Article d’Antoine Barbeau (IGE 2019)

 

Introduction

En France, moins de 2 % des actifs vivant entre 4 et 10km de leur travail s’y rendent à vélo [1]. Pourtant, cette distance semble tout à fait envisageable pour un trajet quotidien [2]. En comparaison, aux Pays Bas, 36 % de la population utilise le vélo comme moyen de transport quotidien [3]. En avril 2018, Paris en Selle et la Fédération française des Usagers de la Bicyclette (FUB) ont publié un rapport sur l’utilisation des vélos en France, et ont démontré que la non-utilisation du vélo en France était principalement liée à un sentiment d’insécurité :

On comprend alors l’importance de l’aménagement d’infrastructures adaptées pour dynamiser ce moyen de transport. L’usage du vélo est à la fois peu coûteux, pratique, rapide, favorise l’exercice physique, tout en ayant un impact carbone faible [4]. De plus, pour les aménageurs urbains, il réduit l’emprise des usagers sur la voirie tout en favorisant un dynamisme local.

 

Les politiques publiques en faveur du vélo en France

A ce jour, aucune directive européenne pour l’installation d’infrastructures cyclables n’a été mise en place. Seule une initiative de regroupement de grands axes existe, c’est le réseau Eurovélo [5]. Heureusement, l’Etat français a lancé sa propre politique en septembre 2018 : le plan vélo et mobilités actives [6]. L’objectif principal de ce plan est de tripler la part modale du vélo dans les déplacements du quotidien d’ici 2024, en passant de 3 à 9 %. Le plan vélo fonctionne sous forme d’appel à projets pour les collectivités ou sociétés et s’articule autour de 4 axes :

  • Sécurité : développer les aménagements cyclables grâce à un fonds national de 350 millions d’euros
  • Sûreté : mieux lutter contre le vol
  • Fiscalité : mise en place d’un cadre incitatif, notamment pour les entreprises
  • Culture : promotion d’une véritable culture du vélo

Le premier axe est celui qui nous intéresse dans le cadre de cet article. Une étude de la National Association of City Transportation Officials [7] a démontré qu’une piste cyclable sécurisée coûte en moyenne entre $133,170 et $536,680 par mile en fonction des pays. Si l’on prend l’hypothèse d’un coût de 250 000€/km en France, ce budget permettrait de construire d’ici 2024 1400 km de pistes cyclables sécurisées. Ce nombre paraît faible comparé au million de kilomètres de réseau routier national, mais on ne peut pas reprocher au gouvernement d’être inactif.

Malheureusement, au regard des premiers lauréats 2019 de l’appel à projets, il semblerait que l’accent soit mis sur quelques ouvrages en périphérie (ponts, carrefours, hubs mobilités) et il est difficile de déterminer la part du vélo dans ces projets multimodaux, qui pourraient se faire au détriment de la voiture ou d’autres moyens de transport. De plus, ces projets sont principalement mis en place dans des zones non urbaines, qui auraient besoin d’aménagements spécifiques plus adaptés [8]. Il y a donc un décalage entre la politique nationale et les besoins du territoire : urbanisation grandissante et trajets domicile-travail plus courts en zone urbaine.

Aujourd’hui, la France dispose de 15 120 km d’”itinéraires aménagés” pour les cyclistes. C’est un nombre bien inférieur au million de kilomètres de routes dans le pays [9]. Pour vous donner une idée, voici la carte des infrastructures cyclables identifiées à l’échelle de la France :

A gauche, la carte des « voies et routes cyclables [10] » et à droite celle des routes nationales [11]
A gauche, la carte des « voies et routes cyclables [10] » et à droite celle des routes nationales [11]

Pour mieux comprendre cette disparité d’infrastructure, analysons-la à une échelle plus propice au développement cyclable : l’échelle locale. La ville championne de France, c’est Strasbourg, avec ses 600 kilomètres de voies cyclables. 5ème au classement mondial, la ville qui héberge le siège du parlement européen n’a rien à envier aux 1000 kilomètres de Paris ou aux 700 kilomètres de Bordeaux [12]. La ville de Strasbourg met d’ailleurs ce moyen de transport à l’honneur sur ses communications, par exemple sur son site internet [13], où elle propose le marquage des vélos pour éviter les vols, des ateliers avec des outils à disposition pour leur réparation, une offre de location avec entretien tout compris à 2€ par jour maximum…

Capture d’écran de l’application Géovélo à Strasbourg : recensement des voies cyclables
Capture d’écran de l’application Géovélo à Strasbourg : recensement des voies cyclables

Le faible développement des infrastructures cyclables montre bien une politique française favorisant la voiture, aux échelles nationales et locales, malgré quelques initiatives de collectivités locales engagées. La présence nationale de grandes marques historiques automobiles comme Renault ou Peugeot a aussi dû influer les politiques mises en place. Mais alors, de quel modèle peut-on s’inspirer pour inciter les français-e-s à pédaler ?

 

Le meilleur élève de la classe en Europe : Copenhague

Le Danemark est le pays le plus accueillant pour les vélos au monde. 9 personnes sur 10 possèdent un vélo, alors que seulement 4 personnes sur 10 possèdent une voiture. De plus, 25% de tous les déplacements dans le pays de moins de 5 km se font à vélo. Le Premier ministre danois Lars Løkke Rasmussen montre l’exemple, comme beaucoup de politiciens, sur son vélo tous les matins [14].

Historiquement, la ville de Copenhague n’a pas toujours été adaptée aux cyclistes. En 1950, il y avait plus de cyclistes dans le centre-ville qu’actuellement. A partir des années 60 et avec l’essor de la voiture dans le monde, Copenhague a vu baisser drastiquement le nombre de cyclistes. Mais la population a protesté pour le retour du vélo dans ses rues, et le nombre est aujourd’hui reparti à la hausse.

Nombre de cyclistes par an dans une rue de Copenhague, conférence ISIGE S. Rasmussen
Nombre de cyclistes par an dans une rue de Copenhague, conférence ISIGE S. Rasmussen

La France tient à développer une “culture du vélo”, c’est un des axes de sa politique. Pourtant, au Danemark il n’existe pas de culture particulière :

La plupart des habitants de Copenhague considèrent le vélo comme un simple moyen de transport
Clotilde Imbert, Directrice de Copenhagenize France, conférence ISIGE 01/04/2020

En effet, Clotilde explique que les habitants utilisent en majorité le vélo car c’est facile et plus rapide que la voiture. Viennent ensuite les arguments de santé et le coût bien inférieur à la voiture. Seulement 7% des habitants mettent en avant la raison environnementale. Avec le nombre de magasins et ateliers de vélos dans la ville, la plupart des Copenhagois-e-s ne savent pas réparer une crevaison. Dans la ville la plus cyclable au monde, c’est un joli paradoxe.

De plus, la politique de la ville de Copenhague met le vélo au cœur de sa stratégie mobilités :

La ville de Copenhague a un objectif pour chaque moyen de transport dans la rue : priorité aux piétons dans le centre-ville et les rues commerçantes. Des bus ayant un temps de trajet plus court et une meilleure régularité, un temps de trajet similaire pour les voitures. Mais surtout un temps de trajet plus court et moins d’arrêts pour les vélos.
Steffen Rasmussen, Head of projects de la ville de Copenhague, conférence ISIGE 02/04/2020

L’accent est mis sur les cyclistes, et tout est pensé pour leur confort. On pourrait croire que la topographie de la ville, plane, est aussi en faveur des cyclistes. Pourtant, les conditions météorologiques du pays rendent difficiles les trajets d’hiver. Neige, pluie, journées sans soleil… Mais 75% d’entre eux se déplacent à vélo toute l’année. La ville s’est adaptée aux conditions climatiques et déneige en priorité les pistes cyclables. Pour le confort des citadins, des repose-pieds sont installés au niveau des feux, des poubelles inclinées le long des pistes cyclables… Mais surtout, les vélos sont séparés des voitures et des piétons et ne les rencontrent que le plus rarement possible.

Illustration conférence ISIGE 02/04/2020, Steffen Rasmussen, Head of projects de la ville de Copenhague
Illustration conférence ISIGE 02/04/2020, Steffen Rasmussen, Head of projects de la ville de Copenhague

Aujourd’hui, 41% de tous les trajets pour travailler et étudier depuis / vers Copenhague se font à vélo, ce chiffre monte à 62% dans la ville [15]. C’est le leader mondial de la mobilité à vélo. Mais alors, comment peut-on reproduire ce modèle en France ?

 

Donner envie aux français.e.s, grâce à des infrastructures adaptées

Pour voir les français.e.s pédaler, il faut commencer par demander aux personnes les plus vulnérables face à l’environnement existant ce dont elles auraient besoin pour se déplacer à vélo au quotidien et agir sur l’infrastructure en conséquence :

Les femmes sont plus susceptibles de faire de multiples trajets, car elles réalisent en moyenne 75% des travaux non rémunérés d’un ménage. Elles sont aussi plus souvent harcelées que les hommes dans les transports
Marianne Weinreich, Market manager global smart mobility à Ramboll, conférence ISIGE 30/03/2020

L’objectif pour le développement d’une infrastructure cyclable sécurisée est donc de penser sa conception pour tous. Il est important de se baser sur des données sur l’utilisation de cette infrastructure en temps réel, pour pouvoir l’adapter et l’ajuster au mieux pour l’ensemble de la population. Le pourcentage de femmes, qui n’appréhendent pas le risque de la même manière que les hommes, est un bon indicateur de la sécurité des infrastructures cyclables [16]. De la même manière, une personne âgée qui serait encore assez en forme pour prendre son vélo ne doit pas être arrêtée par la peur d’un accident sur la route.

A l’image du Danemark, il faut aussi minimiser les temps de trajet à vélo, en privilégiant les routes les plus directes. Mettre en place des « flux verts » en adaptant les feux verts à la vitesse des cyclistes (20 km/h en moyenne) et apporter du confort sur les lieux d’arrêts si nécessaire. Les infrastructures doivent être développées en priorité là où les trajets domiciles-travail sont les plus courts. Globalement, la France doit investir durablement dans l’infrastructure cyclable, sans faire d’économies : la vie d’un cycliste n’a pas de prix, et il est bien plus vulnérable qu’un automobiliste.

Illustration conférence ISIGE 01/04/2020, Clotilde Imbert, Directrice de Copenhagenize France
Illustration conférence ISIGE 01/04/2020, Clotilde Imbert, Directrice de Copenhagenize France

En parallèle de cette infrastructure, il est essentiel de relier ce réseau cyclable à d’autres moyens de déplacements : transport en commun, covoiturage, véhicules en libre-service… C’est l’intermodalité des transports.

On doit pouvoir sortir de chez soi comme on s’habille tous les jours, sans se préoccuper du moyen de transport que l’on va utiliser
Clotilde Imbert, Directrice de Copenhagenize France, conférence ISIGE 01/04/2020

Des casiers pour stocker ses effets personnels, des garages à vélo, des pompes dans la rue : ces éléments sont essentiels à une pratique accessible du vélo. Un utilisateur doit pouvoir ranger son sac à main en sécurité et stocker son casque jusqu’à son retour s’il souhaite en porter un. Après tout, il serait envisageable de ne pas en porter si la sécurité était assurée.

Bien sûr tout ceci a un coût. Et il serait fou de croire que dans le contexte socio-économique actuel (avec la crise du coronavirus), nous pourrions investir à ce point dans les infrastructures. C’est alors qu’arrive le dernier atout de ce moyen de transport : les avantages socio-économiques de son développement.

Les infrastructures cyclistes sont bien moins coûteuses qu’une infrastructure routière, sans parler du nombre d’usagers qui peuvent se déplacer sur une même portion. Pour les particuliers, l’achat et entretien d’un vélo est bien moins onéreux qu’un véhicule, et donc accessible à tous. Aussi, l’attractivité des rues transformées pour les vélos (et bien souvent pour les piétons par la même occasion) booste les ventes des commerces locaux alentour. Par exemple grâce à la « Green Lane » à Salt Lake City aux Etats-Unis, les ventes ont augmenté de 8,8%17. Enfin, il est important de rappeler que le trafic routier est responsable d’un quart des émissions de gaz à effet de serre (en grande partie à cause des oxydes d’azote et des particules fines qu’il émet). La diminution de ce trafic au profit du vélo permet donc d’améliorer la qualité d’air, et donc indirectement de réduire les dépenses de santé.

 

Conclusion

Inciter les français à pédaler, ça paraît simple, et ça se résume à :

  • Centrer la politique sur les besoins, et où les personnes sont plus susceptibles de prendre leur vélo
  • Développer des infrastructures sécuritaires et accessibles pour tous
  • Faire du vélo le moyen de transport le plus rapide sur de courtes distances (jusqu’à 10 km)
  • Planifier un voyage à Copenhague (en vélo bien sûr) pour s’en inspirer
  • Consulter le guide [18] d’aménagement de l’association Paris en Selle

Un « game changer » : en cas d’épidémie, le vélo assure une certaine distance entre les usagers ! C’est d’ailleurs une solution privilégiée pour les déplacements à compter du 11 mai 2020. « Grâce » à cette situation exceptionnelle du Coronavirus, le gouvernement a mis en place un plan de 20 millions d’euros [20] pour soutenir le vélo : 50 euros pour la remise en état d’un vélo pour les particuliers, la création de places de stationnement temporaires et des formations. Mais surtout, et vous l’aurez probablement remarqué, ce sont des centaines voire milliers d’itinéraires cyclables « temporaires » qui se sont vu fleurir sur le territoire français, en quelques mois seulement. La démarche est facilitée par la dispense d’autorisations (par les Architectes des Bâtiments de France par exemple), et par l’accès à des fonds de dotation de soutien à l’investissement local. Espérons que ces infrastructures deviennent pérennes !

 

Sources

1 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2557426#consulter
2 https://mobilitylab.org/2017/02/27/how-far-bike-work/
3 https://www.lemonde.fr/blog/transports/2019/05/11/10-chiffres-sur-le-velo-en-europe/
4 https://blog-isige.minesparis.psl.eu/2019/07/03/velotaf/
5 https://fr.eurovelo.com/
6 https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/plan-velo-et-mobilites-actives
7 https://nacto.org/publication/urban-bikeway-design-guide/bike-lanes/conventional-bike-lanes/
8 https://supercykelstier.dk/english/
9 https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seau_routier_fran%C3%A7ais https://www.francevelotourisme.com/conseils/preparer-mon-voyage-a-velo/reseau-cyclable-france
10 https://www.af3v.org/CarteAF3V/carte-detaillee.html ; https://umap.openstreetmap.fr/fr/map/carte-des-veloroutes-etvoies-vertes-de-france_45562#6/46.823/4.812
11 http://www.vidiani.com/large-detailed-road-map-of-france-with-all-cities-and-airports/
12 https://www.citycle.com/45728-villes-cyclables-france-classement/
13 https://www.strasbourg.eu/a-velo
14 https://www.bicycle-guider.com/bike-facts-stats/
15 http://www.cycling-embassy.dk/2017/07/04/copenhagen-city-cyclists-facts-figures-2017/
16 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1198874/genre-cyclisme-bicyclette-infrastructures-cyclistes-diversite
17 http://peopleforbikes.org/blog/salt-lake-city-street-removes-parking-adds-bike-lanes-and-sales-go-up/
18 https://drive.google.com/file/d/1qfkeC8YbV3CQpULdgs1LokD4t6jQ6BjZ/view
19 http://www.leparisien.fr/info-paris-ile-de-france-oise/transports/ile-de-france-le-velo-piste-ideale-pour-lesdeplacements-post-confinement-13-04-2020-8299014.php
20 https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/30/un-plan-gouvernemental-de-20-millions-d-euros-pour-encouragerla-pratique-du-velo-au-deconfinement_6038198_3244.html

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