Article de Camille Duphil (IGE 2022-23)

L’énergie et le carbone en Afrique aujourd’hui

Le premier défi pour le secteur de l’énergie en Afrique n’est pas celui de sa transition vers des énergies propres, mais celui de l’accès à l’énergie de sa population. Cela s’inscrit dans l’Objectif de Développement Durable numéro 7 (ODD 7) des Nations Unies, dont la première cible est de garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable [1]. En 2019, seulement 46% de la population de l’Afrique Subsaharienne a accès à l’électricité [2], contre 90% en moyenne dans le monde [3]. Cette précarité énergétique est même visible depuis l’espace, sur les clichés de la Terre de nuit. L’absence de lumière en Afrique lui a même valu le nom de le « continent noir » [4].

L’ensemble des pays du continent africain a ratifié l’Accord de Paris sur le climat. Dans ce cadre et faisant suite à la COP26 s’étant tenue à Glasgow à l’automne 2021, 53 pays africains ont soumis leurs Contributions déterminées à un niveau national en mai 2022. Il s’agit de plans d’action détaillant les mesures qui seront mises en œuvre par chaque pays pour réduire ses émissions nationales et s’adapter aux effets du changement climatique. Parmi ces 53 pays, 12 ont mis en place ou se sont engagés à mettre en place un objectif de zéro émissions nettes [5]. La transition énergétique est donc le second défi pour le secteur de l’énergie en Afrique.

Même si le continent africain abrite près de 17 % de la population mondiale, ses émissions liées à l’utilisation de combustibles fossiles ne représentait que 3,6 % du total mondial en 2017 [6]. Néanmoins, d’après l’Agence Internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), la demande en énergie des économies africaines devrait presque doubler d’ici 2040, avec la croissance de la population et l’amélioration du niveau de vie [7]. Sachant que la demande d’énergie primaire en Afrique repose principalement sur la combustion de biomasse (45% en 2019) et la combustion d’énergies fossiles (52% en 2019 [8]), cela amènerait mécaniquement à une augmentation des émissions carbone liées à la consommation d’énergie.

Le secteur de l’électricité est le plus émetteur, représentant 42% des émissions carbone liées à l’énergie en Afrique en 2018. En 2020, l’électricité est produite majoritairement grâce à la combustion de productibles fossiles, représentant 78% du mix électrique. Les combustibles utilisés sont principalement le gaz naturel (108 GW), le charbon (48 GW), le diesel et le fioul (23 GW), le nucléaire représentant une part minime (2 GW). Les 22% restants de l’électricité produite provient d’énergies renouvelables. Parmi les 51 GW de capacités de production d’énergies renouvelables, il y a une majorité d’hydroélectricité (35,7 GW), 7,2 GW de solaire et 5,7 GW d’éolien [6].

Les énergies renouvelables constituent une solution pour pallier l’augmentation des émissions carbone liées à la production d’énergie. La seconde cible de l’ODD 7 intègre également le développement des énergies renouvelables, avec l’objectif à horizon 2030 d’accroître nettement leur part dans le bouquet énergétique mondial [1].

Le potentiel de développement des énergies renouvelables en Afrique

L’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix électrique africain a été modélisé par l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), à travers un scénario de transition durable pour l’Afrique (Sustainable Africa Scenario) en 2022 [5]. Ce scénario inclut l’accès universel à l’électricité à horizon 2030, ainsi que l’implémentation de tous les engagements pris par l’Afrique en matière de climat. La production d’électricité augmente à horizon 2030, et la majorité des capacités supplémentaires installées est de source renouvelables. Cela porte la part des énergies renouvelables au-delà de 50% dans le mix électrique africain. D’après la figure ci-dessous, le scénario définit un objectif d’environ 220 GW de capacités installées en énergies renouvelables à horizon 2030.

Source : IEA
Source : IEA

 

L’Afrique a montré sa volonté de devenir un acteur central de la transition énergétique lors du premier Sommet africain pour le climat, qui s’est tenu du 4 au 6 septembre 2023 au Kenya. Il a débouché sur la Déclaration de Nairobi, un texte ambitieux qui propose que la capacité installée d’énergies renouvelables en Afrique soit multipliée par six, et donc qu’elle passe de 51 à 300 GW d’ici 2030 [9], dépassant les objectifs définis par le scénario de l’AIE.

Le potentiel de développement des énergies renouvelables est gigantesque en Afrique. D’après l’IRENA, il s’élève à 2 431 765 TWh/an [6], soit 50 fois plus que la demande mondiale à horizon 2050 d’après le Anounced Pledges Scenario de l’AIE [10].  Celui de l’énergie solaire est pratiquement illimité sur l’ensemble du continent, estimé à 1 449 742 TWh/an par l’IRENA.

En ce qui concerne les ressources éoliennes, les opportunités se situent principalement dans les régions côtières, comme en Afrique du Nord, en Afrique de l’Est et en Afrique australe. Seulement 10% du potentiel hydraulique aurait été exploité ; les zones à prioriser sont l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. La biomasse est également une piste à investiguer. Enfin, la géothermie constitue une ressource considérable dans la vallée du Rift en Afrique de l’Est, dont le potentiel total s’élève à environ 15 GW de capacité installée.

Ce potentiel de développement d’énergies renouvelables suscite de l’intérêt à l’international, car un certain nombre de pays voient des possibilités pour importer ce surplus d’énergie. Un point d’attention particulier se porte sur l’hydrogène décarboné, plus facilement transportable que l’électricité. Il serait produit grâce au développement de capacités renouvelables sur le continent africain, puis exporté afin de contribuer à la décarbonation de l’industrie lourde ou des transports aériens et maritimes, pour lesquels l’électrification est difficile techniquement.

D’après une étude prospective de Deloitte, l’Afrique du Nord serait à horizon 2050 la principale exportatrice d’hydrogène décarboné à horizon 2050, et approvisionnerait principalement l’Europe [11]. Cela est d’autant plus intéressant pour le vieux continent dans la mesure où il pourrait manquer d’espace pour installer suffisamment de capacités de production d’énergies renouvelables pour produire de l’hydrogène vert, en plus des autres usages de l’électricité.

Les difficultés et remises en question face au développement des énergies renouvelables en Afrique

Mais il y a un risque pour que ce développement massif vers les énergies renouvelables ne profite pas aux Africains, et soit entièrement tourné vers l’exportation. Le directeur général de l’Iddri, Sébastien Treyé, a confié à Novethic ses réserves :

« Tout l’enjeu va être d’éviter que cette énergie propre soit pillée. Il y a beaucoup de mirages sur l’hydrogène vert transporté sur de longues distances. Mais même si l’hydrogène vert est utilisé localement, il faudra s’assurer qu’il va servir la trajectoire d’industrialisation du pays, ce qui est loin d’être gagné » [12].

Le rapport de force semble néanmoins évoluer en faveur de l’Afrique. Olumide Abimbola, fondateur et directeur de l’Africa Policy Research Institute, explique à Novethic que « les gouvernements africains cherchent des moyens de garantir que les ressources ne seront pas seulement exportés hors du continent, mais que la valeur ajoutée se produira sur le continent ». L’exemple de la Namibie est parlant : le pays a d’abord accueilli la proposition de l’Allemagne de produire de l’hydrogène décarboné entièrement destiné à l’export, puis a introduit comme condition préalable l’accès à l’électricité de ses habitants et l’accès à l’électricité pour industrialiser le pays [12].

Le principal obstacle au développement des énergies propres en Afrique est celui de son financement. Un rapport de l’AIE sur le sujet [13] souligne que bien que l’Afrique représente un cinquième de la population mondiale, la région n’attire actuellement que 3% des investissements mondiaux dans le domaine de l’énergie.

Le coût très élevé du capital, 2 à 3 fois plus élevé que dans les économies avancées et en Chine, freine les investissements sur le continent, alors que pour assurer la transformation du système énergétique africain, les investissements devraient doubler d’ici 2030, pour atteindre 200 milliards de dollars par an. Le sommet de Nairobi a permis de mobiliser 23 milliards de dollars d’investissements supplémentaires [9], et l’initiative Global Gateway de l’Union Européenne investira 150 milliards d’euros en Afrique d’ici 2030 pour soutenir son développement et sa transition écologique, ce qui inclut donc le développement des énergies renouvelables [14].

Cela est conséquent mais reste insuffisant pour combler l’écart. Par ailleurs, dans l’Accord de Paris, les pays développés se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, pour aider ceux en développement à diminuer leurs émissions et à faire face au dérèglement climatique. Cet objectif a été atteint mais avec du retard, en 2023 [15]. La problématique des transferts financiers du Nord vers le Sud constituent régulièrement un point de crispation entre pays.

Une étude publiée en septembre 2023 par le World Resources Institute questionne la viabilité de scénarios de transition énergétique reposant principalement sur les énergies renouvelables en Afrique [16], et appelle à approfondir les analyses avant de s’engager sur une trajectoire. Les principales réserves portent sur le financement des technologies renouvelables, la capacité du continent à électrifier ses usages notamment pour la cuisson, les transports et l’industrie, et la pertinence de l’abandon complet des ressources fossiles.

Le président de l’AIE, Faith Birol, interrogé dans Le Monde en septembre 2023 [17], met en garde contre la position des pays occidentaux face à celle de l’Afrique dans la transition énergétique :

« L’attitude dogmatique des pays occidentaux, qui souhaitent empêcher l’Afrique d’utiliser son gaz, revient à lui interdire de s’industrialiser ».

En effet, l’enjeu premier en Afrique est celui du développement :

« l’Afrique a besoin d’énergie pour développer une industrie agroalimentaire, des usines d’engrais, de ciment, la désalinisation de l’eau… Sur le plan technique, les procédés de fabrication dans ces filières exigent des températures qui ne peuvent être atteintes avec les énergies renouvelables ».

Ainsi, il soutient que l’Afrique devra utiliser toutes ses réserves de gaz. Cela devrait avoir un effet marginal sur les émissions de gaz à effet de serre ; d’après les calculs de l’AIE, si l’Afrique subsaharienne utilisait toutes ses réserves en gaz, sa part dans les émissions mondiales liées à la combustion des énergies fossiles passerait de 3 à 3,5%.

Tout cela doit également être mis en perspective avec le fait que l’Afrique a une responsabilité limitée dans le dérèglement climatique, reconnue par l’Accord de Paris en les termes d’une responsabilité commune mais différenciée. Sur l’ensemble des émissions depuis le début de l’ère industrielle, le continent africain a contribué à seulement hauteur de 9,6% [18], quand les États-Unis sont responsables de 23,3% et l’Union Européenne de 13,7% du total.

Sources

[1] Agenda 2030 en France. ODD 7 – Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable [en ligne] (page consultée le 13/10/2023). https://www.agenda-2030.fr/17-objectifs-de-developpement-durable/article/odd7-garantir-l-acces-de-tous-a-des-services-energetiques-fiables-durables-et

[2] IRENA and AfDB (2022). Renewable Energy Market Analysis: Africa and Its Regions, International Renewable. Energy Agency and African Development Bank.

[3] IEA, IRENA, UNSD, World Bank, WHO (2021). Tracking SDG 7: The Energy Progress Report. World Bank.

[4] Götze, S., Hecking C. (2023, 12 février). L’Afrique, nouvel eldorado solaire ou géant des fossiles ? Courrier International

[5] IEA (2022). Africa Energy Outlook 2022

[6] IRENA, Banque de développement KfW, Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH (2020). La transition vers les énergies renouvelables en Afrique – Renforcer l’accès, la résilience et la prospérité

[7] IRENA (2019). Scaling Up Renewable Energy Deployment in Africa

[8] IEA (2019). Africa Energy Outlook 2019

[9] Gemenne, F. (2023, 9 septembre). Sommet sur le climat : L’Afrique prête à passer “directement aux énergies renouvelables sans passer par la case des énergies fossiles”, bonne solution pour les pays émergents selon François Gemenne. Zéro émission sur France Info

[10] IEA (2022). World Energy Outlook 2022

[11] Deloitte (2023). L’hydrogène vert : un accélérateur de transition vers la neutralité carbone [en ligne] (page consultée le 13/10/2023). https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/sustainability-services/articles/hydrogene-vert-accelerateur-de-transition-vers-neutralite-carbone.html

[12] Alvarez C. (2023, 11 septembre). La ruée vers les énergies renouvelables, miracle ou mirage économique pour l’Afrique ? Novethic

[13] IEA (2023). Financing Clean Energy in Africa

[14] Commission Européenne (2021). UE-Afrique: paquet d’investissement «Global Gateway» [en ligne] (page consultée le 13/10/2023). https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/stronger-europe-world/global-gateway/eu-africa-global-gateway-investment-package_fr

[15] Alvarez C. (2023, 23 juin). Sommet pour un nouveau pacte financier mondial : les cinq annonces à retenir. Novethic

[16] Sterl, S., R. Shirley, R. Dortch, M. Guan, A. Turner. 2023. Un chemin à travers le Rift : Éclairer les transitions énergétiques en Afrique en identifiant des questions critiques et besoins en données. Dossier d’information. World Resources Institute.

[17] Caramel, L. (2023, 6 septembre). Sommet africain pour le climat : « L’Afrique doit pouvoir utiliser ses réserves de gaz pour ses propres besoins », Faith Birol. Le Monde

[18] CEA (2021). Quelles sont les contributions des différents pays au changement climatique ? [en ligne] (page consultée le 14/10/2023). https://www.cea.fr/drf/Pages/Actualites/En-direct-des-labos/2021/quelles-sont-les-contributions-des-differents-pays-au-changement-climatique-.aspx

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