Article de Aurélie De Ratuld (RSEDD 2022-23)

Partie 1

Introduction

Arrivée dans cette magnifique région du golfe du Morbihan dès l’âge de 3 ans, j’y ai fait mes premières découvertes de l’estran. L’estran, cette zone du littoral qui se découvre 2 fois par jour, à marée basse, plus ou moins longtemps selon les coefficients de marée. Cette zone recèle de trésors que l’on peut voir quand on s’y promène, et on peut même y récolter de quoi se substanter. En effet, ces zones calmes et riches en phytoplancton sont des endroits de prédilection de l’huître, qui s’en nourrit. Nous pouvons ainsi trouver l’huître là où il y a des « recoins » abrités des ardeurs océaniques : Golfe du Morbihan, Ria d’Etel, Rias du Belon, Rade de Brest, Baie de Cancale, Normandie, sans oublier les plateaux à l’abri du Fouras, Marennes etc… Les parcelles d’élevage d’huître y sont nombreuses. En effet, la plupart du temps recouvertes par la marée, l’huître se nourrit, et à marée basse, l’ostréiculteur peut s’en occuper. Chaque lieu rivalise de son cru en revendiquant les saveurs noisette, la couleur verte ou claire, qui rend compte de l’environnement dans lequel l’huître a grandi.

Une culture liée à la nature

La culture de l’huître, ou ostréiculture (du nom grec, ostrea), est étroitement liée à la nature et se fait selon un cycle. Les huîtres se reproduisent quand l’eau est plus chaude, c’est-à-dire en été, on récolte les naissains sur des collecteurs, où l’huître va grandir pendant 9 mois, et quand elle atteint une taille de  4-5 cm, on la décolle de ces collecteurs pour la mettre en poches. Ces poches sont placées sur des tables (80% de la culture d’huitres en France se fait en poches), et sont régulièrement secouées à la main et retournées, au moins 1 fois par mois, pendant 2 ans ou plus. Ainsi, l’huître que nous mangeons atteint une taille variable selon les conditions de croissance. Une huître chez l’écailler aura entre 2 et 3 ans, les calibres faisant référence à leur taille. Plus le numéro est petit, plus le calibre est grand. Cela varie du Triple Zero au calibre 5. La plus consommée est la n°2 ou 3, entendez des huîtres de 85 gr environ pour la n°3. Du coup, il y en a environ une douzaine dans 1 kg.

Une économie ancrée dans notre culture

Avec sa ligne de littoral immense – 7000 km de côtes avec de nombreuses zones avec un estran large, la France est le premier producteur d’huître d’Europe avec 91% du marché (soit 150-200 000 tonnes), dont environ la moitié en Bretagne (environ 80 000 tonnes, avec pour la Bretagne Sud 6000 tonnes et le golfe du Morbihan env. 500 à 1000 tonnes). Cette première place ne peut pas rivaliser avec la Chine, qui produit l’essentiel (81,3%) de la production mondiale devant la Corée (6%), le Japon (5,5%) et enfin la France (2,1%). Le marché mondial est d’environ 5 millions de tonnes ! Qu’à cela ne tienne, en France, la culture de l’huître est aussi une activité familiale qui se transmet, parfois sur 5 générations.

La seule espèce d’huître endémique de la Bretagne est l’huître plate Ostrea edulis, ou la Belon, qui a été cultivée depuis au moins le Moyen Âge. L’histoire de l’ostréiculture est marquée par des évènements historiques et environnementaux. On peut citer la disparition au XVIIIe siècle du rôle primordial du sel comme monnaie libérant des hectares d’anciens marais salants par exemple, ou encore la pénurie de naissains à l’époque récoltés en mer, l’importation subie des huîtres portugaises suite à un naufrage au XIXème siècle mais également des phases marquantes d’épizootie, puis enfin l’introduction dans les années 50, de l’huître creuse Crassostrea gigas depuis le Japon. Désormais, la culture de l’huître plate reste très anecdotique par rapport à la creuse qui compte pour 99,5% de la production.

L’huître et la ville de Cancale sont depuis 2019 inscrites au patrimoine culturel de la France, et font ainsi partie du capital immatériel de la France. La fédération ostréicole aimerait même qu’elle entre au patrimoine de l’Unesco.

L’ostréiculture fait vivre en France près de 5000 entreprises, avec des parcelles de tailles de 5 ha de champs à plus de 20 ha. La valeur générée par le secteur pour la France est de 800 millions d’euros, avec une valorisation à 5000 €/T pour les ostréiculteurs. Récemment, nous avons vu se développer des installations de dégustations sur place, génératrices aussi de valeur… 10€ les 6 huitres + 1 verre de vin blanc, du pain et du beurre… Les lieux sont magiques et contribuent à l’activité touristique et au bien-être des populations locales. Du champ à l’assiette, c’est un circuit court.

Un aliment sain

Avec une capacité de filtration de plus de 5 litres d’eau / h et leur consommation de micro-algues, les huîtres contribuent largement à la réduction de ces derniers dans le milieu et peuvent ainsi empêcher la limitation en oxygène occasionnée par leur potentielle prolifération. Elles vont avoir une forte contribution à l’éclaircissement de l’eau, qui va assurer une meilleure pénétration de la lumière par moins de turbidité, également un point important pour les autres espèces. La présence de l’huître est donc vue comme bénéfique pour la qualité de l’eau et l’équilibre des écosystèmes. Elles sont également surnommées les sentinelles de la mer : si l’environnement est pollué, elles nous le font savoir à nos dépens.

Par ailleurs, l’huître est un aliment light avec seulement 100 kCal pour une douzaine d’huîtres, 3 grammes de lipides et 11 gr de protéines. Les lipides sont principalement des Omega 3, considérés parfaits pour lutter contre le cholestérol. Enfin, l’huître est riche en oligo-éléments : Phosphore, Fer ( 100% des besoins journaliers d’une femme), Cuivre, et surtout Zinc, et selenium, et elle contient des Vitamines du Groupe B, et fournit plus de 100% des AJ en vitamine B12 avec ½ douzaine ingérée. Tous ces éléments présentent beaucoup de bienfaits pour l’homme.

L’économie circulaire : un must

Selon son cru et son appellation, une huître a un certain pourcentage de chair par rapport au poids total, « l’indice de chair ». Une huitre spéciale a un indice > 10,5%, une huitre fine entre 6 et 10%. Le reste du poids est principalement composé de la coquille. On comprend donc que quand on mange des huîtres, il faut savoir ce que nous faisons de la coquille…

La composition de la coquille d’huître est du carbonate de Calcium à 95%, dont 40% de Calcium et renferme également de nombreux oligo- éléments comme le zinc. Ainsi, les premiers débouchés du recyclage des huîtres sont depuis longtemps l’amendement des sols en agriculture pour un apport en oligo-éléments et carbonates et la nutrition des volailles poules pondeuses (apport en Calcium).

Au niveau individuel de nombreux blogs indiquent que faire des coquilles d’huître : pour les poules au fond du jardin, l’amendement du compost, mais pour le drainage des pots de fleurs en remplacement des billes d’argile, l’anti-limaces pour les salades du potager, l’anticalcaire dans les toilettes ou leur utilisation sous forme broyée pour constituer un paillage naturel pour l’hiver dans les jardins.

Leurs propriétés peuvent également servir dans des secteurs économiques divers

Voici quelques illustrations :

La société Alegina a mis au point un pavé drainant, baptisé Vivaway (1).  À l’heure où sonne la loi Climat et résilience avec ses nouvelles règlementations en matière d’artificialisation des sols, de ruissellement et d’écoulement des eaux dans des environnements urbanisés, ce recyclage de l’huître est une bonne alternative aux pavés, souvent imperméables et non drainants, issus de carrière. Le coût au m2 aujourd’hui est compétitif. La même société propose également une porcelaine de luxe.

Trouvant une alternative aux parpaings et aux briques, mais également aux céramiques, la société Gwilen (2) , près d’Arzal, sur la Vilaine, utilise des sédiments marins mêlés à des coquilles d’huîtres, et fabrique des objets pour l’instant à l’échelle pilote, selon le procédé de diagénèse, le processus naturel de formation des roches sédimentaires, et sans cuisson à haute température.

La poudre d’huîtres peut avantageusement, grâce à sa capacité de pouvoir tampon, servir de matériau de remplissage de filtres pour la production / filtration d’eau potable comme l’exposent Lin et al, 2022, dans Journal of Environnemental Management (3). Elles constitueraient une alternative à la sédimentation – floculation utilisées en station de filtrage.

De très nombreux papiers mentionnent les coquilles d’huître broyées comme substrat très performant pour former du ciment pour les BTPs. Une revue des applications et avantages de cette substitution a été récemment publiée dans Materials Today Proceedings par Rusland et al, 2022, (4). Il est également mentionné dans d’autres articles et brevets l’utilisation des coquilles d’huître comme ciment en milieu marin afin de restaurer les coraux. Cette dernière application est d’ailleurs testée dans de nombreuses régions du monde.

Sur le créneau du Made in France, écologique et responsable, la société alréenne Friendly Frenchy fabrique des montures de lunettes (5), et y trouve une alternative à l’industrie pétrochimique. La matière est sourcée en Normandie, les montures fabriquées dans le bassin lunettier français dans le Jura, le packaging lui est nantais. Friendly Frenchy est engagé pour la protection du littoral et des océans aux côtés de Surfrider Foundation Europe.

Et enfin, pépite française, la société Rochelaise Soöruz fabrique des combinaisons de surf « éco-conçues » (6) en utilisant de la poudre d’huître en remplacement du limestone, calcaire fossile des carrières, mélangé à du caoutchouc naturel, de la canne à sucre et des huiles végétales non alimentaires, pour former le Oysterprene®. Cela permet de se retirer de la pression sur le marché du limestone, et les prix restent compétitifs pour une combinaison de surf.

Le recyclage des coquilles d’huître est donc devenu une source d’économie circulaire avec, en France, un sourcing d’environ 150 000 tonnes de coquilles. Des stations de collecte ont vu le jour un peu partout en France, pas seulement sur le littoral. Un abondement important est logiquement observé lors des fêtes de fin d’année.

De nombreuses raisons donc pour continuer à manger des huîtres. Dans la deuxième partie de cet article, nous nous intéresserons justement à l’huître et à son empreinte carbone, et à sa considération dans la lutte contre le changement climatique.

Sources et références

www.ostrea.org

https://www.comment-economiser.fr/13-utilisations-coquilles-huitres-etonnante.html

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