Article de Karen BEAUJARD (RSEDD 2023-2024)

Introduction

Les haies et les chemins ruraux marquent notre paysage, nos campagnes, et témoignent des pratiques agricoles d’hier et d’aujourd’hui. Il en est de même pour les prairies permanentes, les mares et les fossés. Depuis la seconde moitié du vingtième siècle, les chemins ruraux sont défigurés et les haies disparaissent. Les premières causes en sont les modes de production intensifs, les remembrements, les assolements et la spécialisation des sols mais aussi l’utilisation des intrants chimiques, notamment celle des produits phytosanitaires qui impactent la vitalité des haies.

Entre 1975 et 1987, ce sont en moyenne 45 000 km de haies selon l’inventaire forestier national (IFN) qui chaque année ont été perdus. L’hécatombe a décéléré depuis et les initiatives locales de reconstitution des haies lancées depuis une dizaine d’années représentent la réhabilitation de 3 000 km par an. La perte nette s’élève ainsi à 20 000 km par an (estimation de l’Institut National Géographique (IGN) pour la période 2017-2021). On estime aujourd’hui le linéaire total cumulé des haies existantes à 1.55 millions de km sur notre territoire. C’est donc 70% de notre patrimoine arboré ainsi perdu depuis 1950.

Aujourd’hui, nos arbres, nos haies et nos chemins bénéficient d’un regain d’intérêt. Regardons de plus près tous leurs bienfaits et retroussons nos manches.

Un patrimoine rural, une mémoire collective

Les haies existent depuis l’Antiquité. Elles sont depuis toujours des moyens de défense, de délimitation des propriétés et des champs, des moyens de parcage du bétail. Elles sont aussi des sources de bois pour le chauffage (e.g. arbres en trognes ou têtards) et de cueillette de baies, de plantes médicinales, plantes à parfum et aromatiques. Enfin elles sont source de chasse (e.g. petit gibier, oiseaux).

C’est plus particulièrement depuis le haut Moyen-Âge que les haies se sont démultipliées et que la tradition bocagère apparait. Apparaissent aussi les pré-vergers qui combinent l’élevage du bétail et la culture des arbres fruitiers ; les animaux tirant bénéfice des arbres et vice-versa. Les haies avaient donc trois vocations essentielles pour l’homme : se protéger, se chauffer et se nourrir. Par ailleurs elles structurent le paysage français.

Au-delà de ces fonctions utilitaires directes, de nombreuses études mettent en évidence aujourd’hui leur rôle dans les équilibres écologiques. En effet, les spécialistes répertorient plusieurs autres grandes fonctions des haies.

Les haies accueillent la biodiversité, oui mais assurent 5 autres grandes fonctions

Premièrement, les haies sont en effet reconnues comme un immense support de biodiversité. les bordures de chemins, les haies et leurs arbres offrent de nombreux refuges très diversifiés comme les arbres creux, le bois mort, les terriers, les eaux stagnantes… autant de possibilités d’habitats que de sources d’alimentation importantes pour la faune. Outre leur rôle écosystémique, les animaux des haies et bocages peuvent avoir un rôle direct : ils font souvent office d’auxiliaires de culture pour lutter contre les parasites et les ravageurs et favoriser la pollinisation. Les haies peuvent abriter des essaims d’abeilles sauvages ou encore des oiseaux insectivores, dont la présence permet d’assurer le rendement des productions végétales. Une étude de Stanford University en 2011 montre que le rendement des fraises augmente de 20% avec l’introduction des butineurs pollinisateurs, jusque 71% pour le sarrasin, et près de 45% pour les tomates.

La protection des haies est donc directement utile pour tous les acteurs du monde agricole. Précisons cependant que la richesse et la diversité des espèces présentes dans les haies est corrélée à l’âge de la haie, à son mode de gestion et à son environnement. Par exemple, les haies hautes et larges accueillent une communauté plus riche, plus abondante et plus diversifiée que les haies basses et étroites.

Deuxièmement, si les haies constituent des barrières entre les parcelles, elles peuvent être considérées comme corridors écologiques, qui contribuent à une continuité écologique et à la circulation entre différentes zones écologiques. Comme l’a proposé Céline Clauzel dans la Conférence Confluences en 2022, les corridors écologiques se définissent par des milieux trop petits pour l’habitat de certaines espèces animales, mais leur permettant de circuler entre deux habitats, comme les zones boisées, les zones prairiales ou les zones humides. Ils sont des éléments de la trame verte et de la trame bleu (pour les corridors aquatiques). Ils peuvent exister naturellement ou résulter de l’intervention humaine dans le but de réduire les effets négatifs de la fragmentation écologique.

Les haies sont aussi régulatrices du climat local. Effectivement, leur seule présence limite les effets des intempéries, celles du vent, de la neige, de la pluie ou encore du gel. Pour la productivité agricole, par exemple, déjà en 1976, l’INRA, aujourd’hui INRAE montrait que des haies positionnées perpendiculairement au sens dominant du vent, espacées tous les 150 m les unes des autres, et d’une hauteur maximale de 10 m, pouvaient augmenter les rendements agricoles de 10 à 15 %.

Les haies et les bordures de chemins forment des microclimats et des puits d’eau (petites mares, fossés), qui favorisent l’évapotranspiration, rôle fondamental dans le cycle de l’eau. Les haies constituent un facteur de limitation de l’érosion éolienne et hydriques des sols. Elles servent aussi de brise-vent, fléau dans les champs céréaliers. Elles permettent d’épurer les eaux de ruissellement et de les limiter. Elles participent à infiltrer les eaux dans le sol, à freiner leur parcours, à limiter leur volume par absorption partielle, et réduisent les risques d’inondations et les coulées de boues.

Associées à des bandes enherbées d’une largeur d’au moins 6 mètres, les haies peuvent limiter le ruissellement jusqu’à 87 %. Elles aident ainsi à lutter contre l’érosion des sols et à limiter l’apport de matières en suspension dans les cours d’eau. De la même manière, elles permettent de limiter le transport par l’eau des produits phytosanitaires en absorbant notamment des nitrates et des germes bactériologiques pathogènes provenant des élevages.

Les haies et les sols alentour contribuent au stockage de carbone qui est toutefois faible. Les haies participent plus ou moins fortement à la séquestration du carbone atmosphérique. Le sol est en moyenne trois fois plus profond au pied d’une haie du fait de l’accumulation de litière qui stocke davantage de carbone et de matière organique. C’est, de nouveau, d’autant plus vrai que la haie est ancienne.

Une étude de l’INRAE en 2019 en lien avec le projet Carbocage soutenu par l’ADEME, montre que le sol, situé à une distance allant jusqu’à 3 mètres de la haie et à une profondeur pouvant aller jusqu’à 90 centimètres, peut stocker jusqu’à 4.2 tonnes de carbone pour 100 m de linéaire de haies anciennes (>50 ans). Les haies génèrent donc un potentiel additionnel de stockage de carbone dans leur sol, en plus de celui qu’elles peuvent stocker dans leur système racinaire ou dans leur biomasse aérienne.

Toutefois à l’échelle d’un département, le bénéfice de stockage de CO2 est faible, et il convient de développer et déployer d’autres pratiques de stockage de carbone.

Enfin, les haies et le retour de la production de bois. Face à la demande croissante des individus, des collectivités et des industries pour une source énergétique plus verte et renouvelable, les haies bocagères, longtemps oubliées pour leur fonction de producteurs de bois, représentent environ 30% des réserves de bois plein et sont de nouveau au cœur des réflexions des acteurs agricoles. Prenons l’exemple de la production de plaquettes bocagères en Normandie.

Très demandées par les petites moyennes chaufferies locales désireuses de valoriser un circuit court, elles sont une alternative aux autres combustibles fossiles lors des crises énergétiques. Encore peu développée, la filière des plaquettes « énergie » bocagère est en train de se structurer (plan de gestion des haies, mécanisation, création d’emplois, identification des débouchés) et pourrait bien participer de la renaissance des haies !

Si l’on comprend bien maintenant les multiples bénéfices du maintien des haies en milieu rural tant pour l’humain que pour notre environnement, quelles sont les actions de protection, et de reconstitution mises en place ? Comment peut-on agir ?

Des initiatives nationales en faveur des haies

On peut identifier 3 initiatives nationales prometteuses.

Une première initiative est intégrée dans l’annonce générale faite par la Première Ministre à l’automne 2022. Dans son programme de transformation écologique « France Nation Verte – agir, mobiliser, accélérer », inscrit dans la continuité du Green Deal Européen et visant à doubler la réduction des émissions de gaz à effet de serre en France pour la période 2022-2027, cinq enjeux environnementaux sont pris en compte : Climat, biodiversité, adaptation, ressources et santé.

Dans ce contexte, le Conseil national de la transition écologique a présenté en mai 2023 dans « la planification écologique », un état des lieux et le plan d’action à 2030 par secteur contributeur. Pour le secteur agricole, responsable en 2021 de 19% des émissions de gaz à effet de serre, un des 8 leviers d’action affichés, consiste à préserver les haies existantes et créer plus de 50 000 km de linéaire supplémentaire d’ici 2030.

Plus que réduire les émissions, cette action contribue à une meilleure qualité écologique. Étape suivante : la publication à l’automne 2023 de la stratégie nationale “Biodiversité 2030”, avec 39 mesures phares pour une transformation écologique en profondeur.

Une seconde initiative nationale est partie intégrante du programme de relance économique après Covid « France Relance» axé sur trois thèmes : l’écologie, la compétitivité et la cohésion. Le programme « Plantons des haies » a marqué la conscience et la volonté politique de soutenir la transition agroécologique. Une enveloppe de 50 M€ a été allouée aux agriculteurs désireux de favoriser le retour de la biodiversité autour de leurs parcelles et de contribuer à l’objectif national de replanter 7 000 km de haies bocagères et d’alignement d’arbres entre 2021 et 2022 (agroforesterie intraparcellaire).

Enfin une troisième initiative nationale est la reconduction pour 5 ans du plan national pour l’agroforesterie. L’évaluation de la première période du plan national (2015-2020) a montré de nombreux bénéfices en termes de prise de conscience des agriculteurs, relayée par le corps médiatique, de la meilleure (re)connaissance des besoins et des multiples avantages de l’agroforesterie.

Le rôle et les multiples bénéfiques des haies et des chemins ruraux y sont reconnus et les initiatives de restauration et de réhabilitation des paysages bocagers y sont encouragées. Fort de son succès, le programme a généré de fortes attentes pour poursuivre les efforts de transformation, continuer à former et à informer et faciliter et harmoniser l’accès au financement. C’est chose acquise jusqu’en 2025.

A l’échelle européenne, la réglementation (et sa déclinaison nationale) a été renforcée pour identifier, protéger, réhabiliter les haies et chemins ruraux. La réglementation européenne fixée dans le cadre de la PAC a fortement limité les possibilités, pour les exploitants agricoles, de supprimer des haies, sous peine de sanctions financières.

Des actions concrètes sur le terrain

En termes d’action, les acteurs de terrain sont les plus nombreux et les plus déterminants. Les associations nationales et locales guident et encouragent les initiatives. Une initiative particulièrement inspirante a retenu mon attention : le projet RESP’HAIES (RESilience et Performances des exploitations agricoles liées aux HAIES), mené entre 2019 et 2022, piloté par l’AFAC-Agroforesterie et financé par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, la fondation ECOTONE, l’ADEME, le département de la Manche et le fonds Archimbaud pour l’Homme et la Forêt.

RESP’HAIES avait pour objectif de renforcer les connaissances sur les haies pour tous les acteurs de la haie : agriculteurs, conseillers-techniciens agroforestiers, gestionnaires territoriaux, enseignants-formateurs, apprenants et décideurs. Le projet a donné lieu à la publication de 8 rapports thématiques et leurs vidéos explicatives, à réexploiter dans nos entourages (accès libre, à retrouver sur : https://afac-agroforesteries.fr/resphaies/ ).

D’autres livrables majeurs sont issus de ce travail collectif : la création d’un modèle LASCAR, outil d’aide à la décision pour la régulation des flux hydro-sédimentaires par les haies, plusieurs rapports d’évaluation sur l’état des lieux de la biodiversité et des stocks de biomasse ou encore des supports pédagogiques pour enseigner et former aux transitions agroécologiques (accessibles sur les plateformes ARBORECOLE https://arborecole.fr/,  et POLLEN, https://pollen.chlorofil.fr/).

N’oublions pas les initiatives locales comme, par exemple, celle menée par la préfecture de l’Aisne qui a établi et mis à disposition un guide « plantation et entretien des haies ». Remarquable, très exhaustif, sympa et très inspirant (à retrouver dans les sources).

Enfin de nombreuses initiatives de nettoyage et d’entretien des haies et des chemins ruraux existent auprès des communes, des écoles. N’hésitez pas à solliciter votre mairie.

Le plein d’optimisme pour l’avenir des haies

C’est donc le cœur plus léger et enthousiaste que je termine ce billet, emplie d’espoirs que collectivement on retrouvera notre bon sens terrien, le savoir-être et peut-être avant tout, le respect envers notre terre nourricière. J’ai une pensée toute particulière pour la Pachamama, déesse Terre-Mère vénérée par les civilisations Aymara et Quechua d’Amérique du Sud. Mais c’est un tout autre voyage…

 

Sources

IFN

https://www.pollinis.org/publications/insectes-pollinisateurs-des-ouvriers-agricoles-efficaces-et-irremplacables/

https://www.aisne.gouv.fr/contenu/telechargement/35346/226601/file/Guide+Haies_VF_HD.pdf

https://librairie.ademe.fr/changement-climatique-et-energie/36-carbocage-vers-la-neutralite-carbone-des-territoires.html

https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/06/70271d2b861fd93577b32511f41998aa6f1b8e19.pdf

https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/SNB_2030-Document%20chapeau.DEF_.pdf

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