Article de Patricia PELEY (MS EEDD parcours RSEDD 2025-26)
Introduction
Il est des rivières qui racontent, à elles seules, le lien profond entre l’homme et la nature. La Risle est de celles-là. Née à 275 mètres d’altitude dans les collines du Perche ornais, elle descend lentement vers la Seine, qu’elle rejoint à Berville-sur-Mer après un voyage de 159 kilomètres. Sur son parcours, elle traverse des paysages multiples – vallées étroites, plateaux crayeux, zones humides – abritant une étonnante diversité d’habitats naturels. Ses 35 affluents, forment l’un des chevelus hydrographiques les plus denses du département de l’Eure, avec plus de 300 km de cours d’eau.

En aval, la Risle devient une rivière maritime. Les marées de la Seine y font osciller le niveau et la salinité, créant un écosystème d’eaux saumâtres, zone de rencontre entre le fleuve et la mer. Cette portion, fixée administrativement au barrage de la Madeleine à Pont-Audemer, est appelée la Risle Maritime.
C’est là que naviguent et remontent la truite de mer (Salmo trutta trutta), la lamproie marine (Petromyzon marinus), l’anguille européenne (Anguilla anguilla) et le saumon atlantique (Salmo salar) : des voyageurs au long cours, longtemps bloqués dans leur progression.
Ce récit propose d’emprunter leur chemin. D’abord en remontant vers la Risle d’hier, façonnée par les besoins humains et les activités industrielles. Puis en découvrant la Risle d’aujourd’hui, engagée dans une restauration écologique ambitieuse portée par le Syndicat mixte de la Basse Risle et qui voit le retour progressif des poissons migrateurs dans une rivière à nouveau accessible.

Crédit photo : @https://www.smbvrisle.fr/territoire/la-risle/
LA RISLE, UNE RIVIÈRE FAÇONNÉE PAR L’HOMME ET EN QUÊTE D’ÉQUILIBRE
Depuis des siècles, la Risle a accompagné le développement humain et économique de la vallée. Source d’énergie et de prospérité, elle a très tôt été domestiquée pour répondre aux besoins des hommes. Ses berges ont accueilli de nombreux moulins, puis des tanneries, filatures et industries du cuir qui firent la renommée de Pont-Audemer, longtemps surnommée la « petite Venise normande ». Pour exploiter sa force motrice et permettre la navigation des marchandises, le lit de la Risle fut progressivement modifié : détournements, creusements de canaux, aménagements de biefs* et construction de barrages ont façonné un paysage fluvial artificialisé, bien éloigné du cours naturel d’origine.
La deuxième partie du XIXème siècle a eu raison de la plupart des industries de la vallée de la Risle qui, à caractère artisanal, n’ont pu s’adapter aux nouvelles conditions du progrès technique et à la concurrence de grands ports. Néanmoins quelques grosses entreprises subsistent au XXème Les activités industrielles présentes sur la Risle sont très diversifiées (métallurgie, traitement de surface, chimie, cosmétologie, agro-alimentaire, tannerie, papeterie…) [1] [2] [3] [4]
Avec le déclin industriel, la rivière a perdu son rôle économique central, mais elle a continué d’être utilisée comme source d’énergie. De nombreuses micro-centrales hydroélectriques, parfois privées, ont pris le relais des anciennes installations industrielles, prolongeant ainsi la maîtrise humaine sur le cours d’eau. Ces usages successifs ont cependant laissé des traces profondes : fragmentation du lit, ouvrage infranchissables, stagnation des eaux, altération des berges et diminution de la qualité écologique du milieu, pollution des nappes .
À partir des années 1990, une nouvelle vision émerge. Avec la loi sur l’eau de 1992 puis celle de 2006 [5], l’idée d’une gestion équilibrée et durable de la ressource s’impose. Il ne s’agit plus de contraindre la rivière, mais de restaurer ses fonctions naturelles. À Pont-Audemer, la Risle devient alors un symbole de cette transition : après des siècles d’exploitation, l’heure est venue de renouer avec le vivant.
De nombreux ouvrages hydrauliques infranchissables en raison de leur hauteur de chute entravent la libre circulation des poissons, et réduit considérablement les habitats disponibles, limitant ainsi la colonisation à une infime partie du bassin .
Face à ce constat, une avancée majeure est réalisée en faveur de la reconquête du bassin par les poissons migrateurs au début de l’année 2023, avec l’aménagement de l’ouvrage de la Madeleine, premier obstacle infranchissable sur le cours d’eau depuis l’estuaire de la Seine.
LES SOLUTIONS GRISES AU SERVICE DE LA TRAME BLEUE [6] : UNE LIAISON ENTRE L’ESTUAIRE ET LA RIVIÈRE
Pont-Audemer a choisi de renouer le lien avec son patrimoine fluvial. L’objectif est de rétablir la continuité écologique de la Risle, c’est-à-dire de permettre à l’eau, aux poissons et aux sédiments de circuler librement. Au total, ce sont 20 km de rivière qui redeviendront accessibles depuis la mer – ou 40 km en incluant les bras secondaires et les affluents – avec la reconnexion de zones de frayères essentielles.

Un ouvrage emblématique et innovant
Inaugurée en 2023 La Rampe de la Madeleine du nom éponyme de l’ancien barrage électrique est depuis entièrement ouverte aux grands migrateurs ainsi qu’aux anguilles. C’est une première en France à cette échelle et dans ce contexte fluvial-maritime. Un exemple d’ingénierie éco-fonctionnelle, où la morphologie de l’ouvrage imite les dynamiques naturelles de la rivière. Dans ces conditions, les zones de fraie redeviennent accessibles, permettant à des espèces telles que la truite de mer de circuler librement et de compléter son cycle biologique.
- le démantèlement du barrage et de la centrale hydroélectrique
- la construction d’une rampe en pente douce reproduisant les formes naturelles du lit fluvial, jalonnée de 1 200 macro-rugosités et de bassins de repos.
- Complété par La station de comptage des migrateurs (STACOMI) qui comptabilise la reconquête de la Risle par les poissons

Les plus de l’ouvrage :
- Utiliser une rampe à macro-rugosités et deux bassins de repos permet de moduler les vitesses d’écoulement, créer des zones de récupération pour les poissons plus faibles nageurs, et permettre aussi le passage de poissons de différentes tailles [6]
- La configuration de l’ouvrage, qui s’étend sur 110 m et occupe les trois quarts de la largeur de la rivière, offre une entrée de passe très large. Cela réduit la concurrence à l’entrée et améliore l’attractivité pour un large éventail d’espèces. [7]
- La passe est conçue pour fonctionner en permanence, dans des conditions variées (marée, crues, faibles débits) ce qui soutient l’idée de « plage de fonctionnalité maximale (100 % du temps) »[8].
- La rive droite de l’ouvrage est composée de 3 vannes sur 12 mètres de large ce qui permettra une évacuation plus rapide des crues et préserve l’usage ancien.
Les controverses rappellent qu’un tel projet a mobilisé des ressources publiques importantes, et que son succès dépendra de la pérennité de son entretien et du suivi écologique.
La station de comptage des migrateurs (STACOMI)
La reconquête de la Risle et de ses affluents par les poissons migrateurs est depuis longtemps, un objectif fort de la Fédération de l’Eure pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique
Opérationnelle depuis fin 2022 la station de comptage est installée sur le bras de contournement des sept vannes, elle permet de suivre le nombre de poissons, preuve concrète de l’efficacité du dispositif. et outil d’évaluation qui permet de mesurer le retour des poissons suite aux travaux de continuité écologique et à la création de la rampe de la Madeleine.
Elle facilite l’évaluation quantitative des remontées d’espèces mais aussi la mise en place d’un service de biométrie [9] , marquage génétique des flux de migration, de la biologie et du comportement.


LE RETOUR DES POISSONS
2025- Jusqu’à 727 truites de mer en montaison, arrivée de lamproies marines, remontée de civelles.
L’efficacité de la rampe a été validée par la station de comptage des migrateurs gérée par la Fédération de pêche de l’Eure, ainsi que des observations de l’OFB (Office Français de la Biodiversité) qui ont comptabilisé 68 truites de mer et un saumon atlantique en 2022, 697 truites de mer, cinq lamproies marines en 2023, 727 truites de mer fin novembre.
Les poissons migrateurs remontent désormais. Les espèces présentes exclusivement dans la Risle (truite de rivière, vairon, gardon, chabot entre autres) utilisent également ces aménagements.
| Anguille européenne | Truite de mer |
| Espèce catadrome se reproduit en mer | Espèce anadrome se reproduit en eau douce |
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| L’Anguille européenne (Anguilla) est un poisson de forme allongée, au corps cylindrique dans sa partie antérieure et aplati latéralement dans sa région caudale. Sa silhouette rappelle celle du serpent, d’où son nom (du latin anguis, le serpent). Son corps est recouvert de petites écailles et d’un abondant mucus qui la rendent difficile à saisir. Ses longues nageoires dorsale et ventrale qui se rejoignent au niveau de la queue sont insérées en arrière des nageoires pectorales (caractéristique de la famille des Anguillidés). | La truite de mer (Salmon truta) est, comme le saumon, un poisson de la famille des salmonidés, c’est la forme migratrice de la Truite fario et non une espèce différente. |
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Les espèces en statut critique ou vulnérable font à nouveau progressivement leur apparition : en 2024, 170 anguilles ont été recensées contre 37 en 2023. Ce retour encourageant doit toutefois être nuancé : aucun saumon n’a été observé en 2023 et 2024, et environ 1 200 individus n’ont pas pu être identifiés en raison de la turbidité de l’eau au moment de leur passage à la station de comptage, rendant les résultats partiellement incertains.

Crédit photo : @Seine-Normandie Migrateurs

LA CONTINUITÉ ÉCOLOGIQUE [10]
La reconquête des cours d’eau par les poissons migrateurs dépend aussi de la quantité et de la qualité des habitats accessibles propices à leur reproduction et à leur croissance .
Brionne en amont de Pont-Audemer s’inscrit dans la même dynamique de restauration écologique en cœur de ville, poursuivant ainsi la reconquête de la continuité écologique sur l’ensemble du cours de la Basse Risle. Les travaux en cœur de ville ont permis la suppression d’un ouvrage de dérivation majeur ainsi que la requalification du lit mineur de la Risle, en redonnant à la rivière une configuration plus naturelle, adaptée à son débit originel. Le barrage de Brionne (ci-dessous), qui créait un effet de « bassine » artificielle, a été neutralisé afin de rétablir un écoulement libre et permanent.
Cela a aussi conduit à une réduction des risques d’inondation en ville, par l’aménagement de zones de débordement et la restauration de zones humides mégaphorbiaies (friches humides et inondables en bordure urbaine, formation végétale prairiale hétérogène constituée de grandes herbes et privilégiant le retour de la biodioversité) et zones tampons. Le site constitue désormais un écosystème urbain fonctionnel, capable de stocker l’eau en période de crue, de limiter l’effet des sécheresses, et de proposer un milieu d’accueil de qualité pour la biodiversité, les habitants, les clubs sportifs et les pêcheurs.
Site de Brionne – Bassine avant travaux – Crédit photo : ©SMBVR
Vidéo explicative complète https://youtu.be/Mjlr3klcPOs?si=mKC9GsM141iAY4Te
Conclusion
La renaissance de la Risle s’inscrit donc pleinement dans la logique de la Trame Verte et Bleue .[11], mesure phare de la loi Grenelle 2 de 2010 et la Directive-cadre sur l’eau [12] qui vise à atteindre le bon état des masses d’eau d’ici 2027. Ses continuités écologiques – réservoirs et corridors – relient les espaces naturels pour préserver la biodiversité, réduire la fragmentation des habitats et maintenir le bon état écologique des eaux. Pont-Audemer et Brionne en sont désormais les symboles locaux : deux villes réconciliées avec leur rivière, deux jalons d’un même corridor écologique, reliant l’estuaire à la Basse Risle. Et, comme le rappelle Thomas Dupuis :
“Les travaux de continuité sont une nécessité pour conserver la vie foisonnante de nos rivières, au même titre qu’une bonne qualité de l’eau.”
C’est un juste retour de l’homme envers la nature.
Sources
Je souhaite adresser mes remerciements les plus sincères à Aurélie Lefebvre, Directrice générale des services de la ville de Brionne, ainsi qu’à Thomas Dupuis, technicien rivière de la Risle au Syndicat Mixte de la Basse Vallée de la Risle, pour le temps qu’ils ont consacré à m’expliquer les travaux de continuité écologique menés sur la Risle et pour le partage de documents qui m’ont permis de mieux comprendre ce milieu.
Je remercie également Madame Favier, chargée de mission Valorisation du patrimoine à la Ville de Pont-Audemer, pour sa visite guidée éclairante et passionnante de la superbe exposition « La Risle, une rivière des patrimoines ».
- 1. Mémoire industrielle valorisée à la Manufacture Bohin de Saint-Sulpice-sur-Risle ou lors de l’exposition « La Risle une rivière des Patrimoines »
- 2. Lecherbonnier, Yannick (1982). Moulins et industries dans la vallée de la Risle. Annales de Normandie, vol. 32, n°3, pp. 195–220.
- 3. Diville, W. (1953). La vie industrielle dans la vallée moyenne de l’Eure. Annales de Normandie, vol. 3, n°1, pp. 27–45.
- 4. Wikipedia, Patrimoine industriel de l’Orne – Fabriques métallurgiques et aiguilleries [consulté en juillet 2025].
- 5. Dossier d’autorisation et de déclaration au titre de la loi sur l’Eau Et de l’article L 212-1 du code de l’environnement
- 6.(7) Site internet de la ville de Pont-Audemer https://www.ville-pont-audemer.fr/vivre-ici/environnement-cadre-de-vie-transports/protection-des-milieux/?utm_source=chatgpt.com
- 8. Les poissons vont enfin pouvoir remonter la Risle_Site Eure en Normandie-Article Février 2023
- 9. Le terme biométrie désigne l’étude statistique des caractères physiques ou comportementaux des êtres vivants. Appliquée aux poissons, elle permet ainsi d’obtenir des informations précieuses sur leur taille, leur poids, leur structure corporelle ou encore leurs mouvements et comportements. Source https://www.caclb.com
- 10. Continuité écologique : La continuité écologique se définit par la libre circulation des organismes aquatiques et le transport naturel des sédiments.
- 11.Trame bleue La trame bleue fait référence aux réseaux aquatiques et humides : fleuves, rivières, canaux, étangs, zones humides.https://www.grand-est.developpement-durable.gouv.fr/qu-est-ce-que-la-trame-verte-et-bleue-a21223.html.
- 12. La loi de 2004 a transposé la directive-cadre sur l’eau prise par l’Europe en 2000 et orientant toute la politique de l’eau vers des objectifs de résultat,parmi lesquels l’atteinte du bon état des eaux à l’horizon 2015. Elle fixe dans un plan de gestion, les SDAGE, des objectifs ambitieux pour la préservation et la restauration de l’eau et des milieux aquatiques, mis en œuvre par un programme de mesures. La directive-cadre donne la priorité à la protection de l’environnement et à une utilisation durable de l’eau, en demandant de veiller à la non-dégradation de la qualité des eaux. L’objectif est d’atteindre d’ici 2015 un bon état général tant pour les eaux souterraines que pour les eaux superficielles, y compris les eaux estuariennes et côtières.
Autres sources :
Article publié dans l’Éveil Normand par Yann Rivallan Publié le 21 févr. 2023
Article publié dans l’Éveil Normand par Marie-Christine Devillers du 30 mai 2025
Site https://www.smbvrisle.fr/ et lettres d’information numéros 9 à 11






