Article de Carole Legrand (MS EEDD parcours RSEDD 2023-24) 

Introduction

L’intelligence artificielle fait peur… encore méconnue et/ou souvent redoutée par la plupart d’entre nous, elle est cependant de plus en plus présente dans notre quotidien, dans de nombreux domaines, et notamment dans celui de l’agriculture. Alors, peut-elle aider nos agriculteurs, profession de plus en plus en souffrance, à les guider et à les accompagner dans la mise en place d’une agriculture plus responsable et durable ? Cette forme d’intelligence va-t-elle aider à réduire l’impact négatif généré par la production de notre alimentation ?

Actuellement environ un quart de la main-d’œuvre mondiale travaille dans l’agriculture, soit 866 millions de personnes. A ce chiffre s’ajoutent les nombreuses personnes qui gravitent autour de ce secteur, ce qui représente un mélange complexe d’intérêts agricoles notamment avec les petits / gros agriculteurs, les fabricants de matériel agricole, les entreprises chimiques, les revendeurs, l’industrie agro-alimentaire…, dans lequel chaque partie prenante a des intérêts et des attentes différents sur l’évolution de l’agriculture… (1)(2)

En parallèle, une nouvelle technologie prend de plus en plus de place, l’intelligence artificielle, définie comme la science et l’ingénierie de la fabrication de machines intelligentes, par John McCarthy, l’un des pionniers du domaine. Son avancée va imposer des changements massifs dans les années, décennies à venir (3). D’ailleurs de nombreux acteurs l’ont bien compris, et des projets sont en train de se structurer. Nous pouvons en citer 2 au niveau national :

Le projet TRACCS (Transformer la modélisation du climat pour les services climatiques), porté conjointement par le CNRS et Météo-France, qui a notamment pour objectif de mieux comprendre, d’analyser plus justement et d’anticiper les changements climatiques, leurs impacts et leurs risques. Pour cela, il va grandement s’appuyer sur l’AI dans le développement de ces projets

Le projet ARCHES également, porté par Claire Montleoni, chercheuse au Centre Inria de Paris, qui a pour perspective de répondre à la crise climatique via l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique. Ainsi les recherches qui vont être menées auront pour but d’aider les scientifiques à mieux comprendre le climat, à faciliter l’adaptation et la résilience au changement mais aussi à accélérer la transition écologique. (3)

Dans ce contexte, l’AI peut-elle aider nos agriculteurs à faire face aux enjeux écologiques ? En agissant notamment sur la pollution de la terre, la consommation d’eau, la surproduction… pour nourrir les 9 milliards d’êtres humain ?

La précision de l’AI au services de nos agriculteurs

Aujourd’hui nous sommes aux prémices de son développement dans le domaine agricole, et les premières solutions commencent à voir le jour.

Elles sont basées sur la précision, pour être au plus juste dans l’analyse et dans l’action. Les fermes agricoles de demain pourront être ultra connectées, comme par exemple à des capteurs, nourries d’images satellites, équipées de tracteurs automnes… dans le but d’aider nos agriculteurs à prendre les bonnes décisions.

Cette précision apportée par l’intelligence artificielle aura pour but d’activer des mesures ciblées afin de maintenir, voire d’optimiser les rendements.

Nous pouvons classifier les champs d’actions possibles pour l’AI selon 4 solutions, qui peuvent vivre seule ou s’additionner.

 

  1. Une meilleure anticipation météorologique
    Les stations météorologiques se multiplient, les radars, les ballons atmosphériques et les satellites venus en renfort, fournissent encore plus d’informations, et permettant notamment plus de justesse sur les prévisions de temps pour aider nos agricultures à planifier au mieux et réagir avec plus d’anticipation.

D’ailleurs, Google s’est emparé du sujet, et promet de mieux prévoir les inondations en les anticipant avec sept jours d’avance dans 80 pays grâce à son outil Flood Hub permettra de mieux anticiper la météo.

 

 

 

 

 

  1. Une consommation d’eau réduite

La gestion de l’eau, l’un des points clé pour nos agriculteurs pour minimiser son utilisation peut être piloté par l’AI via l’utilisation d’algorithmes d’apprentissage automatique qui se basent sur les données du sol, de la météo et des capteurs d’humidité. Cette utilisation va guider sur le bon dosage d’irrigation nécessaire pour limiter au maximum sa quantité, et donc l’épuisement de cette ressource.

Également, des systèmes d’irrigation intelligents pourront être exploités pour économiser de grandes quantités d’eau et réduire les ravageurs qui se développent sous humidité excessive.

  1. Un minimum d’intrants ou de pesticides dans les terres

L’analyse de grandes quantités de données provenant de capteurs, de satellites et d’autres sources pour fournir des informations précises permettent aux agriculteurs d’optimiser la gestion de leurs terres, en utilisant des quantités précises d’intrants là où ils sont nécessaires plutôt que d’appliquer des quantités uniformes sur l’ensemble du champ. Elle permet également de détecter rapidement les signes de maladies ou d’attaques de ravageurs dans les cultures. Cela permet une intervention ciblée et précoce, réduisant ainsi la nécessité d’utiliser des pesticides de manière excessive.

  1. Amélioration des cultures, de la sélection des semences et de leur rendement

L’AI peut aider à choisir les bonnes cultures à développer grâce à une analyse plus poussée des sols, du rendement, des conditions… et ainsi proposer les cultures plus adaptées, par exemple, plus résistantes aux maladies ou aux conditions climatiques.

Elle peut également guider la prédiction du rendement des cultures et même des modèles macroéconomiques qui aident les agriculteurs à prévoir la demande des cultures et à décider quoi planter au début de la saison.

Et si nous poussons un cran plus loin, elle peut également aider à surveiller les cultures et les écosystèmes, détecter les changements environnementaux. Cela permettrait aux agriculteurs de prendre des décisions éclairées pour la gestion des cultures, la conservation des ressources et la protection de l’environnement. (4)(5)(6)(7)(8)

En complément, l’AI peut accompagner nos agriculteurs dans leurs transitions vers une agriculture régénératrice, en leur facilitant l’accès à la finance carbone. Sachant que souvent le frein majeur aux changements est son financement, une start up appelée Rize permet aux agriculteurs d’obtenir une estimation des évolutions des émissions GES et du stockage carbone dans le sol de leurs exploitations en autonomie à travers sa plateforme Regen Insight reposant sur une forte infrastructure technologique (modèles de calculs carbone, vérification satellitaire, reporting).

Ces données chiffrées permettent ainsi aux agriculteurs par l’intermédiaire de la vente de certificats carbone (1tCO2eq réduite ou stockée = 1 certificat carbone) de financer en partie leur transition. La transition vers une agriculture régénératrice entraine en moyenne 5 années de baisse des profits de l’agriculteur. Cet accompagnement, épaulé par l’AI, peut ainsi lui permettre de faire sa transition plus sereinement. (9)

Donc oui, l’AI va aider nos agriculteurs et optimiser leurs productions pour de meilleurs rendements, tout en limitant son impact négatif généré.

Mais est-ce que tout est positif ?

Il faut tout de même être plus nuancé, son utilisation n’est pas vertueuse à 100% !

L’un des risques, notamment lié à son coût financier, est l’homogénéisation des terres agricoles, car son déploiement est couteux, ce qui joue en faveur de l’agriculture industrielle, à grande échelle. Également, même si l’une de ses vertus est d’avoir des rendements plus efficaces, ces gains ne se traduisent pas automatiquement par une réduction des émissions de GES. Ils pourraient par exemple entrainer des effets de rebond et augmenter la consommation de produits à forte intensité d’émissions.

Si nous nous concentrons sur l’AI en tant que tel, n’oublions pas qu’elle est extrêmement énergivore. Elle nécessite des quantités massives de puissance de calcul, ce qui se traduit par une consommation énergétique élevée. Les centres de données utilisés pour former des modèles d’IA peuvent avoir une empreinte carbone importante, contribuant ainsi au changement climatique.

De plus, l’obsolescence rapide des technologies liées à l’IA peut conduire à une augmentation de la production de déchets électroniques. Les composants obsolètes, tels que les GPU et les ASIC utilisés dans les serveurs d’IA, peuvent contenir des matériaux dangereux et contribuer à la pollution de l’environnement.

Il ne faut pas non plus oublier ses besoins en eau très importante : l’AI fait surchauffer des serveurs, en permanence, et leur refroidissement, qui peut être effectué en climatisant, est très souvent fait en utilisant de l’eau…

Néanmoins, selon les calculs de Jacques Sainte-Marie, mathématicien et directeur scientifique adjoint à Inria, les impacts négatifs de l’AI sont moins catastrophiques sur l’environnement que l’impact généré par l’agriculture actuellement. En effet, l’agriculture représente environ 20 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, le numérique 2,5 % et donc le numérique pour l’agriculture, c’est environ 0,1 % des émissions GES de la France. Ainsi, pour lui, le numérique peut aider à faire diminuer les 20 % sans augmenter sensiblement les 0,1 %. (11)

Alors on y va ?

Fort de ces recherches, nous pouvons effectivement en conclure que l’AI peut aider les agriculteurs à être plus efficace et ainsi à réduire leurs impacts négatifs sur la planète, à condition que l’on accepte d’avoir une agriculture encore plus industrialisée…et il faut surveiller de près le développement de l’AI et son impact à elle sur la planète. D’ailleurs, les auteurs du GIEC jugent que son encadrement est essentiel pour que ses inconvénients ne prennent pas le pas sur ses avantages. L’importance de sa gouvernance est clé ! (12)

Nous pouvons prendre en considération 2 autres impacts de l’AI pour élargir le débat :

– l’éthique, la collecte massive de données pour alimenter les modèles d’IA peut soulever des préoccupations en matière de sécurité des données et de confidentialité

– l’impact social de ce développement, car il faut tout de même savoir que l’AI va supprimer de nombreux métiers, on estime à 83 millions le nombre de destructions de postes (13) alors peut-être que dans 10 ans, on parlera en langage codé à nos robot-agriculteurs…

Sources

https://www.essca-knowledge.fr/tous-les-articles/articles/lintelligence-artificielle-lutte-contre-changement-climatique/

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