Article de Véronique Magny (RSEDD 2022-23)
Introduction
La Fabrique des pandémies est un ouvrage écrit durant le covid et publié en 2021. Il traite du lien entre les maladies et la biodiversité. Son auteur, Marie-Monique Robin, est journaliste d’investigation, réalisatrice et écrivain. Elle a réalisé une quarantaine de films, souvent le fruit d’une longue enquête de terrain. Ses premiers métrages offrent un regard critique sur la situation des droits de l’homme dans différentes régions du monde. Depuis presque vingt ans, Marie-Monique Robin s’intéresse plus particulièrement aux menaces qui pèsent sur la biodiversité. Elle a notamment réalisé en 2008, le film documentaire Le Monde selon Monsanto.
Les animaux, des réservoirs de pathogènes
La Fabrique des pandémies a été écrit à partir d’entretiens avec plus de soixante chercheurs du monde entier. Il démontre que la destruction des écosystèmes et la globalisation menacent directement la santé planétaire. En effet, dans nos sociétés modernes, la santé, c’est la médecine : quand un problème de virus survient, on essaie de le contrôler en investissant massivement dans la recherche d’un vaccin, on ne se soucie pas de savoir d’où vient cette maladie.
Selon l’auteur, la pandémie de covid-19 l’a confirmé, la quête de solutions technologiques (vaccins ou médicaments) a primé sur la recherche approfondie de ce virus inconnu, qui a su infecter des millions de personnes. La réalité est qu’on est incapable de prédire quand et comment un virus X va passer subitement de son réservoir d’origine à d’autres espèces animales et permettre une transmission à l’homme.
En effet, les animaux ont beau être nos amis, ils sont des réservoirs de pathogènes (germes capables de provoquer une maladie) et des vecteurs de maladies, appelées zoonoses. Les zoonoses sont des maladies infectieuses qui se transmettent naturellement de l’animal à l’homme (et vice versa), via un pathogène, une bactérie, un virus ou un parasite. Dans la chaîne de transmission d’une zoonose, le virus est d’abord hébergé dans un animal réservoir, souvent des rongeurs, des singes ou des chauve-souris. Cet animal réservoir transmet le virus à une deuxième espèce animale, appelée « hôte intermédiaire », dans laquelle le virus va évoluer pour ensuite contaminer l’espèce humaine.
Selon l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA),
Les rongeurs représentent 40% des mammifères terrestres, ils constituent le 1er réservoir de maladie zoonique, suivis des primates et des chauves-souris. Une forte mortalité des primates (dont le génome est à 99% similaire à celui de l’humain) doit alerter immédiatement sur le risque très élevé de passage du virus à l’homme. Lors du développement du virus Ebola, c’est précisément ce phénomène qui a eu lieu.
La déforestation favorise l’échange d’agents microbiens
La déforestation est le premier facteur d’émergence des maladies infectieuses. En effet, la destruction des habitats naturels favorise les contacts nouveaux entre les animaux sauvages, les animaux domestiques et les humains. Une augmentation linéaire des épidémies zooniques de 1990 à 2002, puis une accélération nette jusqu’à aujourd’hui a été observée.
Les zones périurbaines dans lesquelles se développent l’élevage et l’agriculture créent des ponts pour les micro-organismes qui étaient abrités dans la biodiversité des forêts, vers la population humaine. En réduisant les espaces forestiers, on contraint des espèces animales à cohabiter ou à se rencontrer de manière beaucoup plus fréquente, ce qui favorise l’échange d’agents microbiens.
Les animaux domestiques constituent aussi un pont épidémiologique entre les animaux sauvages et les hommes. Ils hébergent huit fois plus de virus zoonotiques que les mammifères sauvages. Le cochon joue un rôle central dans le réseau infectieux : il est l’hôte idéal avec 95% de ses gènes identiques à ceux de l’homme. Quand un virus zoonique trouve les clés pour s’introduire chez le porc, c’est la voie royale pour son humanisation.
Lors des pandémies de grippe en 1918, 1967, 1972 ou 2009, le virus a commencé par circuler parmi les oiseaux sauvages, puis parmi les oiseaux d’élevage, ensuite il a atteint le porc et enfin les humains. Le virus est alors devenu transmissible d’homme à homme et l’épidémie s’est enflammée. Lorsque les porcs ou les poulets sont élevés de manière intensive, les pathogènes s’amplifient avant de se transmettre à l’homme. Ainsi les élevages intensifs, aussi bien de porcs que de poulets, augmentent le risque de pandémie de grippe. Les risques sont particulièrement élevés au Mexique et en Asie du Sud-Est.
La biodiversité, un tampon pour lutter contre la propagation des agents pathogènes
La biodiversité est un concept récent. Elle n’existait pas jusqu’en 1980, ni au niveau politique, ni pour le grand public, elle constituait seulement une préoccupation scientifique. Jusqu’à la fin des années 2000, on pensait que la biodiversité pouvait être protégée en mettant une partie de la planète sous cloche tout en laissant l’autre partie aux humains qu’ils pourraient dégrader. Malheureusement, ce courant perdure et les scientifiques se battent pour le faire évoluer.
La diversité des espèces animales et plus généralement la biodiversité, protègent la santé humaine en jouant le rôle de tampon pour la propagation des agents pathogènes. On appelle ce phénomène l’effet dilution, il a été prouvé par de nombreuses études récentes. Le rôle inhibant d’espèces « non compétentes » qui diluent le risque infectieux est distingué du rôle amplificateur d’espèces « compétentes » qui transmettent facilement les parasites (ex : les rongeurs). Ces espèces tampons freinent la propagation de certains pathogènes (virus, bactéries, champignons…). Plus la diversité des espèces animales est importante, moins les virus se propagent.
Quand on fragmente une forêt pour développer de l’agriculture ou des zones périurbaines, les prédateurs fuient car ils ne peuvent pas vivre dans des espaces réduits et la population d’hôtes compétents augmente, ce qui favorise le développement de zoonoses.
Une forte biodiversité en oiseaux réduit la transmission des virus vers l’homme car elle évite l’orientation du virus vers des oiseaux « compétents » (migrateurs, geais, passereaux, moineaux, corneilles) qui transmettraient et développeraient le virus facilement. La diversité dans un champ permet de réduire la transmission de certaines maladies végétales. Les paysans le savent depuis des siècles : l’absence de diversité dans les champs est la principale cause des maladies des cultures.
Le modèle agro-industriel actuel est fragile car dans un champ de blé moderne toutes les plantes sont identiques. Quand un parasite y fait irruption, il se répand comme une trainée de poudre. Dans les forêts des Carpates, en Ukraine, où se trouvent encore des forêts primaires avec une grande diversité d’arbres, le champignon de la chalarose est présent mais produit des dégâts très localisés. L’effet est dilué par la diversité génétique des espèces.
Lier la médecine humaine, la médecine vétérinaire et la biosphère.
Une vision holistique et écologique de la santé est nécessaire à l’avenir afin de ne pas se contenter de soigner un patient mais d’essayer de comprendre l’origine de sa maladie et tous les éléments de son écosystème. « One Health » (une seule santé) est une approche intégrée, systémique et unifiée de la santé publique, animale et environnementale, à l’échelle locale, nationale et planétaire. Elle promeut une collaboration étroite entre médecine humaine et médecine vétérinaire, tout en incluant la biosphère.
Jusqu’au XVIIIème siècle, médecine humaine et vétérinaire relevaient d’un enseignement unique à l’université. Depuis l’ouverture de la première école vétérinaire en 1761, chacune a évolué de son côté comme une discipline radicalement séparée. Cette approche en silos a fait perdre tout contact entre les deux disciplines.
Pourtant, c’est une évidence pour les vétérinaires que les pathogènes passent des animaux à l’homme alors que les médecins semblent le découvrir. A l’OMS, les professionnels de la santé publique qui échangent avec des vétérinaires, des écologues ou des climatologues restent rares alors qu’il est impératif de retravailler ensemble dans une logique écosystémique où les animaux seraient traités pour ce qu’ils sont, à savoir des parents très proches des humains.
« Planetary Health » vise plus loin que « One Health » en exigeant un examen systématique de toutes les activités humaines à travers le prisme de leur impact sur les écosystèmes et la santé globale. Cette approche pluridisciplinaire implique de faire travailler ensemble de très nombreuses fonctions : virologues, parasitologues, zoologues, médecins, vétérinaires, agronomes, géographes, mathématiciens, sociologues, économistes, anthropologues et écologues. Ainsi, tous les aspects de la santé des humains, des animaux et de l’environnement sont pris en compte.
Investir dans Planetary Health et dans la protection de la biodiversité est donc un choix judicieux, d’un point de vue économique également au vu du coût astronomique d’une pandémie zoonique comme la covid-19. Reste à convaincre les instances dirigeantes pour lesquelles l’idée que la santé soit liée à celle de l’environnement est encore largement méconnue.
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Source
Marie-Monique Robin (2021). La fabrique des pandémies, Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire. Éditeur : La découverte. 352p