Article d’Élodie Rolland  (RSEDD 2022-23)

Revenons sur le B.A-BA : qu’est-ce qu’une licorne ?

Jusqu’à très récemment le terme « licorne » désignait les startups de moins de 10 ans dont la valorisation financière dépassait le milliard de dollars. Autrement dit le seul potentiel économique de ces entreprises prometteuses était pris en compte dans cette appréciation en s’appuyant sur une méthode d’actualisation des flux de trésorerie : valoriser l’entreprise sur la base des cash-flows qu’elle pourra générer et que les actionnaires percevront au fil des années.

Au cours de la décennie passée, la France a vu fleurir 29 licornes dans des secteurs variés gravitant autour de l’innovation technique et scientifique : fintech, marketplace, big data, blockchain. Au rang des plus connues citons : Doctolib, Blablacar, Veepee, Deezer. Une centaine sont attendues d’ici 2030. Ce développement a été rendu possible en particulier grâce à un fort volontarisme politique qui s’est traduit par des investissements conséquents et des campagnes de communication massives propulsant ces jeunes pousses sur le devant de la scène. Souvent mises en avant pour illustrer le succès de la FrenchTech, ces entreprises ne peuvent néanmoins pas toute prétendre avoir un impact positif sur notre société.

Aujourd’hui, face au rythme accru des crises écologiques comme sociales auxquelles nous sommes confrontés et, en regard, aux forts engagements pris par le gouvernement français pour y répondre notamment au niveau européen dans le cadre du Green Deal, ces mêmes efforts doivent être portés vers la détection et l’appui de nos futurs champions de la transition : des entreprises à impact.

Le mouvement Impact France en donne la définition suivante : « les entreprises à impact sont des entreprises qui se donnent pour finalité de répondre à un problème social ou environnemental et qui, pour y parvenir, mettent l’ensemble de leur organisation en cohérence avec cet objectif ».

 

Une nouvelle approche de la licorne

Depuis 2022, le Boston Consulting Group et le mouvement Impact France, en collaboration avec le Laboratoire d’évaluation & de mesure de l’impact social et environnemental (E&MISE) de l’ESSEC travaillent à l’élaboration d’un nouveau cadre de référence pour faire évoluer cette conception de la licorne et la faire entrer ainsi dans une nouvelle ère où les externalités positives en matière social et environnemental seraient prises en compte pour établir leur valeur réelle.

Deux études ont été consacrées au sujet en 2022 et 2023 pour cerner les contours de cette nouvelle forme d’entreprise et établir des critères permettant leur détection et leur soutien. En mars dernier, un nouveau volet des travaux était publié proposant de substituer au critère de valorisation financière celui du calcul des coûts évités pour la société.

 “Tant que l’on ne prendra pas réellement en compte l’impact des entreprises sociales, en allant jusqu’à une valorisation monétaire, au moins partielle, de cet impact, on ne créera pas les vraies conditions de leur changement d’échelle. On passera à côté de solutions pourtant efficaces pour faire face aux défis sociaux et environnementaux de notre époque.”
Jérôme Schatzman, directeur du centre d’innovation sociale et écologique de l’Essec.

 

Le coût évité pour la société : nouveau critère de valorisation ?

Dans sa tentative de définition d’une méthodologie permettant l’identification et la valorisation de ces entreprises à impact, l’étude propose trois archétypes d’impact :

  1. Social avec l’insertion professionnelle,
  2. Environnemental avec la réduction de l’empreinte carbone
  3. Santé via la prévention et l’accompagnement.

Sur la base de ces trois impacts cibles, les chercheurs proposent des indicateurs de mesure permettant d’évaluer les coûts évités pour la société.

  • Pour l’impact social via l’insertion professionnelle, il s’agit d’établir la somme des coûts évités à l’État (prestations sociales, allocations de retour à l’emploi, RSA, etc.) grâce aux activités d’accompagnement à l’emploi.

 

  • Pour l’impact environnemental, il s’agit de réaliser la somme des coûts évités par nombre de tonnes carbones évitées.

 

  • Pour l’impact sur la santé, la somme des coûts évités à l’État relatif au nombre de passages aux urgences et consultations médicales évitées.

En d’autres termes, il s’agit de valoriser le montant que la société économise grâce à l’action d’une entreprise permettant ainsi de prendre en compte la performance globale de l’entreprise jusqu’au bénéficiaire final, au-delà de la seule valorisation financière.

L’étude fixe le seuil de 50 millions d’euros de coûts évités à la société pour prétendre au statut de licorne à impact. Ce nouveau cadre a été testé sur un panel de 11 startups à impacts : Simplon, Phenix, each One[1], les Cafés joyeux[2], notamment. Selon les analyses réalisées, les entreprises du panel permettent en moyenne d’éviter à la société des coûts équivalents à 30 % de leur chiffre d’affaires, soit 3,5M€ de coûts évités pour un chiffre d’affaires moyen de 12M€. Pour la startup Simplon par exemple, les coûts évités à la société par le retour à l’emploi des publics fragiles accompagnés se chiffrent à 17,4M€ par an. Pour la startup Phenix, le coût évité à la société serait de 7M€ chaque année.

 

Est-ce vraiment réaliste ?

Pour le moment, aucune des entreprises du panel ne remplit les critères proposés pour prétendre au statut de « licorne à impact » mais ces premières évaluations permettent de mettre un coup de projecteur sur un sujet clé : quelle entreprise voulons-nous pour faire face aux défis auxquels nous sommes tous collectivement confrontés ?

« L’indicateur des coûts évités amorce un changement de paradigme en ce qui concerne la valorisation financière des start-ups à impact. Il nous permet de quantifier concrètement la valeur ajoutée de ces entreprises pour la société, en les évaluant sur le cœur de leur raison d’être : l’impact environnemental et social »
Quentin Decouvelaere, Directeur Associé au BCG et co-auteur de l’étude[3].

La France est un pays particulièrement dynamique en termes d’entreprise à impact, comme en témoigne notamment la richesse des structures relevant de l’économie sociale et solidaire. A l’image des efforts réalisés pour encourager le développement de la startup nation à la française, une politique volontariste est nécessaire pour assurer la détection et l’accompagnement de ces entreprises à impact.

Nombreux sont ceux qui s’interrogent néanmoins sur la capacité des investisseurs tant publics que privés à valoriser correctement les bénéfices qu’elles peuvent apporter et à créer les conditions leur permettant de se développer.

« Cette étude introduit une toute nouvelle façon de penser la valorisation des startups à l’aune de leur impact social et écologique, pour ne plus se concentrer uniquement sur la valeur financière qu’elles peuvent générer mais sur ce qu’elles apportent de concrètement positif à l’intérêt général »
Caroline Neyron, Directrice Générale du Mouvement Impact et co-auteure de l’étude.

 

Quelques pistes d’action sont proposées en conclusion de l’étude

 

  • Un objectif de 10 licornes à impact parmi les 100 licornes attendues par le gouvernement d’ici 2030 ;

 

  • La mise en place d’un programme « Next Impact 40 » en redirigeant 10% des fonds de France 2030 destinés aux entreprises vers les entreprises à impact ;

 

  • La création d’un statut « Jeune Entreprise à impact » permettant à toutes les entreprises générant des coûts évités d’obtenir un crédit d’impôt sur leurs cotisations sociales adossé au montant annuel des coûtés évités permis par leur activité.

Le mouvement Impact France a déjà ouvert la voie pour permettre aux entreprises de repenser leur valeur et leur impact grâce au développement de l’outil Impact Score définit comme «un référentiel développé par plus de 30 réseaux d’entreprises engagés pour accélérer la transformation écologique et sociale de leurs membres et de l’économie en général ». Gageons que ces nouveaux travaux puissent venir enrichir le débat public et permettant le développement de ces nouveaux modèles d’avenir.

 

 

Sources

Les licornes à impact – 7about.fr

Licornes à Impact : pour une nouvelle mise en valeur – DECIDEURS MAGAZINE – Accédez à toute l’actualité de la vie des affaires : stratégie, finance, RH, innovation (decideurs-magazine.com)

Pourquoi n’y-a-t-il pas plus de licornes à impact positif ? | Les Echos Start

Et si on créait le statut de licorne à impact ? – Influencia

Licornes à impact – TheGood

Le coût évité à la société : un facteur-clé pour la valorisation des startups à impact ? • Les Horizons

Licornes à impact : le nouvel âge de la valorisation ? (bcg.com)

Impact Score : un outil pour révéler et mesurer son Impact (impactfrance.eco)

[1] Créée en 2015, each One propose des parcours de formation et d’accompagnement à l’emploi dédiés aux personnes réfugiés

[2] Créée en 2017, les Café Joyeux est la première famille de café-restaurants qui emploie et forme en milieu ordinaire des personnes en situation de handicap mental et cognitif au cœur de nos vies

[3] Licornes à impact : le nouvel âge de la valorisation ? (bcg.com)

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