Article de Maylis Danné (MS EEDD parcours RSEDD 2023-24)
Introduction
L’agriculture française est aujourd’hui confrontée à de multiples défis de nature très différentes : climatiques et environnementaux, économiques, alimentaires, sociaux ainsi que démographiques. En effet, elle doit simultanément s’adapter au changement climatique et lutter contre celui-ci, préserver la biodiversité, en réussissant la transition agroécologique, et renforcer la sécurité et la souveraineté alimentaires de notre pays. Elle doit aussi améliorer son attractivité afin d’assurer le renouvellement des actifs, agricultrices, agriculteurs et salariés, en pérennisant des emplois en qualité et en quantité suffisantes.
Sur ce dernier point, l’enjeu est énorme : la France fait face à une crise démographique agricole inédite, puisque la moitié des quelque 400 000 agriculteurs doit partir à la retraite d’ici à 2030. Or actuellement, près de 50 % des fermes cédées ne sont pas reprises et sont rachetées par des agriculteurs voisins faute de candidats. Elles sont rayées de la carte. Ajoutons à cela, qu’il n’est plus exceptionnel de voir démissionner des agriculteurs à l’âge de 40 ans, ou d’entendre qu’ils ne souhaitent pas que leurs enfants fassent le même métier qu’eux. Selon le terme consacré aujourd’hui, les métiers agricoles sont des « métiers en tension ».
Problème d’image et de reconnaissance, déficit de formations adaptées, conditions de travail très difficiles, faibles rémunérations, difficultés liées tant à la transmission qu’à l’installation, telles sont les principales causes structurelles qui ont conduit le gouvernement à proposer un pacte entre la nation et son agriculture et une loi d’orientation et d’avenir agricole pour tenter de pallier ce qui est devenu un manque d’attractivité du métier agricole.
Selon les termes du président du Syndicat des Jeunes Agriculteurs, Arnaud Gaillot, « il faut créer un choc d’attractivité » pour stopper cette hémorragie.
Et, ne nous y trompons pas, l’enjeu du renouvellement des générations en agriculture ne se réduit pas à la démographie, il est crucial si l’on veut maintenir la dynamique des territoires ruraux, préserver et reconquérir notre souveraineté alimentaire et réussir le défi de la transition agroécologique vers des modèles et des pratiques d’agriculture durables et résilientes pour lutter contre le changement climatique et préserver la biodiversité.
En d’autres termes, si de nouvelles générations d’agriculteurs ne prennent pas le relais, c’est toute notre modèle agricole qui serait menacé. Pour cela, et comme le rappelle l’actualité récente, encore faut-il permettre aux femmes et aux hommes, qui produisent pour nous nourrir, de pouvoir vivre décemment de leur activité, d’être soutenus par les pouvoirs publics et l’Europe, tout en assumant les indispensables transitions agroécologiques et climatiques.
A travers cet article, et après avoir exposé le contexte démographique des exploitants agricoles, nous détaillerons les principaux freins au renouvellement des générations et évoquerons les solutions et leviers proposées dans le Pacte et le projet de loi d’orientation et d’avenirs agricoles pour sécuriser de nouveaux actifs pour qu’ils et elles entreprennent en confiance pour inventer et relever le défi de l’agriculture de demain.
Données socio-démographiques : des agriculteurs de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés
C’est un fait établi par les recensements agricoles : les agriculteurs sont de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés.
La France a perdu les trois quarts de ses agriculteurs en cinquante ans, dont 42% de baisse du nombre d’actifs agricoles entre 2000 et 2020. Ainsi, au dernier recensement agricole, en 2020, la France comptait-elle moins de 400.000 exploitations (contre 1,6 million en 1970). En l’espace de dix ans entre 2010 et 2020, 100.000 fermes ont disparu, soit une baisse de 21%. C’est une tendance lourde du monde développé dans un contexte de gains de productivité du travail agricole et d’augmentation de la taille des exploitations. Donc rien de surprenant ni de très inquiétant de prime abord, d’autant que la surface agricole est globalement stable et que la productivité continue d’augmenter.
En revanche, phénomène plus troublant, la proportion de chefs d’exploitation âgé a notablement progressé au cours des dix dernières années. Selon les données de l’INSEE, l’âge moyen des agriculteurs est de 57 ans. Près de 60 % des agriculteurs avaient 50 ans ou plus en 2020 et, un quart des agriculteurs ont 60 ans et devraient partir à la retraite d’ici à 2030.Les agriculteurs constituent ainsi, et de loin, le groupe socio-professionnel comportant le plus de seniors en activité. A l’inverse, seuls 1% des agriculteurs ont moins de 25 ans, contre 8% pour l’ensemble des personnes en emploi.
Sur la base des surfaces moyennes connues pour ces classes d’âge en 2016 (le recensement de 2020 n’ayant pas encore fourni ces informations mises à jour), près de cinq millions d’hectares devraient changer de main d’ici à 2030, ce qui représente près d’un cinquième de la surface agricole utile actuelle. Dit autrement, sur les 389 000 exploitations agricoles recensées en 2020, il va falloir transmettre environ 195 000 fermes en 10 ans soit 20 000 fermes par an.
Or, selon le Syndicat des Jeunes Agriculteurs, deux tiers des futurs retraités n’ont pas identifié de repreneurs alors qu’ils détiennent la moitié de la Surface Agricole Utile (SAU). En effet, le nombre de candidats à l’installation diminue. Si le nombre d’installations était remonté à environ 15 000 en 2015, il a depuis recommencé à baisser pour se situer à 12 500 en 2020 et l’érosion se poursuit puisqu’en 2022, il a diminué de 10 % par rapport à 2021. On comprend donc bien que le nombre d’installations ne compensent donc que la moitié des départs avec pour corollaire l’agrandissement de la taille des fermes…
Quels sont les freins au renouvellement des générations ?
Tous les rapports rédigés dans le cadre d’un vaste processus de consultation national et territorial pour l’élaboration du pacte entre la nation et son agriculture annoncé par le Président de la République le 9 septembre 2022, notamment les groupes de travail menés à des fins de recommandations par le Syndicat des Jeunes Agriculteurs mais également le rapport de la Cour des Comptes d’avril 2023 sur la Politique d’installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles, ou encore, les recommandations du CESE pour un contrat ambitieux entre l’agriculture et la société française publié en juin 2023, pointent tous du doigt les mêmes problématiques.
I/ Problème d’attractivité lié à un déficit d’image voire à du dénigrement créant un fort sentiment de déclassement et de mépris
Les médias et, en premier lieu, la publicité véhicule trop souvent des stéréotypes concernant l’agriculture avec une image caricaturale, parfois idéalisée, obsolète ou dévalorisée. La réalité des métiers, leur caractère innovant, les responsabilités qu’ils exigent et surtout les valeurs qui y sont rattachées ; nourrir la population, préserver l’environnement, dynamiser les campagnes…sont encore trop souvent méconnues. Pourtant, ces emplois devraient correspondre aux aspirations de jeunes ou de personnes en quête de reconversion, de plus en plus nombreux à chercher à donner du sens à leur travail et à renouer des liens avec la nature.
De plus, les agriculteurs subissent des vents contraires et alternatifs : tour à tour « héros, victimes ou coupables », ils sont tantôt portés aux nues comme ce fut le cas durant le COVID, tantôt, cloués au pilori, comme c’est de plus en plus le cas à la lumière des débats sur l’écologie, le bien-être animal, les pollutions agricoles, l’utilisation d’engrais chimiques. Le lien entre la société aux exigences contradictoires (entre pression à la baisse sur les prix et exigence de qualité et de durabilité à la hausse) et les agriculteurs se desserre et se resserre au gré de l’actualité. On parle du phénomène « d’agri-bashing » qui selon une enquête de l’observatoire Amarok menée en 2021, a montré que 40% des agriculteurs avaient vécu au moins une situation de harcèlement lors du dernier mois.
Ce sentiment de dénigrement est très profondément ressenti comme une injustice criante par tout un monde agricole ne comprenant pas les accusations dont il fait l’objet et vient aggraver le sentiment d’abandon déjà fortement présent dans l’esprit du monde paysan, confronté à des difficultés économiques croissantes et des injections contradictoires. « On marche sur la tête », telle s’exprime la colère actuelle des agriculteurs. Gageons que l’actualité récente fera évoluer l’opinion publique …
II/ Problèmes d’attractivité liés aux conditions de travail difficile et à la qualité de vie du fait du très fort manque d’équilibre vie professionnelle vie personnelle
Pas de samedi ni de dimanche, telle est la dure réalité des métiers du vivant ! Ainsi, la très grande majorité des agriculteurs travaillent-ils le week-end comme on peut le voir ci-dessous :
Selon une étude de l’INSEE, en 2019, 88 % des agriculteurs ont travaillé au moins un samedi au cours des quatre dernières semaines (contre 39 % de l’ensemble des personnes en emploi) et 71 % au moins un dimanche (contre 22 %). En outre, 15 % des agriculteurs ont, au cours des quatre dernières semaines, travaillé au moins une fois la nuit, entre minuit et 5 heures du matin, contre 10 % pour l’ensemble des personnes en emploi.
Les agriculteurs déclarent en fin de compte un temps de travail hebdomadaire bien supérieur à celui de l’ensemble des personnes en emploi : en 2019, pour leur emploi principal, ils ont déclaré une durée habituelle hebdomadaire de travail de 55 heures en moyenne, contre 37 heures pour l’ensemble des personnes en emploi (+ 49 %). De plus, du fait d’un nombre réduit de congés, leur durée annuelle effective excède encore plus celle de personnes en emploi (+ 65 %). En effet, selon le Rapport du parlement sur la détresse des agriculteurs publié en mars 2021, un agriculteur ne prenait pas plus de 3 jours de vacances par an.
A cette surcharge de travail, s’ajoute la faiblesse des revenus comme on peut le voir dans le schéma ci-dessous. Les agriculteurs ne gagnent pas assez pour vivre décemment.
Les agriculteurs ont la plus grande difficulté à joindre les deux bouts. Cette activité ne leur suffit pas pour vivre : elle ne représente qu’un tiers de leurs ressources annuelles (17 700 euros net en moyenne, sur un total de 52 400 euros) comme on peut le voir dans le schéma ci-dessous du rapport de l’INSEE – le niveau des ménages est plus faible dans les territoires d’élevage – paru en octobre 2021 :
La majorité des ressources des agriculteurs sont issues d’autres revenus d’activité. D’un montant de 30 100 euros, ceux-ci sont composés, pour l’essentiel, de salaires, qui proviennent notamment de l’activité de leur conjoint. En effet, lorsqu’il travaille, le conjoint de l’agriculteur est salarié dans sept cas sur dix. L’agriculteur lui-même peut également exercer une activité salariée en dehors de l’exploitation. Un agriculteur sur cinq est ainsi bi-actif. En outre, d’autres activités développées au sein de l’exploitation peuvent générer des revenus, comme la vente de produits artisanaux ou le tourisme à la ferme qui ne sont pas comptabilisés en revenu agricole.
Les revenus du patrimoine constituent la troisième source de revenus la plus importante des ménages agricoles, soit 20 % de leur revenu disponible. Il s’agit essentiellement de revenus fonciers, correspondant à des fermages, souvent issus de terres possédées par l’agriculteur et louées par la société dont il est associé. De manière générale, le patrimoine des agriculteurs repose davantage sur leur patrimoine professionnel et moins sur les actifs financiers et immobiliers.
L’INSEE, dans son rapport, révèle que près de 18 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, contre 13 % pour des ménages exerçant une autre profession. Les conséquences de cette exposition à la pauvreté sont multiples. Les agriculteurs doivent notamment percevoir d’autres revenus. Un agriculteur sur cinq exerce ainsi deux professions à la fois.
L’INSEE révèle également dans ce rapport que les revenus sont inégaux selon le type de production et de géographie. Ainsi, parmi les activités agricoles qui rapportent le moins, on retrouve l’élevage bovin pour la viande : il n’a rapporté à ceux qui le pratiquent que 11 340 euros, sur les 36 060 euros de revenu disponible annuel en moyenne en 2018. Quant aux zones géographiques, à titre d’exemple, dans le massif jurassien, la fabrication de fromages d’appellation d’origine protégée (AOP) est plus rémunératrice qu’en Normandie, où le lait est utilisé pour l’industrie agroalimentaire.
Ces inégalités de rémunérations se traduisent directement dans l’érosion démographique qui ne touche pas tous les secteurs de l’agriculture de la même façon.
Selon les chambres d’agriculture, « elle affecte nettement moins les productions végétales que l’élevage, en repli inquiétant ». Comme on l’a vu ci-dessus, l’élevage pâtit de la difficulté du métier, des mises en cause répétées sur le thème du bien-être animal, de la pollution et des émissions de méthane. Les évolutions les plus frappantes concernent l’élevage laitier et le secteur de la viande bovine.
La trop grande précarité de ces métiers, la surcharge de travail, l’isolement, l’endettement, la course à l’agrandissement, le sentiment de dénigrement de la société sont autant de facteurs qui agissent en défaveur de l’attractivité du monde agricole au point d’en arriver à la crise des vocations à laquelle nous assistons. Le cumul de ces causes multi-factorielles, bien que difficiles à hiérarchiser, malgré l’omniprésence de la question du revenu agricole et du sentiment de dénigrements social, conduit à un terrible phénomène de surmortalité par suicide. Selon une des rares études en la matière faite en 2015, chaque jour deux agriculteurs se suicidaient.
Un drame quotidien répété dans le plus grand silence et mis en lumière en 2019 à travers le film Au nom de la terre. Suite à la sortie de ce long-métrage, le sénateur héraultais Henri Cabanel (RDSE) et la sénatrice de la Marne Françoise Férat (UC) lancent alors un groupe de travail sur la détresse des professionnels de la terre et déposent une proposition de loi sur le sujet. Le rapport sénatorial, adopté par la commission des affaires économiques le 17 mars 2021, a rappelé l’urgence pour l’État d’apporter une réponse, à travers une politique publique à la hauteur de ce drame silencieux.
III/ Des freins à la transmission et à l’installation
- La taille des exploitations (concentration) et la capitalisation, en termes d’équipements et de foncier, qui en découle, rend de plus en plus difficile la transmission des exploitations hors du cadre familial
On l’a vu ci-dessus, la diminution du nombre d’agriculteurs s’est traduite par une augmentation de la taille des exploitations, qui mesurent en moyenne désormais 69 hectares (14 hectares de plus qu’en 2010). Les grandes exploitations agricoles (d’une surface moyenne de 136 hectares), quasi inexistantes il y a 60 ans, représentent aujourd’hui une ferme sur cinq et couvrent 40% du territoire agricole métropolitain. Le capital immobilisé (matériel, bâtiments et foncier) est passé de 173000€ à 275000€ par ferme entre 2000 et 2020, le double des autres professions.
Par voie de conséquence, se pose la question du niveau des investissements nécessaires lors de l’installation pour financer le foncier mais aussi les bâtiments et le matériel et donc de l’accès aux crédits.
« Le capital à mobiliser, notamment dans le domaine de l’élevage, s’est considérablement accru au point d’être parfois dissuasif », expliquent les chambres d’agriculture.
Cette dynamique d’agrandissement a été largement soutenue voire provoquée par les orientations politiques des gouvernements depuis les années 1960. Si elles étaient considérées comme allant dans le sens d’un certain progrès à l’époque, ces orientations semblent aujourd’hui dépassées, avec une baisse constatée des rendements agricoles et des effets destructeurs sur la biodiversité largement documentés.
En effet, l’agrandissement des fermes est une mauvaise nouvelle pour l’écologie : cela augmente la taille des parcelles, entraîne des destruction des haies et le retournement des prairies favorables à la biodiversité, encourage la mécanisation et l’utilisation accrue d’engrais et de pesticides. Côté européen, l’agrandissement des fermes est aussi alimenté, entre autres mécanismes, par la politique agricole commune (PAC), dont l’essentiel des aides est alloué en fonction des surfaces travaillées.
Ce mécanisme encouragé tant au niveau national qu’européen, ainsi que la course aux rendements agricoles, pousse voire condamne nombre d’agriculteurs à s’agrandir et favorise donc ceux déjà en activité, au détriment de nouveaux entrants, quand bien même ils auraient les capacités d’investissement.
A ceci s’ajoute le fait que, s’il est propriétaire, un agriculteur partant à la retraite est également incité par la modicité de sa retraite à tirer le meilleur profit de la vente de ses terres qui constituent bien souvent un capital nécessaire pour continuer à vivre décemment après la cessation de son activité. Ce sont souvent les voisins installés, qui ont déjà rentabilisé une partie de leurs investissements, qui sont les plus à même de se positionner rapidement pour racheter les terres, quand l’installation d’un nouvel agriculteur peut prendre plusieurs années.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, selon l’association Terres de Lien, près d’une ferme sur trois seulement est transmise, et deux-tiers des surfaces libérées conduisent à l’agrandissement des fermes déjà existantes. C’est l’une des raisons pour lesquelles aujourd’hui en France, 125 fermes disparaissent chaque semaine.
Et ce n’est pas tout ! Le foncier agricole fait l’objet de nombreuses spéculations et disparaît au profit de l’étalement urbain, des usages non alimentaires pour développer des énergies renouvelables (production de biomasse, emplacements pour les panneaux photovoltaïque) ou pour reforester. En 70 ans, la France a perdu 12 millions d’hectares de terres agricoles. C’est ainsi que seul 50% du foncier agricole va à l’installation. Cette concurrence participe à la hausse des prix des terrains et favorise l’intensification industrielle des pratiques agricoles sur les terres restantes, avec ses effets délétères sur l’environnement.
Des fermes de plus en plus grandes et donc trop chères, un potentiel de surfaces agricoles de plus en plus réduit par le changement d’usage des sols qui intensifie mécaniquement la pression sur les surfaces restantes des terres consacrées à l’agriculture, tel est le contexte auquel doivent faire face les aspirants à l’installation. Or, cette situation est d’autant plus préoccupante qu’aujourd’hui le modèle traditionnel qui a traversé des générations, c’est-à-dire la reprise de la ferme familiale par un ou plusieurs enfants lors de la retraite des parents, fonctionne de moins en moins.
Selon les chambres d’agriculture, les candidats à l’installation hors cadre familial (HCF), et en particulier les candidats dits « NIMA », ie non issus du monde agricole, par opposition, sont désormais largement majoritaires, représentant près de 60 % des candidats à l’installation. Ceci est en soi une excellente nouvelle en matière de diversification des profils pour apporter un renouveau et inventer l’agriculture de demain …. Sauf que, pour ces « NIMA », l’accès à la terre s’avère plus difficile encore : en effet, la propriété de la terre se transmet deux fois plus par l’héritage que par la vente.
Ces personnes qui n’héritent pas des terres ne sont pas non plus insérées dans les réseaux de solidarité territoriaux et professionnels permettant d’avoir accès aux informations sur les terres à vendre ou à louer et les financeurs potentiels ne leur accordent pas leur confiance de prime abord. Ils subissent ainsi une forme de discrimination qui se traduit par une situation d’exclusion foncière. C’est d’autant plus dommageable que les NIMA sont généralement plus enclins à renouveler les pratiques agricoles et à mettre en œuvre des transitions agroécologiques.
Il s’agit donc dans les années à venir de tout mettre en œuvre pour inverser ce mouvement en privilégiant les projets d’installation ou de reprise plutôt que d’agrandissement et donc trouver des solutions aux obstacles décrits ci-dessus qui sont dissuasifs voire rédhibitoires à la transmission et à l’installation.
- Outre ces difficultés liées à la concentration du foncier et à l’accès à l’investissement y afférent,il existe une inadéquation de plus en plus criante entre les fermes à céder et les projets d’installation.
En effet, alors que le renouvellement des générations coïncide avec celui des pratiques, la spécialisation des fermes mais aussi des territoires et la mécanisation des pratiques qui constituent le modèle dominant à ce jour, va à rebours des projets fondés sur la diversification des productions (agroécologie qui invite à développer sur une même ferme la diversité des cultures et des variétés) et des attentes sociétales pour une agriculture durable, portés par les fameux NIMA.
Or, le développement de ce type de projets est d’autant moins aisé lorsque des investissements conséquents sont déjà réalisés. De plus, lors du processus de transmission/installation, si ces ruptures dans les choix techniques, économiques et/ou organisationnels ne sont pas bien préparées ni bien évaluées, elles rendent l’installation plus difficile, voire la mettent en échec. Il est donc nécessaire de les accompagner techniquement et humainement pour réussir le renouvellement des générations agricoles et les transitions agroécologiques et alimentaire.
- La transmission, l’angle mort des politiques agricoles : des dispositifs peu connus, peu utilisés par les cédants et n’encourageant pas la transmission vers des exploitations plus durables.Une politique de transmission peu investie et essentiellement patrimoniale.
Conçu depuis une vingtaine d’années pour faciliter la transmission des exploitations et non pour restructurer l’activité agricole, la Cour des Comptes note que le volet transmission des exploitations reste peu investi et mal connu : en effet, hormis les mesures fiscales, les mesures financières incitatives destinées à accroître la transparence des cessions et à anticiper la transmission sont peu utilisées par les agriculteurs. Les sources d’information précises et objectives susceptibles d’éclairer les agriculteurs dans leurs projets de fin d’activité sont rares et peu accessibles. De même, l’information sur les actions menées, les moyens engagés et les initiatives déployées sur l’ensemble du territoire pour accompagner les cessions et les transmissions fait défaut.
Le Syndicat des Jeunes Agriculteurs, dans son livre blanc « Accompagner les cédants pour renouveler les générations », fait le même constant.
Selon lui, les cédants sont invisibles et très peu sensibilisés. Ainsi faute de politique de repérage efficace et de visibilité sur les accompagnements existants, leur départ à la retraite peut donc être mal préparé. L’accompagnement à la transmission se fait alors souvent au dernier moment.
Pour preuve, interrogés dans les recensements agricoles sur leur successeur potentiel, seul un tiers des agriculteurs de 55 ans ou plus déclarait en 2010 l’avoir identifié, cette proportion passant à 45 % pour les agriculteurs âgés de 60 ans et plus. Ce manque d’anticipation ne facilite en rien la mise en relation entre cédants et candidats à l’installation, et à plus fortes raisons lorsqu’il s’agit candidats NIMA, qui, on l’a vu, ne bénéficient pas de connexions avec les réseaux professionnels.
La Cour des comptes regrette par ailleurs que les aspects patrimoniaux individuels représentent une question centrale lors de la transmission d’une exploitation agricole. Selon elle, ces cessions devraient être l’occasion de s’interroger sur la transformation éventuelle de l’exploitation. En effet, on l’a vu ci-dessus, le renouvellement des générations coïncide avec un renouvellement des méthodes de production et doit donc être accompagnés par les politiques publiques.
De plus, ce rapport patrimonial élude la question du « juste prix » des exploitations. Selon Philipe Lescoat, enseignant-chercheur à Agro-ParisTech, il devrait correspondre à une valorisation économique (prix fixé en fonction de l’offre et de la demande) plutôt qu’à une évaluation des actifs. Or, plus la politique de transmission des fermes agricoles reste axée sur ces aspects patrimoniaux, et plus cela limite l’accès à la terre et aux opportunités agricoles pour les personnes extérieures à la famille.
- Des instruments d’aide à l’installation complexes, insuffisamment mis en œuvre et trop ciblés
Le soutien à l’installation et au démarrage de l’activité des agriculteurs est basé sur deux types de dispositifs. D’une part, le programme d’accompagnement à l’installation et à la transmission en agriculture (AITA) : ce programme, mis en œuvre par l’Etat, les régions et les opérateurs labellisés, a pour objectif d’informer tous les candidats à l’installation, de les aider à préparer leur projet et de compléter leur formation pour les aider à mieux démarrer leur activité. Il est accessible sans critères d’âge.
Selon son rapport rendu le 12 avril 2023, la Cour des comptes a jugé que ce programme souffre de plusieurs lacunes alors que se diversifie l’origine professionnelle et familiale des candidats à l’installation : absence de dispositif consacré à l’émergence des projets, inégale représentation des différents types d’agriculture parmi les opérateurs chargés d’accompagner les agriculteurs en dépit des engagements pris, manque d’individualisation des plans de professionnalisation personnalisés, méconnaissance des flux de population et des causes sous-jacentes des parcours des candidats, notamment du non recours à la dotation jeune agriculteur.
Et d’autre part, les aides directes ou indirectes aux nouveaux installés : les aides fiscales, prévues au niveau régional, national ou européen, sont ciblées sur les jeunes installés de moins de 40 ans. La Cour des comptes estime que ces aides ne remplissent pas nécessairement leurs objectifs ; en premier lieu, parce qu’environ la moitié de la population qui y est éligible ne la demande pas et en second lieu, parce qu’un tiers des installations concernent des personnes de plus de 40 ans, qui disposent de fonds propres, d’idées novatrices et sont porteurs de projets intéressants mais qui ne peuvent prétendre qu’à 9 % des aides publiques consacrées à l’installation.
Ainsi, selon l’association Terres de Lien, deux-tiers des installations ne bénéficient pas de la dotation jeune agriculteur (DJA), soit parce que leurs projets ne correspondent pas aux exigences définies (surface, rentabilité), soit parce que la personne dépasse la limite d’âge.
Enfin, les parcours aidés à l’installation sont trop complexes, notamment de par la multiplicité des intervenants et des structures accompagnantes mais également la complexité des démarches administratives et la technicité des dossiers à constituer ce qui conduit des candidats, face à ce « parcours du combattant », à y renoncer, en préférant se lancer sans appui ni soutien financier comme démontré ci-dessus.
En résumé, il s’agit d’adapter et d’étoffer concrètement les instruments de politique publique et la palette des dispositifs juridiques, financiers et comptables existants ou émergents pour accompagner la transmission des exploitations et les candidats à l’installation dans la diversité de leurs profils et de leurs projets. Pour les agriculteurs cédants, face à la faiblesse des retraites, face à la délicate anticipation de ce départ (ne serait -ce qu’en matière de logement) exacerbée par sa dimension affective, qui constituent des freins structurels majeurs à la cessation d’activité et à la transmission, miser sur leur bonne volonté ne sera pas suffisant. Ils ont besoin d’aide et d’incitation. Dans le même temps, il s’agit d’améliorer les dispositifs pour accompagner les porteurs de projets et en particulier les néo-agriculteurs.
Cela impliquera également selon Philippe Lescoat, enseignant chercheur à Agro-ParisTech, de créer des « confrontations positives » entre les cédants et les candidats « NIMA » pour qu’ils puissent « se rejoindre », se découvrir et mieux se comprendre pour créer les conditions nécessaires à une relation de confiance mutuelle.
Ces deux mondes – a priori opposés de par la différence de leur sociologie respective – sont pourtant extrêmement dépendants les uns-des-autres. En somme, et au bon sens du terme, ils sont condamnés à coopérer si l’on veut faire se rejoindre l’offre et la demande, assurer le renouvellement des générations et réussir la transition agroécologique en misant sur la jeunesse.
IV/ Des formations initiales et continues insuffisantes et inadaptées
Autre frein important, les agriculteurs sont en moyenne moins diplômés que l’ensemble des personnes en emploi selon le rapport de l’INSEE (Le niveau des ménages est plus faible dans les territoires d’élevage) paru en octobre 2021. Cela s’explique notamment du fait qu’être agriculteur est un des rares métiers pour lequel aucun diplôme n’est nécessaire pour s’installer. Cependant, leur niveau de formation s’est fortement élevé, notamment depuis qu’il est nécessaire d’avoir un baccalauréat professionnel ou une équivalence pour obtenir des aides à l’installation. D’ailleurs, selon le dernier recensement agricole en 2020, 17 % des agriculteurs âgés de moins de 40 ans n’ont pas le bac, 40 % ont juste le bac et 43 % ont un diplôme supérieur. Ce qui fait, toujours selon les données de l’INSEE, que lorsqu’ils ont moins de 40 ans, 80 % des agriculteurs possèdent un diplôme de niveau baccalauréat ou plus, contre 72 % des personnes en emploi.
Cette augmentation du niveau de diplôme est un élément positif car le métier du chef d’entreprise agricole est un métier de plus en plus complexe qui doit être réservé à des professionnels qualifiés. En effet, les métiers de l’agriculture font appel à des compétences multiples et en évolution de plus en plus rapide : agronomie, technologies, gestion, logistique, négociation commerciale, science du vivant, changement climatique, préservation de la biodiversité, management et prévention des risques pour les chefs d’exploitation employant des salariés …
Or, selon le rapport du CESE de juin 2023, on constate que certains cursus de formation initiale, en particulier dans les filières courtes, prennent insuffisamment en compte les évolutions s’agissant par exemple de la transition agroécologique ou des technologies numériques.
En effet, et comme le souligne le Ministre de l’Agriculture dans un interview à France Inter le 16 décembre 2023, « produire sous deux degrés de plus, y compris en France, va s’avérer être une énorme contrainte à laquelle il faut préparer les futurs agriculteurs ».
De plus, toujours selon le rapport du CESE de juin 2023, seule une minorité d’agriculteurs bénéficient d’au moins une formation continue chaque année. Les raisons permettant d’expliquer cette situation sont diversifiées : âge, manque d’information mais surtout contraintes professionnelles en particulier dans les élevages.
Le renouvellement des générations en agriculture ne pourra donc se faire sans un renforcement des politiques de formation (y compris celle des enseignants et des formateurs) tant en initial qu’en continue. Les formations doivent impérativement s’adapter aux besoins des jeunes et des nouvelles compétences à développer (notamment « green & tech skills ») mais doivent aussi être revalorisée pour préparer les futurs agriculteurs aux défis de l’agriculture moderne.
Face à l’ensemble de ces freins structurels, quelles solutions ? Quels leviers pour favoriser le renouvellement des générations ?
Fruit de près d’un an de concertations menées par le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, le Pacte d’orientation pour le renouvellement des générations en agriculture présenté par le gouvernement le 15 décembre 2023 dessine les solutions et les mesures pour permettre de redonner de l’attractivité aux métiers de l’agriculture, de faciliter les transmissions, de mieux former les jeunes et les nouveaux agriculteurs, et de les doter d’outils permettant de gérer les nouveaux risques, notamment climatiques et sanitaires.
« La vocation du Pacte, c’est de réinterroger les outils de nos grandes politiques publiques forgées dans les années 1960, à l’aune de deux défis de l’époque que sont le renouvellement des générations et la nécessité de produire en quantité et en qualité sous contrainte climatique », a fait savoir le ministère de l’Agriculture, qui pointe également « la nécessité pour l’agriculture d’être un acteur des transitions » ainsi que « la volonté de projeter les politiques publiques à l’horizon 2030-2040 dans un cadre qui assume complètement les objectifs européens et nationaux en matière climatique, environnementale et sociale, avec l’objectif d’assurer la souveraineté alimentaire de la France ».
Le syndicat des Jeunes Agriculteurs, dans un communiqué de presse du 15 décembre 2023, dit « se féliciter autant du résultat que d’avoir été à l’initiative de ces travaux et d’avoir pu y faire entendre ses propositions. »
Ce pacte, dont nous découvrirons ci-après les principales mesures, étant désormais conclu, il doit maintenant se concrétiser dans une loi d’orientation en faveur du renouvellement des générations en agriculture avec des moyens et des budgets associés. A ce jour, eu égard à la crise agricole actuelle, le projet de loi qui devait être présenté en Conseil des ministres le 17 janvier 2024, a été reporté. Il ne sera présenté que dans « quelques semaines » pour être complété d’un volet « simplification des normes », selon les premières déclarations du Ministre de l’Agriculture.
Les principales mesures de ce pacte, pour relever le défi du renouvellement des générations en agriculture, s’articulent autour de 3 axes :
I/ Renouer le lien entre l’agriculture et la société et renforcer l’attractivité des métiers du vivant
Décrit comme son « socle » et sa « pierre angulaire », la réconciliation entre l’agriculture et la société est l’une des ambitions du Pacte, avec l’objectif affiché de provoquer un « choc d’attractivité » pour encourager des vocations.
A cet effet, une des mesures fortes, outre un grand programme de communication nationale, va résider dans le lancement d’un programme national d’orientation et de découverte de ces métiers, qui doit être mis en place auprès des écoles, à l’intention des élèves des écoles élémentaires, des collégiens et élèves de seconde. Ainsi, à partir de la rentrée scolaire 2024, est-il prévu que chaque enfant scolarisé dans une école élémentaire bénéficiera d’au moins une action de découverte de l’activité agricole et de sensibilisation aux enjeux de la souveraineté et des transitions agroécologique et climatique.
Quant aux collégiens et aux élèves de seconde qui le souhaitent, ils auront également la possibilité de découvrir les métiers du vivant lors d’un stage immersif, permettant ainsi d’attirer des publics scolaires généralistes vers les formations agricoles en développant des passerelles entre ces deux mondes éloignés. Notons en effet, que les formations agricoles, contrairement à l’enseignement technique et professionnel, ne dépendent pas du Ministère de l’Éducation Nationale mais du Ministère de l’Agriculture, ce qui, par construction, constitue un frein à ces passerelles ….
A noter cependant qu’il existe déjà de nombreuses initiatives en faveur de la promotion des métiers de l’agriculture et qui n’ont pas attendu ce pacte. On peut citer à titre d’exemple, le collectif « Demain, je serai paysan », dont les cibles sont les publics en phase d’orientation scolaire et professionnelle, en particulier les jeunes et les personnes en reconversion. Cette association vise également les prescripteurs de ces publics tels que les enseignants et les parents.
On peut également citer le volontariat rural, lancé fin 2022 dans le réseau Cuma, en partenariat avec l’association In Site et avec le soutien de la Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche au Ministère de l’Agriculture. Ce dispositif d’engagement a pour objectif d’offrir une expérience immersive de 6 mois durant laquelle les volontaires seront hébergés dans les communes rurales en partenariat avec les collectivités territoriales. Forte des premières expérimentations en cours, la Fédération nationale des Cuma a demandé à ce que la loi d’orientation et d’avenir crée un dispositif d’engagement propre à l’agriculture dans le Code du service national. Il s’agit d’une part d’ouvrir le service civique aux groupes d’agriculteurs, mais également de prévoir un volontariat pour les plus de 25 ans pour répondre aux désirs de reconversion professionnelle.
Et si l’on veut continuer d’attirer de nouveaux publics non issus du monde agricole, il ne fait aucun doute que l’agriculture devra se doter d’un grand plan de communication plus impactant et plus inspirant, basé sur de nouveaux récits pour faire changer la manière dont elle est racontée et perçue dans la société contemporaine. Ces nouveaux récits devront, comme il est coutume de dire dans le domaine de la « marque employeur », redéfinir la « proposition de valeur » des métiers du vivant, en mettant l’accent sur le sens de ces métiers, le lien avec la nature, en mettant en avant les pratiques agricoles durables, les défis environnementaux et sociaux, ainsi que les solutions alternatives pour une agriculture plus respectueuse de la nature et de l’homme et économiquement viable.
Par ailleurs, il est essentiel que ces nouveaux récits positifs soient véhiculés dans les écoles au même titre que les enseignements techniques et qu’ils soient incarnés et portés par des agriculteurs « role models » (mais aussi par des agricultrices, pour lutter contre les stéréotypes de genre très marqués dans ces métiers) auxquels les jeunes générations pourront s’identifier, créant ainsi de nouvelles vocations.
II/ Investir avec ambition dans les ressources humaines à travers des politiques de formation plus ambitieuse, intégrant le renforcement de la formation aux transitions climatiques et écologiques
Un autre axe phare du Pacte a pour objectif de valoriser les filières de formation et d’innover dans les parcours de formation en agriculture en modernisant leur contenu et leur présentation vers plus d’ouverture, de durabilité et par les nouvelles technologies pour faire émerger une nouvelle génération d’agriculteurs et d’agricultrices plus compétents et, ainsi, placer l’agriculture française à l’avant-garde de la transition alimentaire. L’État, les régions et les autres collectivités territoriales se sont engagés à conduire des politiques publiques appropriées pour permettre, à l’horizon 2030 d’accroître significativement le nombre de personnes formées aux métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire et aux métiers de la formation et du conseil qui accompagnent les actifs de ces secteurs.
Pour atteindre cette nécessaire augmentation et diversification des compétences, quatre mesures ont été annoncées :
→ La création d’experts associés de l’enseignement agricole afin d’accélérer la diffusion des connaissances en matière de transition agroécologique aux futurs professionnels. À terme, ce seront 1 000 experts associés dans les domaines clés tels que l’hydraulique, la robotique agricole, les agroéquipements, interviendront en soutien des enseignants et formateurs.
→ La création en 2025 d’un « Bachelor Agro », diplôme Bac +3, afin de faciliter la poursuite des études et de renforcer la professionnalisation et la formation des futurs agriculteurs à des métiers de plus en plus complexes et exigeants.
→ Le lancement, à la rentrée 2025, d’un programme national triennal de formation accélérée aux transitions agroécologique et climatique des 50 000 professionnels qui accompagnent et conseillent les agriculteurs en France. Cette mesure dotera les professionnels de la formation et du conseil d’un socle commun de haut niveau de compétences.
→ Faire de l’accès aux métiers du vivant un des leviers du plein emploi, à travers notamment l’intégration systématique des métiers du vivant dans la liste des métiers en tension, dont la révision doit débuter prochainement en concertation avec les partenaires sociaux.
III/ Développer de nouveaux outils de soutien aux investissements y compris dans le foncier, et faire de l’accompagnement à l’installation et aux transmissions un levier stratégique pour proposer des installations humainement, économiquement et écologiquement viables.
C’était une mesure phare du Rapport d’Orientation 2020 de Jeunes Agriculteurs : l’Etat prévoit la création du réseau « France services agriculture », un guichet unique chargé de l’accueil, de l’orientation et d’un accompagnement pluriel, personnalisé et coordonné des personnes qui souhaitent s’engager et dont les profils continuent de se diversifier, et des personnes qui souhaitent se retirer d’une activité agricole, par une gouvernance dédiée et partenariale. En d’autres termes, tous les porteurs de projets, que ce soit des projets d’installation ou de cession, devront obligatoirement faire appel à ce service.
Au titre de leur mission de service public, les Chambres d’agriculture se verront confier ce guichet unique instauré par « France services agriculture » et seront dotées, à terme, de nouvelles ressources. Une procédure d’agrément national et régional permettra également de s’assurer de la diversité des structures en capacité d’accompagner les porteurs de projet. « Toutes les structures qui font de l’accompagnement ont vocation à travailler dans ce cadre-là, l’idée étant d’avoir une multiplicité d’acteurs (…). On a besoin de diversité et de pluralisme, on a besoin d’accompagner l’ensemble des projets dans leur diversité » a précisé le Ministre de l’Agriculture.
En ce qui concerne les candidats à l’installation, le projet de loi prévoit de conditionner l’accès au bénéfice des aides publiques à l’installation à la réalisation du parcours de conseil de France service agriculture, assorti au cas par cas d’un parcours de formation pour acquérir les connaissances et compétences requises par le projet. Outre cet accompagnement humain, un volet financer est prévu par le PLOAA pour faciliter les installations et ainsi lever les freins liés à la capitalisation en termes d’équipements et de foncier et à l’accès au crédit.
Ainsi, sont programmés dès 2024, un portefeuille de deux milliards d’euros de prêts garantis par l’État pour soutenir les installations et les prises de risques pour transformer leur système pour s’adapter au changement climatique et réaliser les transitions ainsi que la création du fonds « Entrepreneur du vivant » en 2024 en faveur du portage de capitaux et de foncier, doté de 400 millions d’euros, pour faciliter l’installation de nouveaux agriculteurs et la réalisation des transitions.
Concernant le portage du foncier, autre levier majeur pour permettre notamment à des actifs non issus du milieu agricole d’accéder au foncier, la future loi d’orientation actera la création des Groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI), ayant vocation à augmenter le nombre d’investisseurs dans le secteur agricole et à apporter de nouveau capitaux dans les exploitations , corrigeant ainsi les limites du GFA (faible rentabilité, caractère peu liquide des parts sociales, absence de marché de parts, conditions de sortie restrictive).
Notons qu’il existe déjà en France des structures telles que Terres de Liens qui prône le portage foncier « solidaire », c’est-à-dire ni lucratif, ni spéculatif et à visée environnementale. Ainsi, parmi ses différentes solutions d’accompagnement, Terres de Lien achète directement des terres pour le compte de porteurs de projets qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas acheter la terre, pour leur mettre ensuite à disposition via un bail locatif. En complément de ses acquisitions de fermes, Terre de Liens accompagne les installations via d’autres modalités, comme les sociétés civiles immobilières ou les groupements fonciers agricoles (GFA).
L’idée consiste à regrouper quelques personnes sur un territoire qui mutualisent leurs ressources pour acquérir ensemble des terres (chacun est associé en apportant une part), puis les louer à un agriculteur. Cette solution permet un portage collectif des terres et une dynamique solidaire pour faciliter l’accès aux terres, avec cependant un inconvénient : la fragilité du dispositif lorsqu’un des associés retire ses parts. Gageons, que la création des GFAI permettra un déploiement de ce type de dispositif à plus grande échelle, moyennant des garanties en matière de maîtrise des capitaux avec des garde-fous sur le type d’investisseurs autorisés afin de conserver notre souveraineté et de juguler tout risque de financiarisation excessif sur cet élément stratégique qu’est le foncier.
Il existe également d’autres initiatives innovantes grâce à des start-up de plus en plus nombreuses qui rivalisent d’imagination pour éviter la disparition progressive des fermes et permettre aux fermiers sortants de trouver un ou des repreneurs, quitte à installer sur la même exploitation plusieurs projets portés par différentes personnes (élevage, culture, et transformation) travaillant en synergie. C’est l’objectif de l’une d’entre elles : la start-up Eloi (du nom du saint patron des agriculteurs). On peut citer également « La Ceinture Verte » qui fournit des fermes maraîchères équipées et un appui technique à la production et à la vente en contrepartie d’une cotisation mensuelle. Les maraîcher.ère.s restent indépendants tout en étant intégrés à l’actionnariat et à la gouvernance des Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif (SCIC) de leur territoire.
Il est intéressant de noter que le PLOAA ne fixe pas d’objectif quantitatif en termes d’installations. Le Ministre de l’Agriculture a ainsi précisé :
« Le but, c’est de permettre à tous les porteurs de projet de faire émerger un projet permettant d’assurer la souveraineté alimentaire sous contrainte climatique, avec des outils d’accompagnement qui permettent d’embarquer des projets viables économiquement et écologiquement ».
Ce « droit à l’essai » fera l’objet d’un groupe de travail, chargé d’évaluer l’opportunité de fixer un cadre législatif et réglementaire, en s’appuyant sur le retour d’expérience de Gaec.
Quant aux cédants, « France Services Agriculture » les accompagnera pour que l’une des étapes les plus importantes de leur carrière soit une réussite et se couronne autant que possible par la reprise de l’exploitation par un nouvel installé. Ainsi, les cédants rentrant dans un parcours de transmission, bénéficieront-ils d’une aide directe et, en fin de de parcours, d’une exonération supplémentaire de plus-value si la transmission profite à un jeune et non à l’agrandissement.
Pour bénéficier de cet accompagnement et de ces aides, ils seront soumis à une obligation de déclaration d’intention de cessation d’exploitation à effectuer au guichet unique de leur département afin de se faire connaître et d’être accompagnés le plus tôt possible dans leur démarche de transmission de leur exploitation.
Les informations relatives aux exploitants concernés seront regroupées dans un répertoire unique départemental, afin de faciliter la visibilité des cédants et les mises en relations entre cédants et repreneurs, ainsi que le pilotage et le suivi des installations et transmissions et d’alimenter l’observatoire national installation-transmission (OIT) confié à l’établissement Chambres d’agriculture France.
Une autre mesure phare du PLOAA, là encore appelée de ses vœux par le Syndicat des Jeunes Agriculteurs, consistera en la création d’un diagnostic modulaire de l’exploitation à l’installation et à la transmission pour faire face aux défis climatiques et écologiques. Ce diagnostic sera instauré à compter de 2026, afin de s’assurer de la viabilité économique, sociale, humaine et écologique des projets et d’aider les futurs installés dans l’élaboration de leur projet et la planification des transitions à opérer, qui sont par nature, porteuses de risques.
Il inclura notamment un stress-test climatique et un diagnostic de la santé des sols lors de la vente d’une parcelle. Nul doute que cette mesure fera positivement évoluer l’approche patrimoniale, aujourd’hui prédominante et consistant à se limiter à valoriser les actifs à céder, vers une approche de « reprenabilité », plus juste d’un point de vue économique et plus transparente à l’égard des cédants.
Enfin, le PLOAA prévoit également un renforcement du service de remplacement, afin de permettre à toutes les agricultrices et à tous les agriculteurs de se former tout au long de leur vie, notamment aux transitions écologique et climatique, mais aussi pour leur permettre de bénéficier pleinement de leurs droits sociaux (congé maladie, maternité/paternité, formation).
Mais ce Pacte est-il suffisamment ambitieux pour faire du renouvellement des générations une réalité et créer le « choc d’attractivité » attendu ?
Le sujet divise…Si l’on peut souligner et reconnaître les avancées sur la formation et la transmission/installation, on peut déplorer l’absence du volet foncier, l’absence de dispositions fiscales en direction des jeunes agriculteurs et de mesures accompagnant les bailleurs dans la location aux jeunes ou encore l’absence de mesures fortes en faveur l’amélioration de la qualité de vie et des conditions de travail des agriculteurs.
Il convient notamment de noter que le pacte et son projet de loi manque l’occasion de mieux rémunérer les agriculteurs qui, on l’a vu, pour la majorité d’entre eux, ne vivent pas décemment de leur travail et qui constitue un frein majeur à l’attractivité des métiers du vivant. C’est d’ailleurs, outre les problématiques de concurrence déloyale et de pressions réglementaires, un des sujets de revendications et de colère majeur ayant entraîné la très forte mobilisation des agriculteurs partout en France depuis le 16 janvier 2024.
Pour calmer la grogne du monde agricole, le gouvernement a annoncé qu’il allait renforcer la loi Egalim. Les deux premières lois dites Egalim 1 et 2, adoptées en 2018 et en 2021 visaient à garantir le revenu des agriculteurs, en empêchant que les producteurs ne fassent les frais de la guerre des prix féroces entre supermarchés d’une part, et fournisseurs de l’agro-industrie d’autre part.
“Le revenu des agriculteurs ne doit pas être la variable d’ajustement des négociations commerciales entre les industriels et les distributeurs”, a déclaré le ministre de l’Économie Bruno Le Maire.
Il a par ailleurs confirmé la multiplication par deux des contrôles pour faire respecter cette loi Egalim auprès des industriels, mais aussi des distributeurs, et a évoqué quatre cas de sanctions potentielles, ces dernières pouvant aller jusqu’à 2% du chiffres d’affaires. Enfin, Bruno Le Maire a annoncé le lancement d’une mission parlementaire sur l’évaluation et l’évolution d’EGalim, avec notamment l’examen de l’encadrement des centrales d’achats européennes, qui présentent un risque de contournement de la loi par les distributeurs, et la volonté exprimée de porter la loi EGalim au niveau européen. L’État dit aussi s’engager à faire respecter l’obligation d’achat de produits sous signe de qualité et bio dans les cantines et les commandes publiques. Un volet d’EGalim resté lettre morte…
Outre le sujet essentiel de la rémunération qui fait défaut dans le pacte et le projet de loi, aucune mesure n’a été prise pour étendre la dotation jeunes agriculteurs à des profils de plus de 40 ans, tel que suggéré dans le rapport de Cour des Comptes.
De plus, nulle proposition n’a été faite sur la féminisation de l’agriculture qui constitue pourtant un formidable levier pour augmenter le « pipeline » des futures générations et pour accélérer la transition agroécologique.
Or, l’agriculture n’échappe pas aux inégalités qui traversent notre société : les femmes y sont moins représentées et moins valorisées.
Selon les données du Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, elles ne représentent que 30 % des actifs en agriculture et un quart des chefs d’exploitations. Elles sont plus âgées que leurs homologues masculins et plus diplômées et on les retrouve en majorité dans les petites structures que dans les moyennes et grandes exploitations. Selon le rapport d’Oxfam France « Agriculture : les inégalités sont dans le pré » publié en mars 2023, les agricultrices gagnent en moyenne 29 % de moins que leurs homologues masculins et les écarts d’allocations de retraite varient également en fonction du genre : 840 euros par mois pour les agriculteurs, contre 570 euros pour les agricultrices, en 2020.
Outre les inégalités structurelles, les femmes sont confrontées à des freins institutionnels qui renforcent les inégalités de genre. Les femmes s’installent davantage hors cadre familial et ont d’autant plus de difficultés pour accéder à la terre : les prêts bancaires accordés aux femmes sont moins élevés, les vendeur·euses ou bailleurs de terres potentiels sont plus méfiants vis-à-vis des femmes et elles bénéficient proportionnellement moins de la Dotation Jeune Agriculteur (DJA), l’aide principale à l’installation pour les agriculteur·ices de moins de 40 ans, notamment parce qu’elles s’installent plus tard. A ces freins s’ajoutent d’autres difficultés : elles font face à un système stéréotypé et une remise en cause constante de leur légitimité et de leurs compétences ; ce sont souvent elles qui portent la charge mentale de l’organisation familiale en plus de leur travail ; et l’ergonomie des outils et des machines agricoles n’est pas adaptée à leur morphologie.
Pourtant, face au défi de la transition agro-écologique que rappelle le Pacte, les femmes sont bien plus nombreuses à adopter des pratiques favorables à l’environnement.
La sociologue, Camille Persec, estime que les agricultrices, « sont particulièrement attentives aux problématiques sociales et environnementales que pose l’agriculture moderne ». Pour preuve, elles sont sur-représentées en tant que cheffes d’exploitation dans les fermes bio (46% contre 27% toutes fermes confondues).
De plus, elles sont moins endettées que leurs homologues masculins, ce qui représente un atout dans les stratégies d’adaptation au changement climatique. Ajoutons à cela que les exploitations gérées par des femmes sont aussi plus souvent tournées vers les circuits courts et la vente directe. C’est ainsi que l’association Terres de Liens, en collaboration avec d’autres organisations du monde agricole, entend faire bouger les lignes et favoriser l’installation des agricultrices avec des propositions concrètes : majorer les dotations européennes pour les jeunes agricultrices et reculer l’âge limite pour percevoir ces aides (au-delà de 40 ans), proposer des garanties publiques des prêts agricoles apportés aux femmes et réaliser des campagnes de communication pour sensibiliser et promouvoir la féminisation de l’agriculture. Le recours prioritaire au service de remplacement pour permettre le remplacement des agricultrices pendant leur congé de maternité serait également une piste sérieuse à exploiter.
Enfin, le sujet du salariat agricole, pourtant plus à même d’intégrer « à l’essai » de nouveaux profils et de répondre aux enjeux d’équilibre de vie professionnelle – vie personnelle, n’a pas été traité dans le pacte. Selon, Philippe Lescoat, enseignant-chercheur à AgroParisTech c’est une « première marche pour prendre pied en agriculture », avant d’imaginer une association ou un rachat progressif. Cette conviction est également partagée par François Purseigle, sociologue du monde agricole et professeur des Universités Toulouse INP-ENSAT, qui le dit en ces termes : « l’agriculture a un avenir autour de nouvelles fonctions qui sont celles du salariat agricole ».
En effet, selon le rapport du CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux), « Il s’agit de rapprocher le monde agricole du reste de la société avec des outils qui convergeraient davantage avec ceux des autres secteurs ».
En d’autres termes, attirer des entrepreneurs, autrement dit de futurs chefs d’exploitation, mais …pas seulement… En 2020, 26% des exploitations employaient des salariés contre 16% en 2010. Il apparait impératif de considérer l’ensemble des emplois de l’agriculture, chefs d’entreprise comme salariés, pour appréhender la question du renouvellement des générations dans sa globalité.
Conclusion
Le renouvellement des générations rejoignant celui des pratiques, cet article aura montré qu’il apparaît nécessaire de tirer le meilleur parti des moments-clés que constituent la préparation de la transmission et les années d’installation pour accompagner les agriculteurs et pour accélérer la mutation de l’agriculture française vers un modèle durable.
Pour relever le défi du renouvellement des générations, le monde agricole devra lever ses blocages sociologiques et se montrer plus inclusif, en mettant tout en œuvre pour accueillir et intégrer des candidats non issus du milieu agricole aux profils et aux projets de plus en plus diversifiés et en innovant pour diminuer le coût financier des reprises et faciliter l’accès au foncier.
C’est également en réconciliant l’agriculture avec la société, en inventant de nouveaux récits positifs sur le monde agricole, en revalorisant les filières de formation, en innovant sur de nouvelles formes économiques d’exploitations et en attirant des investisseurs, que ce défi pourra être relevé. Et… comme le rappelle l’actualité récente… en cessant d’opposer la défense des agriculteurs à la défense de l’environnement…
Sources
Rapport du CESE – Les recommandations du CSE pour un contrat ambitieux entre l’agriculture et la société française – Juin 2023
Rapport de La Cour des Comptes : La politique d’installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles
https://www.ccomptes.fr/fr/documents/64229
Rapport d’information du Sénat n° 451 (2020-2021), déposé le 17 mars 2021 : Suicides en agriculture : mieux prévenir, identifier et accompagner les situations de détresse
https://www.senat.fr/rap/r20-451/r20-451-syn.pdf
Syndicat des Jeunes Agriculteurs : Premières grandes orientations pour les concertations dans le cadre du Pacte et de la loi d’Orientation et d’Avenirs Agricoles
https://www.jeunes-agriculteurs.fr/wp-content/uploads/2023/02/doc_positionsja_ploaa.pdf
Pacte et projet de loi d’orientation et d’avenirs agricoles
https://terredeliens.org/national/nos-propositions-pour-faciliter-les-installations-agricoles/
https://terredeliens.org/national/actu/les-femmes-avenir-de-lagriculture-fran%C3%A7aise-27-09-2023/
François Purseigle : François Purseigle, parrain des Journées Nationales de l’Agriculture 2023 (youtube.com)
Philippe Lescoat : Groupe France Agricole – L’urgence du renouvellement des générations en agriculture (youtube.com)
https://www.pleinchamp.com/actualite/installation-ne-les-appelez-plus-les-nima
https://www.oxfamfrance.org/rapports/agriculture-les-inegalites-sont-dans-le-pre/