Article de Sylvia Laborie Coquerel (RSEDD 2020)

 

 

Neuf personnes sur dix aiment le chocolat, la dixième ment ! John G. Tullius

Même avec l’hypothèse que tous les êtres humains n’aient pas accès à cette gourmandise, il reste encore un potentiel de quelques milliards de consommateurs de chocolat. Et, si chaque individu en âge de réfléchir sur la provenance de son alimentation s’interrogeait sur celle de son chocolat préféré, les fabricants n’auraient d’autre choix que d’être plus engagés et plus transparents pour choisir des approvisionnements durables de cacao.

 


Un peu de vocabulaire

Cacaoyère : plantation de cacaoyers
Cacaoyer : arbre dont les fruits s’appellent sont des cabosses
Cabosse: fruit du cacaoyer contenant des fèves de cacao
Fèves de cacao : graines contenues dans la cabosse
Pâte de cacao : produit issu des fèves de cacao une fois fermentées, séchées, nettoyées, torréfiées et broyées
Beurre de cacao : matière grasse issue de la pâte de cacao obtenue par pressage
Chocolat : produit réglementé contenant a minima des ingrédients « cacao » (pâte, beurre ou les deux) et du sucre, voire des matières laitières


 

 

Dis-moi d’où tu viens et je te dirai qui tu es

Originaire des forêts tropicales d’Amérique centrale et du Sud, le cacao aurait été consommé en premier lieu il y a près de 4000 ans par les Olmèques, peuple de l’ère précolombienne. Puis la découverte des Amériques a permis de le faire apprécier par les élites européennes, et dans le contexte des colonisations, la culture du cacao s’est étendue en Afrique au XIXe siècle puis en Asie. Aujourd’hui, la production de cacao (cf. figure 1) est concentrée sur le continent africain avec les trois-quarts du volume mondial, et plus particulièrement en Côte d’Ivoire et au Ghana qui comptent respectivement 46% et 17% de la production mondiale de fèves de cacao pour la saison 2018/2019 (cf. figure 2), soit plus de 3 millions de tonnes de fèves de cacao à eux seuls.

 


En savoir +

  • Culture concentrée sur une bande de terres proches de l’Équateur, formant une ceinture dite « cacaoyère » entre 10 à 20° de latitude nord et sud.
  • Exigences de sol assez meuble / climat humide / températures variant de 18 à 30°C / précipitations assez homogènes (1 000 mm/an au minimum) / pas de soleil direct ni trop d’ombre / altitude jusqu’à 1 000 m au-dessus du niveau de la mer, le plus souvent à moins de 300 m.
  • Cacaoyères dans 35 pays sur environ 8 millions d’hectares / 5 millions de planteurs / production mondiale de 4,8 millions de tonnes de fèves de cacao sur la saison 2018/2019
  • 2 récoltes principales par an / rendements variables de 150 à 2 000 kg/ha/an, avec une moyenne à 500 kg/ha/an.

Sources : European Cocoa Association https://www.eurococoa.com et Cirad https://www.cirad.fr


 

 

Figure 1 : Pays producteurs de cacao
Figure 1 : Pays producteurs de cacao Source

 

Figure 2 : Production (%) de fèves de cacao par pays – saison 2018/2019
Figure 2 : Production (%) de fèves de cacao par pays – saison 2018/2019

 

Une fois récoltées, les fèves de cacao sont mises à fermenter puis à sécher sur place (cf. figure 3, étapes 4 et 5). Elles sont ensuite récupérées par des pisteurs qui les acheminent vers les coopératives. Elles sont alors transformées localement sur place en pâte de cacao (étape 8) et beurre de cacao (étape 9), ou bien exportées par bateau vers les pays dits industrialisés ; on appelle ces acteurs de la transformation de cacao des « grinders » ou « broyeurs » (cf. figure 4).

 

Figure 3 : Fabrication du chocolat - Source : https://lafleursouriante.wordpress.com
Figure 3 : Fabrication du chocolat

 

Certains de ces acteurs ne s’arrêtent pas là et vont jusqu’à la fabrication du chocolat (étape 14), comme les groupes Barry Callebaut et Cargill pour du B2B (business to business) ; Mondelēz et Nestlé pour le B2C (business to consumer) ; ou bien les deux comme Valrhona (groupe Savencia) et Cémoi.
D’autres acteurs de la filière ne transforment pas les fèves de cacao mais achètent directement le chocolat comme l’une de leurs matières premières.

 

Figure 4 : Principaux transformateurs de fèves de cacao – Capacité de broyage (Mt) – Données 2017 Source : The Financial Times https://www.ft.com
Figure 4 : Principaux transformateurs de fèves de cacao – Capacité de broyage (Mt) – Données 2017

 

On réalise que de nombreux kilomètres séparent les cacaoyères du carré de chocolat qui accompagne notre tasse de café, mais aussi beaucoup de producteurs et d’intermédiaires. Il est donc d’autant plus difficile d’avoir une traçabilité transparente de toute la chaîne du cacao, à la fois sur la localisation précise des arbres que sur les conditions de culture, de récolte et de travail sur les plantations.

 

Du chic à prix choc

Longtemps considéré comme un produit de luxe (ndlr la plupart des planteurs n’ont d’ailleurs jamais dégusté de chocolat, pourtant aboutissement de leur travail), le chocolat s’est démocratisé peu à peu et cette gourmandise est maintenant devenue accessible au plus grand nombre. Pour rendre cela possible, les industriels du chocolat (B2C) ont cherché ces trente à quarante dernières années à baisser les coûts de revient, soit en optimisant les recettes, soit en visant des coûts de matières les plus bas possible.
Afin de répondre à la demande des consommateurs dit-on, la pression de la demande des pays industrialisés pour plus de cacao s’est répercutée sur les pays producteurs. C’est d’ailleurs en Côte d’Ivoire et au Ghana, les deux premiers pays producteurs de cacao que les enjeux de la filière sont le plus exacerbés. Parmi eux :

  • La rémunération des planteurs : en Côte d’Ivoire, plus de la moitié vivent en dessous du seuil de pauvreté[1],
  • Le travail des enfants[2],
  • Les droits et la place des femmes[3] dans l’économie locale,
  • Et la déforestation.

Alors, quand les ONG[4] publient leur rapport d’enquête sur le terrain, le goût du chocolat devient tout de suite plus amer.

 

Sous les sunlights des tropiques…

Premier maillon de la chaîne, les planteurs, dont le rôle est pourtant primordial à la pérennité du secteur, sont soumis à des revenus faibles et variables selon les aléas climatiques, les rendements en baisse des vieux cacaoyers et les maladies, le cours mondial du cacao, etc. Pour gagner en productivité et augmenter le volume de cacao disponible, les planteurs ont été encouragés à planter massivement de nouvelles plantules. Ils se sont attelés alors au renouvellement des cacaoyères, en délaissant peu à peu l’exploitation et l’entretien des plantations vieillissantes. Résultat : les jeunes et nouvelles plantations de cacao sont aujourd’hui principalement localisées « sur des zones défrichées illégalement situées dans des parcs nationaux et des forêts protégées »[5]. Le plus souvent, les planteurs disent ne pas avoir connaissance de la loi protégeant ces parcs forestiers[6], mais ont-ils vraiment été sensibilisés aux conséquences désastreuses de la déforestation à laquelle ils contribuent ?

 

Rapport Mighty Earth, Septembre 2017, La déforestation amère du chocolat5
Rapport Mighty Earth, Septembre 2017, La déforestation amère du chocolat [5]
Rapport Mighty Earth, Décembre 2018, Derrière l’emballage6, État des lieux des actions après les engagements auprès de CFI
Rapport Mighty Earth, Décembre 2018, Derrière l’emballage [6], État des lieux des actions après les engagements auprès de CFI [7]
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Certes, le cacao n’est pas le seul coupable ici. Cependant, même si l’industrie papetière et les autres cultures de rente sont également demandeuses respectivement de bois et de nouvelles surfaces agricoles, la course au cacao est la cause principale responsable de la destruction forestière en Afrique de l’Ouest. Les dommages de la déforestation sont également visibles sur d’autres forêts tropicales[8], en Asie dans les forêts des Célèbes en Indonésie ainsi qu’en Amérique latine en Amazonie péruvienne et en Équateur.

Ces forêts, et plus particulièrement celles des parcs nationaux et des zones protégées, constituent généralement un foyer riche en biodiversité de par l’abri, l’habitat, la nourriture qu’elles procurent à de nombreuses espèces animales. La canopée permet elle aussi la croissance d’autres essences végétales. Alors, quelles conséquences à leur destruction, ou pire leur disparition ?

 


Conséquences majeures de la déforestation

  • Biodiversité animale

En Côte d’Ivoire et au Ghana, les forêts protégées et parcs nationaux abritaient grand nombre d’éléphants, de chimpanzés. Sans la « couverture verte » de la canopée, les animaux sont contraints de se déplacer pour trouver nourriture et abri, s’exposant d’autant plus facilement au braconnage.
– Éléphants[9]: de plusieurs dizaines de milliers à 200-400 en Côte d’Ivoire,
– Chimpanzés[10]: en Afrique, de 600 000 à moins de 200 000 en 30 ans (-70%), et environ -90% en Côte d’Ivoire ces 17 dernières années,
– Autres disparitions[7]: hippopotames nains, écureuils volants, pangolins, etc.

  • Puits de carbone
    Les arbres centenaires et forêts constituent des puits de carbone dans les sols et sous-sols. Une fois les arbres coupés, le carbone est libéré dans l’atmosphère contribuant ainsi à l’effet de serre sous forme de CO2  ou d’autres gaz à effet de serre[11].
  • Érosion et appauvrissement des sols[12]
  • Modification des vents, des pluies & assèchement des sols exacerbant les effets du dérèglement climatique
  • Migration des populations vers des terres plus fertiles, voire continuation de la déforestation
  • Culture du cacao
    Naturellement adaptée et optimale dans un écosystème agroforestier (diversité et complémentarité des espèces), la cacaoyère, si en zone déforestée, est alors :
    – Soumise aux attaques d’insectes, de parasites,
    – Moins productive car sols appauvris et les plantations sont sujettes aux mauvaises herbes.
    Pour compenser, on constate un usage de plus d’intrants (pesticides, herbicides, engrais) voire un plus grand nombre d’arbres, donc plus de dépenses pour le planteur.
    – Une monoculture qui réduit les sources de revenus des planteurs.

 

En Afrique de l’Ouest, et tout particulièrement en Côte d’Ivoire (cf. figure 6) , il est reporté la perte de 90% de la surface forestière en seulement 60 ans, avec une forte accélération ces 10 dernières années, et ce malgré les engagements des États producteurs de cacao, des « grinders » et des grandes entreprises du chocolat auprès de Cocoa and Forests Initiative en 2017.

 

Figure 6 : Évolution de la couverture forestière en Côte d’Ivoire entre 1990 et 2015 (surface arborée à 30% minimum d’au moins 1 ha) Source : https://www.reuters.com/article/us-cocoa-sustainability-forests/explainer-plans-to-end-cocoa-deforestation-face-multiple-hurdles-idUSKBN1HQ1V3
Figure 6 : Évolution de la couverture forestière en Côte d’Ivoire entre 1990 et 2015 (surface arborée à 30% minimum d’au moins 1 ha)

 

 

La Cocoa and Forest Initiative (Initiative Cacao et Forêts)

Le 16 mars 2017, sous la houlette de Son Altesse Royale le Prince de Galles (et de son Unité Internationale pour la Durabilité), se sont rencontrés les dirigeants des douze entreprises principales de l’industrie du cacao et chocolat[13] dans le cadre d’une initiative collective pour mettre fin à la déforestation et à la dégradation des forêts liées à la filière d’approvisionnement du cacao : la Cocoa and Forests Initiative (CFI). Dans cet objectif, accompagnés de représentants des gouvernements de Côte d’Ivoire et du Ghana et de quelques ONG[14], les douze interlocuteurs se sont alors tous accordés sur une « déclaration d’intention collective (…) s’engageant à travailler ensemble, en partenariat avec d’autres organisations »[15], « en commençant par la Côte d’Ivoire et le Ghana ».

Suite à la signature de la CFI, les plans d’actions ont mis du temps avant d’être partagés publiquement, et les ONG n’ont pas hésité à exprimer leur impatience. Pire, sur le terrain, la déforestation a continué[16], toujours plus vite. Début 2020, quelques grands industriels du cacao et du chocolat ont publié leur premier rapport d’avancement au regard de leur engagement Cocoa and Forests Initiative, actant principalement leurs objectifs, leur plan d’action, et les éventuels partenariats avec telle ONG ou telle entreprise de surveillance satellite. Cette année à nouveau, à l’approche de la Journée mondiale de la Terre, le 22 avril dernier, les annonces se sont succédé sur les réseaux sociaux (voir table 1 – Pour aller plus loin). En enchaînant la publication de leurs rapports et d’articles sur leurs engagements et leurs actions en faveur d’un objectif « zéro déforestation », les acteurs du secteur ont envoyé un signal fort à leurs parties prenantes.

 

Alors quelles solutions concrètes et pérennes ?

En termes de solutions durables, quelles sont les propositions des institutions, des comités scientifiques, des industriels du secteur ? Développer l’agroforesterie ? La surveillance satellite comme pour l’huile de palme ? La récente norme ISO/CEN 34101[17] sur le cacao durable et traçable ? Une future réglementation plus contraignante sur la déforestation importée ? Plus de labels avec des programmes de certifications toujours plus exigeants ?
Qu’en est-il sur le terrain ? En matière de sensibilisation des producteurs ? Comment s’assurer qu’ils puissent vivre décemment de leur activité sans avoir la nécessité de défricher afin d’exploiter de nouvelles surfaces agricoles ? Lutter contre la corruption et faire appliquer les lois existantes ?
Voyons quelques-unes de ces solutions potentielles à la lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts.

  • L’agroforesterie consiste en « l’association d’arbres et de cultures ou d’animaux sur une même parcelle. Cette pratique ancestrale est aujourd’hui mise en avant car elle permet une meilleure utilisation des ressources, une plus grande diversité biologique et la création d’un microclimat favorable à l’augmentation des rendements[18]. »
    Bien que la culture du cacao s’épanouisse naturellement en mode agroforestier, elle s’est rapidement transformée en monoculture ces dernières décennies. La récolte du cacao étant saisonnière, le planteur se retrouve alors sans revenu une partie de l’année. A contrario, en agroforesterie, du fait de la diversité des arbres, des cultures, les revenus sont diversifiés et lissés sur l’année. Les sols, également plus riches, permettent alors d’obtenir de meilleurs rendements en comparaison à une cacaoyère de même taille cultivée en plein soleil, en zone déforestée. La variété d’arbres marque aussi une diversité d’oiseaux et de chauve-souris qui se nourrissent d’insectes souvent responsables de ravages dans les cacaoyères ; l’équation est simple : plus d’oiseaux, moins d’insectes, et moindre besoin d’utiliser des pesticides qui représentent une dépense supplémentaire pour les planteurs. Les bénéfices de l’agroforesterie sont clairs mais il est important de souligner le challenge de la transition : l’accompagnement financier, le partage de bonnes pratiques et les conseils aux planteurs au cas par cas sont indispensables.
    Par ailleurs, il faut aussi considérer le droit foncier et la fiscalité forestière[19] dans ces pays producteurs pour trouver une situation gagnante-gagnante entre la mobilisation des planteurs pour planter des arbres de valeur et la redevance à payer sur l’exploitation des ressources dites forestières.
    L’agroforesterie peut être un moyen de pérenniser les nouvelles cacaoyères et de réhabiliter les plus anciennes, évitant ainsi la recherche de nouvelles surfaces agricoles. Par contre, elle ne doit pas s’envisager comme la mesure compensatoire miracle de la lutte contre déforestation. En effet, la capacité de captation et de stockage du carbone et la richesse de biodiversité sur une parcelle de cacao ne sont pas comparables à celles d’une forêt naturelle « centenaire ».
  • La norme ISO/CEN 34101[20] sur le cacao durable et traçable publié en mai 2019 a pour « objectif d’améliorer les conditions de vie des producteurs tout en respectant l’environnement »[21]. Elle couvre la plupart des enjeux sociaux et environnementaux, et s’articule autour de quatre pôles.
    – Le système de management de la durabilité du cacao inspiré des normes ISO 9001 (qualité) et ISO14001 (environnement).
    – Les critères de durabilité environnementaux, économiques et sociaux.
    – La traçabilité du cacao en provenance d’une plantation durable selon les critères du point précédent.
    – Les exigences pour les systèmes de certification et les méthodes d’évaluation.
    Les autorités de réglementation de Côte d’Ivoire et du Ghana, estimant que cette norme ISO 34101 ne répondait pas complètement aux enjeux des pays producteurs de cacao, ont pris l’initiative de retravailler son contenu, en simplifiant ou modifiant certaines clauses[22] « afin d’y apporter les améliorations nécessaires en tenant compte des intérêts de l’ensemble des acteurs de la filière »[23]. Ce travail a abouti en une nouvelle norme, l’ARS 1000.
    Dans le dernier Baromètre du cacao[24] – édition 2020, l’association de veille VOICE dénonçait les quelques faiblesses de ces deux normes, notamment les mesures très insuffisantes pour la protection des forêts. En matière de déforestation, la norme ISO 34101 interdit la déforestation dans les forêts primaires uniquement et à partir de la date seuil du 1er janvier 2018.
  • Les principaux labels de certification en faveur de la durabilité du cacao et plus particulièrement de la protection de la biodiversité et des forêts pourraient être les labels « bio », les labels du commerce équitable et celui de l’ONG The Rainforest Alliance (rainforest signifiant forêt tropicale en anglais).
    – Le récent rapport d’études[25] du Cirad[26] sur l’état des lieux sur la déforestation liée à la filière cacao mentionne, que pour les labels « bio », « les cahiers des charges de l’agriculture biologique abordent peu la question de la lutte contre la déforestation. La norme IFOAM[27] interdit toutefois la destruction des zones à HVC29 (critère 2.1.2 : « les exploitations situées sur des terres qui ont été obtenues par le défrichement de zones à haute valeur de conservation[28] dans les cinq années précédentes ne doivent pas être considérées comme conformes »)». Dans l’esprit des consommateurs, le label bio européen promeut la préservation de l’environnement ; dans les faits, « la question de l’emprise de l’agriculture sur l’environnement local est absente des cahiers des charges » et la déforestation et la dégradation des forêts non prises en compte » comme le souligne le rapport « Pour un cacao sans déforestation » de l’IDDRI[29].
    – Le label de commerce équitable Fairtrade/Max Havelaar, dans son dernier standard[30] pour les organisations de petits producteurs, instaure de nouvelles clauses notamment sur la protection des forêts et de la végétation, sur la prévention de la déforestation dans les écosystèmes de stockage de carbone ou les zones protégées et sur l’amélioration de la biodiversité. Pas de date seuil certes mais, dans la protection des forêts, ce label va au-delà des forêts primaires, donc plus loin que la norme ISO 34101.
    – Dans son nouveau programme de certification publié en 2020[31], l’organisation The Rainforest Alliance (RA), issue de la fusion Rainforest Alliance et UTZ en 2018, a voulu « réinventer la certification » en déployant de nouveaux critères pour l’éligibilité à la certification. En matière de déforestation[32], « la nouvelle norme[33] Rainforest Alliance sur l’agriculture durable n’autorise pas la destruction ou la conversion des écosystèmes naturels depuis le 1er janvier 2014. En préalable aux audits, les emplacements GPS des exploitations certifiées seront vérifiés pour détecter toute preuve de conversion forestière sur la base d’une carte de référence forestière personnalisée. Cette évaluation des risques automatisée aidera les auditeurs à détecter plus efficacement la déforestation et les producteurs à mieux gérer leurs risques de déforestation. (…) La nouvelle norme exige également des producteurs qu’ils augmentent le couvert forestier indigène dans les exploitations existantes et dans les systèmes agroforestiers ou les terres protégées afin de garantir que l’agriculture n’a pas seulement un impact négatif minimal, mais qu’elle génère également des impacts positifs sur la biodiversité́, le climat et la durabilité́ à long terme du paysage.». Vivement critiquée les années précédentes, en partie pour ne pas mettre suffisamment de moyens sur le contrôle et pour promouvoir la productivité plutôt que la durabilité, il sera intéressant de voir comment l’organisation RA légitime son label en renforçant la sensibilisation aux producteurs, la mise en œuvre et, au-delà des données satellitaires dont elle dispose déjà, les contrôles et audits de certifications sur le terrain.
    Même si le label RA semble le plus exigeant, il faut souligner que ces deux labels, Fairtrade et RA, utilisent l’approche « haute valeur de conservation (ou HCV pour High Conservation Value) »[34] comme la norme IFOAM et « haut stock de carbone (ou HCS pour High Carbon Stock) »[35] dans leurs outils d’évaluation. Par contre, comme c’est le cas pour d’autres labels, la traçabilité du cacao n’est pas pour autant transparente pour les consommateurs. En achetant une tablette de chocolat pourtant labélisée Fairtrade ou RA, il est possible que les fèves de cacao mises en œuvre ne soient pas certifiées, c’est le cas du « mass balance » quand le fabricant n’est pas en mesure de ségréguer le cacao certifié du cacao non certifié.
    Et comme une certification pourra être accordée même si le receveur ne remplit pas tous les critères du cahier des charges, il est essentiel de faire la différence entre un cacao certifié et un cacao durable.

 

 

Avec ces voies possibles d’atténuation et de lutte contre la déforestation, entre agroforesterie et multiplication des normes, labels et certifications, on peut supposer que la pression sur les planteurs s’accentue d’autant plus pour les encourager, hier à plus de productivité et aujourd’hui à garantir la durabilité de la culture du cacao. Pourtant, même en s’astreignant aux nombreux critères de durabilité, les producteurs n’ont pas la garantie de voir leur récolte certifiée – et par conséquent de recevoir la prime du label associé – si la coopérative à laquelle ils appartiennent n’est pas elle-même certifiée.

L’impact de la déforestation liée au cacao est multiple. Elle pèse notamment sur

  • La durabilité de la chaîne d’approvisionnement,
  • La biodiversité,
  • Le déplacement des populations,
  • La capacité de séquestration du carbone des forêts tropicales, et de fait sur l’atténuation du changement climatique.

« Face à ces enjeux cruciaux humains, environnementaux et économiques, de nombreuses initiatives ont foisonné ces dernières années en parallèle de la CFI. Chacune d’elles, d’envergure plus ou moins grande, contribue à l’édifice d’une filière responsable tant pour la lutte contre la déforestation que pour un niveau de vie décent des cacaoculteurs.

Par exemple, le Club des Chocolatiers engagés [36] – jeune association fondée par des chocolatiers artisans – développe des partenariats en circuit-court avec les coopératives paysannes dans plusieurs pays producteurs. Aussi, les parlementaires européens étudient le projet de loi sur la déforestation importée pour interdire l’entrée sur le marché européen de produits liés à la déforestation.

Rendre la filière cacao responsable et plus vertueuse est un vaste chantier pour lequel il est nécessaire qu’un maître d’œuvre coordonne l’ensemble des parties prenantes autour d’un plan d’action, selon des objectifs pertinents, tant sur le sujet de la déforestation que sur les autres enjeux sectoriels. C’est avec cette ambition que quelques pays se sont ainsi dotés d’une plateforme pour un cacao durable, regroupant a minima l’État, les ONG, les négociants, les utilisateurs et la distribution. L’Allemagne a été précurseur en 2012 avec GISCO (German Initiative on Sustainable Cocoa), suivie en 2018 par la Suisse avec SWISSCO (Swiss Platform for Sustainable Cocoa), et la Belgique avec Beyond Chocolate, en 2020 les Pays-Bas avec DISCO (Dutch Initiative on Sustainable Cocoa), et tout récemment, fin 2021, la France avec l’IFCD (Initiative Française pour un Cacao Durable).

Dans le cas de cette initiative française, c’est un message fort de l’État car elle s’inscrit également dans le cadre de la Stratégie Nationale de lutte contre la Déforestation Importée (SNDI), adoptée en 2018, pour mettre fin en 2030 à l’importation de produits forestiers ou agricoles non durables contribuant à la déforestation, y compris dans le secteur du cacao.

Alors, à la veille des concertations de l’IFCD pour établir un plan d’action, souhaitons que chacune des parties prenantes se rappelle de mettre l’humain et l’environnement au centre des préoccupations, et donnons-nous rendez-vous chaque 1er octobre (journée mondiale du cacao) pour suivre l’avancement des travaux de l’Initiative. En attendant, n’hésitez pas à interroger votre chocolatier de quartier d’où vient le cacao qu’il utilise et quelles sont ses conditions de culture car c’est aussi en étant des consommateurs responsables qu’on motivera les acteurs économiques de la chaîne d’approvisionnement à continuer de s’engager. »

 

 

 

Sources

[1] Source : Banque mondiale, Juillet 2019, http://documents1.worldbank.org/curated/en/277191561741906355/pdf/Cote-dIvoire-Economic-Update.pdf

[2] Convention internationale des droits de l’enfant Convention des Nations-Unies du 20 novembre 1989, https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/Conv_Droit_Enfant.pdf

https://cocoainitiative.org/fr/notre-travail/le-travail-des-enfants-dans-le-cacao/

[3] https://www.oxfam.org/fr/publications/les-droits-des-femmes-dans-le-secteur-du-cacao

[4] Dont Mighty Earth, Oxfam, WWF, Max Havelaar

[5] Rapport Mighty Earth, 2017, La déforestation amère du chocolat, https://www.mightyearth.org

[6] Rapport Mighty Earth, Décembre 2018, Derrière l’emballage, http://www.mightyearth.org/wp-content/uploads/Chocolate-Report_english_FOR-WEB.pdf

[7] CFI : Cocoa & Forests Initiative, https://www.idhsustainabletrade.com/initiative/cocoa-and-forests/

[8] https://www.mightyearth.org/2018/02/21/et-si-votre-chocolat-de-la-saint-valentin-avait-ete-gache-par-la-deforestation/

[9] France Nature Environnement, https://www.fne.asso.fr/dossiers/déforestation-afrique-cacao

[10] Fondation pour les chimpanzés sauvages, https://www.wildchimps.org/francais/a-propos-de-nous/quoi-de-neuf/les-33-ans-de-recherche-et-de-conservation-des-chimpanzes-en-cote-divoire.html

[11] FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), Le Changement Climatique, les Forêts et l’Aménagement Forestier : Aspects Généraux,

http://www.fao.org/3/v5240f/v5240f09.htm

[12] https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Evenements/Ressources/20201105-Cacao-FredericAmiel1.pdf

[13] Barry Callebaut, Bloomer, Cargill, Cémoi, ECOM, Ferrero, Hershey, Mars, Mondelēz, Nestlé, Olam, Touton,

[14] Dont l’Agence Française de Développement (AFD), Greenpeace, International Finance Corporation (IFC), Oxfam, Tropical Forests Alliance 2020, la Banque Mondiale, World Resources Institute, et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE)

[15] Communiqué de presse de IDH sur CFI, https://www.idhsustainabletrade.com/publication/communique-de-presse-cocoa-forest-initiative/

[16] Rapport Mighty Earth, Décembre 2018, Behind the wrapper (Derrière l’emballage), https://www.mightyearth.org/wp-content/uploads/Chocolate-Report_english_FOR-WEB.pdf

[17] Introduction à la norme ISO/CEN 34101, https://normalisation.afnor.org/actualites/cacao-durable-tracable-norme-a-croquer/

[18] Agroforesterie https://agriculture.gouv.fr/lagroforesterie-comment-ca-marche

[19] https://www.researchgate.net/publication/317166607

[20] Introduction à la norme ISO/CEN 34101, https://normalisation.afnor.org/actualites/cacao-durable-tracable-norme-a-croquer/

[21] https://www.cacaoforest.org/actualites/iso-34101-une-norme-pour-un-cacao-durable

[22] https://ec.europa.eu/international-partnerships/system/files/meeting-2-summary-report-standards_fr.pdf

[23] http://www.conseilcafecacao.ci/docs/COOPERATION_GHANA-CI_SECTEUR_CACAO_DECLARATION_ABIDJAN_MARS2019.pdf

[24] https://www.voicenetwork.eu/wp-content/uploads/2021/03/2020-Baromètre-du-Cacao-FR.pdf

[25] Rapport d’études du Cirad, état des lieux sur la déforestation, https://agritrop.cirad.fr/596409/1/Revue%20littérature_certification%20CACAO_Carimentrand_CST%20Forêts.pdf

[26] Cirad : centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

[27] IFOAM, fédération internationale du mouvement de l’agriculture biologique, https://www.ifoam.bio

[28] Approche HCV, https://fsc.org/en/current-processes/fsc-gui-30-009-v1-0-developing-guidance-for-high-conservation-values-hcv

[29] IDDRI, Rapport « Pour un cacao sans déforestation : options politiques », https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Catalogue%20Iddri/Propositions/202101-PB0321FR-cacao_0.pdf

[30] Standard Fairtrade pour les organisations de petits producteurs, https://files.fairtrade.net/standards/SPO_FR.pdf

[31] https://www.rainforest-alliance.org/business/fr/tag/programme-de-certification-2020/

[32] https://www.rainforest-alliance.org/business/wp-content/uploads/2020/06/2020-program-deforestation-fr.pdf

[33] Nouvelle norme Rainforest Alliance 2020 pour une agriculture durable, https://www.rainforest-alliance.org/business/wp-content/uploads/2020/06/2020-Sustainable-Agriculture-Standard_Farm-Requirements_Rainforest-Alliance-Fr.pdf

[34] Approche HCV, https://ic.fsc.org/preview.guid-gnrique-pour-lidentification-des-hautes-valeurs-de-conservation-francais.a-3704.pdf.

[35] Approche HSC, http://highcarbonstock.org/wp-content/uploads/2019/01/Def-HCSA-Module-1-FR_07_01_2019_Web.pdf

[36] Chocolatiers engagés, https://www.chocolatiers-engages.com

 

 

 


Pour aller plus loin : les engagements des signataires de Cocoa & Forests Initiative

 Février 2021 :

*Rainforest Alliance, new standard, 2020 Rainforest Alliance Sustainable Agriculture Standard

Volet déforestation 

*Valrhona, Programme Valrhona Live long

 

Avril 2021

*OLAM, Cocoa Compass Impact Report

*CARGILL, Progress report 2020 Cocoa and Forests Initiative

 

Mai 2021:

* Toms group A/S

*Cémoi, The Cocoa & Forests Initiative Cémoi 2020 Progress Report

*Lindt & Sprüngli, Cocoa No-Deforestation & Agroforestry Action Plan Progress Report 2020

*Ferrero, Ferrero 2020 Progress Report on Cocoa and Forests Initiative 2020 Action Plan – Côte d’Ivoire and Ghana Crop season 2019/2020 

*TOUTON, trader de matières agricoles tropicales (cacao, café, vanille, épices), Rapport d’état d’avancement 2021 – Côte d’Ivoire

*Nestlé Cocoa Plan, Tackling deforestation – Annual Progress report 2021

*Mars Wrigley, Preserve Forests : Our actions in Côte d’Ivoire & Ghana – Cocoa and Forests initiative 2020 update

 


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