Article d’Armelle Rusterholtz (RSEDD 2023/24)

Introduction

Individu isolé de Sargassum Natans dans l’Atlantique Tropical © MIO - Sandrine Ruitton
Individu isolé de Sargassum Natans dans l’Atlantique Tropical © MIO – Sandrine Ruitton

Les sargasses sont des algues brunes que l’on retrouve dans différentes zones du globe. Il en existe différentes variétés, la plupart sont benthiques1 mais celles qui nous intéressent aujourd’hui sont holopélagiques, c’est-à-dire qu’elles vivent en pleine mer et effectuent tout leur cycle de vie de manière planctonique et en surface, au gré des courants et du vent. Elles se reproduisent par bouture végétative car elles ne possèdent pas d’organes de reproduction.

Ces algues se maintiennent à la surface des eaux grâce à leurs pneumatocystes2. Elles exposent ainsi leurs feuilles à la lumière pour réaliser leur photosynthèse, qui permet de combiner les nutriments dissous dans l’eau de mer et d’assimiler le carbone atmosphérique.

Rarement isolées, elles forment la plupart du temps des filaments, qui peuvent atteindre plusieurs kilomètres de long. On retrouve également des patchs d’algues et jusqu’à des radeaux pouvant atteindre 1000 m² et 7m d’épaisseur. Ces radeaux s’apparentent à une véritable canopée à la surface de l’eau.

Elles possèdent cette capacité de s’associer à leurs congénères grâce à un mucus collant à leur surface. Il est possible que ce mucus serve également de protection contre les ultraviolets solaires.

Les sargasses sont connues de longue date, Christophe Colomb en a fait mention lors de ses voyages, au XVe siècle. On a également retrouvé des traces de leur utilisation dans la médecine chinoise, dès le VIIIème siècle.

1- accrochées au fond de l’eau, à un support
2-
aérocystes, petites bulles présentes sur les algues brunes, qui permettent à ces algues de se redresser dans l’eau à marée haute, favorisant la photosynthèse

Schéma 1 : illustrations des courants marins autour de la Mer des Sargasses et des déplacements des algues
Schéma 1 : illustrations des courants marins autour de la Mer des Sargasses
et des déplacements des algues

Originaires de zones riches en nutriments, proches des côtes américaines, en particulier du Golfe du Mexique et de la Floride, les courants les transportent vers l’Atlantique Nord, grâce au courant du Gulf Stream pour aboutir dans la mer des Sargasses (cf schéma 1). Elles se regroupent pour former à cet endroit de véritables récifs flottants, ressemblant à des prairies en pleine mer.

Leur forme en radeau les rend particulièrement adaptée à la vie en haute mer, au milieu des courants et de la houle, pouvant se séparer et se rejoindre au gré des tempêtes et des accalmies. La mer des Sargasses est la seule mer non bordée de côtes mais délimitée par 5 grands courants marins dont le gulf stream, qui tournoient dans le sens des aiguilles d’une montre autour des Bermudes. Ils sont matérialisés sur le schéma 1.

 

Un écosystème à part entière

Un banc de carangues cherche de la nourriture sous un tapis d’algue. David Doubilet National Géographic – juin 2019
Un banc de carangues cherche de la nourriture sous un tapis d’algue. David Doubilet
National Géographic – juin 2019

Ces récifs d’algues sont une manne vitale pour la mer des Sargasses, de véritables « îles flottantes », qui constituent la base d’un écosystème complexe qui nourrit une variété impressionnante d’espèces marines, depuis les organismes microscopiques, jusqu’aux grands mammifères. Il n’existe rien de semblable dans les autres mers ni même ailleurs sur la planète (citation de Brian Lapointe, article National Geographic de juin 2019).

Pourtant, la mer des Sargasses fait partie du grand tourbillon, appelé « gyre de l’Atlantique Nord », souvent décrit comme un désert océanique, du fait de ses eaux pauvres en nutriments les rendant claires et bleues car les eaux sont constamment balayées par des grands courants. Les algues y forment à première vue de simples amas végétaux dérivant.

Toutefois, grâce aux sargasses, un écosystème s’est mis en place : elles fournissent un abri ainsi qu’un garde-manger mobile à une étonnante variété d’organismes. On y retrouve des alevins, les juvéniles de 122 espèces de poissons mais aussi de jeunes des tortues de mer qui y trouvent refuge et nourriture pour leurs premières années de vie, des nudibranches, des hippocampes, des crabes, des crevettes et des escargots de mer. En retour, l’algue se nourrit de leurs excréments.

Les anguilles, sont réputées pour venir y pondre leurs milliards d’œufs, qui donnent naissance à des larves abondantes, qui se transformeront en civelles avant de rejoindre les eaux douces où elles passeront leur vie jusqu’à la maturité sexuelle qui les ramènera vers les sargasses. Certains poissons adultes s’y nourrissent et attirent à leur tour de plus grands prédateurs tels que balistes, croupia roche, mahi mahi, requins, thons, thazards bâtards, voiliers… Des baleines peuvent également y venir se nourrir.

Histrio-Histrio dans les sargasses Seabird McKeon, boursier postdoctoral du Smithsonian Marine Science Network
Histrio-Histrio dans les sargasses
Seabird McKeon, boursier postdoctoral du Smithsonian Marine Science Network

Au-dessus du niveau de la mer, de nombreux oiseaux de haute mer tels que les phaétons, sternes, fous, pétrels…, y trouvent aussi leur nourriture ainsi qu’un lieu pour nicher.

Quelques espèces endémiques sont présentes, comme l’histrio-histrio (antennaire des sargasses : petit poisson grenouille, cannibale à l’âge adulte ; il peut avaler des poissons faisant sa taille ; photo ci-contre) que l’on ne trouve nulle part ailleurs. (sources : article National geographic de juin 2019 ; articles Histrio-histrio et sargassum de wikipedia)

Au-delà du visible, de nombreux micro-organismes vivent dans cet écosystème : cyanobactéries, phytoplancton, … Mais aussi les prochloroccus, découverts en 1988 ; les plus petits et les plus nombreux organismes photosynthétiques, qui produisent à eux seuls 20% de l’oxygène de l’atmosphère.

Les chercheurs de l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) ont réalisé des analyses du biofilm bactérien présent sur les sargasses ainsi que l’eau environnante. Une multitude de bactéries vivent au contact de ces algues, on retrouve les mêmes types de bactéries que dans l’eau mais dans des proportions très différentes. Les analyses ont également révélé des variations de composition selon la localisation des prélèvements : les bactéries de l’atlantique équatoriale ne sont pas les mêmes que celles du golfe du Mexique.

Tous ces organismes doivent en permanence s’adapter aux évolutions de cette « forêt marine » qui se fractionne et se réunit selon les conditions de mer et de vent. Les sargasses sont l’un des habitats marins les plus dynamiques que l’on puisse imaginer.

 

Les invasions de sargasses

Outre la présence des sargasses dans l’Atlantique, elles sont également présentes, en quantité raisonnable, dans le Golfe Persique, en Indonésie, le long des côtes ouest de l’Afrique, au sud de la péninsule indienne ainsi qu’à l’embouchure de l’Amazone, sous forme de filaments, d’individus isolés ou de petits patchs.

A partir de 2011, les algues ont connu une expansion sans précédent, soudaine et massive, notamment dans le Golfe du Mexique et la mer des Caraïbes.

Cette soudaine augmentation des volumes transportés et échoués a interpelé les chercheurs et les autorités locales dans la Caraïbe, incitant le démarrage de recherches sur ces algues peu connues (Séminaire de recherche, IRD).

Suite à 2011, plusieurs pics importants ont été constatés, en 2015 puis 2017 et 2018, année où cette expansion a atteint un chiffre record. Cette « ceinture de sargasses » s’étendait, cette année-là, sur 8850 km de long, entre l’arc antillais et l’ouest de l’Afrique et représentait la plus grande prolifération de macro algues jamais recensée.

Selon les estimations scientifiques (Géo du 06/08/2019), elle abritait au moins 20 millions de tonnes d’algues (mesures estimées grâce aux observations satellites, le calcul des volumes est controversé entre les différents chercheurs car l’estimation de l’épaisseur est difficile), soit, selon cet article, quatre fois la masse estimée de la Grande Pyramide de Gizeh en Égypte (poids estimé de 5.75 millions de tonnes ; source Mesure de la grande Pyramide).

Des études menées par l’Université de Floride du Sud, basées sur l’analyse de clichés satellites et le prélèvement d’échantillons depuis 2011, ont montré que si les sargasses étaient naturellement présentes dans la mer des Caraïbes, les amas présents se trouvaient amplifiés par l’arrivée de nouveaux spécimens.

Des travaux récents, publiés en 2020 par une équipe américaine, expliquent l’origine très probable des échouages dans l’arc Caraïbe et dans tout l’Atlantique équatorial.

Les chercheurs ont analysé un indice climatique de grande échelle, l’oscillation nord atlantique (NAO), construit à partir des différences de pression atmosphérique entre l’anticyclone des Açores et la dépression d’Islande. Cet indice décrit bien les variations du régime de circulation des sargasses ainsi que les interactions qu’il peut y avoir entre l’atmosphère et l’océan.

Schéma 2 : Anomalie d’un indice climatique impactant la courantologie à grande échelle (l’oscillation nord-atlantique NAO) en hiver 2009-2010  transport de sargasses vers l’Atlantique tropical Est Johns et al. 2020 Prog. Oceanopr.
Schéma 2 : Anomalie d’un indice climatique impactant la courantologie à grande échelle (l’oscillation nord-atlantique NAO) en hiver 2009-2010 – Transport de sargasses vers l’Atlantique tropical Est – Johns et al. 2020 Prog. Oceanopr.

L’analyse du NAO montre que pendant l’hiver 2009-2010, cet indice présentait une anomalie négative très prononcée et persistante*. Cette variation de pression a modifié les conditions de vent dominant et de circulation des courants favorisant le transport des algues de la mer des Sargasses traditionnelle vers la partie Est de l’atlantique (cf. tache jaune sur bord africain du schéma 2).

* Régime de NAO- : Moins la différence de pression entre l’anticyclone des Açores et la dépression islandaise est grande, plus l’index de la NAO est négatif. Le champ de pression est donc plus relâché sur l’Atlantique. Dans cette situation, la position de l’anticyclone des Açores et de la dépression islandaise peut varier grandement, même s’inverser, permettant l’invasion d’air arctique en Europe. Les vents sont faibles et les fortes dépressions peu nombreuses. La circulation d’ouest du courant-jet passe ainsi du sud des États-Unis vers l’Espagne. En régime NAO- l’anticyclone est souvent positionné sur l’Islande, donnant une circulation d’est ou de nord-est sur l’Europe et poussant l’air vers la zone dépressionnaire située plus au sud.

Cette migration des hautes pressions plus au nord se traduit en général par une importante déconcentration du vortex polaire (dépressions polaires moins concentrées). Sur la France, si l’indice est négatif, le climat sera froid et pluvieux. Si la NAO est très négative, les étés seront chauds et les hivers particulièrement froids (en moyenne).

Les sargasses ont ensuite bénéficié de courants Sud par le courant des Canaries pour atteindre le dôme de Guinée. Les algues auraient probablement trouvé à cet endroit-là des conditions environnementales favorables à leur développement. Elles auraient donc proliféré à partir de cet endroit, formant une nouvelle « mer des Sargasses », dans l’Atlantique équatorial, appelée également « Grande Ceinture de Sargassum Atlantique » (GASB). Elle s’étend des côtes africaines et du Golfe de Guinée au delta de l’Amazone et des fleuves du plateau des Guyanes.

Ce déplacement des sargasses vers l’Atlantique équatorial expliquerait les premiers échouages constatés en 2011 dans l’arc Antillais et, dans une moindre mesure, sur les côtes du Plateau des Guyanes, les côtes du Golfe du Mexique, mais également en Afrique, sur les côtes du Golfe de Guinée.

Dans différents articles et plusieurs publications scientifiques, plusieurs facteurs sont avancés comme ayant contribué à l’accumulation des volumes transportés :

  • L’enrichissement en nutriment des apports des grands fleuves :
    1- La déforestation de l’Amazonie et l’utilisation massive d’engrais (phosphate et nitrates) pour développer l’agriculture entraînant l’enrichissement des eaux de l’Amazone en nutriments (par lessivages des sols par les pluies).
  • En Afrique de l’Ouest, les nutriments apportés par le fleuve Congo pour les mêmes raisons (engrais et agriculture).
  • Conjugués à ces deux sources de nutriments, les courants ascendants venus d’Afrique de L’Ouest (article GEO, Emeline Férard, 06/08/2019) auraient permis de faire remonter ces nutriments en surface, alimentant ainsi directement les populations de sargasses et permettant leur croissance.
  • La hausse des températures des océans, en lien avec le changement climatique, qui contribuent plus globalement au développement des nutriments et des algues. Les eaux de surface de la zone nord équatoriale étant déjà chaudes et propices au développement de cette algue, l’augmentation de la température des océans ne peut que favoriser leur prolifération.
Schéma 3 : évolution de localisation des populations de sargasses selon la période de l’année, en 2017. Séminaire IRD de 2021
Schéma 3 : évolution de localisation des populations de sargasses selon la période de l’année, en 2017. Séminaire IRD de 2021

L’influence de l’environnement et de ses modifications, semble indéniable pour expliquer la prolifération des algues, en particulier la température de l’eau et l’ensoleillement. Cependant, la variabilité interannuelle est importante et aucune réponse claire n’est pour le moment avancée. Les scientifiques constatent qu’il y a des années à sargasses.

Les images satellites (schéma 3) montrent l’importance de la zone atlantique centrale dans le maintien d’un pool de sargasses pour l’année suivante. Ce pool assure la pérennité pluriannuelle du phénomène. Elles mettent en évidence également le rôle déterminant du transport dans le cycle saisonnier des courants de surface et les effets du vent conjugués (de janvier à juin, mouvement vers l’Ouest sous l’effet du courant Nord équatorial et Sud Equatorial ; à partir de juillet, le contre-courant Nord équatorial se met en place et renvoie vers l’Est).

Les chercheurs ont constaté que la zone Est de l’atlantique est plutôt une zone de rétention, avec peu de croissance des sargasses alors que la zone ouest est plutôt une zone de croissance. Ces observations permettent de réaliser des prédictions jusqu’à 7 mois avant, mais avec une faible précision sur les zones d’échouement.

En parallèle, les chercheurs de l’IRD (séminaire Sargasse, recherches et perspectives, IRD, 12 mars2021) se sont intéressés aux apports de nutriments de l’Amazone comme cause possible de variabilité pluriannuelle des proliférations de sargasses. L’Amazone étant le plus grand fleuve de la planète en termes de débit, il représente 20% des débits mondiaux des fleuves.

Le panache de ses eaux déversées dans l’océan est visible à plusieurs milliers de kilomètres des côtes par image satellite. Ce fleuve a donc une influence à grande échelle sur la productivité de l’océan Atlantique tropical. En analysant l’activité phytoplanctonique grâce à des cartographies de la chlorophylle de surface, ils ont constaté que, sur les 10 dernières années, l’activité phytoplanctonique est plutôt en diminution dans le panache de l’Amazone comme dans celui du Congo.

De plus, les rejets d’azote et de phosphore du fleuve Amazone dans l’océan sont régulièrement analysés. Les résultats ne montrent pas d’augmentation de ces apports sur les dernières années.

Enfin, les chercheurs ont comparé la distribution saisonnière des sargasses avec la dispersion connue du panache de l’Amazone. En 2017, moins de 10% des sargasses sont observées dans la zone du panache.

Sur la base de toutes ces données, une modélisation des échouements a été réalisée. Si, dans cette simulation, on supprime les apports biogéochimiques des grands fleuves (Amazone et Congo notamment), le modèle montre que l’on ne diminue les échouements que de 21%.

Le rôle de l’Amazone dans la variabilité interannuelle semble donc avoir été surévalué. Des recherches sont toujours en cours pour mieux comprendre le processus global responsable de ces variations.

 

Le problème des échouements

Les sargasses débarquent au Gosier en Guadeloupe, le 23 avril 2018 © AFP/Helene VALENZUELA AFP Publié le 23/01/2019 à 19h58 -
Les sargasses débarquent au Gosier en Guadeloupe, le 23 avril 2018 © AFP/Helene VALENZUELA – AFP Publié le 23/01/2019 à 19h58.

Les sargasses vivent et se développent en haute mer, dans une eau très oxygénée, en mouvement permanent et avec une lumière intense. Une fois parvenue dans le « cul de sac » que constitue le Golfe du Mexique, par l’action des vents et des courants, elles stagnent, s’accumulent et meurent. Lorsque les volumes transportés sont importants, comme cela a été le cas depuis 2011, l’accumulation des sargasses posent des problèmes écologiques.

En se concentrant en véritables radeaux, elles consomment beaucoup de l’oxygène dissous dans l’eau, entrainant alors une mortalité importante de la faune marine qui n’en a plus assez. Les sargasses peuvent devenir de véritables pièges pour certaines espèces et asphyxier les coraux et la végétation sous-marine au niveau des côtes. Ces radeaux de sargasses sont aussi un écran à la lumière, nécessaire pour la survie d’un certain nombre d’espèces.

Une fois échouée, les sargasses forment des tapis plus ou moins épais qui étouffent la biodiversité. En fonction de l’humidité de ces amas déposés sur terre, leur décomposition bactérienne anaérobie (bactéries n’utilisant pas d’oxygène) va émettre des volumes de gaz très variables, à l’odeur pestilentielle, liée à l’émission de sulfure d’hydrogène (H2S) et d’ammoniaque (NH3). Le H2S est un gaz toxique pour l’homme comme pour les animaux. L’exposition aigüe peut provoquer des problèmes respiratoires, des irritations diverses, des symptômes neurologiques, des nausées voire des troubles cardiaques. Les conséquences d’une exposition chroniques sont moins connues.

Dès 2011, ces deux gaz ont alerté les autorités aux Antilles, tant leurs volumes dispersés à partir des échouages étaient importants. La Guyane, quant à elle, a été bien moins concernée par un tel phénomène de masse. En 2018, l’invasion a été telle que des plages entières se sont retrouvées enfouies sous des masses d’algues brunes et malodorantes. Ce phénomène est désormais visible depuis l’espace.

Image capturée par le satellite Sentinel-2 le 6 juillet 2019, et traitée pour mettre en lumière la végétation en rouge. Les points roses (encadrés) dans l'océan marquent la présence de sargasses à la surface tandis que les points sombres marquent les algues en profondeur. Copernicus Sentinel/ESA
Image capturée par le satellite Sentinel-2 le 6 juillet 2019, et traitée pour mettre en lumière la végétation en rouge. Les points roses (encadrés) dans l’océan marquent la présence de sargasses à la surface tandis que les points sombres marquent les algues en profondeur. Copernicus Sentinel/ESA

L’ESA (agence spatiale européenne) a d’ailleurs publié des images capturées par deux satellites Sentinel du programme Copernicus. La Guadeloupe est entourée de points roses et sombres marquant la présence des algues brunes.

Outre le problème écologique, les sargasses posent ainsi également des problèmes sanitaires et économiques. Leur présence affecte directement le tourisme ainsi que la navigation. Les bateaux peuvent subir des dégâts sur les coques à cause des émanations toxiques, liées à la décomposition des algues.

Ces gaz toxiques causent également des dégâts sur le matériel et l’électronique (voitures, électroménagers…) pour les riverains. Les émanations nauséabondes et toxiques d’H2S et de NH3 imposent l’interdiction d’accès à des pans entiers du littoral.

 

Place à l’action 

Prises au dépourvu lors des premières invasions, les communes de bord de mer, aux Antilles comme ailleurs ont dû trouver des solutions pour nettoyer les plages et les abords tant pour la sécurité des personnes que pour préserver les paysages et rendre accessibles les ports aux bateaux.

En octobre 2018, l’État français a mis en place un plan national de prévention et de lutte contre les sargasses. Il vise à anticiper les échouements (=échouages involontaires), fournir aux élus locaux les prévisions et les moyens opérationnels de préparer et gérer la situation.

Ainsi, aux Antilles, les préfets ont fourni dès 2019 des kits sargasses aux communes (matériel de ramassage et de protection, système de surveillance) permettant d’être en ordre de marche pour gérer la crise lors des échouements saisonniers. Le plan national de prévention et de lutte contre les sargasses prévoit notamment un système simplifié de marchés publics pour assurer le ramassage dans les 48 heures. La piste d’une taxe de séjour de quelques centimes est en réflexion pour financer un fonds sargasses.

 

Des projets de valorisation 

Toutes les algues ramassées sont actuellement stockées sans être valorisées. Mais leur forte teneur en sel, leur volume et les odeurs émanant de leur décomposition imposent la mise en place d’une réflexion sur leur valorisation. Le stockage comme les terrains d’épandages sont aujourd’hui saturés du fait des volumes échoués depuis 2011. De plus, lors du passage des algues aux abords des embouchures des fleuves, elles ont la capacité à concentrer les polluants comme l’arsenic, le cadmium ou le chlordécone.

Vu les tonnages récoltés, leur valorisation est activement étudiée et des appels à projet ont été lancés. Il s’agit cependant d’une question complexe du fait des polluants potentiellement retenus ainsi que de la salinité des eaux qu’elles contiennent.

Suite aux appels à projet, certaines idées sont actuellement à l’étude :

  • un système de filtre à charbon, fondé sur certaines molécules de l’algue (transformation de la biomasse des algues en charbon actif). En laboratoire, ce charbon actif capte le chlordécone et permettrait donc peut être de dépolluer les sols Antillais.
  • co-compostage (ajout de faibles quantités de sargasses dans un mélange de déchets préexistant), projet étudié par L’ADEME de Guadeloupe
  • des utilisations pour de l’engrais
  • élaboration de terreaux en utilisant des sargasses comme additifs
  • des solutions cosmétiques (étude des propriétés de certaines molécules en pharmacologie ou en alimentaire)
  • fabrication de plastique biosourcé à partir d’algues
  • au Mexique, des entrepreneurs cherchent à concevoir des briques de construction (potentiel de biomatériaux comme cendre-ciment) ou des chaussures
  • fabrication de pâte à sargasses à utiliser comme papier ou emballage biodégradable
  • la production d’électricité par pyro-gazéification, piste la plus suivie
  • mise au point de machines de captages en mer

La problématique de tous ces projets est l’équilibre précaire de la filière « sargasses ». Les transports et échouements de sargasses sont très variables d’une année à l’autre. Le modèle économique basé uniquement sur les sargasses est donc très précaire pour les entreprises portant les projets. Par exemple, en 2016, il y a eu très peu d’échouage de sargasses, entrainant donc l’arrêt de beaucoup de projets, faute de matière première à utiliser.

Les algues étant riches en eaux (jusqu’à 80% de leur composition), les coûts de transports sont également un frein majeur pour le développement des projets de valorisation. Des réflexions sont également en cours pour trouver des solutions de séchage, réduisant ainsi les volumes et les poids transportés. Ces solutions permettraient également de ralentir ou stopper la décomposition des algues, facilitant ensuite leur valorisation.

 

Fléau ou avantage écosystémique ?

La réponse n’est pas simple. Les sargasses abritent un écosystème extrêmement riche qu’il faut préserver pour la pérennité de nombreuses espèces marines. L’océanographe Sylvia Earle a notamment lancé le projet de faire de la mer des Sargasses, la première aire marine protégée en haute mer. Cela pourrait devenir un sanctuaire de biodiversité.

Cependant, la modification des courants océaniques et la prolifération des algues dans l’Atlantique Equatorial et à proximité des côtes est un fléau pour l’homme mais aussi pour les écosystème côtiers, terrestres comme marins. La recherche se mobilise pour mieux comprendre le phénomène et ses causes mais il existe encore de nombreuses zones d’ombres. Le changement climatique explique certainement une partie du phénomène mais beaucoup de questions restent pour le moment sans réponses scientifiques.

Certains outils ont été déjà développés pour mieux anticiper les arrivées massives d’algues sur les littoraux. Des modèles de prédictions des invasions existent mais les chercheurs espèrent trouver des solutions pour réguler la prolifération des algues. Cela permettrait de maintenir les populations dans des quantités raisonnables et éviter ces échouages massifs. En parallèle, en attendant les progrès scientifiques, il faut se mobiliser pour apprendre à valoriser cette biomasse. Différents projets prometteurs sont aujourd’hui à l’étude pour faire de ce fléau une opportunité.

 

Annexe

Exemple de bulletin de prévision des échouements

Images satellites de l’évolution des radeaux de sargasses d’une année sur l’autre.

Images satellites de l’évolution des radeaux de sargasses d’une année sur l’autre.

Evolution de la prolifération des sargasses depuis 2011 surveillée grâce à des données satellite. Les années 2015 et 2018 ont marqué les proliférations les plus intenses depuis 2011. USF College of Marine Science

Evolution de la prolifération des sargasses depuis 2011 surveillée grâce à des données satellite. Les années 2015 et 2018 ont marqué les proliférations les plus intenses depuis 2011. USF College of Marine Science
Evolution de la prolifération des sargasses depuis 2011 surveillée grâce à des données satellite. Les années 2015 et 2018 ont marqué les proliférations les plus intenses depuis 2011. USF College of Marine Science.

Sources

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