Article d’Aurélie Grange (RSEDD 2021)

 

 

Depuis des dizaines d’années, les scientifiques nous alertent sur les conséquences dramatiques du réchauffement climatique, de l’épuisement des ressources, de la destruction des écosystèmes et de la biodiversité. Malgré les alertes, les avancées existent mais paraissent largement insuffisantes face à l’ampleur des défis.
Antonio Guterres, Secrétaire Général des Nations Unies, faisait part de sa frustration lors de la COP 25 à Madrid : « (…) ce qui me frustre, c’est la lenteur des changements ». « Nous n’avons pas de temps à perdre ».1 Plus récemment sur son fil Twitter, il faisait remarquer que « La science nous avertit depuis longtemps de la nécessité de limiter l’augmentation de la température à 1,5°C. Aller au-delà, même si ce n’est que marginalement, pourrait provoquer un désastre pour l’humanité. (…)»2. Et pourtant indique-t-il dans un autre tweet « La planète est dangereusement proche d’atteindre le seuil internationalement convenu de 1,5°C de réchauffement climatique. »3

Dans son Petit Manuel de résistance contemporaine, Cyril Dion, écrivain et militant écologiste français, souligne que « Globalement, nous écologistes, ne parvenons pas à faire passer notre message. Du moins pas suffisamment »4. Et ce constat est largement partagé. La liste est longue de ces personnalités dénonçant la lenteur des changements, malgré leurs efforts acharnés pour alerter.

Dès lors, comment communiquer sur ces défis pour un passage à l’action de grande ampleur ? De nombreux chercheurs se sont posés et se posent encore cette question.

La Cité des Sciences a ouvert le 6 juillet dernier une exposition temporaire appelée « Renaissances », qui interroge le futur de notre société face aux perturbations environnementales, sociétales et sanitaires actuelles. Son objectif ? « Donner des clés pour comprendre le monde dans lequel nous évoluons, ses mutations, ses enjeux en cours et à venir (…) nous aider à détricoter nos peurs, décortiquer, déconstruire nos angoisses pour nous pousser à l’action. »5
Les créateurs de cette exposition se sont bien sûr interrogés sur la manière de la construire, pour répondre à ce difficile objectif de « passage à l’action ».

Analysons les dispositifs mis en place pour en faire ressortir les bonnes pratiques.

 

Donner les clés de compréhension : un point de départ nécessaire

En introduction, l’exposition Renaissances donne des clés de compréhension aux visiteurs en présentant tout d’abord les grandes tendances de notre impact sur notre planète. La « Grande accélération », expression utilisée par des scientifiques pour décrire la période faisant suite à la 2nde guerre mondiale, est représentée via des tableaux de données socio-économiques mondiales comparés à des données biogéophysiques de la planète. Une croissance exponentielle de tous les facteurs ayant un impact sur notre planète peut être constatée : dioxyde de carbone, azote dans les zones côtières, acidification de l’océan etc. « Ces soixante dernières années, les êtres humains ont altéré les écosystèmes plus rapidement et plus profondément que dans aucune autre période comparable de l’histoire humaine ».6

Comme nous l’avons vu en introduction, relater les faits n’est pas suffisant pour pousser à l’action.

Le sociologue et philosophe américain George Marshall a longuement étudié les raisons pour lesquelles notre cerveau ignore le changement climatique. Selon lui, « Ceux qui défendent l’adoption de mesures pour lutter contre le changement climatique doivent faire tout leur possible pour parler aux deux cerveaux (le rationnel et l’émotionnel). Ils doivent accumuler suffisamment de données et de preuves pour montrer au cerveau rationnel qu’ils sont une source crédible, tout en les transformant pour leur donner une forme qui soit attrayante et stimulante pour le cerveau émotionnel, à l’aide d’outils d’immédiateté, de proximité, de sens social, de narration et de métaphores qui puisent dans notre expérience. »7

C’est ce qu’ont voulu faire les créateurs de Renaissances dans la suite de l’exposition : offrir une expérience émotionnelle pour donner envie d’agir, et décrypter les imaginaires pour les utiliser comme tremplin de construction.

 

 

 

Toucher le visiteur dans ses émotions : une action qui doit être accompagnée

Dans une seconde partie intitulée « Imaginaires et apocalypses », l’exposition se déroule en 2029 et nous fait vivre un effondrement de notre société. Via une immersion dans une fiction d’anticipation, les spectateurs et spectatrices sont amenés à faire des choix. Sans en dévoiler le contenu, et sans surprise, l’animation est anxiogène.

 

 

Les spécialistes en psychologie soulignent que l’un des obstacles au passage à l’action est une communication trop anxiogène. Les risques de déni ou de rejet sont forts. « En plus du catastrophisme affiché, les ’’théories de l’effondrement’’ s’adressent individuellement aux lecteurs. Plutôt que les orienter vers des actions collectives, elles les poussent à se recroqueviller sur eux-mêmes », dénonce la philosophe et spécialiste de l’éthique de l’environnement Catherine Larrère8.

Mais, selon Owen Gaffney, co-auteur d’un rapport sur la marche à suivre pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris dès 2030, « l’éco-anxiété est la réponse adaptée à la taille du défi »9. Elle serait moteur de l’action, car en agissant l’individu lutte contre l’éco-anxiété et peut développer un sentiment de contrôle.

Le débat à ce sujet est donc loin d’être clos. Et il paraît évident que selon les personnes auxquelles on s’adresse, l’impact d’une communication angoissante ne sera pas le même.
Ce discours anxiogène paraît néanmoins incontournable étant donné l’ampleur des défis, mais il doit être accompagné. Et c’est tout l’objectif de l’exposition Renaissances, à travers une nouvelle séquence visant à penser un avenir possible et souhaitable.

 

Imaginer un futur souhaitable : un exercice essentiel

Les créateurs de cette exposition ont fait le choix de « Porter un regard juste mais résolument positif sur l’avenir, inciter à l’action pour construire ensemble le monde de demain ».5

Une section est donc dédiée à plonger le visiteur dans une fiction représentant un monde « souhaitable » qui se déroule en 2045.

 

 

A travers une histoire audio, l’exposition fait imaginer au visiteur une partie d’un futur possible. Si cet audio présente de manière très partielle ce à quoi pourrait ressembler notre future société, c’est sans nul doute de manière intentionnelle. En effet, il existe des futurs possibles et souhaitables. L’exposition prend ainsi pour titre « Renaissances » au pluriel.
Il est dans cette section utile d’écouter différents scientifiques analyser ce futur souhaitable. Il en ressort les termes de « bifurcation », « reconversion écologique », « résilience », « sobriété », « technologie », « lowtech », « right tech », permettant d’accompagner le visiteur dans ses réflexions. A lui d’intégrer les différentes données de cette exposition et de travailler sur son propre imaginaire pour se créer, s’imaginer un autre futur.
Comme l’indique George Marshall, « Nous avons besoin d’un récit bâti autour du changement positif, dans lequel notre adaptation au changement climatique défend certes la situation qui existe déjà, mais crée aussi un monde plus juste et plus équitable ».10

 

Multiplier les actions pour faire évoluer les consciences

On le voit à travers cette exposition, communiquer sur les défis environnementaux n’est pas une tâche aisée si on souhaite que cette communication ait un impact sur le passage à l’action. Le défi consiste à associer propos alarmistes et futurs souhaitables. L’imaginaire y joue un rôle majeur comme tremplin de construction. L’objectif n’est bien sûr pas d’imposer une même vision du monde à tous. Il apparaît davantage opportun de bâtir un récit autour de valeurs communes (la famille, le bien-être, l’entraide etc) qui mettrait l’accent sur la coopération.
Cette exposition est un bon exemple de la manière dont il est possible d’agir pour faire évoluer les consciences. Multiplions les événements, les conférences, les actions de ce type, à tous les niveaux et à toutes les échelles !

 

 

Références

[1] Site internet des Nations-Unies – « COP25 : face à l’urgence climatique, Guterres appelle les Etats à faire preuve de volonté politique » [en ligne] (page consultée le 09/09/2021). https://news.un.org/fr/story/2019/12/1057261

[2] – Compte Twitter de Antonio Guterres, tweet datant du 28 juillet 2021.

[3] – Compte Twitter de Antonio Guterres, tweet datant du 07 septembre 2021.

[4] – Cyril Dion (2018), Petit manuel de résistante contemporaine, Actes Sud, p.12.

[5] – Extrait issu de la vidéo de lancement de l’exposition Renaissances
https://www.cite-sciences.fr/fr/au-programme/expos-temporaires/renaissances/ [en ligne] (page consultée le 18/09/2021).

[6] – Le Monde Diplomatique. « La Grande accélération » [en ligne] (page consultée le 03/09/2021) https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/acceleration-terrestre.

[7] – George Marshall (2014), « Le syndrome de l’autruche, pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique », p. 100.

[8] – Propos tirés de l’article du site internet du Figaro, « Eco-anxiété » : quand la hausse des températures fait chuter le moral [en ligne] (page consultée le 05/08/2021) https://sante.lefigaro.fr/article/eco-anxiete-quand-la-hausse-des-temperatures-fait-chuter-le-moral/.

[9] – L’ADN, « Éco-anxiété : quand le changement climatique nous envoie chez le psy » [en ligne] (page consultée le 10/08/2021).
https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/usages-et-style-de-vie/eco-anxiete-changement-climatique-psy/

[10] – George Marshall (2014), « Le syndrome de l’autruche, pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique », p. 395.

 

 

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