nombre de logements atteints par le recul du trait de côte serait compris entre 5 000 et 50 000 pour une valeur estimée entre 0,8 et 8 milliards d’euros.

 

  • Impacts sur l’agriculture : le secteur agricole est sensible aux changements climatiques. Des récoltes affectées par la sécheresse ou les températures élevées peuvent entraîner des répercussions économiques importantes, avec des pertes de revenus pour les agriculteurs et des hausses de prix pour les consommateurs. Selon France stratégie, le climat est responsable de 30% à 70% de la stagnation des rendements du blé en France déjà observée aujourd’hui. Et d’environ 5% à plus de 11% pour le maïs sur la période 2020-2050. Ces catastrophes naturelles pourraient impliquer des dommages d’un montant d’un milliard d’euros par an d’ici 2050.

 

  • Coûts de la santé publique : le changement climatique peut avoir des effets sur la santé des citoyens, avec une augmentation des cas de maladies liées à la chaleur, à la pollution de l’air et à la propagation de maladies vectorielles comme la dengue. Ces coûts sont supportés par le système de santé. Les fortes vagues de chaleur ont des effets négatifs sur la santé : accroissement de la fatigue, perte d’attention, symptômes cardiovasculaires, troubles de la grossesse… Ces événements sont déjà associés à une surmortalité (+ 10 700 décès depuis 2015, dont 2 820 en 2022¹¹). Le coût cumulé entre 2015 et 2020 en France métropolitaine de cette surmortalité est estimé entre 16 et 30 milliards d’euros par Santé publique France.

 

  • Perte de biodiversité : la perte de biodiversité due au changement climatique peut entraîner une réduction des ressources naturelles et des services écosystémiques, ce qui peut affecter l’agriculture, la pêche et le tourisme, entraînant ainsi des répercussions économiques. D’après une étude Fonds mondial pour la nature (WWF), le pourcentage d’espèces qui devraient disparaître à l’horizon 2080 si la température augmente de 3,2 degrés, serait de 55% pour les plantes, 35% pour les oiseaux et 45% pour les mammifères. Or, les écosystèmes français sont le support d’activités économiques représentant un chiffre d’affaires de plus de 80 milliards d’euros.

 

  • Coûts de l’adaptation : la France devra investir des sommes considérables dans l’adaptation aux impacts du changement climatique, que ce soit pour renforcer les infrastructures contre les inondations, développer des stratégies de gestion de l’eau, ou encore préparer le secteur de la santé à faire face aux nouvelles menaces.

 

Il est important de noter que ces coûts sont interconnectés, et les effets du changement climatique peuvent se renforcer mutuellement. De plus, l’inaction face au changement climatique peut entraîner des conséquences à long terme, ce qui rend l’estimation des coûts totaux encore plus complexe.

En fin de compte, l’estimation précise du coût de l’inaction face au changement climatique en France varie en fonction de nombreux facteurs et dépend de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre, des politiques de lutte contre le changement climatique mises en œuvre et des scénarios futurs. Par conséquent, il est difficile de donner une valeur précise.

 

MAIS ALORS QUI VA PAYER L’ADDITION EN FRANCE ?

Le financement de la transition climatique en France repose sur un modèle multipartite, où différents acteurs contribuent à l’effort financier. Voici un aperçu des principaux contributeurs :

Le Gouvernement et les Collectivités Locales : Le gouvernement français joue un rôle central en allouant des fonds publics pour soutenir la transition climatique. Cela comprend des investissements directs et des subventions et programmes d’aide dans les énergies renouvelables, la rénovation énergétique des bâtiments publics, le développement des transports en commun, et d’autres projets verts. Les collectivités locales, telles que les régions et les municipalités, contribuent également à cet effort en finançant des projets locaux de développement durable.

Les Entreprises et l’Industrie : Les entreprises en France sont encouragées à investir dans des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Certaines de ces entreprises sont soumises à des obligations réglementaires, telles que les Certificats d’Économie d’Énergie (CEE), qui les obligent à réaliser des économies d’énergie ou à financer des projets verts. De plus, de nombreuses entreprises, notamment celles opérant dans les secteurs de l’énergie, de l’automobile et de l’aérospatiale, investissent dans des technologies propres et des innovations durables.

Les Citoyens : Les citoyens français sont également appelés à contribuer à la transition climatique. Ils peuvent le faire en réduisant leur consommation d’énergie, en optant pour des modes de transport plus respectueux de l’environnement, en participant à des projets de production d’énergie renouvelable, et en soutenant des initiatives locales visant à améliorer la durabilité.

Les Investisseurs et les Institutions Financières : Les investisseurs privés et les institutions financières jouent un rôle crucial en fournissant des capitaux pour financer des projets liés à la transition climatique. Ils investissent dans des entreprises engagées dans des pratiques durables et dans des projets d’énergie renouvelable.

Les Subventions et les Fonds Internationaux : La France peut également bénéficier de subventions et de financements internationaux pour soutenir ses efforts de transition climatique. Cela inclut des fonds de l’Union européenne, des organisations internationales telles que la Banque mondiale, et des mécanismes de financement climatique mondial comme le Fonds vert pour le climat.

En fin de compte, le financement de la transition climatique en France est une responsabilité partagée entre le gouvernement, les entreprises, les citoyens et les acteurs internationaux. Il repose sur un modèle de collaboration visant à atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’adaptation aux changements climatiques et de construction d’une économie plus durable.

***

Conclusion

Pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030, la France doit « faire en 10 ans ce que nous avons eu de la peine à faire en 30 ans » explique le récent rapport de Jean Pisani-Ferry. Alors comment repartir l’effort « financier » pour assurer une charge équitable.

Élisabeth Borne qui réunissait le Conseil national de la transition écologique 24 mai 2023 a tranché « la moitié de l’effort sera accompli par les entreprises, un quart par l’État et les collectivités et le dernier quart par les ménages ».

Investissement Entreprise

Investissement État
et collectivité

Investissements des Français

33 Mds

16,5 Mds

16,5 Mds

 

Sources

1. La Première ministre a confié à Jean Pisani-Ferry une mission d’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition écologique, dont France Stratégie assure le secrétariat et qui bénéficie de l’appui de l’Inspection générale des finances. Le rapport de synthèse publié aujourd’hui vise à améliorer la compréhension des impacts macroéconomiques de la transition climatique, en sorte que les décisions qui vont devoir être prises soient « le mieux informées possible ».

2. https://www.strategie.gouv.fr/publications/incidences-economiques-de-laction-climat Rapport mai 2023

3. L’Accord de Paris est un traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques. Il a été adopté par 196 Parties lors de la COP 21, la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris, France, le 12 décembre 2015. Il est entré en vigueur le 4 novembre 2016. Son objectif primordial est de maintenir « l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels » et de poursuivre les efforts « pour limiter l’augmentation de la température à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels. ». Pour en savoir plus : https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris

4. Pour télécharger : https://www.i4ce.org/publication/edition-2022-panorama-financements-climat/

5. Pour lecture : https://institut-rousseau.fr/2-pour-2c-resume-executif/

6. Pour lecture : http://www.rexecode.fr/public/Analyses-et-previsions/Documents-de-travail/Enjeux-economiques-de-la-decarbonation-en-France-une-evaluation-des-investissements-necessaires

7. Pour télécharger : https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-na114-action-climatique-9novembre2022.pdf

8.  Pour lecture : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4796342#consulter

9. https://www.i4ce.org/investissements-climat-querelle-des-milliards/

10. Pour télécharger : https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2023-dt_cout-inaction-climatique_20_avril.pdf

11. https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2022/bilan-canicule-et-sante-un-ete-marque-par-des-phenomenes-climatiques-multiples-et-un-impact-sanitaire-important

Pour aller plus loin

  • Les Rencontres du CESE 27 septembre 2023 au CESE de 9h à 13h”Climat : Comment financer la transition ?”.À la suite de nombreux travaux consacrés à la transition écologique ces derniers mois dont l’avis « Financer notre stratégie énergie-climat : donnons-nous les moyens de nos engagements », le CESE réunira Selma Mahfouz, co-auteure avec Jean Pisani-Ferry du rapport de France Stratégie sur « Les incidences économiques de l’action pour le climat » ainsi que plusieurs actrices et acteurs issus de la recherche, des entreprises et des associations.
  • Les avis du CESE « la justice climatique : enjeux et perspectives pour la France 2016 : https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2016/2016_10_justice_climatique.pdf

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