Article de Xavier Garcia (RSEDD 2018)

 

 

Depuis des décennies déjà nos États, les nations ou même l’Europe établissent leurs budgets sur la base de leurs prévisions de croissance ; ainsi donc sont décidées politiques et priorités de dépenses structurelles ou d’investissements parmi l’éducation, la santé ou encore de la justice et ceux – ci sont corrélés à l’indicateur admis de la croissance, le PIB.

Il est bon de rappeler La définition d’un site bien connu, « La croissance est un processus fondamental des économies contemporaines, reposant sur le développement des facteurs de production, lié notamment à la révolution industrielle, à l’accès à de nouvelles ressources minérales (mines profondes) et énergétiques (charbon, pétrole, gaz, énergie nucléaire…) ainsi qu’au progrès technique. Elle transforme la vie des populations dans la mesure où elle crée davantage de biens et de services. À long terme, la croissance a un impact important sur la démographie et le niveau de vie (à distinguer de la qualité de vie) des sociétés qui en sont le cadre. De même, l’enrichissement qui résulte de la croissance économique peut permettre de faire reculer la pauvreté.

Quelle idée, c’est formidable !!!
Produire plus, c’est générer plus de richesses, plus de PIB et par conséquence voilà qui bénéficient aux budgets dont je parlais précédemment : comme par la magie d’un ruissellement ininterrompu, produire toujours plus, plus vite, finira par mener chacun au progrès économique et la promesse d’un niveau de vie toujours plus haut, profitera à tous finalement.
Posséder sa tablette, son téléphone, sa maison individuelle, sa voiture (de préférence grosse et lourde), voilà qui contribue à la croissance du PIB, à notre richesse collective, et ce bel indicateur n’a pas besoin de décompter les limites de la planète : elles n’existent pas, il y aura toujours assez de pétrole, de gaz ou de nouvelles techniques pour perdurer dans cette voie.
Vive les échanges mondiaux pour produire plus et plus vite, de préférence « moins chers » : heureux les accords internationaux pour mieux satisfaire les PIBophiles (on me pardonnera ce mot barbare mais il me paraît approprié), probablement largement bénéficiaires d’un système qui questionne de plus en plus.

Faisons fi des quelques soubresauts actuels : un virus se déplace à la vitesse de propulsion du kérosène, mais nos héros du moment et pour quelques semaines encore, vont « faire leur travail » et bientôt retourneront à une vie normale ; peut-être verra-t-on quelques augmentations de budgets, pour « tirer les leçons » de cet épisode, toujours dans le respect d’une part du PIB comme base de toute réflexion.

Mais au fait à propos de cette pandémie votre communauté, votre territoire, sont-ils en mesure d’absorber les chocs sociaux économiques ou environnementaux qui s’annoncent ?
Alors que la crise démocratique de nos pays occidentaux est depuis longtemps déjà une réalité : nos politiques sont-ils encore audibles et crédibles ?
Alors que la crise écologique fait ses premiers pas dans le monde (des incendies par exemple) et pendant que l’an dernier en France, la crise des inégalités trouvait un terreau fertile au travers des « gilets jaunes ».
Savez-vous que les 1.2 milliards de personnes les plus pauvres représentent 1 % de la consommation mondiale alors que l’autre milliard le plus riche consomme 72 % des ressources mondiales ?

Mais que nous dit le PIB sur le bien-être, la résilience et de la soutenabilité ?
Quid du coût humain des maladies respiratoires causées par la pollution urbaine chez les enfants, et de la disparition des insectes sur les pare brises des voitures, symptômes de l’effondrement de la biodiversité ?
Si demain je vends plus cher mes billets d’avion, en justifiant de pouvoir traverser l’Atlantique en 3 heures plutôt qu’en 10 je crée donc plus de richesse ? rien n’est moins sûr au regard des impacts environnementaux dont le coût est payé par la collectivité.

Sommes-nous certains d’avoir le bon indicateur, celui qui nous guide vers la meilleure méthode qui déterminera les choix collectifs cruciaux comme la santé ou l’éducation par exemple ?

En réalité le PIB est un indicateur inadéquat : Aux Etats unis, à partir de 1980, le PIB par habitant et la productivité du travail continuent de progresser fortement alors que le revenu médian des ménages stagne ; autrement dit les travailleurs continuent de produire des richesses mais n’en perçoivent plus les bénéfices alors que le PIB par habitant donne l’illusion d’une progression du niveau de vie : les inégalités se creusent donc et la croissance du PIB le cache !!!!

Le fait est que le PIB qui mesure la production de biens et de services échangés sur des marchés monétarisés au cours d’une période donnée, ne reflètent en rien ou si peu, ce qui détermine le bien être humain, sa résilience ou la soutenabilité de son écosystème.
La vérité, c’est que la base de nos politiques communes, dont dépendent en grande partie l’éducation de ceux qui nous survivront par exemple, ou notre santé, ou tout ce qui constitue l’équilibre social de notre territoire est défini au regard d’un indicateur profondément défectueux et obsolète :

« le PIB est borgne quant au bien-être économique, aveugle au bien être humain, sourd à la souffrance sociale et muet sur l’état de la planète »
(Eloi Laurent « sortir de la croissance – Mode d’emploi »).

Alors une autre vision est-elle possible ? et la Finlande ou encore la nouvelle Zélande qui ont réformé en 2019 leurs finances publiques pour viser le bien être humain en lieu et place de la croissance ont-elles raisons ?

Changeons de modèle : Pourquoi continuer à privilégier le carburant détaxé des avions au nom du maintien de la « croissance » d’un secteur dont l’impact négatif est indéniable : en CO2 on le sait, le fait nouveau c’est aussi qu’on a le droit aux « virus à propagation rapide » en plus !!!!
Exemptons plutôt de taxes, tout ce qui procure un avantage social ou écologique : Les solutions zéro ou bas carbone, ou qui favorisent la coopération entre les acteurs d’un territoire donné, bref tout ce qui génère des externalités globalement positives (y compris les entreprises) doivent être valorisées.

Et si on investissait dans ce qui crée les liens sociaux la redistribution de richesses sous forme de services publics qui améliorent le bien être humain : éducation, infrastructures collectives, santé par exemple ?
Nos démocraties « développées » se meurent de l’appauvrissement intellectuel d’une partie de la population et l’école, ou plutôt le système éducationnel d’état, devrait avoir les moyens de juguler ce mouvement de fond. Nos écoles doivent promouvoir l’apprentissage social, et apprendre à nos enfants à privilégier la coopération plutôt que la compétition à tout prix.
Toutes les sciences (y compris sociales), doivent avoir les moyens indépendants du PIB, de mener les recherches pour orienter les sociétés vers les énergies propres, l’économie circulaire au cœur de nos territoires afin de servir le bien commun :
On doit désormais répondre aux défis des générations à venir dans les limites que peut supporter la planète : transports publics, infrastructures, bâtiments, agriculture et industries ont besoin d’un nouveau modèle pour s’adapter.

Les études prouvent que l’explosion du développement humain doit plus à la santé et à l’éducation qu’à la croissance du PIB : les améliorations en matière de santé et d’éducation expliquent 85% de la hausse de l’indice de développement humain au cours des 140 dernières années.

Les travaux d’Elinor Ostrom (prix Nobel d’économie en 2009) qui portent principalement sur la théorie de l’action collective et la gestion des biens communs ainsi que des biens publics, aussi bien matériels qu’immatériels démontrent que la coopération sociale est la clé des pratiques durables, et qu’elle dépend fondamentalement de l’éducation , de l’égalité, de la confiance et de bonnes institutions. Dans ses travaux elle démontre la pertinence et le fonctionnement de régimes de propriété collective tout en spécifiant les conditions de ce succès. On y décèle alors l’importance des logiques locales et de confiance, où la volonté d’éviter les conflits et de promouvoir les coopérations sociales dans la gestion des ressources communes : Nul n’a le monopole de leur diffusion ni de leur utilisation. Les accès libres se multiplient et chamboulent les logiques d’apprentissage, d’éducation, de culture. Le développement des innovations reliées à l’économie collaborative en est un parfait exemple.

On peut encore innover pour inventer et promouvoir les initiatives, les services, les solutions nouvelles et pérennes en faveur de formes modernes de prospérité partagée et bienveillante.

Toujours dans l’idée de favoriser de nouvelles visions, et si tous les investissements à impact positif pour le climat bénéficiaient d’un avantage supplémentaire ? Ceci afin de rééquilibrer le bénéfice « socio-environnemental » au profit de l’organisation qui y consacrerait sa mission.
C’est plus largement l’idée développée par Ivar Ekeland, et son idée de « taux d’intérêts écologiques » visant à encourager par une meilleure valorisation, les investissements verts au détriment des investissements à l’impact environnemental négatif. Le taux (à 100 ans) serait fixé par convention issue d’un choix politique.

Et en matière d’innovation organisationnelle des territoires, d’entreprenariat, de gestion ?
L’économie circulaire présente une des pistes de solutions d’une organisation sociétale aux multiples atouts écologiques et économiques. Investir et innover dans l’économie circulaire c’est passer du schéma traditionnel de production linéaire, qui va directement de l’utilisation d’un produit à sa destruction, à une logique de “boucle”, où l’on recherche la création de valeur positive à chaque étape en évitant le gaspillage des ressources tout en assurant la satisfaction du consommateur. Mais c’est aussi investir dans la coopération entre les acteurs d’un territoire donné.

En parallèle, il faudrait que le principal organe mondial d’organisation économique, l’OMC, soit profondément réformé : son objectif ne doit pas être seulement l’instauration de la concurrence et l’abaissement des barrières nationales, mais surtout la coopération internationale et la relocalisation des activités qui peuvent l’être notamment pour les biens essentiels comme l’alimentation; il doit préciser les règles d’un développement économique vraiment durable et promouvoir les filières qui vont dans ce sens; en clair, entamer sa propre révolution et raisonner autrement que de promouvoir la mondialisation au nom d’une croissance du PIB pour tous.
Et si demain l’OMC était en mesure de prendre en compte l’impact des échanges sur nos ressources naturelles ? Leur exploitation a un coût socioéconomique que l’on ne peut plus ignorer, et cette institution doit pouvoir aussi, par sa politique, inciter à la décarbonisation de l’économie mondiale. Faut-il poursuivre sur la voie des accords de libre échanges internationaux qui génèrent des tonnes de CO2 chaque jour, au nom de la croissance et du PIB ? Faut-il toujours inciter chacun à consommer plus ?

Ainsi donc la croissance du PIB ne doit plus être le « graal » qui mesure la croissance économique et conditionne l’affectation des budgets liés aux politiques sociales, d’éducation, de recherche, de soins, par exemple.

Le raisonnement par le PIB fait obstacle à l’implication de la puissance publique pour financer la transition de manière collective, car on privilégie le PIB au détriment du développement humain basé sur son bien-être ; prendre en compte l’indicateur d’espérance de vie par exemple, pourrait aussi servir de référence pour guider les réformes de politiques publiques et privées.

Ne parlons plus de déficit budgétaire lié à une « faible croissance ».
Nous sommes en déficit social-écologique, c’est cette croissance là que l’on doit développer : l’économie ne s’en portera que mieux et durablement.

Alors j’ai piqué votre curiosité ? Vous êtes d’accord avec l’essentiel ou en profond désaccord avec ce qui est écrit ou vous voudriez en savoir plus : faites circuler!

 

Pour aller plus loin :

Ecoutez Johan Ekstrom pour comprendre les limites de la planète :

Ecoutez Ivar Eckeland, pour comprendre les vertues des taux d’intérêts écologiques :

Lisez Elinor Ostrom et ses travaux sur la gouvernance des biens communs.

Et enfin pour une vue plus étayée du texte ci-dessus, lisez donc « sortir de la croissance – Mode d’emploi » par Eloi Laurent (éditions LLL « les liens qui libèrent »).

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