Article de Bahar Bilgin (RSEDD 2020)
Article rédigé en décembre 2020
La Covid 19 a contraint les Français à s’adapter à une situation inédite. Et le gouvernement a dû innover pour soulager le confinement…. En mai dernier, nombreuses ont-été les mesures pour libérer les confinés. Les décrets d’application du Forfait Mobilités Durables FMD œuvrant pour une mobilité « verte » dans le cadre des déplacements domicile-travail sont parus plus rapidement que prévu, du moins plus rapidement que d’autres décrets en attente dans le cadre de la loi LOM (Loi d’Orientation des Mobilités), entrée en vigueur fin décembre 2019. Cette aide s’inscrit dans la volonté du gouvernement de modifier les habitudes relatives à la mobilité des Français et de les inciter à utiliser au minimum leur voiture individuelle pour se rendre au travail.
Dorénavant, les dépenses de vélo, de covoiturage, de transports publics de personnes (autres que ceux concernés par la prise en charge obligatoire des frais d’abonnement), de location de free-floating et d’autopartage peuvent être couvertes par l’entreprise jusqu’à 400 euros annuels, exonérés de charges sociales pour l’employeur, et non imposables pour le salarié et porté récemment à 500 euros dès 2021. Ce forfait permet ainsi à chaque salarié de disposer d’un petit pécule pour la prise en charge de ses frais de déplacement « écologique » entre son domicile et son lieu de travail. Le premier poste de dépenses pour un ménage (18 % du budget en moyenne) est le transport devant l’alimentation et le logement.
Une mesure facultative mais obligatoirement discutée au sein des entreprises
La première anicroche est que la loi n’est pas contraignante pour les entreprises privées, le Forfait Mobilités Durables reste donc optionnel. Il n’est donc pas certain que les entreprises s’aventurent hâtivement à le mettre en place. En effet, quel serait le bénéfice attendu ou le ROI pour l’entreprise à mettre en œuvre cette aide en faveur de ses salariés ? une démarche innovante ? une politique RSE engagé cherchant à réduire les émissions de CO2 ? la volonté de financer à certains salariés leur utilisation du vélo ? ou encore la possibilité d’aider financièrement ses salariés tout en étant exonéré de charges sociales et fiscales ? ou sans doute pour beaucoup tout simplement une charge supplémentaire ?
Le législateur a estimé et a ainsi fait le choix de laisser aux entreprises et aux partenaires sociaux le soin de déterminer si la mise en place du FMD est ou non utile pour rendre les déplacements de ses salariés plus durables. Il a souhaité garder pour le moment un cadre non contraignant qui se veut incitatif et laisse donc une marge de manœuvre assez importante aux entreprises quant à son application.
Basé sur le volontariat, il est en revanche obligatoire d’en discuter lors des Négociations Annuelles Obligatoires NAO dans les structures de plus de 50 salariés, le sujet de la mobilité Domicile-Travail devenant ainsi un des thèmes obligatoires à traiter depuis la LOM. De son côté, l’Etat employeur a également fait le choix de montrer l’exemple et s’est engagé, à mettre en place le Forfait Mobilités Durables pour tous ses agents à hauteur de 200 €/an pour favoriser l’utilisation du vélo et le covoiturage.
Le plan de mobilité de l’entreprise : un moyen pour appliquer le FMD
Imaginons dans ce cas, comme l’Etat employeur, une entreprise responsable, soucieuse des émissions de C02 (rappelons toutefois que la mobilité est responsable de 30% des émissions de gaz à effet de serre en France), et du retour sur investissement auprès de ses salariés, l’employeur s’il décide de mettre en place ce forfait, sa première étape sera par conséquent de réaliser un diagnostic mobilité pour connaître les opportunités proposées sur son territoire et s’assurer que les trajets de ses salariés sont compatibles avec les possibilités offertes par ce nouveau forfait.
Compte tenu de la variété des situations, des territoires, des zones, des services de mobilité, voire des salariés eux-mêmes, l’application et la mise en œuvre du FMD au sein de sa structure relève d’un vrai projet d’entreprise à part entière. Pour ce faire, l’employeur pourra se référer à son Plan de Mobilité. Plan de mobilité qu’il a dû mettre en place par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui avait rendu obligatoire son exécution, à compter du 1er janvier 2018. Il consiste pour les entreprises en la réalisation d’un audit de tous les déplacements, de les optimiser via de nouvelles solutions pour diminuer les émissions polluantes et in fine de réduire le trafic routier.
Un dispositif qui se dit « simple »
Un peu plus de simplicité ? C’est en tout cas l’objectif qui avait été demandé par les partenaires sociaux. En effet, le FMD fusionne et remplace bien deux dispositifs existants : l’indemnité forfaitaire covoiturage et l’indemnité kilométrique vélo (IKV) et ouvre la voie à bien d’autres possibilités. Entrée en vigueur en 2016, l’IKV ne pouvait pas dépasser 200 euros annuels. Elle sera abrogée en juin 2020 pour laisser place au FMD de manière pérenne. S’il vient remplacer l’IKV, le Forfait Mobilités Durables ne reprend pas le principe du montant €/km parcouru à vélo. En réalité, l’employeur est libre de fixer les modalités de sa participation.
Néanmoins, pour être dans les clous, et pour éviter tout contrôle Urssaf fâcheux pour l’entreprise, « les exonérations seront évidemment conditionnées à la preuve de l’utilisation des sommes allouées conformément à leur objet » : ainsi, le salarié devra être en mesure de fournir une attestation sur l’honneur et/ou les justificatifs de l’utilisation des modes de transports dont l’entreprise aura préalablement autorisé parmi la longue liste exacte des modes de déplacement concernés. Auparavant déjà, l’IKV, avait été jugée trop complexe, notamment à cause de l’obligation de fournir un justificatif de distance, et trop peu adoptée par les employeurs (seulement 146 structures l’ont mis en place, selon l’Observatoire de l’indemnité kilométrique vélo).
Un peu de paperasse pour le salarié, il devra donc conserver ses justificatifs : une copie des abonnements à un système de vélo partage, des factures, des captures d’écran des trajets réalisés au travers d’applications pour smartphone, des preuves de covoiturage, de location de parking vélo, et cela durant toute une année pour ensuite les transmettre à son employeur. Et pour les services RH, la nécessité de vérifier les justificatifs et les transmettre aux administrations lors d’un éventuel contrôle.
En ce qui concerne le versement de l’aide, le Forfait Mobilités Durables pourra être versé directement sur le bulletin de salaire, ou financé via un système particulier appelé le « titre-mobilité », une transposition du modèle des tickets restaurants, une carte préchargée. Le dispositif reste toutefois à être précisé quant aux modalités de paiement auprès des commerçants, même s’il est prévu que le titre soit utilisable chez tous les vendeurs agréés, tels que les stations-service, plateformes de covoiturage, magasins de vélos, etc., pour l’instant, il vient tout juste d’être lancé.
Plafonné à 500 euros et cumulé avec l’abonnement de transport en commun pour être exonéré
En effet, pour ne pas accorder d’une main ce qu’on retirerait de l’autre, le FMD est également cumulable avec la participation de l’employeur aux abonnements de transports publics en commun. Les frais concernés (un Pass Navigo, un abonnement Tadao…) ne relèvent pas du forfait mobilités durables et s’ajoutent donc à ce dernier.
Concernant le montant du forfait, la LOM n’impose aucun plancher mais fixe un plafond pour être exonéré de charges sociales et fiscales : 500 € par an et par personne. A première vue, 500 € c’est un bon moyen pour le salarié d’améliorer son pouvoir d’achat sans toucher à son salaire, et sans renchérir le coût du travail pour l’entreprise. Mais petite subtilité, si l’employeur peut effectivement proposer un certain montant au titre du forfait mobilité durable, l’exonération des charges sociales est quant à elle à cumuler avec le remboursement des frais d’abonnement pour les transports en commun, somme au-delà de laquelle il ne sera plus exonéré de charges sociales et imposable pour le salarié.
Pour ainsi dire, si votre employeur vous rembourse déjà 200 euros sur votre abonnement de transport en commun, il pourra alors vous proposer un montant de forfait de mobilité durable exonéré de 300 euros maximum. En revanche, s’il vous rembourse déjà 500 euros sur votre abonnement de transport en commun, ce montant sera exonéré, mais le versement éventuel d’un Forfait Mobilités Durables sera soumis à cotisations et imposables. Ce dernier exemple, correspond pour une grande part aux salariés d’Ile-de-France abonnés au pass Navigo, ce qui laisse peu de marge de manœuvre pour les employeurs et les salariés des grandes villes.
Finalement aussi complexe que feu l’IKV
Cette activité de recueil de justificatifs et de calculs individuels s’avère par conséquent fastidieux, chronophages et se rajoute aux autres activités « à faible valeur ajoutée » des services paie et RH. Entre les plafonds et calculs de charges à ne pas dépasser, les justificatifs à récupérer, les différents modes de déplacements à choisir et les modalités de remboursement à opérer, pas convaincu que les entreprises aient envie de vouloir contribuer à changer et accompagner le comportement de mobilité au quotidien et accélérer la croissance des nouvelles mobilités auprès de ses salariés.
Les salariés auront-ils le choix ?
Qu’en est-il des salariés et de leur possibilité à devenir des vélottafeurs, des covoitureurs ou des free-floateurs ? d’après l’Insee, les Français sont encore plus de 70% à se rendre sur leur lieu de travail en voiture individuelle avec seulement 1,08 personne à bord. En résumé, si ce Forfait Mobilités Durables encourage les entreprises à investir auprès de leurs employés et incite les salariés à s’intéresser à de nouveaux modes de transport, encore faut-il que les infrastructures et/ou les offres de mobilité durables puissent être disponibles sur le territoire et correspondent au besoin des salariés ? La question de l’accès dans les pratiques de mobilité reste centrale. De fait, la location des services de mobilité partagée ne concerne concrètement que les personnes habitant dans les centres urbains, espaces où leur mise en location est la plus pertinente selon les opérateurs. Cela reviendrait à dire finalement que seuls les citadins domiciliant proche de leur travail profiteraient du forfait : un effet d’aubaine, puisque déjà adeptes des mobilités dites « douces » pour cette catégorie de travailleurs, cadres dans des entreprises grands comptes …
Bien que la liste exacte des modes de déplacement concernés par le FMD reste large et précise les types de transports partagés éligibles à ce budget individuel à savoir :
-le vélo ou VAE individuel et les accessoires associés,
-le covoiturage comme conducteur ou passager,
-les engins de déplacements personnels partagés EDPM à motorisation non-thermique en location ou en free floating, c’est-à-dire les VAE, les trottinettes (Lime, Bird, Tier, Voi, Dott, Pony, …),
-les scooters en libre-service (Cityscoot ou Indigo Weels) …),
-les titres occasionnels (hors abonnement) de transports en commun,
-et l’autopartage de véhicules à faibles émissions ; certaines pratiques restent en suspens, notamment dans le cas des trottinettes et des mono-roues utilisés à titre personnel. Vu plus haut, seuls les vélos et les VAE personnels sont évoqués directement dans le décret. Cela signifie que si un employé souhaite acquérir une trottinette, un scooter ou tout engin électrique, il ne pourra pas bénéficier directement du Forfait Mobilités Durables. Heureusement, un amendement vient d’être déposé (le 20 novembre dernier) et vise à inscrire dans la loi la possibilité pour l’employeur de prendre en charge dans le cadre de ce forfait les déplacements effectués par un salarié en engins de déplacement personnel motorisés (EDPM). Il s’agit ici d’inclure dans la loi un égal accès au droit à la mobilité en ce qui concerne les EDPM.
Par ailleurs, rappelons que dans le cadre de leurs déplacements au quotidien, la majorité des Français (54%) affirme ne pas avoir le choix du mode de transport utilisé. Et dans 80% des cas, cette population dépourvue de choix a recours à l’automobile au quotidien. Là aussi, pour les salariés ne bénéficiant pas d’accès aux transports en commun, la prise en charge de carburant restait limitée à 200 € par an pour les véhicules diesel et essence, en revanche pour les véhicules électriques, hybrides rechargeables et hydrogène, le plafond est doublé, passant de 200 € à 400 € pour l’alimentation en dehors du lieu de travail. Au lieu de travail, la recharge sera entièrement défiscalisée et non-plafonnée. Alléchant, mais encore faut-il avoir une voiture électrique ? même avec les bonus écologiques et prime à la conversion pour l’achat de véhicule électrique et aussi dernièrement pour un véhicule électrique d’occasion, le prix d’achat de ce type de véhicule reste encore inabordable pour certains budgets.
A parfaire mais néanmoins très attendu
Même si des difficultés d’application et des ajustements restent à parfaire, le FMD a la volonté de vouloir répondre aux défis, à la fois environnementaux, mais aussi économiques et sociaux. Reste néanmoins à savoir comment les entreprises vont se saisir de ce sujet. Les opportunités existent pourtant pour dépasser la simple contrainte de mise en conformité règlementaire, et s’inscrire dans une démarche volontariste de connaissance de la mobilité durable, et anticiper ainsi les demandes des collaborateurs. Les bénéfices d’une telle démarche volontariste sont évidemment multiples : amélioration de l’image de l’entreprise, à la fois auprès des collaborateurs et des clients ; contribution à l’amélioration du bien-être des collaborateurs au travail ; et amélioration de l’attractivité de l’entreprise. Bien des études montrent qu’une meilleure accessibilité de l’entreprise permet de lutter contre l’absentéisme et d’accroitre la productivité des salariés.
Dans 18 mois, plutôt un an maintenant, un premier bilan sera fait de la mise en œuvre de ces dispositions (nombre d’accords signés, dispositifs mis en place dans les entreprises). Si le bilan n’est pas satisfaisant, le Gouvernement se réserve la possibilité de renforcer la mesure, en lui conférant un caractère obligatoire. Quelques recherches montrent que le FMD se met timidement en place dans les entreprises. En juin 2020, le site France-mobilités, fait état de 6 témoignages. Que ce soit l’Oréal, Allianz, ou Setec, toutes ces entreprises semblent davantage avoir accès leur prise en charge à l’usage du vélo uniquement. Et les cartes prépayées commencent à gagner du terrain avec des entreprises de grands noms et qui se portent bien.
Il est fort à parier, que le seul moyen de faire les choses, mais aussi de bien les faire, serait d’être sous contrainte et de prévoir également une défiscalisation du FMD pour les entreprises. Mais aussi pour que la mobilité douce fonctionne, il faudrait être disruptif dans les techniques d’application du forfait : la simplicité d’une carte prépayée semble être la réponse adaptée. La mobilité à la carte, espérons-le, se démocratisera. Choisir son moyen de transport en fonction de son humeur, ou de la météo, les nouvelles mobilités sans émission peut-être le permettront, et espérons-le avec le soutien des entreprises.
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Textes de références :
Loi d’Orientation des Mobilités (24/12/2020), article 82 : cliquez ici
Article L 3261-3-1 du Code du Travail : cliquez ici
Décret d’application du 9 mai 2020 : cliquez ici
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Sources :
https://jegardcreatis.com/2020/06/le-forfait-mobilites-durables/
https://www.cftc.fr/actualites/prime-et-forfait-mobilite-durable-ou-en-est-on
https://www.em-services.fr/quest-ce-que-le-forfait-mobilite-durable/
https://fr.calameo.com/read/004845920868af8ccc406
https://www.em-services.fr/notre-offre/entreprises/plan-de-mobilite/
https://www.em-services.fr/loi-dorientation-des-mobilites-quels-impacts-pour-les-entreprises/
https://www.actu-environnement.com/ae/news/loi-orientation-mobilites-retard-35931.php4
https://www.paie-rh.com/fiches-pratiques/le-forfait-mobilite-durable
https://lessentiel.macif.fr/forfait-mobilite-durable-velo-ca-peut-etre-payant
https://www.unitesgppolice.com/forfait-mobilites-durables-2/
https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201902/orientation_des_mobilites.html