Article d’Emma Victor (IGE 2022-23)
Introduction
« Je pense qu’il n’y a pas de climatosceptiques en viticulture »
Voilà ce que déclare Gaëlle Reynou-Gravier, vigneronne au Domaine de Perreau en Dordogne, au micro de France Inter. En effet, ces dernières années, les vignerons français, et plus généralement les agriculteurs, ont été particulièrement exposés à des événements climatiques extrêmes : canicules, sécheresse, gel tardif, grêle et pluies diluviennes… Autant d’événements qui risquent d’être de plus en plus fréquents et intenses à l’avenir. Or, la qualité et les caractéristiques d’un vin et d’un millésime dépendent grandement des conditions météorologiques auxquelles sont exposées les vignes.
Nos vignobles subissent d’ores et déjà les conséquences du changement climatique et à horizon 2050, les conditions de production des vins, leurs caractéristiques, leurs arômes mais aussi les marchés auront profondément changé.
La France étant le 1er pays exportateur et le 2ème pays producteur mondial de vin, l’adaptation de la filière au changement climatique est un enjeu crucial qui mobilise l’ensemble des acteurs de la filière : chercheurs en agronomie, viticulteurs, négociants, instituts techniques…
Quelques chiffres clé :
Les effets du changement climatique sont déjà là
Quelles conséquences du changement climatique ont été constatées ?
Depuis 1900, la température moyenne de l’air ambiant a augmenté de 1,4°C en France, et d’ici la fin du siècle on pourrait atteindre entre +3,4°C et +5,3°C selon les scénarios. Cette augmentation des températures changera probablement le régime des précipitations : sur la période 1959-2009 on a constaté une augmentation moyenne des précipitations dans le nord et une diminution dans le sud, tendance qui pourrait se confirmer dans les prochaines (avec une incertitude élevée selon Météo France).
Cette perte de précipitations associée à l’augmentation de la température moyenne aura comme effet d’intensifier le phénomène d’évapotranspiration et in fine de diminuer la quantité d’eau disponible pour les cultures. Concernant les phénomènes thermiques extrêmes, on s’attend avec une forte probabilité à ce que le nombre de jour très chauds et la fréquence des vagues de chaleur augmentent, ce qui a bien été constaté sur les étés 2019, 2020 et 2022. A l’inverse, il est possible que le nombre de jour de gel diminue, bien que l’on ait observé des épisodes de gel tardif sur les dernières années.
D’après le réseau de scientifiques World Weather Attribution, le changement climatique a augmenté la probabilité d’occurrence d’épisodes de gel en période de bourgeonnement de 20 à 120%, et on s’attend à ce que ces épisodes s’intensifient davantage avec un réchauffement global de 2°C car le bourgeonnement pourrait être encore plus précoce. [1] [4] [5]
Quel rapport avec la vigne ?
Déjà, les rendements peuvent être grandement impactés par un climat aride, chaud et sec prolongé, qui augmente la transpiration des vignes et leur stress hydrique. Les hivers doux sont aussi problématiques, car ils sont propices à un débourrement précoce (moment du réveil végétatif de la vigne à la fin du repos hivernal, quand les bourgeons commencent à s’ouvrir), ce qui peut être dramatique en cas de gel ultérieur au printemps. On se souvient du mois d’avril 2021, où un épisode de gel tardif avait ravagé les vignobles bourguignons. Les vignerons avaient tenté de lutter contre le froid et de sauver leur production en allumant des bougies anti-gel.
D’autres avaient utilisé des câbles chauffants, des systèmes d’aspersion ou encore des hélicoptères : leur passage au-dessus des parcelles dissipe l’humidité et brasse l’air chaud en hauteur avec l’air froid au sol. Malheureusement, malgré tous leurs efforts le gel a causé la perte de 80% des récoltes dans le bourguignon cette année-là. [7] [4] [1]
Du raisin au verre, qu’est-ce que ça change ?
De manière générale, la hausse des températures a pour effet de rendre plus précoces tous les stades de développement de la vigne : débourrement, floraison et véraison (stade où 50% des baies d’une grappes sont mûres). Par conséquent, les grappes murissent dans des conditions de plus en plus chaudes ce qui donne des raisins plus pauvres en acides, très riches en sucre et in fine, des vins plus forts en alcool. L’équilibre acide/sucre/composés secondaires se retrouve donc perturbé, ce qui change l’équilibre gustatif des vins.
Par exemple sur les derniers millésimes, les arômes caractéristiques de fruits frais des Bordeaux ont eu tendance à laisser place à des notes de fruits confiturés, typiques des vins issus de régions plus méridionales. La baisse de l’acidité des vins quant à elle, pourrait entraîner des conséquences négatives sur la qualité et la conservation des vins. En conséquence de cette maturation précoce, les périodes de récolte se font plus tôt dans l’année : comme on peut le voir sur la figure suivante, la date des vendanges a avancé dans tous les vignobles français de plusieurs semaines en quelques décennies (2 semaines en 25 ans dans le Bordelais, et quasiment 1 mois en Alsace). [8] [9] [2]
Actuellement, ce sont surtout les vignobles du sud du pays qui sont le plus impactés, notamment par le manque d’eau. Globalement, on s’attend à ce que tous les impacts déjà observés sur les vignes s’aggravent dans les prochaines années, ce qui rendra leur culture de plus en plus difficile à mesure que la température moyenne de l’air augmentera. Selon les scenarios de réchauffement, il est possible qu’à l’horizon 2050 de nouvelles régions développent un potentiel viticole, notamment les régions plus au nord du pays ou plus en altitude. Depuis quelques années, on voit notamment réapparaître des vignes en Bretagne ou encore des parcelles réinvesties plus en altitude et orientée vers le nord dans le Languedoc. [1] [10]
Quelles adaptations sont possibles ?
« Il faut qu’on adapte notre vignoble, il faut qu’on adapte nos techniques de travail à la vigne et au chai, puisqu’à un degré d’alcool trop important dans les vins fait que le vin devient invendable. Petit à petit, année après année, on modifie un petit peu l’assemblage général de la propriété et donc des vins. Ce qui va nous permettre de jouer sur la quantité d’alcool produit dans nos vins. » [4]
Dans cet extrait du podcast Vin et changement climatique, Xavier Buffo directeur du Château de la Rivière dans le bordelais explique très bien les enjeux de l’adaptation de la vigne, qui passera d’après lui par une modification des pratiques à la vigne en amont, mais aussi par une évolution des techniques de vinification en aval.
En 2012, le programme LACCAVE de l’INRAE a vu le jour afin de mener des recherches sur les effets du changement climatique sur le vignoble français mais aussi d’étudier et de faire tester de nombreuses solutions d’adaptation à des vignerons.
Il a abouti sur une stratégie d’adaptation de la filière viticole face au changement climatique, qui propose différentes approches : modifications des pratiques culturales, changement de cépage ou encore transformation des processus œnologiques. Autant de solutions qui font déjà leurs preuves.
Cépages et génétique
Le levier le plus puissant pour l’adaptation de la vigne au changement climatique est de choisir un matériel végétal adapté à la hausse des températures, au stress hydrique ainsi qu’à la production de raisins moins riches en sucre. [2]
En choisissant des variétés qui mûrissent plus tardivement et qui résistent mieux à la sécheresse, au stress hydrique, à la chaleur, ou qui sont plus riches en acide et moins riches en sucre, on vient contrebalancer les effets du changement climatique sur la vigne et le vin. Par exemple, certains vignerons essaient de limiter la part de Merlot dans leurs assemblages au profit d’autres cépages plus résistants et donnant moins d’alcool comme le Malbec et les Cabernets. En effet, le Merlot donne des vins relativement peu acides et riches en alcool, il est de plus assez sensible à la sécheresse et au gel tardif, ce qui en fait un cépage particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique.
Une autre voie d’adaptation est de passer par la création de variétés hybrides : on peut modifier les cépages (partie aérienne de la plante) ou leurs porte-greffes (partie souterraine) en favorisant des variétés plus tardives et plus tolérantes à la sécheresse et la chaleur. Mais le développement de nouvelles espèces est un processus nécessitant 10 à 15 ans de travail. [9]
On pourrait aussi utiliser des cépages venant de pays plus méridionaux comme l’Italie ou la Grèce, qui seraient davantage adaptés à un climat plus chaud, ou de choisir des porte-greffes supportant des contraintes hydriques sévères, comme le souligne Lilian Bérillon, pépiniériste spécialiste de la vigne à Châteauneuf-du-Pape :
« On veut que la vigne s’installe en profondeur pour [que les racines] aillent le plus profond possible chercher cette fraîcheur qui lui est nécessaire. Si on n’utilise pas ce mode d’implantation pour créer les vignobles qui vont résister aux changements climatiques c’est mort quoi. » [4]
Modifier les pratiques culturales
Par le passé, les pratiques agronomiques visaient essentiellement à faire mûrir les raisins. Pour cela, l’objectif était d’aller chercher un ensoleillement maximal des grappes : en effeuillant la vigne et en diminuant le nombre de grappes par exemple. Aujourd’hui et à l’avenir, c’est tout l’inverse : on cherche à protéger les vignes d’un ensoleillement trop puissant, ainsi qu’à limiter au maximum le stress hydrique en ayant recours à une gestion durable de l’eau. Les pratiques tendront par exemple vers un effeuillage minimal et/ou un ombrage de la végétation qui permettront de protéger les grappes du soleil.
Pour lutter contre le manque d’eau, on pourrait utiliser des amendements organiques et un enherbement permanent qui permettraient de mieux garder la fraicheur et de favoriser la rétention d’eau dans les sols, ou encore de dédensifier les parcelles pour réduire la demande en eau. Le but est de développer le maximum de techniques dites sèches, c’est-à-dire sans irrigation, mais dans les cas où ce ne serait pas possible, le recours à l’irrigation au goutte-à-goutte peut être envisagé.
Bien que cette méthode permette de gérer avec précision les apports en eau, elle reste assez critiquée en raison de questions de partage de la ressource en eau, mais aussi très encadrée par la réglementation : autorisée pour les vins de pays et de table (IGP), l’irrigation et très rarement autorisée pour les vins d’appellation (AOC) qui représentent la majorité du marché français.
L’adaptation peut aussi passer par des pratiques agroécologiques: le développement de haies autour des parcelles permet de jouer un rôle d’ombrage, de couper le vent pour réduire le desséchement du sol, tout en favorisant le stockage de carbone dans le sol. On peut aussi mentionner l’arrivée de l’agrivoltaïsme, qui consiste à installer des panneaux photovoltaïques au-dessus des vignes pour les protéger de la grêle, des intempéries ou d’un ensoleillement trop intense, en plus de produire de l’énergie renouvelable. [2] [9] [4] [8]
Corriger en aval grâce à l’œnologie
Le changement climatique donne des moûts de raisin plus riches en sucre et des vins plus alcoolisés. Ces deux effets peuvent être corrigés en utilisant les pratiques œnologiques adaptées, les deux enjeux majeurs étant donc de limiter le degré d’alcool et de renforcer l’acidité, afin de garder bon équilibre à la dégustation ainsi qu’un potentiel de conservation des vins. Pour cela, les pratiques œnologiques consistent à acidifier et/ou désalcooliser les moûts de raisin ou les vins. Les méthodes habituellement employées pour désalcooliser les vins se font soit en amont, donc au moment de la fermentation, soit en aval pour corriger le degré d’alcool sur vin fini.
En amont, il est possible de sélectionner des levures ayant un faible rendement en alcool, qui ne convertissent donc pas totalement le sucre en alcool, ou qui le convertissent dans des composés secondaires. Aussi, on peut réaliser la désalcoolisation par simple évaporation, qui consiste à ventiler les vins pendant plusieurs heures à pression et température ambiante.
Enfin, il existe des méthodes pour agir en post-fermentation, comme la distillation ou encore des procédés de filtration sur membranes (ultrafiltration, nanofiltration, osmose inverse). Toutes ces méthodes constituent des solutions de choix pour répondre au changement des conditions climatiques, mais elles suscitent encore de nombreux questionnements sur les aspects techniques et réglementaires. [9] [2] [1] [11]
Conclusion
Malgré sa forte vulnérabilité aux effets du changement climatique, le secteur viticole a su préparer une stratégie d’adaptation complète, proposant une grande diversité de solutions. Ces changements de pratiques se heurtent tout de même à la réglementation, notamment pour les vins labellisés AOP, AOC ou IGP. Les cahiers de ces appellations étant très stricts, l’adaptation de la filière et des pratiques s’accompagnera probablement par une évolution de la réglementation.
Quoiqu’il en soit, la vigne peut encore tirer profit de ces nouvelles conditions climatiques et se prépare dès à présent à ces changements en actionnant différents leviers d’adaptation, tout en contribuant à l’atténuation du changement climatique. Des outils de bilans carbone dédiés à la filière vitivinicole font progressivement leur apparition, avec par exemple GES&Vit, l’outil développé très récemment par l’Institut Français du Vin pour évaluer les émissions de gaz à effet de serre des exploitations viticoles et de comparer différentes pratiques afin d’établir un plan de réduction des émissions.
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Bibliographie
[1] | Nathalie Ollat, Jean-Marc Touzard, «La vigne, le vin, et le changement climatique en France – Projet LACCAVE INRAE,» 2020. |
[2] | INAO, FranceAgriMer, INRAE, IFV, «Stratégie d’adaptation de la filière viticole face au changement climatique,» 2021. |
[3] | «Infographie – La viticulture française,» Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, 28 mars 2022. [En ligne]. Available: https://agriculture.gouv.fr/infographie-la-viticulture-francaise. |
[4] | Nathalie Ollat, Gaëlle Reynou-Gravier, «Vin et changement climatique,» La Terre au carré – France Inter, 10 janvier 2022. [En ligne]. Available: https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-lundi-10-janvier-2022-2328386. |
[5] | World Weather Attribution, «Human-caused climate change increased the likelihood of early growing period frost in France,» 15 juin 2021. [En ligne]. Available: https://www.worldweatherattribution.org/human-caused-climate-change-increased-the-likelihood-of-early-growing-period-frost-in-france/. |
[6] | A. Verne, «Gel : quelle est l’ampleur des dégâts dans les vignes de Bourgogne ?,» France 3 Bourgogne Franche-Comté, 6 avril 2022. [En ligne]. Available: https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/yonne/gel-quelle-est-l-ampleur-des-degats-dans-les-vignes-de-bourgogne-2519184.html. |
[7] | A. Verne, «Gel : dans les vignes de Bourgogne, l’angoisse des gelées de printemps,» France 3 Bourgogne Franche-Comté, 3 avril 2022. [En ligne]. Available: https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/cote-d-or/gel-dans-les-vignes-de-bourgogne-l-angoisse-des-gel. |
[8] | C. Boulle, «Vins du réchauffement climatique : des fruits frais aux fruits cuits,» Polytechnique insights, 18 mars 2021. [En ligne]. Available: https://www.polytechnique-insights.com/dossiers/planete/vin-quimporte-le-climat-pourvu-quon-ait-livresse/comment-adapter-le-vignoble-au-changement-climatique/. |
[9] | C. Boulle, «Polytechnique insights adaptation Touzard,» Comment adapter le vignoble au changement climatique, 18 mars 2021. [En ligne]. Available: https://www.polytechnique-insights.com/dossiers/planete/vin-quimporte-le-climat-pourvu-quon-ait-livresse/comment-adapter-le-vignoble-au-changement-climatique/. |
[10] | G. Gaven, «Réchauffement climatique : la vigne fait son retour en Bretagne,» France Info, 12 novembre 2020. [En ligne]. Available: https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/rechauffement-climatique-la-vigne-fait-son-retour-en-bretagne_4160185.html. |
[11] | Carole Feilhes, François Davaux, Vincent Gerbaux, «Désalcoolisation des vins,» Institut Français du Vin, 2022. |
[12] | Institut Français de la Vigne et du Vin, «Evaluation de l’empreinte carbone des exploitations,» 2 juin 2023. [En ligne]. Available: https://www.vignevin.com/article/outil-devaluation-de-lempreinte-carbone-des-exploitations/. |