Article de Cécile Ricard  (RSEDD 2022-23)

Introduction

La France est un pays où l’escalade de loisir existe depuis longtemps et s’est largement développée. Dans cet article, nous nous concentrerons sur la pratique de l’escalade en espace naturel que sont les falaises, les sites de blocs et la relation entre escalade et biodiversité. L’escalade en sites naturels concerne plus 2250 sites essentiellement répertoriés par la FFME (Fédération Française Montagne et Escalade, [1]). Sur ces plus de 2250 sites, 1175 falaises sont équipées à demeure pour une pratique plus simple et facile d’accès. La France compte 717 500 grimpeurs licenciés. Ceci montre l’ampleur de la pratique sur le territoire français.

Olivier Aubel, professeur et chercheur en sociologie à l’Université de Strasbourg a réalisé différents travaux de recherches concernant l’escalade. Sa dernière enquête de 2020 nous renseigne sur le profil des grimpeurs en occident.

Le profil type du grimpeur est un homme d’une trentaine année ayant suivi des études longues et ayant un poste à responsabilité. Il sera également citadin donc éloigné de la nature au quotidien.

Le profil type du grimpeur est un homme d’une trentaine année ayant suivi des études longues et ayant un poste à responsabilité. Il sera également citadin donc éloigné de la nature au quotidien.

Typologie des grimpeurs (crédits : la fabrique verticale, [2])

Une falaise regroupe un maillage de micro-habitats, étagés verticalement, propices au développement de la biodiversité. Les terrasses, les écailles rocheuses ou encore les diverses fractures de rocher sont autant de zones pouvant accueillir plantes et lichens, nids d’oiseaux ou divers chiroptères (des chauves-souris).

La falaise constitue un espace naturel très particulier du fait de sa … verticalité ! De ce fait, ces sites constituent des zones refuges de la biodiversité face à l’artificialisation toujours croissante des espaces repoussant la faune et la flore vers des zones toujours plus reculés et difficilement accessibles pour l’homme.

On gardera en mémoire qu’un effondrement de la biodiversité est actuellement constaté [3]. Un million d’espèces sont menacées d’extinction et 75% de la surface terrestre est altérée de manière significative.

Une falaise regroupe un maillage de micro-habitats, étagés verticalement, propices au développement de la biodiversité. Les terrasses, les écailles rocheuses ou encore les diverses fractures de rocher sont autant de zones pouvant accueillir plantes et lichens, nids d’oiseaux ou divers chiroptères (des chauves-souris).

Écosystème d’une falaise (crédits : Géopark des bauges, équiper éco-responsable, [10])

 

Impact de l’escalade sur la biodiversité

Bien que l’escalade soit une source de plaisir pour de nombreux passionnés, il faut toutefois avouer que ce sport peut avoir et a d’ores et déjà des conséquences notables sur l’environnement et donc sur les micros-habitats de son lieu d’exercice : la falaise ou le bloc. Flore et faune sont les premiers témoins de cette activité mais aussi les premiers touchés par elle.

Comme nous venons de le voir, ces parois verticales, que nous voyons comme un terrain de jeu, abritent en réalité une multitude d’espèces d’oiseaux, des chauves-souris – seul mammifère volant – qui tirent profit de ces espaces très particulier leur permettant d’y nicher et de s’y reproduire. Les perturbations causées par les grimpeurs peuvent être si dérangeantes pour ces oiseaux que certains d’entre eux sont contraints de fuir et, suivant la période, d’abandonner leurs nids et leurs petits, compromettant ainsi la survie de leurs populations.

Quant à la flore, elle est essentiellement touchée par deux phénomènes. Tout d’abord le « nettoyage » des falaises, c’est à dire leur mise en sécurité pour les grimpeurs via l’élimination de tous blocs instables se trouvant dans les zones d’évolution du grimpeur. En deuxième lieu, les zones d’évolution, fortement sensibles car avec peu de matière organique telles que les terrasses, écailles rocheuses et autres anfractuosités sont sujettes à piétinement, écrasement voire dans les cas extrêmes servir de point de progression.

Ces agressions très localisées mais régulières, du fait du passage des grimpeurs sur des itinéraires définis à l’avance, finissent par avoir raison de l’obstination de cette flore à vouloir pousser dans un milieu, la roche, qui n’est pas par essence le plus propice.

Dalles et colonnettes de calcaire, Charmant Som, massif de la Chartreuse (crédit : Camp to Camp, [4])
Dalles et colonnettes de calcaire, Charmant Som, massif de la Chartreuse
(crédit : Camp to Camp, [4])
La présence humaine accrue s’accompagne également des phénomènes d’érosion. Celle-ci peut être particulièrement visible sur les bas des rochers ou les chemins d’accès en raison là encore des piétinements. Ce tassement entraine alors une dégradation du sol et donc une érosion significative. Dans les sites de blocs, elle peut même déstabiliser le bloc lui-même, cas exemplaire où la pratique est génératrice de sa propre obsolescence !

L’érosion concerne aussi le rocher lui-même situé sur la zone de grimpe. En plus de l’impact du nettoyage que nous avons évoqué précédemment, les équipements de protection posés, et dans certains cas déposés puis reposés, peuvent avoir un impact sur le rocher lui-même.

Enfin, le bruit, la présence de déchets et d’excréments sont également à noter. Surtout lorsqu’ils se concentrent dans des lieux d’aisance partagés ! Depuis peu, la mode de l’escalade de nuit a des conséquences importantes sur la faune présente.

En conclusion, les impacts sont variés et nombreux tant sur la faune, la flore et l’environnement.

Comment cohabiter ?

Les différents organismes en charge des pratiques montagnardes et d’escalade (FFME – sous l’égide du ministère des sports -, FFCAM) ont pris en considération ce sujet.

En Ariège, à l’initiative du département et d’une association de protection de la nature, une étude exhaustive menée sur 3 ans a été réalisée entre 2003 et 2007. Cette étude fait aujourd’hui référence [5]. Elle a rassemblé de très nombreux acteurs à la fois des milieux naturalistes mais aussi sportifs. Cette étude a procédé à une analyse complète de l’impact environnemental de l’escalade sur les sites de l’Ariège.

Elle a abouti à un ensemble de propositions conservatoires permettant à terme de concilier la pratique sportive et le milieu naturel. Ceci passe par la mise en place de convention entre les principales associations de grimpeurs et les acteurs de l’environnement. Ces conventions encadrent la pratique et mettent en place un bon compromis entre ces acteurs.

Par exemple, pendant la période de nidification, il est courant d’imposer des interdictions d’escalade sur certaines parties des falaises. Ces restrictions visent à protéger les oiseaux les plus vulnérables tels que le tichodrome échelette, le vautour fauve, le faucon, l’hirondelle qui ont tendance à percevoir la présence humaine comme une menace.

En effet, leur instinct animal les pousse à se sentir en danger lorsque l’homme s’approche trop près de leurs sites de nidification. Si un grimpeur se trouve au-dessus d’eux, ces oiseaux peuvent les confondre avec un prédateur. Inversement, il existe peu de recensements et d’études sur la flore.

Celle-ci n’est visible que lors de l’escalade rendant son accès et inventaire difficile pour des non-grimpeurs. L’étude faite en Ariège par contre conclue que cette flore est présente tant au niveau des voies que sur le reste de la falaise étudiée ce qui limite les impacts à une partie de la falaise alors même que les plantes impactées sont présentes sur le reste du site [5].

La difficulté principale vient du fait que l’équipement des voies s’effectue de manière anarchique, sans véritables règles et surtout sans contrôle préalable. Les équipeurs peuvent quasiment aménager les falaises de leur choix et ne tiennent généralement pas compte de la présence d’espèces protégées.

Avant et après nettoyage (crédit : Escalade & biodiversité, Inventaire de la faune et de la flore des falaises, Mesure de l’impact de l’escalade sur la biodiversité, Proposition concertée de mesures conservatoires) [5]
Avant et après nettoyage (crédit : Escalade & biodiversité, Inventaire de la faune et de la flore des falaises, Mesure de l’impact de l’escalade sur la biodiversité, Proposition concertée de mesures conservatoires) [5]

C’est d’ailleurs l’équipement, et donc le nettoyage préalable, du site naturel qui représente l’impact le plus important.

Avant et après nettoyage (crédit : Escalade & biodiversité, Inventaire de la faune et de la flore des falaises, Mesure de l’impact de l’escalade sur la biodiversité, Proposition concertée de mesures conservatoires) [5]

Cette étude conclue que la meilleure pratique de conservation passe par la prévention. Une charte a été établie qui précise un protocole d’équipement de falaise. Ce protocole commence bien avant l‘équipement proprement dit du site par un inventaire de la flore et de la faune présente. Des préconisations générales sont aussi présentées :

  • Formation des équipeurs et des moniteurs sportifs avec en amont co-conception des formations avec les organismes de protection de l’environnement. L’objectif étant de diffuser un ensemble de notions comprises et acceptées par tous.
  • Meilleur choix dans les zones à équiper. Choisir des sections présentant moins de végétations. Nettoyage plus sélectif se limitant aux zones de mouvement du grimpeur.
  • Laisser des « couloirs de végétations » permettant la conservation de la biodiversité.
  • Enfin, parmi les recommandations de cette étude, se trouve celle portant sur la rédaction et la diffusion de notes d’information et de petits guides à destination des grimpeurs. Ces recommandations prennent leur place au sein des guides (ou topos) d’escalade par des pages dédiées, sur les départs des sentiers d’accès vers le bas des falaises par des panneaux d’information.

La FFCAM a ainsi établi un guide sur les conduites à tenir en milieu naturel lors de la pratique de l’escalade. Ce guide de 2 pages est destiné au pratiquant [6]. Il recense les informations à collecter ainsi que les méthodes à avoir avant et pendant la pratique. On y trouve le site de la Ligue de Protection des Oiseaux avec des informations sur l’impact de la pratique mais aussi sur une page entière des conseils portant sur les différentes étapes de l’escalade : accès aux falaises, déchets, rochers et magnésie.

Qu’en est-il 20 ans après ? En 2023, les pratiques de sensibilisation se développent toujours au sein des clubs et des associations d’escalade. Nous citerons par exemple des initiatives du Club Alpin Français d’Aix-en-Provence et de l’association « Oh my bloc ! » à Fontainebleau.

Le Club Alpin Français d’Aix-en-Provence diffuse sur son site Web un ensemble d’information [7]. Il liste les espèces menacées en région Provence-Alpes-Côte d’azur ainsi que les précautions à prendre. Le site fourni aussi des conseils pour un plus grand respect de la biodiversité. Une personne, membre du bureau, est en charge le « développement et la sensibilisation aux enjeux écologiques au sein des adhérents et plus spécifiquement à la biodiversité [8].

Cela passe par des articles d’informations sur les espèces à enjeux présentes au sein de notre région, les impacts que peuvent avoir nos pratiques (escalade, randonnée, alpinisme …) sur ces espèces puis les bonnes pratiques et actions mises en place pour protéger ces espèces (comme la fermeture des voies d’escalade pendant la période de nidification). » Enfin, ses activités consistent aussi en l’organisation régulière « d’une fresque de la biodiversité pour les adhérents, pour les sensibiliser à tous ces enjeux ».

De façon plus générale, l’instance nationale du Club Alpin Français diffuse des plaquettes d’information à destination de ses adhérents [6]. Celles-ci informent sur le milieu naturel dans lequel évolue les grimpeurs et donne des conseils sur une pratique respectueuse et durable.

L’association « Oh my Bloc ! » est dédiée à la pratique dans le massif de Fontainebleau. En plus d’être une forêt, le massif de Fontainebleau est l’un des plus grands et riches sites d’escalade de France, référence mondiale de l’escalade de bloc. Cette association organise conférence et actions de sensibilisation à destination des grimpeurs (cf. agenda de leur événement de 2023, [9]. L’une de leur particularité consiste à exporter leurs actions à l’étranger à travers les salles d’escalade et les clubs. Leur objectif, dans une démarche proactive, est de toucher les nouveaux grimpeurs n’ayant pas encore été sensibilisés avant qu’ils arrivent sur les sites de la forêt de Fontainebleau.

Conclusion

La pratique de l’escalade ainsi que l’équipement des voies et leurs nettoyages sont à la fois encadrés par de nombreux clubs et organismes mais aussi fait de façon indépendante par des amateurs. Malgré tout, le milieu des grimpeurs prend progressivement de plus en plus conscience de l’impact de son activité sur le milieu naturel. Les initiatives se multiplient, les conventions entre associations de grimpeurs et associations de protection de la nature se développent aussi.

On peut enfin noter une transformation progressive de la pratique, de plus en plus citadines, et le développement des structures artificielles. Avec comme impact positif une moindre pression humaine de la part des pratiquants sur les sites naturels.

Tout ceci va donc dans le bon sens privilégiant la concertation, la sensibilisation entre tous les acteurs et permet d’éviter une interdiction pure et simple de l’escalade.

Références

  • Fédération Française de Montagne et d’escalade, Inventaire des sites naturels d’escalades, https://www.ffme.fr/escalade/site-naturel/les-falaises-et-sites-naturels/sites-naturels-descalade-liste/
  • La fabrique verticale, Typologie des grimpeurs : comment définir les pratiquants en 2021 ?, 27 mai 2021, https://lafabriqueverticale.com/fr/typologie-des-grimpeurs-comment-definir-les-pratiquants-en-2021
  • Vie publique (site du gouvernement français), Érosion de la biodiversité : un constat alarmant, Août 2022, https://www.vie-publique.fr/eclairage/271780-erosion-de-la-biodiversite-un-constat-alarmant
  • Camp to camp, Charmant Som : Dalles de la face E, https://www.camptocamp.org/routes/54411/fr/charmant-som-dalles-de-la-face-e#swipe-gallery
  • Ariège nature, Escalade & biodiversité, Inventaire de la faune et de la flore des falaises, Mesure de l’impact de l’escalade sur la biodiversité, Proposition concertée de mesures conservatoires, Février 2007, https://ariegenature.fr/wp-content/ariegeana/rapport_final_escalade_biodiv.pdf
  • Club Alpin Français, Recommandations pour une pratique respectueuse du milieu montagnard, https://www.ffcam.fr/recommandations-pratiques.html
  • Club Alpin Français, section d’Aix-en-Provence, Massifs provençaux, 4/12/2022, https://caf-aix-en-provence.ffcam.fr/MassifsProvencaux.html
  • Club Alpin Français, section d’Aix-en-Provence, communication privée
  • Oh my Bloc !, Juin 2023, https://www.ohmybloc.fr/programme-festival-2023/
  • Géopark des Bauges, https://doc.sportsdenature.gouv.fr/doc_num.php?explnum_id=357

 

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