Article de Guillaume Bonnet (MS EEDD parcours RSEDD 2024-25)
Introduction
Que l’on parle de taxe carbone, de nourriture bio trop chère ou bien des zones à faible émission (ZFE) dans les villes, la transition écologique est le plus souvent mal perçue par les populations les moins riches et a pu amener par le passé des désordres sociaux importants (cf “les gilets jaunes”).
Mais qu’en est-il vraiment ? La transition écologique n’est-elle vraiment qu’une source de contraintes et de dépenses impactant principalement les plus défavorisés ? Ou bien peut-elle aussi être engagée de façon à répondre à nos enjeux sociaux d’aujourd’hui et de demain ? C’est sur ce sujet que le Conseil National des Politiques de Lutte contre la Pauvreté et l’Exclusion Sociale (CNLE) vient de remettre un rapport1 au mois de juin 2024. Je vous propose d’en explorer les tenants et les aboutissants dans cet article.
Mais tout d’abord, qu’est-ce que le CNLE ?
Le Conseil National des Politiques de Lutte contre la Pauvreté et l’Exclusion est une instance représentative placée auprès du premier ministre. Il est composé des principaux décideurs et acteurs institutionnels ou associatifs, impliqués dans la mise en œuvre des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Établi en 1988, il est composé depuis 2019 du conseil à proprement dit et d’un comité scientifique composé de chercheurs-universitaires qui a pour mission de renforcer l’expertise du conseil. Le conseil lui-même est composé de 64 membres répartis en cinq collèges: le collège des élus et représentants de l’action sociale territoriale, le collège des associations, le collège des partenaires sociaux, le collège des personnes qualifiées et le collège des personnes concernées.
Ses missions sont d’assister le gouvernement sur son domaine, d’assurer une concertation entre toutes les parties prenantes et un suivi de l’évolution de la pauvreté à travers des indicateurs. Le conseil peut être soit saisi par le gouvernement, soit s’auto-saisir sur un sujet spécifique comme cela est le cas dans le rapport: “Faire de la transition un levier de l’inclusion sociale : l’impact social de l’écologie”.
Que nous dit le rapport ?
Le changement climatique va avoir un impact profond sur la population française mais cet impact n’est potentiellement pas le même selon les catégories socio-professionnelles.
En effet, bien que leur contribution aux émissions de CO2 est souvent moindre (cf figure 3) que celles des populations riches (principalement en raison de leur consommation plus frugale et contrainte 2), les ménages pauvres et modestes sont affectés d’une manière disproportionnée financièrement, en terme de santé et dans leur emploi par les conséquences de changement climatique 3.
En exemple, les classes populaires urbaines souffrent fortement lors des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes en raison de logements de moindre qualité, le plus souvent mal isolés et situés dans des zones fortement urbanisées. L’effet des vagues de chaleur se trouve également démultiplié par la formation d’ilots de chaleur lorsque la ville manque de parc ou d’espace naturel à proximité à cause d’une bétonisation outrancière. Ces vagues de chaleur affectent non seulement la qualité de vie de ces populations mais peuvent également porter préjudice à leur santé (déshydratation des jeunes enfants ou des personnes âgées, pollution à l’ozone, …) 4
Pour ce qui concerne les classes populaires péri-urbaines ou vivant en zones rurales, elles se retrouvent, en général plus impactées par les phénomènes, accrus par le changement climatique, de tempêtes et d’inondations. Leur logement est plus souvent localisé dans des zones à risques ou des plaines inondables. Cela s’ajoute aux problèmes de pollution atmosphérique et des sols qui affectent également davantage ces populations qui vivent plus souvent en périphérie des zones industrielles 5.
Ces deux catégories de classe populaire se retrouvent également indirectement impactées par certaines politiques liées à la transition écologique. En effet, leurs modes de vie et de consommation tendent à être plus carbonés en proportion que ceux des catégories socio-professionnelle les plus riches.
En d’autres mots, la part du budget mensuel des foyers à plus faibles revenus dédié à des biens et des services carbonés de première nécessité est plus importante que chez les foyers à plus haut revenus. On pense bien sûr à l’énergie (chauffage), au transport (voiture pour se rendre au travail) et à la nourriture 6. Toute augmentation du coût de l’énergie a donc un impact démultiplié pour les classes les plus populaires.
Or, la plupart des politiques de la transition écologique au niveau national viennent, soit jouer sur le signal prix de l’énergie, soit inciter les populations à changer de mode de consommation, mode déjà fortement contraint pour les plus bas revenus.
Prenons quelques exemples :
- La taxe carbone : visant à renchérir la consommation carbonée, elle viendrait impacter de plein fouet les classes populaires qui vivent en moyenne dans des habitations moins bien isolées (qui consomment plus d’énergie par m2 donc), et qui prennent plus leur (vieille) voiture pour se rendre au travail (pour les populations péri-urbaines ou rurales)7
- Les primes à la casse ou les subventions pour renouvellement du parc automobile : malgré ces aides, les foyers les plus modestes n’ont pas les capacités de financement pour s’offrir un nouveau véhicule électrique, qui reste bien plus cher à l’achat neuf qu’un véhicule à essence, alors que le marché du véhicule électrique d’occasion est encore quasiment inexistant à ce jour.
- Les aides à la rénovation énergétiques des bâtiments : L’inconvénient de ces aides est qu’elles sont principalement dirigées vers les propriétaires. Or, les foyers à plus bas revenus sont soit locataires, et donc dépendants des propriétaires pour leur rénovation, soit propriétaires mais sans la capacité d’investissement nécessaire pour couvrir les coûts des travaux malgré les primes (qui de plus restent compliquées à obtenir ou sujettes à de multiples arnaques).
- Incitation à consommer une nourriture bio et moins carnée : La nourriture bio reste en moyenne plus chère que son équivalent non-bio. Les foyers les plus aisées en sont pour l’instant les plus gros consommateurs (cf figure 7).
Les incitations à basculer vers une nourriture bio ne sont donc pas facilement entendables pour un foyer à faible revenus avec un budget déjà fortement contraint 8. Renoncer à la nourriture carnée est aussi difficile car les foyers à bas revenus en consomment déjà moins que les foyers à hauts revenus (voir tableau 1) et que la consommation de viande est perçue comme un plaisir.
En conclusion, nous voyons donc que les foyers aux revenus les plus modestes sont plus impactés que les ménages à hauts revenus par les conséquences du changement climatique, de l’artificialisation des sols et de la mise en place des politiques de transition . Ces impacts renforcent donc potentiellement l’injustice sociale (figure 1).
Comment faire, alors, pour combiner atténuation et adaptation aux dérèglements environnementaux et justice sociale renforcée ?
Comme toute organisation, le gouvernement et les collectivités territoriales doivent tenir compte de leur responsabilité sociétale au moment de décider de nouvelles politiques. Dans cette optique, les foyers pauvres et modestes représentent une partie prenante essentielle car ils sont très impactés par le changement climatique et l’érosion de la qualité du cadre de vie et, potentiellement, par les politiques à mettre en œuvre pour les combattre. Dans ce cadre, le rapport du CNLE (p52-63) émet des recommandations dont voici certaines :
- Renforcer les politiques donnant aux ménages la capacité de contribuer à la transition écologique en proposant des alternatives écologiquement moins impactantes. On pense bien sûr au développement des transports en commun urbains et péri-urbains, au développement des pistes cyclables dans les villes, au renforcement et à la simplification des mesures d’accompagnement à la rénovation thermique des habitations, aux aides à l’électrification des véhicules…
- Séquencer ou adapter les mesures de façon à limiter l’impact budgétaire des politiques signal prix sur les foyers les plus pauvres. Il convient par exemple de développer l’offre de transport en commun, de pistes cyclables et son intermodalité avant d’imposer une taxe carbone sur les carburants ou de mettre en place un ZFE.
- Prendre en compte la dimension sociale dans la mise en place des initiatives : on pense par exemple au chèque énergie ou bien à la mise en place d’une tarification sociale de l’eau et avec un minimum vital gratuit par personne du foyer et une tarification progressive au-delà qui augmente avec la consommation. (Ceci demanderait un partage d’informations personnelles de la part de la CAF et la CPAM vers les opérateurs pour être pertinent.). On pense également au succès du leasing social de voitures électriques avec 90 000 demandes enregistrées pour 50 000 commandées au lieu des 25 000 initialement prévus.
- Renforcer l’information et la coordination entre les différentes initiatives et les différentes parties prenantes. On parle d’établir et de communiquer sur un plan clair qui permette aux foyers d’anticiper les ajustements. On parle aussi de mettre en place des guichets uniques de la transition pour permettre aux foyers de mieux naviguer parmi les différentes initiatives et aides développées au niveau de la ville, de la région ou de l’état.
- Mettre en place des conventions territoriales pour mieux articuler la mise en œuvre des politiques sociales et de transition écologique. Ces conventions permettraient par la concertation d’impliquer les citoyens, y compris les plus pauvres dans la prise de décision.
Et alors ?
En conclusion, nous voyons donc à travers ces recommandations du rapport de la CNLE qu’il existe des options et des approches afin de minimiser les impacts des politiques de transition écologique sur les plus pauvres tout en favorisant l’inclusion sociale à travers une information claire, des guichets uniques et une implication plus forte des citoyens les plus pauvres dans les conventions territoriales.
Cependant, on peut regretter que le rapport, au-delà du séquencement des actions, ne propose que peu de pistes vraiment nouvelles et n’aborde pas les moyens pour mettre en œuvre ces différentes politiques. La question du financement n’est (volontairement) pas non plus abordée. Celle-ci est pourtant primordiale dans notre contexte de crise budgétaire. Le plus dur reste donc à faire…
Sources
1 RAPPORT DU CNLE : https://solidarites.gouv.fr/publication-du-rapport-faire-de-la-transition-ecologique-un-levier-de-linclusion-sociale
2 RAPPORT DU CNLE : Faire de la transition un levier de l’inclusion sociale. L’impact social de l’écologie p40
3 RAPPORT DU CNLE : Faire de la transition un levier de l’inclusion sociale. L’impact social de l’écologie p16.
4 Ministère de la Transition Ecologique : https://www.adaptation-changement-climatique.gouv.fr/dossiers-thematiques/impacts/canicule#toc-identifier-les-risques-sante-pour-sa-population
5 RAPPORT DU CNLE: Faire de la transition un levier de l’inclusion sociale. L’impact social de l’écologie p76
Observatoire des inégalités : https://www.inegalites.fr/Les-communes-pauvres-sont-elles-plus-polluees
6 RAPPORT DU CNLE: Faire de la transition un levier de l’inclusion sociale. L’impact social de l’écologie p29.
CREDOC : En période d’inflation, est-ce que les arbitrages économiques se font au détriment de la qualité environnementale de l’alimentation ? cahier de recherche C356 p18.
7 Selon le Ministère de la Transition Ecologique, 2,5 millions de ménages étaient considérés en précarité énergétique en 2022. https://www.agenda-2030.fr/rosace//index2023.html?&ODD=7
8 RAPPORT DU CNLE : Faire de la transition un levier de l’inclusion sociale. L’impact social de l’écologie p40