Article de Flora Soulier Dugénie (RSEDD 2020)

 

 

« Il était une fois… il y a quelques années. Les étoiles brillaient de mille feux, on pouvait distinguer les galaxies à l’œil nu si l’on connaissait un tant soit peu la carte du ciel. Si tu passais suffisamment de temps la tête dans les étoiles, d’une nuit bien dégagée, tu pouvais assister aux petits mystères de l’univers : une fraction de seconde pour admirer la beauté de la course d’une étoile. Mais il fallait être très averti, aussitôt apparue elle avait déjà disparu. Les étoiles jouaient à cache-cache. »

« Et c’était il y a longtemps ? »  demanda le petit garçon à sa maman. « Pourquoi aujourd’hui y a-t-il tellement de fausses étoiles filantes dans le ciel ? Parce que les étoiles filantes des hommes, elles ne jouent pas à cache-cache et elles ne filent pas, elles passent et repassent comme si elles voulaient se montrer tout le temps. »

Nous sommes en 2030.  Quand vous levez les yeux au ciel, la nuit a fait place à un ballet incessant de lumières qui passent et repassent et qui vous empêche d’admirer le ciel étoilé même en plein été. Vous pouvez suivre un point lumineux sur toute la ligne d’horizon. Puis un autre vient prendre le relai, puis un autre et soudain plusieurs à la fois happent votre attention, vous relie malgré vous à ce monde de technologies. Pas moyen de perdre le fil de vos pensées et de plonger votre regard dans l’inatteignable voûte céleste parce qu’elle s’est transformée en guirlande clignotante avec quelques fois le fameux train du père Noël dans son cortège.

« Oui ! mais c’est pour le progrès me dit-on… »

 

Tout a commencé en 2015

Cette année-là, dans ses bureaux à Redmont du côté de Seattle, un homme très très très sérieux réfléchit à l’endroit où installer ses points de réception et d’émission internet dans le monde. En France il y a plusieurs pistes : Gravelines, mais aussi une petite ville à côté de Bordeaux et un village normand, Saint Seigner de Beuvron, élus pour recevoir Dieu et ses antennes relais au bout de leurs jardins.

Au même moment, à l’autre bout du pays, le Président des Etats Unis d’Amérique prend une décision inattendue et rompt avec un principe fondamental. L’espace extra atmosphérique qui était une propriété de l’humanité devient une propriété intellectuelle au profit des Américains. Il leur devient alors possible, par la signature en novembre 2015 du Space Act Competitiveness HR 2262, de s’octroyer les ressources de l’espace ; un bout de la Lune par ci, des morceaux d’astéroïdes par-là, B612 même qui sait… ! Le président Barack Obama s’assoie simplement de façon unilatérale sur le consensus de 1967, traité signé par les grandes puissances (USA, Grande Bretagne, Russie et France) et qui régissait les activités d’exploration et d’utilisation de et dans l’espace et de ses corps célestes qui s’y promènent.

Le traité de l’espace de 1967 permettait de cadrer son utilisation, notamment sous les aspects militaires : interdiction de mise en place d’arme de destruction massive dans l’espace ou y ayant attrait pour toute autre finalité. Il permettait également de gérer le fonctionnement entre les pays et de poser les bases de co-responsabilité et d’entraide.

1979, on avance encore avec l’accord pour la Lune, qui a l’avantage de poser le statut de la Lune régi sous le concept de « Res Nullius » à l’instar de l’Antarctique et de la haute mer, à savoir : personne ne la détient. On ancra juridiquement le principe philosophique qui se rapproche du concept de ‘bien commun’ à ‘bien à personne’, donc touche pas à l’espace !

 

Moins de réglementations : une brèche supplémentaire pour le commerce ‘made in space’

Il ouvre la brèche à une autoroute du commerce de l’espace.  Coïncidence ou non, 2015, même année, le très très très sérieux Elon Musk qui trouvait que conquérir le monde n’était pas suffisant pour lui est bien décidé avec Star Link, à conquérir cet espace qui lui manquait dans son Monopoly. Le président a ouvert la porte, alors il l’enfonce avec l’invasion de l’espace pour nous inonder d’ondes, arguant l’indispensable et vital besoin de recevoir internet très haute qualité même au fin fond du désert de Gobie. Sous couvert de sa société StarLink, c’est la promesse de financer un autre programme d’envergure SpaceX. Comme l’appuie Christophe Bonnal “expert à la direction des lanceur du CNES” : l’espace souffre d’un manque flagrant de réglementations et de système de régulation internationale.

Elon Musk prévoyait initialement d’envoyer la constellation Starlink faite de 12 000 satellites d’ici 2030. In fine ce ne sera pas moins de 42 000 dans les prochaines années, avec un rythme de tir de de 120 par mois. Sa société prévoit un chiffre d’affaires de 30 milliards de dollars par an. La machine à cash de SpaceX est lancée.

D’autres concurrents, par l’odeur alléchés, lui emboîtent le pas. Jeff Bezos en 2020 veut commencer par en lancer 3000 avec le même projet de commercialisation d’internet à très haut débit sous le nom de Kuiper. Sur la même ligne de départ, on retrouve dans les starting blocks Samsung, Boeing … Imaginons ce qui peut suivre…

 

Retour vers le passé

Cela fait longtemps que des satellites tournent en orbite autour de notre planète. Le lancement du premier satellite Spoutnik-1 en 1957 par l’ex-URSS en pleine guerre froide a lancé la course à la conquête spatiale.

1957-1965 concrétise la conquête de l’espace entre deux grandes puissances les Etats-Unis et l’URSS. En 1961, l’Homme va dans l’espace avec Youri Gagarine. Il fera le premier tour orbital de la Terre. Cette compétition continue ensuite avec la Lune jusqu’au début des années 70. Enfin la coopération des superpuissances s’installe et permet de déployer des projets d’envergure comme Hubble (développé par la NASA en coopération avec l’ESA ), comme les stations spatiales internationales dont ISS en 1998 (reflet du plus grand projet international jamais conçu et qui est le résultat d’un travail entre les Etats-Unis, la Russie, l’Europe, le Japon et le Canada).

 

Les années 2000 marquent un virage

Le voyage dans l’espace jusque-là réservé aux recherches scientifiques devient également un voyage touristique. Dennis Tito en 2001 paie sa place à bord de Soyouz. En 2004 SpaceShipOne est le premier avion privé américain à voler dans l’Espace à plus de 100km d’altitude. Le grand public pourrait accéder à l’espace !

21 décembre 2015, on élargit encore le champ d’application et la société américaine privée SpaceX, du milliardaire Elon Musk, réalise le décollage d’une fusée Falcon 9. Elle réussit à faire atterrir le premier étage du lanceur après un passage en orbite et avoir envoyé 11 satellites.

2020 privé et public travaillent de concert et tout le monde est content. SpaceX envoie des astronautes dans l’espace et les Etats Unis acquièrent de nouveau leur indépendance pour y envoyer des Hommes. 2021, c’est Crew-2 de SpaceX qui assure le transport jusqu’à la station ISS.

Aujourd’hui des milliers de satellites et objets sont en orbite autour de la Terre, dont 2 000  actifs.

 

 

 

Mais qu’est-ce que cet objet volant ?

Le satellite artificiel est constitué de deux sous-ensembles :

  • la charge utile qui regroupe les instruments nécessaires pour remplir la mission : antennes et amplificateurs pour un satellite de télécommunications, instrument d’optique pour l’observation de la Terre, etc.
  • la plate-forme, ou module de service, qui supporte la charge utile et qui lui fournit les ressources dont elle a besoin pour son fonctionnement (électricité…), maintient le satellite sur son orbite selon l’orientation demandée et assure la liaison avec les stations à Terre.

 

 

Ses principales caractéristiques sont : sa charge utile, sa masse, sa durée de vie opérationnelle, son orbite et sa plate-forme. Le poids d’un tel objet peut varier de plusieurs dizaines de kg pour les plus légers comme les microsatellites à plusieurs tonnes (8 à 20 tonnes) pour des satellites de télédétection ou militaires. Le rapport masse/capacité de l’appareil va souvent de pair, malgré les progrès de miniaturisation des technologies. En moyenne la durée de vie est de 5 années pour les satellites d’observation et de 15 années pour ceux des télécommunications. En orbite basse, des problèmes plus fréquents de décharges des batteries ramènent souvent la durée de vie en deçà de 5 an.

 

Si l’espace est infini quel est le problème ?

Si l’Espace est infiniment grand, notre orbite est limitée et au bord de la saturation. Aujourd’hui volent tout autour de nous, entre orbite basse (altitude entre 200 à 2 000km) et orbite géostationnaire (altitude = 35 786 km) environ 34 000 objets de plus de 10 cm et 900 000 objets de plus d’1 cm, plus de 130 millions de plus d’un millimètre.

L’heure est à l’urgence à nettoyer et de réfléchir à ce que l’on envoie et pourquoi. Après plus de 60 ans de vols spatiaux, 5 000 satellites sont encore en orbite mais seulement 2 000 encore actifs. Tous les autres sont des déchets, qui, à chaque choc se multiplient et s’ajoutent aux centaines de millions de débris.

 

 

L’étude d’impact, dans l’atmosphère d’éléments se dégradants, reste au vu du volume volant bien négligeable à côté d’un porte container qui coule. Le risque que de petits débris atteignent la Terre semble être très faible pour être un réel danger pour les Hommes. Ces débris se désintègrent en rentrant dans l’atmosphère.

Pour autant cela doit-il nous rassurer sachant que les perspectives montrent que l’on va multiplier par 5 au moins le lancement d’objets dans l’espace ?

 

La démultiplication des risques de collision est importante

Plus de satellites en orbite amènent plus de risques de collisions. Cela pose deux problèmes. En orbite, les objets y restent pour un millénaire à une vitesse orbitale de 30 000km/heure.

Dernier exemple en date, année 2019, peu après le lancement de la constellation Starlink d’Elon Musk, un de ses satellite de 227kg a failli percuter celui extrêmement couteux et précieux de l’ESA : l’Aeolus (qui observe la Terre et cartographie les vents). L’agence spatiale a dû intervenir pour modifier son orbite. Si un tel danger a su être évité, seulement 1500 objets sont manœuvrables alors que 20 000 sont identifiés.

Les risques de collisions deviennent exponentiels avec la présence des débris qui continuent à tourner en orbite sans que l’on sache comment gérer leur fin de vie.  Ces débris plus petits peuvent eux aussi occasionner des dégâts importants. Leur vitesse orbitale étant comprise entre 8 et 10 kilomètres par seconde (entre 29 000 et 36 000 km/h !), leur énergie cinétique n’en est que plus importante. À titre de comparaison, le CNES donne cet exemple : une sphère d’aluminium d’un diamètre de 1 mm se déplaçant à une vitesse de 10 km/s a la même énergie cinétique qu’une boule de pétanque lancée à 100 km/h. On estime à plus de 300 000 le nombre de débris compris entre 1 et 10 cm, et à 35 millions ceux de plus d’1 mm ! Ces deux derniers types de débris représentent un danger très important, notamment parce qu’ils ne sont pas catalogués et peuvent être dangereux pour les satellites, ou pour les stations spatiales.

 

Les débris-tamponneurs ou le syndrome de Kessler :

La situation inquiétante qui menace aujourd’hui l’orbite basse se réfère au syndrome de Kessler, où une multiplication exponentielle du nombre de débris orbitaux sous l’effet de collisions mutuelles, créé une ceinture autour de la Terre, empêchant toute activité spatiale. Les débris et les collisions continuent jusqu’à ce que l’orbite basse ne soit plus praticable. Nous ne savons pas si nous avons ou non atteint ce point qui empêcherait tout objet de le traverser pendant des dizaines d’années, mais la situation actuelle laisse penser que nous nous approchons de ce seuil critique.

En dehors des éléments en orbite autour de la Terre, la majeure partie de ce qui est envoyé dans l’espace n’a pas vocation à y rester car sert au transport jusque dans l’orbite spatiale. Certaines parties des lanceurs sont récupérées d’autres non et continuent à errer dans l’orbite de la Terre, bon en mal en, et accroit de façon inutile notre décharge céleste. Le 1er étage qui revient sur Terre est récupéré. D’autres parties brûlent dans l’atmosphère et retombent en petits morceaux dans l’Atlantique.. La charge utile du satellite, une fois finie sa mission dans l’espace, doit se désorbiter et donc revenir.

La gestion de la fin de vie des satellites interroge au vu du nombre indécent de satellites commerciaux prévus rien que dans les 10 prochaines années.

Des orbites surchargées vont menacer l’observation si importante que réalisent les satellites scientifiques pour l’observation du climat, du vent, de la planète et qui offrent des informations précieuses pour mieux anticiper et gérer les phénomènes ponctuels météorologiques comme les ouragans, mais aussi à moyen et long terme sur l’évolution du climat. Cela va gêner également nombre d’autres activités de pointe, de recherche et militaires.

 

Vers une voûte artificielle et moins céleste

Pour pouvoir fonctionner, les satellites commerciaux doivent être positionnés en orbite basse. Les satellites Starlink sont 60 fois plus proches de la Terre que les satellites traditionnels. Ils sont donc plus visibles à l’oeil nu et pour tous humains qui souhaitent que le ciel soit étoilé et non robotisé. Le volume d’objets envoyés dans l’espace dépasse tout ce qui a été réalisé auparavant.

Une autre pollution s’ouvre devant nous, celle de la pollution lumineuse et ce à double titre. Elle inquiète la population scientifique des astronomes ; les satellites artificiels déjà nombreux et contraignants, mais plus encore la perspective de croissance pléthorique dans les 10 prochaines années se révèle être une réelle menace pour l’étude de l’espace. Aujourd’hui vécu comme une contrainte non négligeable, la gravité de cette situation à venir leur parait encore très sous-évaluée.

Dans un rapport de la Société Royale d’Astronomie « Royal Astronomical Society », sont pointées du doigt les interférences radio et les pertes d’informations que ces satellites commerciaux provoquent avec les autres objets d’observation en orbite et leur relai au sol. Deuxième danger, la masse des objets (débris et satellites artificiels) renvoi un niveau de luminescence très important par le biais du reflet du soleil en direction de la Terre.  Cette surbrillance, est évaluée objectivement par la méthode de la luminance au Zénith. La prolifération des effets de surbrillance causés par la recrudescence des objets en orbite basse (notamment entre 1000 et 2000 km) viendront perturber gravement le travail d’observation, au risque d’atteindre avec cette prolifération d’objets un point de non-retour, qui rendrait impossible tout travail astronomique (au-delà de 10% de la luminosité naturelle).

La 2nde résonnance liée à la pollution lumineuse est plus philosophique et interroge sur le lien entre l’humain et le ciel, l’espace et ce qui l’entoure.

Lorsque je lève les yeux au ciel, devrais-je subir l’invasion permanente et incessante de l’Homme, de sa technologie sur la nature ? Ne restera-t-il pas une once de Nature non souillée à nos yeux, dans lesquels nous puisons tant ? Le ciel, l’espace et sa peuplade autochtone d’astres scintillants ou non sont des sources d’émerveillement ; restent un univers vierge, au moins à nos yeux, de l’étouffante massue anthropocène et de cette société de surconsommation, de profits de court terme et plaisirs immédiats. Que nous reste-il ? Dans quoi allons-nous planter le regard pour penser, rêver, nous évader d’un monde toujours plus gadgétisé ?

Le ciel représente encore cette plage d’espace où le temps s’étire, cette plage un peu vierge pour nos yeux qui voient si peu. Demain, happés par la technologie, nous ne pourrons plus nous évader de ce monde qui court ; qui court pour ne pas rater le dernier buzz twitter, le dernier post instagram, la dernière fake news, le dernier métro… Ce monde où penser est devenu ringard.

La bribe de respiration et de reconnexion à ce que nous sommes êtres humains reliés par les pieds à la Terre, par la tête aux étoiles, apparait s’amenuiser de jour en jour. Il nous reste les forêts, les océans et les mers, les grandes étendues sauvages qui nous incitent à ce voyage…et puis, il y a le ciel, accessible à tous. La voûte céleste, où que soyons sur Terre, qui que nous soyons, nous relie.

Plus largement l’univers poétique de l’individu le rappelle aux choses fondamentales et calme les esprits. Ce voyage de retour à soi permet de retrouver l’apaisement et une certaine capacité à penser. Ne risquons-nous pas de perdre le Nord en perdant nos étoiles ?

La marche forcée de notre monde anthropocène nez dans un guidon trop bas, nous empêchent de lever la tête pour prendre de la hauteur.  La matière grise et la matière noire ; ces impalpables de nos vies pour nos pragmatiques leaders d’un monde rapide, jetable, interchangeable n’ont pas de place. Les Darth Vador des temps modernes pilleront, temps que l’on noie sous les jeux vidéo, les cerveaux qui pourraient réagir. Proposer plus de services pour prendre ce qu’il reste de connexion cognitive permet aussi d’annihiler toute réflexion. Aujourd’hui agir est plus important que penser, où penser est une perte de temps. Le résultat ne peut être clairvoyant. L’action ne peut être mesurée, intelligente si nous court-circuitons une partie du travail de notre cerveau.

Penser et agir, penser pour agir bien, voilà à mon sens de quoi il s’agit. Une forme de modèle économique individualiste a petit à petit barricadé nos cœurs, tu la pensée et a fait marcher au pas de l’addiction, la consommation. Comme l’évoque Sylvain Tesson dans la Panthère des Neiges « Chers amis {…], je vous apporte le progrès, fermez-la. » car « Quiconque nourrit un homme est son maître. »

Il semble alors convaincant de nourrir l’homme autrement que par la panse, mais bien aussi par la pensée. Si incommunicable, le besoin vital de baigner nos yeux dans la nuit étoilée, si impalpable les bienfaits que cela procure, ceci devrait être un droit humain à admirer la beauté pour reprendre de la force et veiller à garder intact notre sagesse. Dernier pan d’une nature à la beauté gâchée, défigurée par la main de l’homme, le ciel restait jusqu’à présent, malgré la couronne de déchets satellitaires mais invisibles à l’œil nu, un dernier grand bastion d’un monde sensible et du monde de la contemplation.

 

 

 

Bibliographie

Sites de références :

Radios et podcasts :

Textes

 

 

 

 

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