Article d’Axel Sochon (IGE 2020)

 

Comment l’électricité, que vous utilisez en ce moment-même pour lire ces lignes, est-elle arrivée jusqu’à chez vous ? Avoir accès à l’électricité 24h/24, 365 jours sur 365, année après année est devenue une évidence. Mais il convient d’affirmer une chose : nous avons beaucoup de chance ! Le réseau électrique est en effet un système très complexe.

Les énergies renouvelables se distinguent des énergies conventionnelles. Si elles offrent un moyen de production décarboné, elles sollicitent aussi certains défis sur le réseau électrique. Cet article vise à appréhender les limites physiques de l’intégration des énergies renouvelables sur notre mix électrique ainsi que les solutions à ces contraintes.

 

Consommation = Production

LA base du réseau électrique se trouve dans cette équation. A chaque instant, la puissance électrique injectée sur le réseau doit être égale à la puissance consommée. La vitesse du signal électrique dans un fil de cuivre est d’environ 200 000 km par seconde. Autrement dit, l’électricité que vous utilisez en ce moment est produite au même instant dans une centrale de production.

Mais Jamie, comment peut-on, à chaque seconde, produire exactement ce que l’on consomme ?

Via des estimations statistiques, il est assez facile de prévoir la consommation d’un territoire. Côté production, il « suffit » ensuite d’injecter sur le réseau ce niveau de puissance estimée. Evidemment, l’équation n’est pas toujours respectée.  Rappelons que le réseau électrique français possède une fréquence de 50 Hz :

  • Si Production > Consommation : la fréquence augmente.
  • Si Production < Consommation : la fréquence diminue.

Ainsi, si Consommation ≠ Production, la fréquence se détourne de sa valeur nominale de 50 Hz.

Pourquoi est-ce important de rester à cette fréquence nominale ?

Côté production, l’électricité est fournie via des alternateurs qui tournent sur eux-mêmes pour produire de l’électricité (à l’exception des centrales PV). La plupart d’entre elles sont des machines synchrones, c’est-à-dire qu’elles tournent à la vitesse du synchronisme du réseau électrique, soit 50 Hz ou 50 tours par seconde. [1]

Par exemple, si la production est inférieure à la consommation, la fréquence du réseau peut chuter à 48 Hz, l’ensemble de ces machines tournent alors à 48 tours par seconde1. Or, elles sont dimensionnées pour tourner à 50 tours par seconde1. Ce différent de vitesse peut les endommager, à partir d’un certain seuil de fréquence, elles peuvent se déconnecter du réseau aggravant ainsi le manque d’énergie produite. Avec un effet cascade, il y a alors un risque de black-out.

 

Énergies renouvelables, énergies intermittentes, quésaco ?

Quelles sont les sources d’énergies dites intermittentes ?

  • L’éolien et le solaire sont des énergies intermittentes à l’échelle de l’heure. C’est-à-dire que leur production fluctue à l’échelle de l’heure sans possibilité de les contrôler.
  • L’hydraulique au fil de l’eau est une énergie intermittente à l’échelle d’une année. Lors de la fonte des glaces au printemps, il y a un surplus d’eau, donc un surplus d’énergie disponible.

L’intermittence de l’hydraulique est anecdotique pour assurer l’équilibre production = consommation du réseau. Dans cet article, seuls seront considérés comme énergies intermittentes l’éolien et le solaire. Par la suite, le terme EnR fera référence à ces, et seulement ces, deux types d’énergie.

 

Équilibre et intermittence ne font pas bon ménage

Comme vous vous en doutez, les énergies intermittentes rendent difficile l’estimation de la production en temps réel. Leurs puissances disponibles dépendent des conditions météorologiques qui peuvent varier d’un instant à un autre. Pour les panneaux solaires, la température, la propreté des panneaux sont aussi des facteurs influents sur leurs niveaux de production. Pour les éoliennes, il est à noter que la production d’énergie est fonction du cube de la vitesse. Autrement dit, si les pales d’une éolienne tournent deux fois plus vite, elles produisent 8 fois plus d’électricité. Cela traduit en partie la difficulté de prévoir la production d’électricité éolienne.

Les EnR se distinguent donc des énergies dites pilotables, comme le nucléaire, les centrales thermiques ou encore l’hydraulique. En plus de devoir estimer la consommation, RTE (Réseau de Transport d’Electricité, l’entreprise gestionnaire du réseau public de transport d’électricité haute tension en France métropolitaine), fait aujourd’hui face à un nouvel enjeu : prédire la production des EnR. Enjeu qui, par le passé, n’existait pas, toutes les sources de production étant pilotables.

 

Les solutions et leurs limites

L’écrêtement, la solution de dernier recours.

L’écrêtement survient lorsque l’on a un surplus de production. Afin de respecter l’équilibre production = consommation, l’écrêtement est le phénomène de limitation de la production d’énergie. Ecrêter la production des EnR revient à perdre de l’énergie « gratuite », on est alors perdant en termes d’efficacité énergétique et économique. Cela explique pourquoi les énergies intermittentes sont parfois qualifiées d’« énergies fatales ». Si on ne récupère pas l’énergie, elle est perdue.

Un déploiement massif d’ENR, entraînera à coup sûr une part de surproduction. Si l’écrêtement est une option pour parer ce cas de figure, ce phénomène n’est pour autant pas souhaitable selon les critères d’efficacité énergétique et économique. Les solutions de stockages sont des solutions pour minimiser l’écrêtement, le surplus d’énergie est alors stocké, et non écrêté.

 

Le stockage, la solution évidente.

Les STEP (Stations de Transfert d’Énergie par Pompage) représentent la solution de stockage la plus répandue car très efficace. Elles sont composées de deux bassins à altitudes différentes. Elles stockent de l’énergie en pompant l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur lorsque la consommation est faible. Lorsque celle-ci augmente, elles produisent de l’électricité de la même manière qu’une centrale hydraulique classique. Les STEP sont très efficaces, mais sont difficilement multipliables étant donné leurs conditions topographiques exigeantes.

D’autres solutions existent ou tendent à être développées dans un avenir plus ou moins proche : la technologie air comprimé, les batteries, les volants d’inertie, etc. Je ne les développerai pas toute ici, mais la solution Power-to-Gas est particulièrement intéressante. L’ADEME estime que cette technologie sera mature d’ici 2030. Ces centrales convertissent le surplus d’électricité en hydrogène. On parle donc plus de valorisation énergétique que de stockage, mais la solution est tout autant pertinente.

 

Le foisonnement, l’union fait (un peu plus) la force.

Le principe du foisonnement est le suivant : plus on étale les EnR sur un grand territoire, plus la somme de leur production sera stable. En effet, statistiquement, sur un territoire infini, il y aura toujours du vent, du soleil, quelque part. Le but est de lisser la production, autrement dit de diminuer l’intermittence, c’est-à-dire de :

  • Minimiser les maximums de production des EnR : éviter l’écrêtement (voir partie IV.a)
  • Maximiser les minimums de production : éviter de s’appuyer sur d’autres moyens de production (souvent plus émetteurs de CO2).

La figure ci-dessous présente une simulation de la production éolienne en fonction du territoire pris en compte :

 

Figure 1 : Production éolienne selon l'étalement géographique de cette production (source : Le Réveilleur ; Fraunhofer IWES)
Figure 1 : Production éolienne selon l’étalement géographique de cette production (source : Le Réveilleur ; Fraunhofer IWES)

 

Plus la surface du territoire est grande, plus la production éolienne est lisse. La courbe « Pixel » qui peut s’apparenter à une ferme éolienne seule, illustre parfaitement le phénomène problématique de l’intermittence alors que la courbe « Europe » présente une production plus stable, plus souhaitable.

Les performances du foisonnement à l’échelle de l’Europe restent néanmoins contrastées :

  • La puissance est rarement importante : elle est supérieure à 50 % de la puissance installée durant seulement 33 % du temps. ( ☹)
  • Une production continue : la puissance est supérieure à 10 % de la puissance installée tout le temps. (😊)

 

Les interconnexions, l’aide externe.

Les interconnexions entre différents pays sont une option pour assurer l’équilibre et faire face à une intermittence importante. Elles existent déjà aujourd’hui et vont continuer de croître dans le futur. Si un pays a un besoin d’énergie, il peut l’acheter à ses voisins. Vice-versa, s’il possède trop d’énergie, il peut évacuer cette énergie en la vendant via les interconnexions. Néanmoins, la dépendance aux interconnexions pour un territoire avec beaucoup d’EnR représente un risque économique. En effet, s’il y a un surplus d’énergie grâce à un beau ciel bleu ou des vents optimaux, le pays doit absolument revendre cette énergie, elle sera donc revendue aux pays voisins à bas coûts. A contrario, une production EnR faible au sein d’un pays crée un besoin énergétique pour celui-ci. Ces voisins vont alors lui vendre l’électricité à coûts bien plus importants que celle vendue précédemment.

 

La maitrise de la consommation, de l’autre côté de l’équation.

Le pilotage de la consommation peut logiquement être d’une aide précieuse pour garantir l’équilibre production = consommation. L’idée est assez ancienne avec la mise en place d’un tarif incitatif via les heures creuses et pleines. Les chauffe-eaux électriques fonctionnant aux alentours de 23h, représentent aussi un exemple historique bien connu.

La pratique de l’effacement, expérimentée depuis 2007, tend aussi à se développer dans le futur. Un consommateur peut “s’effacer”, c’est-à-dire réduire ponctuellement sa consommation électrique, sur demande, lors des périodes de creux de production. Il s’agit souvent d’industries lourdes, mais nous pouvons imaginer à l’avenir des offres aux particuliers acceptant d’être ponctuellement effacés. Maitriser la consommation est notamment l’un des gros points forts du développement des smartgrids. Nous pouvons aussi citer le développement du smart charging permettant le pilotage de la recharge des véhicules électriques durant la nuit.

 

Le couplage, efficace mais carboné.

L’intermittence des EnR peut être compensée par la présence d’autres énergies pilotables. Celles-ci doivent avoir un temps de réaction court afin de pouvoir être rapidement mises en marche en cas de déséquilibre. C’est le cas de l’hydroélectricité et des centrales à gaz. Ce n’est en revanche pas le cas du nucléaire. Augmenter la puissance installée d’hydroélectricité est difficile à cause des conditions topographiques exigeantes. La solution est donc souvent de développer, en parallèle des EnR, des centrales à gaz. Comme le montre la figure ci-dessous, c’est le cas de l’Espagne. Ainsi, cette solution marche très bien techniquement mais ne représente pas un idéal de sobriété carbone. Le gaz reste 70 fois plus émetteur que le nucléaire. Néanmoins, il s’agit de l’énergie fossile la plus sobre avec une empreinte carbone 2,5 fois plus faible que le charbon.

 

Figure 2 : Production d'électricité par sourcé d'énergie en Espagne (source : Agence Internationale de l'Energie)
Figure 2 : Production d’électricité par sourcé d’énergie en Espagne (source : Agence Internationale de l’Energie)

 

 

Autres difficultés que le maintien de l’équation production = consommation

Le facteur de charge des EnR, reflet de l’intermittence.

 

Figure 3 : Facteurs de charge des divers moyens de production (%) (source : RTE - Bilan électrique 2020)
Figure 3 : Facteurs de charge des divers moyens de production (%) (source : RTE – Bilan électrique 2020)

 

Le facteur de charge représente la quantité d’énergie produite par rapport à la puissance installée. Par exemple, le nucléaire a produit en 2020 62 %[2] de l’énergie qu’il aurait produit s’il avait fonctionné toute l’année à sa puissance installée.

Comme le montre la figure ci-dessus, le facteur de charge de l’éolien et du solaire est relativement faible alors que l’on cherche toujours à maximiser leurs productions. Ce n’est pas le cas des énergies fossiles qui possèdent un facteur de charge faible car l’on cherche volontairement à minimiser leurs productions pour limiter l’empreinte carbone du mix électrique.

Ainsi, un développement des énergies renouvelables entrainera une puissance installée totale bien plus importante. De plus, le réseau est dimensionné par rapport cette puissance installée. Plus la puissance est installée est importante, plus le réseau doit être renforcé. Ce qui nous amène à la partie suivante.

 

Le renforcement du réseau électrique, une conséquence indirecte.

Le renforcement du réseau se traduit par une augmentation des infrastructures, des câbles utilisés, des travaux publics engagés, etc. Plusieurs raisons coexistent à ce besoin en cas de développement important des EnR :

  • Augmentation de la puissance installée : dimensionnement du réseau plus important.
  • Augmentation du maillage du réseau : la production d’EnR étant décentralisée, une multitude de petits postes de production sont à raccorder.
  • Développement d’un réseau bidirectionnel pour raccorder les solutions de production locales. Le réseau a été développé de manière descendante, pour que l’électricité se transmette des postes de production centralisés aux postes de consommation décentralisés. Il faut aujourd’hui aussi avoir la capacité d’évacuer l’énergie produite des postes de production décentralisés et donc avoir un réseau bidirectionnel.

Ce renforcement, comme toute activité, a des répercussions économiques, sociales et environnementales annexes à prendre en considération. Afin de faire face à ces enjeux, les territoires adoptent les S3REnR (Schéma Régional de Raccordement au Réseau des Énergies Renouvelables). Il est à noter que plus la part des EnR sur le réseau augmentera, plus ces répercussions seront importantes. En effet, dans un premier temps, le réseau existant peut assumer ces « défauts » mais à partir d’une certaine part d’EnR implémentée, des investissements extérieurs plus importants devront être pris en considération.

 

La perte d’inertie

L’Inertie est un phénomène difficile à conceptualiser. Comme évoqué plus tôt, le réseau électrique est couplé à un ensemble de machines tournantes. Le mouvement, ou l’énergie cinétique, de ces machines très lourdes ayant une vitesse de rotation élevée crée une inertie importante. Cette inertie permet d’atténuer la variation de la fréquence causée par un déséquilibre entre production et consommation (voir partie I). En effet, l’inertie peut se définir comme la capacité d’un élément à conserver sa vitesse. En d’autres termes, le freinage de ses machine est difficile grâce à l’inertie. Rappelons qu’elles tournent à la vitesse du synchronisme, c’est-à-dire que leur vitesse est directement liée à la fréquence du réseau. Si leur freinage est difficile, alors la variabilité de la fréquence du réseau l’est aussi. Ainsi, cette inertie permet de ralentir les écarts de fréquence en cas de non-respect de l’équilibre production = consommation. Cette inertie rend ainsi le réseau plus robuste en limitant les chutes de fréquence. De cette manière, le phénomène d’effet cascade est lui aussi limité ainsi que le risque de black-out.

Les panneaux solaires ne participent pas du tout à ce phénomène. Les éoliennes ayant une vitesse de rotation bien inférieures à 50 tours par seconde exercent une influence négligeable. Augmenter la part des EnR sur notre réseau revient donc à diminuer cette « aide » pour maintenir constante la fréquence.

 

En conclusion, le développement des EnR est bien entendu possible, il existe de multiples solutions permettant d’outrepasser leurs défauts. Néanmoins, il est important de garder à l’esprit que plus la part des EnR sera importante sur le réseau, plus il sera difficile de compenser ces défauts. En d’autres termes, nous pouvons facilement imaginer un réseau avec une part de 30 % d’énergie renouvelable. Néanmoins, un scénario à 100 % semble difficilement imaginable sous les contraintes physiques, économiques et sociales qu’impose la complexité du réseau électrique.

 

 

Sources :

Le Réveilleur – Éolien, photovoltaïque et réseau électrique – Partie 1 & 2 – Mars 2020

CRE (Commission de Régulation de l’Energie) – Effacements – Juin 2018

Le monde de l’énergie – Stockage de l’électricité : où en est-on ? – Janvier 2021

Engie – Power To Gaz

Encyclopédie de l’énergie – Stockage hydraulique : atouts et contraintes – Avril 2019

OECD – NEA – Nuclear energy and renewables – 2012

Jean-Marc Jancovici – Commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité – Sénat , mars 2012

Fraunhofer IWES – The European Power System in 2030: Flexibility Challenges and Integration Benefits – Juin 2015 (figure 1)

IAE, 2020 (Figure 2)

Jean-Marc Jancovici – 100% renouvelable pour pas plus cher, fastoche ? – Novembre 2017 (Figure 3).

ADEME – Etude portant sur l’hydrogène et la méthanation comme procédé de valorisation de l’électricité excédentaire – Septembre 2014

RTE – Bilan électrique 2020

[1] En réalité, la vitesse de ces machines dépend du nombre de pair de pôle de la machine. Une machine synchrone (à la vitesse de 50 Hz) à 1, 2 ou n pairs(s) de pôle tournera respectivement à 50, 25 ou (50/n) tours par seconde.

[2] Le facteur de charge est calculée ici, via les données RTE, en effectuant le calcul suivant :

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