Article de Farida Miraoui (MS EEDD parcours RSEDD 2023-24)

Introduction

Le Green Deal (Pacte Vert) voté en 2019 par l’Union Européenne a pour ambition de rendre l’Europe neutre en carbone en 2050. L’agriculture, très majoritairement dédiée à notre alimentation, est le deuxième secteur économique le plus émetteur de gaz à effet de serre.

Il est également mis au défi par l’érosion de la biodiversité et par la croissance de la population mondiale qui devrait atteindre près de 10 milliards d’habitants à cet horizon. Pouvons-nous répondre à ces enjeux ? Quels sont les problèmes que posent l’agriculture conventionnelle et nos modes de consommations ? Quelles sont les solutions ?

 

BILAN DE L’AGRICULTURE CONVENTIONNELLE SUR L’ENVIRONNEMENT 

L’agriculture dite conventionnelle a largement fait ses preuves en termes de productivité et semble répondre à la demande mondiale croissante. En effet, en 50 ans, nous sommes passés de 2,5 tonnes de grains par hectare dans les années 1950 à plus de 7 tonnes de grains/hectare à la fin des années 90 [1].

Pour ce faire, ce mode de production a recours massivement aux intrants chimiques (engrais, pesticides), qui ne sont pas sans conséquences sur l’environnement. Ce secteur d’activité est le premier responsable de la perte de biodiversité et participe à hauteur de 24% des émissions de gaz à effets de serres au niveau mondial.

Graphique 1. Répartition des émissions des Gaz à Effet de Serre par secteur d’activité économique au niveau mondial (2014) (source : Agence Américaine de l’Environnement, USEPA)

Source https://www.epa.gov/ghgemissions/global-greenhouse-gas-emissions-data
Source https://www.epa.gov/ghgemissions/global-greenhouse-gas-emissions-data

 

Pour l’agriculture, l’un des principaux gaz est le protoxyde d’azote qui résulte de l’utilisation d’engrais azoté, fertilisant largement utilisé en agriculture conventionnelle. L’autre est le méthane dégagé par les éructions des ruminants. Ces gaz ont un pouvoir de réchauffement global respectivement 310 fois et 30 fois plus élevé que le CO2 (sur une période de 100 ans, source ADEME).

Enfin, la recherche de surface agricole, notamment pour nourrir le bétail, a entrainé une déforestation massive. Celle-ci a 3 conséquences majeures : la baisse de la quantité de puits de carbone, l’effondrement de la biodiversité et de nouveau le suremploi de l’azote chimique donc des émissions de protoxyde d’azote. L’utilisation des pesticides a également une part importante de responsabilité dans la perte de biodiversité.

 

LES SOLUTIONS DÉFENDUES PAR L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE 

L’agriculture biologique définit divers critères dans un cahier des charges à respecter pour pouvoir afficher l’origine « bio » des produits. Ainsi, elle n’utilise pas de produits de synthèses dans son mode de production. Elle applique les meilleures pratiques environnementales, dont les paramètres sont définis dans le cahier des charges, pour maintenir un haut degré de biodiversité, s’attache à la préservation des ressources naturelles et favorise l’application de normes élevées en matière de bien-être animal.

Elle prône une diversification des cultures qui permet de réduire les maladies. Certaines plantes permettent d’en protéger d’autres et remplacent donc l’usage des pesticides. Une place importante est laissée aux infrastructures agroécologiques type prairie permanente et temporaire. On y trouve des légumineuses qui sont essentielles en agriculture biologique. Ces légumineuses transforment l’azote de l’air en azote minérale, qui peut ensuite être incorporé par la végétation. L’utilisation de cette végétation dans l’alimentation du bétail, par le biais de ses déjections, va enrichir les sols pour les productions végétales. L’alliage de la production animale et végétale est fondamental.

La diversité paysagère joue un rôle important dans le contrôle des ravageurs grâce à la dilution de leurs plantes hôtes, et/ou en favorisant la présence de prédateurs ou concurrent [11]. Cela évite le recours aux engrais chimiques et aux pesticides.

 

LES LIMITES DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE

L’optimisation de ce que propose la nature permet de réduire drastiquement le recours aux produits de synthèse. Mais cela ne permet pas aujourd’hui d’avoir des rendements équivalents. Ils sont inférieurs de 30 à 40% à ceux de l’agriculture dite conventionnelle. Dans l’agriculture bio, les sols sont très travaillés, ce qui est néfaste pour la vie qu’elles abritent et cela demande un passage plus régulier des machines agricoles, émettrices de gaz à effets de serres [10].

L’agriculture biologique est réglementée, la norme AB nous assure le respect des règles définies par l’UE. Mais cela n’empêche pas de se retrouver face à des contre sens comme l’existence de très grandes exploitations biologiques qui recherchent avant tout volume et profit et n’appliquent pas le principe des infrastructures vertueuses [10].

Nous avons tous, dans les pays développés, la possibilité d’acheter des tomates biologiques tout au long de l’année. Elles respectent les normes réglementaires imposées par l’Union Européenne mais nous pouvons nous interroger sur le bon sens du mode de production en hiver, souvent sous serre et extrêmement gourmand en énergie.

La nature ne nous assure pas un total contrôle des maladies ou ravageurs, d’autant plus dans ce contexte de changement climatique qui modifie fortement nos écosystèmes. Comment gérer l’apparition de nouvelles maladies si la nature ne parvient pas à les éradiquer ? La question de la sécurité alimentaire est majeure, il faudra avoir les moyens de s’adapter si nécessaire pour permettre de nourrir la population.

 

LES AUTRES MODES D’AGRICULTURES

D’autres techniques de production émergent depuis quelques années. D’un côté, l’agroécologie, qui est très intéressante car ce n’est pas simplement un mode de culture mais un mode de raisonnement basé sur la nature et l’alimentation. C’est aussi une vision politique qui reconnait que le système industriel a permis de nourrir la planète mais qu’il est aujourd’hui verrouillé.

Elle pourrait permettre de répondre à certaines limites que posent l’agriculture conventionnelle et biologique, et travailler sur des solutions fondées sur la nature. De l’autre, les GAFAM investissent dans l’étude d’une alimentation sans agriculture et une production industrielle hors sol à partir d’algues, de levure, de bactéries, qui peut être une autre réponse à l’utilisation de produits de synthèse et la destruction des sols.

 

VERS UN CHANGEMENT DES MODES DE CONSOMMATION

La production mondiale de céréales (ou équivalent) est en moyenne, cela dépend des années, de 330kg/personne/an pour un besoin de 200kg/personne/an [4]. On estime que, chaque année, près d’un tiers de la production alimentaire mondiale destinée à la consommation – environ 1,3 milliard de tonnes – est perdue ou gaspillée. Si nous pouvions réduire les déchets et les pertes alimentaires de seulement 25 %, nous pourrions, chaque année, nourrir 500 millions de bouches supplémentaires [5].

En moyenne, la consommation mondiale de protéines animales est de 90 à 100 grammes par jour par personne, 2 fois plus que nécessaire [4]. Notre consommation de calories est également au-delà de nos besoins. Pour un homme adulte, l’apport conseillé en énergie est en moyenne de 2 400 à 2 600 kcal/jour.

Pour une femme adulte, il est de 1 800 à 2 200 kcal/jour [6]. La consommation moyenne mondiale approche les 3000 kcal/jour (avec bien entendu de grandes différences selon les zones géographiques et les revenus des foyers).

Graphique 2. Consommation moyenne mondiale par habitant des principales catégories de produits alimentaires (en équivalents calories), par catégories de revenus (chiffres 2018) [7].

Source : OCDE/FAO (2020), « Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO », Statistiques agricoles de l’OCDE (base de données)
Source : OCDE/FAO (2020), « Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO », Statistiques agricoles de l’OCDE (base de données)

Cette abondance de nourriture dans les pays occidentaux a engendré une surconsommation alimentaire. L’obésité est devenue un fléau grandissant dans les pays développés. On compte dans le monde plus de 650 millions d’adultes obèses et 1,9 milliards en surpoids soit respectivement 13% et 39% de la population ! [2].

Paradoxalement, en 2022 au moins 735 millions de personnes ont souffert de la faim dans le monde, soit quelques 9,2% de la population [3]. Les personnes sous-alimentées n’ont pas les moyens financiers de se nourrir, faute à la loi du marché.

Revenir à une consommation plus raisonnable dans les pays développés permettrait de nourrir la frange de la population qui ne mange pas à sa faim et de faire face à la croissance démographique. Notre modèle économique capitaliste repose sur cette surconsommation et les règles de marchés qui la composent. Elle doit trouver des solutions.

CONCLUSION

L’agriculture biologique répond en partie aux enjeux du changement climatique auquel nous faisons face. La problématique des rendements pourrait être réduite par une modification du mode de consommation des pays de l’OCDE, notamment par une baisse de la consommation de viande de bœuf qui est la plus polluante.

Des travaux d’Adrien Müller [9] de 2017 montrent qu’il est possible de nourrir les humains avec une agriculture sans produits de synthèse, en changeant la consommation des pays développés et en réduisant le gaspillage et les pertes. Cependant, il subsiste des limites à l’agriculture biologique pour lesquelles nous n’avons pas de réponses.

L’émergence des nouvelles méthodes de productions sont peut-être les solutions de demain. Elles posent la question suivante : quel modèle de civilisation voulons-nous ? Maîtriser le vivant ou négocier notre place parmi les vivants ?

 

Sources

[1]https://www.science-et-vie.com/article-magazine/rendements-agricoles-la-grande-panne

[2] https://www.frm.org/recherches-autres-maladies/obesite/focus-obesite#chiffres-cles

[3] LE MONDE SANS FAIM : QUAND LES DÉFIS S’ADDITIONNENT – Blog de l’ISIGE – MINES Paris (psl.eu)

[4] Podcast : Sur le Gril d’écotable / Teaser#16 / L’agriculture biologique peut-elle nourrir le monde ? / 3 minutes 30

[5] https://www.un.org/fr/chronicle/article/nourrir-la-planete-de-maniere-durable

[6] https://www.vidal.fr/sante/nutrition/equilibre-alimentaire-adulte/recommandations-nutritionnelles-adulte.html#:~:text=Pour%20un%20homme%20adulte%2C%20l,800%20%C3%A0%202%20200%20calories.

[7] https://pmb.isara.fr/opac_css/doc_num.php?explnum_id=2645

[8] https://www.viande.info/elevage-viande-sous-alimentation#:~:text=Les%20terres%20arables%20utilis%C3%A9es%20dans%20le%20monde&text=Au%20total%2C%20ce%20sont%2070,272)%20.

[9] Scientifique Suisse à la Chaire de la politique environnementale (EPL), EPF Zurich

[10] Loïc CARIDROIT / Agriculteur spécialisé dans la conservation des sols

[11] https://www.inrae.fr/actualites/augmenter-diversite-vegetale-espaces-agricoles-proteger-cultures

Podcast : Sur le Gril d’écotable / Teaser#16 / L’agriculture biologique peut-elle nourrir le monde ? /

Podcast : Chaleur humaine / Comment changer de modèle agricole ?

Podcast : Voices for change / L’agriculture biologique peut-elle nourrir le monde ?

https://agriculture.ec.europa.eu/

https://www.insee.fr/

https://www.economie.gouv.fr/

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