Exploration d’une piste d’exploitation durable : le vitivoltaisme
Article de Aurélie DE SALINELLES (RSEDD 2022-23)

Introduction

Il suffit de taper « reconversion vigneron » dans un moteur de recherche pour réaliser l’ampleur du phénomène : les métiers du vin séduisent ceux qui rêvent de changer de vie et surtout se rapprocher de « la terre » et vivre « enfin à son rythme »… Pour ceux qui ont pour ambition de diriger un domaine viticole, le passage par la case formation et stage est obligatoire… et (re)met vite les pieds sur terre ! Une Terre qui ne tourne plus rond avec le changement climatique qui touche rudement la filière.

Très vite, les apprentis vignerons sont confrontés à la violence de l’impact du dérèglement climatique (événements extrêmes qui ruinent les cultures, nécessité d’adaptation du matériel végétal…) et amenés à réfléchir à des modes d’exploitation durable. L’enjeu est de taille : le dernier rapport France Agrimer envisage une bascule totale et déjà observable de la physiologie de la vigne et même des zones pouvant accueillir sa culture d’ici 2050[1].

La France préserve son potentiel de production de raisins de qualité
La France préserve son potentiel de production de raisins de qualité

Des décisions permettant l’adaptation doivent être prises dès aujourd’hui ! Alors, loin des stéréotypes romantiques du vigneron, à quelle réalité ceux-ci sont confrontés à l’heure du changement climatique et quels choix ont-ils pour s’adapter à cette nouvelle réalité ? Quelles options ont-ils pour agir et s’engager dans une exploitation durable, la seule à même de sauvegarder l’économie des territoires mais aussi leur terroir… Les expérimentations de vitivoltaisme menées dans le sud de la France en sont une belle illustration.

Des constats visibles et des impacts alarmants

Pour comprendre ce que vit la filière viticole, il faut observer les signes du changement climatique et constater ses impacts sur la physiologie de la vigne et ses effets sur la composition du vin. Les scénarios d’évolution du climat, décrits par le dernier rapport du GIEC, prévoient une hausse de 1,5°C à 2°C entre 2021 et 2040[2], avec des variations en fonction des saisons et régions. Cette augmentation de température s’accompagne d’un changement de régime des pluies et des besoins en eau des cultures, la variabilité du climat et l’accroissement des événements extrêmes (vagues de chaleur, pluie intense) …

Les viticulteurs ont déjà été contraints à faire face aux canicules 2003 et 2006, au printemps très chaud et sec de 2011, au gel début 2012, à l’été très pluvieux en 2013, aux hivers 2015-2016 extrêmement doux, à la sécheresse de 2019, au gel du printemps 2021… Outre ces événements extrêmes ponctuels, l’impact du changement climatique se vit jour après jour, avec des températures en hausse et des précipitations en baisse dans le sud. L’augmentation de la température enregistrée cette dernière décennie a déjà provoqué des changements observables sur la physiologie de la vigne et sur les caractères des vins.

L’étude de la phénologie de la vigne consiste à enregistrer annuellement le retour des stades de croissance et de développement de la plante, et étudie les facteurs qui l’influencent : débourrement, floraison, nouaison, véraison, maturité, récolte… Elle permet de constater un avancement de ces différents stades, y compris pour la date de vendange qui se réalise aujourd’hui en moyenne près de 2 semaines plus tôt par rapport à 1980.

Ce changement profond du cycle végétal a un fort impact sur la composition du vin : augmentation du degré alcoolique, baisse de l’acidité du raisin à la récolte et modification du profil aromatique et phénolique qui définit le corps, la saveur ou encore la couleur du vin.  De manière générale, on remarque également une baisse de rendement dans certaines régions.

Une adaptation nécessaire

A l’horizon 2050, le changement climatique aura modifié à la fois les conditions de production des vins, leurs caractéristiques organoleptiques et leurs marchés. Dès à présent, la filière viticole doit se préparer à ces changements en proposant des leviers d’adaptation et en s’engageant à contribuer à l’atténuation du changement climatique.

Le projet LACCAVE est une initiative des chercheurs INRAE pour répondre aux questions des professionnels : comment aider les acteurs de la filière viti-vinicole à se préparer au climat de demain ?  Depuis 2012, il s’attache à fournir des pistes opérationnelles d’adaptation au niveau national, région par région, vignoble par vignoble.

Ces pistes ont été présentées à 600 acteurs de la filière entre 2017 et 2019, ce qui a permis d’initier une véritable prise de conscience de l’urgence d’agir mais aussi la mise en œuvre d’une démarche participative nécessaire, la solution « clé en main » n’étant pas valable pour des vignobles français inégaux par leurs terroirs, surfaces ou volumes de production. Quatre scénarios d’adaptation ont été identifiés[3]  :

  • Le chemin conservateur avec un changement à la marge et une adaptation passive
  • Le chemin de l’innovation qui ouvre les vignobles à l’innovation technique
  • Le chemin nomade qui vise à relocaliser les vignobles vers les régions appropriées du futur
  • Le chemin libéral qui laisse la liberté d’entreprise du « tout est possible partout »

Dans tous les cas, l’adaptation peut (et doit) associer différents leviers d’actions.  Elle se fera en plusieurs étapes qui pourront se combiner différemment dans chaque région selon leurs atouts mais aussi leur spécificité. La modification des pratiques viticoles est un levier préalable à l’adaptation, quelque soit le scénario choisi.

Enjeux de modification des pratiques agricoles

La nécessité de réduction des impacts négatifs de la filière sur son environnement est une évidence, à commencer par l’empreinte carbone et hydrique des exploitations. Pour la filière viticole, l’empreinte carbone est estimée à 0,3% des émissions annuelles de GES (2% de la contribution du secteur agricole qui est de 14%) et l’empreinte hydrique varie de 0,5L à 20L/L de vin suivant les habitudes des exploitations.

Les voies principales identifiées pour la viticulture et l’œnologie pour réduire les émissions de GES sont les consommations électriques et le choix des intrants. De fait, la filière viticole conçoit la durabilité comme portée sur deux piliers indissociables : réduire l’empreinte environnementale de l’exploitation et préserver la qualité et la conservation des vins.

Dans le cadre de l’étude de ce que l’on peut qualifier comme offre durable « combinatoire », un certain nombre d’acteurs explore vitivoltaisme, c’est-à-dire l’association d’une production d’énergie photovoltaïque à la production viticole sous les panneaux, qui vise à atténuer le changement climatique. En effet, les PV génèrent de l’électricité (utilisable en autoconsommation partielle ou totale pour l’exploitation) ce qui permet de réduire l’empreinte carbone net tout en protégeant les vignes des aléas climatiques.

Parmi ces expérimentations, intéressons-nous à des résultats particulièrement probants dans le sud de la France, entre les Pyrénées Orientales et le Var, à la pointe des expérimentations internationales menées dans ce domaine.

Le vitivoltaisme, porteur d’espoirs multiples

Nidolère est un important domaine viticole dans les Pyrénées Orientales. Son association avec Sun’R dans le cadre d’un programme de recherche Sun Agry a permis de mettre en œuvre une véritable centrale solaire à Tressere sur 30ha de vignes (chardonnay, grenache blanc, marselan) permettant une production 3200MW/h. Les multiples partenaires de l’opération (INRA, Chambre d’Agriculture, Département, Mairie, Bouygues Energie & Services) montrent la diversité des attentes autour de cette expérimentation médaillé d’or Sitevi Innovation en 2019.

La deuxième installation photovoltaique est réalisée sur une parcelle viticole dont la production est traitée par la coopérative de Mont Major, dans le Var. Le système Ombréa y a été déployé par une startup, en 2018, sur 10 ares de vignes existantes (caladoc et grenache). Le projet est financé par l’énergéticien qui porte l’installation. Là encore, la diversité des partenaires (Institut français de la vigne et du vin, Société du canal de Provence et Groupama) démontre que les attentes sont larges, y compris côté prévention et assurance des aléas climatiques[4].

Pour ces deux exploitations, le constat initial est celui du réchauffement climatique déjà décrit : jaunissement des feuilles (grillure), maturité avancée, degré d’alcool augmenté, moins d’acidité, plus de sucre, modification des profils aromatiques et polyphénoliques, baisse de rendement… L’idée du vitivoltaisme c’est le basculement adaptatif de panneaux solaires au-dessus des vignes. Le procédé technique varie selon l’expérimentation mais l’objectif premier est le même : répondre au stress hydrique des ceps.

A Tressere, les panneaux sont pilotés comme des persiennes pour étendre le maximum d’ombre sur la vigne aux heures critiques. En position à plat, ils protègent de la pluie battante, du soleil brûlant, du gel ou de la grêle.  Des capteurs permettent de mesurer la quantité d’eau et la température de la culture pour adapter le dispositif. Le couplage d’un système d’irrigation goutte à goutte aérien complète l’installation. Parallèlement, l’électricité produite par les panneaux est réinjectée dans le réseau.

A Mont Major, c’est un système d’ombrière dépliantes réagissant à des capteurs (pluviométrie, humidité du sol, hygrométrie, flux de sève) pilotés par intelligence artificielle qui permet un ajustement du microclimat de la vigne. Là encore, la position à plat protège de la pluie et évite les pertes de chaleur de nuit. Un filet paragrêle ainsi qu’un système d’irrigation aérien sont également intégrés à l’installation.

Mont Major
Système d’ombrière dépliantes à Mont Major.

Dans les deux cas, l’implantation du dispositif photovoltaique permet le passage des engins nécessaires à l’exploitation, bref une combinaison culture – technique de pointe attrayante… Un attrait qui se confirme lorsque l’on constate, après plusieurs saisons d’expérimentation, que le sol ombragé reste humide et que l’on y retrouve des maturités d’avant changement climatique !

Limitation des intrants pour la plante et l’exploitation

Préservation de la surface foliaire (la feuille est plus verte et non altérée), vigueur de la vigne (baies plus lourdes de 4%), production de vins blancs et rouge plus acide et équilibre, baisse d’1° d’alcool, baisse du taux de sucre, couleur moins accentuée, murissement optimal… Le résultat est sans appel en ce qui concerne la physiologie et la composition du vin !

Le système semble également assurer un cycle végétatif optimale de la vigne : après la récolte, les vignes sous ombrière conservent leurs feuilles plus longtemps, on constate un meilleur aoutement et une meilleure mise en réserve. Le débourrement se passe mieux l’année suivante. Ces résultats extrêmement encourageants permettent d’envisager de maintenir la diversité variétale des cépages (pas de modification culturale) et la typicité des vins régionaux tout en limitant les intrants à chaque stade, dans le cadre du développement de la plante puis de la vinification.

L’économie d’eau est ainsi évaluée à 30% grâce à l’action de contrôle du stress hydrique permise par les panneaux solaires qui apportent de l’ombre et limitent l’évaporation. Cela permet de limiter et même dans le cas de Nidolère de supprimer l’utilisation des activateurs ou retardateur de croissance grâce à une maturation contrôlée.

Au stade de l’équilibre organoleptique (composition du vin), le dispositif résout les problèmes d’altération des arômes et de hausse du degré d’alcool. Il permet aussi de maintenir les anthocyanes (pigments qui procurent sa couleur au vin) et de retrouver un bon équilibre entre les sucres et les acides (en effet, ces derniers sont « brulés » par des températures supérieures à 35°) qui ont également une action de lutte contre les attaques microbiennes.

Plus étonnant, le dispositif va également avoir un effet limitant « mécanique » sur les intrants phytosanitaires en protégeant la vigne d’un contact direct avec l’eau de pluie qui est à l’origine de la majorité des maladies (mildiou, oidium, black-rot et excoriose) et les capteurs météorologiques installés permettent d’anticiper les développements épidémiques tels que le mildiou.

Pour l’exploitation, la limitation des besoins en eau permise par le dispositif est primordiale, particulièrement dans un contexte où les restrictions d’eau sont de plus en plus fréquentes et où la protection des nappes souterraines est une priorité. La mise en place d’un dispositif photovoltaïque d’ampleur apporte également un intérêt plus « classique » en limitant leur recours aux énergies fossiles notamment grâce une couverture énergétique durable de tout le cycle de production (bâtiment et matériel agricole, cave, chai de vinification). Cela représente un gain économique conséquent (entre 8 et 12% des charges du compte d’exploitation) et une réduction forte des émissions de CO2 (3000Teq CO2 pour le domaine de Nidolère).

Nidolère
Nidolère, un important domaine viticole dans les Pyrénées-Orientales.

En effet, sur le papier, le vitivoltaisme semble finalement répondre à de nombreux problèmes et même résoudre le conflit de l’usage du sol dans un contexte de recherche de surfaces disponibles pour permettre de doubler la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique français ! Mais c’est là qu’est peut-être « le ver dans le fruit » ! Ce qui parait comme une manière de résoudre le conflit de sol ne doit en aucun cas devenir un alibi au risque de porter atteinte au foncier agricole et à la pérennité du métier alors que les terres cultivées décroissent d’années en années : « Quand la production électrique rapporte beaucoup plus que l’agriculture, c’est le pot de terre contre le pot de fer » s’inquiète Julien Thiery, chef du service viticulture à la chambre d’agriculture des PO, département à la pointe en matière de vitivoltaisme.

C’est pour cela que la mise en œuvre doit être raisonnée et implique que la production d’énergie soit minime et au service de l’agriculture avec un intérêt financier réduit au maximum. Dans le sillage des expérimentations en cours, on perçoit bien la nécessité d’une réglementation claire pour encadrer le phénomène et éviter les dérives : le vitivoltaisme doit rester un outil de contrôle climatique pour rendre la viticulture résiliente, moins dépendante au changement climatique. Il ne peut s’agir d’une production de remplacement pour les viticulteurs mais bien d’un moyen de gagner en régularité de production et d’assurer la pérennité de leur exploitation. Il en va aussi de la sauvegarde de notre culture, de l’économie de nos région et du plaisir de pouvoir encore envisager déguster un bon verre de vin pour oublier notre inconséquence climatique.

 

Sources

FranceAgriMer. Stratégie de la filière vitivole face au changement climatique

FranceAgriMer (2016). Une prospective pour la filière Vignes et Vins dans le contexte du changement climatique. Les synthèses de France AgriMer n° 40 (21p) https://www6.inrae.fr/laccave/content/download/3256/32764/version/1/file/N40_A4-Prospective%20 Vin%20et%20Vigne.pdf

INAO (2018). « Propositions relatives à l’établissement d’une stratégie nationale de la filière viticole vis-à-vis des évolutions climatiques ». Document d’orientation, présenté à la session du 15 novembre 2018 du Comité national des appellations d’origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées, et des boissons spiritueuses Ollat N, Touzard J (2014) Long-term adaptation to climate change in viticulture and enology: the LACCAVE project. Journal International des Sciences de la Vigne et du Vin Spécial Laccave:1:7 INRAE (2018).                                                                                                                                                        Infographies réalisées dans le cadre du projet LACCAVE. Rédaction : Nathalie Ollat https://www6.inrae.fr/laccave/Actualites2/Plaquette-La-vigne-le-vin-et-le-changement-climatique

Climagri (2019). Rapport étude Climagri Occitanie, septembre 2019, Christel Chevrier, Nelly Dubosc, André Cascailh, Pierre Goulard, Sandrine Thibaut, Julie Bodeau

Chambre régionale d’agriculture Languedoc-Roussillon : Système viticoles à faible niveau d’intrants phytosanitaires dans l’arc méditerranéen, Christel Chevrier

Vitisphère, Agrivoltaisme, 26 projets photovoltaïques dans le vignoble pour Sun’Agri, Michèle Trévoux, 06 avril 2021, vitisphere.com

Vitisphère, Anti-coup de soleil et antigrêle pour cette vigne sous ombrière photovoltaïque, Alexandre Abellan, 30 novembre 2021

Campagne et environnement, le magazine de l’agriculture durable Cultures et photovoltaïque, une association prometteuse | Culture Agri (campagnesetenvironnement.fr)

Mon-viti.com, Des vignes à l’ombre des panneaux solaires, Emmanuelle Thomas, le 11/07/2016

Themis solaire innovation, livret exposition, l’histoire de l’énergie solaire dans les P.O, La centrale solaire de Tresserre, 2018, Sun’R

Article journal Libération du 05/12/2021

Enquête – Agrivoltaïsme : attention à ne pas tomber dans le panneau

Agrivoltaïsme : attention à ne pas tomber dans le panneau – Libération (liberation.fr)

[1] FranceAgriMer (2016). Une prospective pour la filière Vignes et Vins dans le contexte du changement climatique. Les synthèses de France AgriMer n° 40 (21p)

[2] Ce qu’il faut retenir du 6e rapport d’évaluation du GIEC, écologie.gouv.fr

[3] INAO (2018). « Propositions relatives à l’établissement d’une stratégie nationale de la filière viticole vis-à-vis des évolutions climatiques ».

[4] Vitisphère, Anti-coup de soleil et antigrêle pour cette vigne sous ombrière photovoltaïque, Alexandre Abellan, 30 novembre 2021

 

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