Article d’Oreste Carvounis (RSEDD 2020)

Introduction

L’industrie de la mode a plus que doublé en termes de volume dans les 15 dernières années. Elle a été essentiellement tirée par les acteurs de la fast fashion qui, au début des années 2000, ont révolutionné la consommation textile en proposant jusqu’à 24 collections par an, là où  ils proposaient traditionnellement deux collections annuelles, avec une période de transition caractérisée par les soldes.

Ce nouvel appétit pour la production textile s’est accompagné d’un effondrement des prix de vente en magasin, engageant le consommateur final à acheter un plus grand nombre d’articles pour un budget équivalent. Ainsi, les ventes de vêtements et de chaussures ne cessent de grimper à cause de prix de plus en plus attractifs. En France c’est 9 kg de ces produits qui sont achetés par personne et par an, quand la moyenne européenne est à 12,6 kg. [2]

Nous sommes entrés ainsi dans l’ère de la fringue jetable, destinée à être portée quelques fois avant d’être remisée dans les placards pour le plus clair de leur vie.

 

Les pollutions liées au textile …

Une prise de conscience récente nous a cependant fait déchanter. Que cache l’envers du décor des rayons de nos marques préférées ? La réponse est brutale. L’industrie de la mode est vice-championne du monde des émissions de gaz à effet de serre (1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre pour la fabrication de matières synthétiques et naturelles), et elle est sur le podium en ce qui concerne l’utilisation de ressources naturelles telles que l’eau potable. En effet, pour produire un simple jean, 7500 litres d’eau sont requis (soit l’équivalent de 7 ans de consommation d’eau potable pour un être humain). De plus, 93 milliards de mètres cubes d’eau sont utilisés chaque année par l’industrie textile. [2]

 

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En ce qui concerne la pollution, nos habits ne sont pas en reste. Les matières qui les constituent peuvent être classées en deux catégories : les matières synthétiques et les matières naturelles. Dans le premier cas, il est connu que les matières polyester, acrylique et polyamide, issues de l’industrie pétrochimique, n’ont pas la côte. L’analyse du cycle de vie des produits manufacturés montre que non seulement ils polluent pendant leur extraction, leur transformation, leur fabrication… mais qu’ils sont également responsables d’une catastrophe écologique difficilement mesurable.

« Le plus gros impact environnemental de la mode n’est pas lié aux matières premières, à la production ou au transport, mais au lavage des vêtements. » [2] Effectivement, nous utilisons énormément d’eau lors du lavage, et les produits chimiques contenus dans les vêtements, pris dans l’eau de lavage, se déversent largement dans les océans et dans les sols. On estime que, en raison des rejets de particules micro-plastiques lors des lavages ménagers, plus du tiers (35 %) des microplastiques rejetés dans les océans viendrait du lavage des textiles [2]. Voir le blog

 

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Les matières naturelles ne sont pas en reste mais essaient de s’améliorer…

Les matières naturelles présenteraient-elles un bilan plus vert ? Pas vraiment ! Lorsque l’on se penche sur les ressources utilisées pour un produit basique tel que le tee-shirt en coton, les vertus environnementales pâlissent. Premier consommateur de pesticides et très grand consommateur d’eau, le coton conventionnel présente un bilan écologique peu reluisant. Selon l’OMS, la culture du coton dans le monde nécessiterait environ 10 % des pesticides utilisés, alors qu’elle mobilise moins de 3 % des terres cultivées. Selon les techniques utilisées, il faudrait entre 5400 et 19000 litres d’eau pour produire 1 kg de coton, donc pour produire un tee-shirt de 120 g en coton, jusqu’à 2000 litres d’eau seraient utilisés. [4]

Afin d’améliorer le bilan environnemental du coton, différents labels émergent, garantissant une exploitation moins coûteuse en ressources naturelles et vierge de produits phytosanitaires. Les cotons bio certifiés GOTS ou BCI, notamment, permettent de rassurer le consommateur et le fabricant sur l’origine (traçabilité), la culture raisonnée (en supprimant ou en limitant les pesticide et en limitant l’utilisation d’eau) ainsi que sur les conditions de travail de la main d’œuvre liées à leur exploitation.

Le sujet des droits de l’homme et des conditions de travail dans les champs de coton, par exemple, ou dans les usines et les ateliers de confection textile a émergé récemment. Il a fallu que des drames se produisent, tel celui du Rana Plaza au Bangladesh, pour réaliser à quel point nous ne pouvions rendre cette industrie plus propre sans tenir compte aussi des conditions de travail liées à la fabrication des vêtements importés. À l’heure où nous écrivons cet article, ce sont les conditions de travail de la minorité Ouighour dans les champs de coton qui posent question. Sont-ils victimes de travail forcé ? Leurs droits et leur sécurité sont-ils respectés ?

Les matières prélevées sur les animaux, telles que la laine, l’angora, le mohair, le mérinos, la fourrure, le duvet… sont également à surveiller pour la manière dont les élevages prennent en compte le bien-être animal. Le sujet du bien-être animal est très variable en fonction des pays de provenance où les normes sont bien souvent inférieures à celles du pays de destination. Certaines marques, comme Stella McCartney, ont interdit l’utilisation de fourrure animale dans leurs collections. D’autres interdisent la laine angora ou la laine mohair en raison de l’incertitude sur les conditions d’élevage et de prélèvements de ces matières. La législation évolue actuellement au niveau européen et des labels se créent aussi pour assurer une exploitation respectueuse des animaux.

Poussés par l’arrivée de nouvelles générations de consommateurs plus exigeantes en termes d’impact environnemental et de traçabilité, les acteurs du secteur évoluent. Des initiatives inter-gouvernementales, telles que le Fashion Pact, qui liste une série d’engagements en matière écologique et qui a été signé en 2019 en marge du G7 de Biarritz par de nombreuses entreprises internationales du monde de la mode, ont donné un élan notable pour encourager une offre soucieuse de réduire l’impact environnemental et social.

 

Y a-t-il des alternatives ? Quelques idées pour s’habiller de manière responsable.

Une recherche de matériaux moins impactants

Depuis un certain temps, des chercheurs et des fabricants avancent sur des alternatives moins impactantes. Ainsi, apparaissent sur le marché des fibres synthétiques recyclées, des fibres semi-naturelles, des fibres naturelles voire des textiles d’origine maritime. Mais quelles sont les qualités réelles de ces solutions nouvelles ?

Il est aujourd’hui possible de s’habiller en fibre synthétique recyclée. L’impact environnemental de ces nouveaux tissus est bien meilleur que celui des produits traditionnels. On estime que leur empreinte carbone est réduite de plus de 50 % par rapport à un produit conventionnel. Les chiffres sur les bénéfices environnementaux du polyester recyclé par rapport à un polyester conventionnel sont bons : les émissions de gaz à effet de serre sont réduites de 32 % (selon l’organisme britannique The Waste and Resources Action Programme) et la consommation en énergie de 59 % (selon une étude de 2017 de l’Office fédéral suisse de l’environnement). [5]
Cette fibre recyclée provient d’anciens vêtements mis au rebus qui sont démantelés, refilés pour produire une nouvelle fibre… comme de bouteilles plastiques récupérées ou de filets de pêches ramassés sur les côtes.

Les fibres cellulosiques telles que la viscose, le modal ou le lyocell sont issues de la pulpe de bois et transformées chimiquement. Ce sont donc des fibres semi-naturelles. La viscose, inventée à la fin du XIXe siècle, est la première fibre artificielle. Son procédé de fabrication, et notamment la substance chimique qu’elle utilise, le disulfure de carbone, en raison de sa toxicité, de ses rejets, et de sa forte consommation d’eau, n’est pas respectueuse de l’environnement (4000 à 11000 litres d’eau sont notamment utilisés pour fabriquer un kilo de viscose, contre 5200 litres pour 1 kilo de coton). [6]
Fort de ce constat, la recherche a mis au point des variantes plus vertueuses. Ainsi, le modal, issu de la pulpe de hêtre, obtient de meilleurs scores à tous les niveaux : une consommation d’eau réduite (10 à 20 fois moins que le coton traditionnel), un rendement plus intéressant (moins de surface nécessaire pour une quantité de matière finale plus importante) et un solvant chimique utilisé, le sulphate de sodium, récupérable à 95 %. [7]

Pour autant, la provenance du modal peut poser problème, car il peut être la cause de surexploitation des forêts. Il faudra ainsi regarder s’il est certifié FSC ou PESC, labels qui  assurent l’exploitation des ressources naturelles de manière durable.

Enfin, le Lyocell, fibre 100 % cellulosique que l’on connaît également sous son nom déposé de TENCEL™, est issu de la pulpe d’eucalyptus. La pulpe est extraite de l’écorce (l’arbre n’est donc pas abattu), puis concassée et dissoute dans un solvant non toxique recyclable à 97 %. Cette technique évite que la matière première ne subisse des changements chimiques et ne pollue donc pas les eaux utilisées lors de sa fabrication. [8] L’utilisation d’eau est bien moindre avec moins de 1000 litres pour 1 kilo de matière. Pour couronner le tout, cette fibre est biodégradable.
Ces fibres semi-naturelles ont la particularité d’être aussi résistantes que le coton, plus élastiques, plus respirantes et plus absorbantes, tout en gardant un toucher très doux au porté. Dans leur version écoresponsable, le laboratoire LENZING a développé des fibres Viscose ECOVERO™, TENCEL™ Modal et s’engage à réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre. Le laboratoire s’engage à réutiliser les substances engendrées lors des processus de production, ce qui contribue à un environnement plus propre.

Les fibres naturelles telles que le chanvre et le lin  sont les meilleurs élèves en termes d’impact de production car peu consommatrices d’eau et de produits phytosanitaires. Le chanvre, très utilisé depuis l’Antiquité pour les textiles, est tombé en désuétude avec l’arrivée des fibres synthétiques et l’utilisation grandissante du coton. Aujourd’hui, le lin et le chanvre pourraient revenir d’actualité car elles cochent les cases d’une mode plus responsable. Mais si 55 % de la production mondiale est française, les usines de filage et de tissage ont désertées le pays et l’essentiel des récoltes part aujourd’hui en Asie afin d’y être transformées. Il est donc temps de développer une filière textile locale.

Une nouvelle initiative permet d’utiliser les rejets issus de la production agro-alimentaire pour fabriquer de nouvelles fibres textiles. En effet, les cultures destinées à l’alimentation génèrent un gaspillage très important et on estime que 60 % des composants des plantes sont laissés dans les champs. Ces déchets représentent une ressource bien supérieure à la demande en fibre textile mondiale. De plus, ces déchets rejettent une pollution très importante en dioxyde de carbone quand ils sont brûlés ou en méthane lors de leur décomposition à l’air libre. [9]
Le processus de bioraffinerie nommé Agraloop, mis au point par la start-up américaine Circular Systems, permet de transformer cette ressource en fibre textile. Une première filière de production a été développée en Belgique et exploite des déchets de production de la culture de lin. Le but est de fabriquer un fil « cotonisé », qu’on pourrait mélanger avec du coton et du lyocell. Cette filière pourrait être bénéfique à la fois pour l’environnement car elle fonctionne en cycle fermé et pour les agriculteurs car elle leur procure des ressources supplémentaires. Enfin, les rejets générés par la production de fil pourraient être utilisés pour fertiliser la terre, sur un mode d’agriculture dite régénérative [10].

 

 

Les ressources maritimes vont prochainement apporter leur contribution à cette industrie. En effet,  une nouvelle technologie permet de transformer les algues brunes en fibre textile. Cette innovation technologique n’est pas encore très médiatisée. L’Institut de recherche scientifique de l’université de Quingdao, en Chine, a entrepris de nombreux travaux sur la fibre d’alginate avec un financement massif de plus de 300 millions de yuan, soit 38 millions d’euros. Après près de 20 ans de recherches, 38 brevets ont été déposés et d’autres sont à l’étude.
Commercialisée en Europe par la société Gamma Textiles, son déploiement sur les secteurs de la lingerie, de « l’ active wear » et du prêt à porter de luxe est en cours. Cette fibre textile d’alginate présente de nombreuses propriétés intéressantes : elle est antibactérienne, antiallergique, respirante, hydratante, désodorisante… et biodégradable car naturelle. La fibre d’algue, mélangée à des fibres telles que le modal ou le lyocell, renforce leurs propriétés et constitue une alternative durable. Ainsi, cette fibre répond à des attentes et des besoins des utilisateurs et semble présenter des avantages certains en termes d’environnement et de développement durable. Des études d’impacts permettraient d’avoir des données plus chiffrées sur ses atouts en comparaison avec les matériaux plus répandus pour le moment sur le marché du textile.

 

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Des comportements plus responsables

Nous évoquions plus haut la boulimie d’offre textile engendrée par la Fast Fashion , qui s’accompagne  d’une quantité toujours plus importante de vêtements dormant dans les placards. On estime à un tiers la part de notre garde-robe inutilisée. Quand on connaît les ressources utilisées lors de leur confection, on ne peut que constater un grand gaspillage. Les méthodes de recyclage sont encore peu efficaces et on estime que deux tiers de la production mondiale finit à la poubelle.
Fort de ce constat, le marché de la seconde main a pris un essor important après la crise économique de 2008, contribuant à la diminution des achats en boutique et au développement des points de vente de collecte et de revente. Impulsé par certaines marques, ce business model fait des émules et répond à des soucis d’éthique de nombreux consommateurs. On pourra y dénicher des pièces, rares, originales à des prix abordables. Les acheteurs sont en majeure partie des jeunes de 18 à 24 ans (33 % environ). [12]

 

Relevons le défi !

Derrière un vêtement s’entrecroisent de nombreuses problématiques sur les conditions de travail, le respect des droits humains, le bien-être animal, l’empreinte carbone et diverses pollutions.
L’innovation scientifique, dans la transformation de ressources naturelles comme la valorisation des déchets naturels ou industriels, amorce la transition vers une production circulaire et plus respectueuse de l’environnement. Cette transition vers une mode durable, plus soucieuse des droits humains s’appuie également sur l’évolution des consommateurs dont les comportements d’achats se transforment, privilégiant la seconde main et les matières durables. Alors, sommes-nous prêts à relever le défi et devenir des « consomm’acteurs » ?

 

 

 

 

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BIBLIOGRAPHIE

[1] Chatelaine. Notre planète victime de la mode (page consultée le 27/01/2021) https://fr.chatelaine.com/mode/notre-planete-victime-de-la-mode/

[2] Le Monde. CO2, eau, microplastique : la mode est l’une des industries les plus polluantes du monde (page consultée le 7/01/2021) https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/09/01/co2-eau-microplastique-la-mode-est-l-une-des-industries-les-plus-polluantes-du-monde_5505091_4355770.html#xtor=AL-32280270
[3] Gaya Skin. Le textile, deuxième industrie la plus polluante : mais pourquoi ? (page consultée le 27/01/2021) https://www.gayaskin.fr/2018/03/19/le-textile-deuxieme-industrie-polluante-mais-pourquoi/
[4] Chaussettes Orphelines. Quel impact écologique a le coton pour l’industrie textile et la mode (page consultée le 28/01/2021) https://chaussettesorphelines.com/blogs/infos/limpact-de-la-culture-du-coton-sur-nos-reserves-deau

[5] Masherbrum. Des fibres recyclées pour des vêtements éco-responsables et de qualité ! (page consultée le 28/01/2021) https://masherbrum.fr/vetement-recycle/

[6]Les fibres cellulosiques : Viscose, modal et lyocell https://www.novacteur.com/les-fibres-cellulosiques-viscose-modal-lyocell/#:~:text=Tout%20comme%20le%20lyocell%2C%20le,issu%20de%20cellulose%20de%20h%C3%AAtre (page consultée le 11/03)

[7] Qu’est-ce que le modal https://www.wedressfair.fr/matieres/modal (page consultée le 10/03)

[8] https://lebasiq.com/quest-ce-que-le-tencel/ (page consultée le 11/03)

[9] https://lareleveetlapeste.fr/un-textile-durable-cree-a-partir-de-ce-que-lon-consomme-peut-tout-changer/ (page consultée le 11/03)

[10]  https://www.outdoorexpertsforum.org/post/le-recyclage-innovant-de-circular-systems (page consultée le 11/03)

[11] https://passerelle2.ac-nantes.fr/gastonchaissac/2018/07/05/une-montagne/ (page consultée le 22/02/2021)

[12] L’ADN. Pourquoi le marché de la seconde main fait revenir les clients en magasin (page consultée le 28/01/2021) https://www.ladn.eu/adn-business/experts-metiers/par-secteurs/retail/pourquoi-marche-seconde-main-fait-revenir-clients-magasin/

 

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