Article de Lili Reynaud (MS EEDD parcours IGE 2023-24)
Introduction
La France fait face à plusieurs défis majeurs, parmi lesquels l’indépendance énergétique et la souveraineté alimentaire sont au cœur des préoccupations. Cependant, il est important de souligner que ces deux enjeux posent des problématiques différentes, avec des tensions, mais aussi des synergies.
D’un côté, malgré le cadre stratégique ambitieux fixé par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la France est en retard sur ses objectifs de déploiement des énergies renouvelables. L’énergie solaire photovoltaïque y occupe une place centrale, et au 30 juin 2024, la France a installé 22,1 GW de photovoltaïque [1], pour des objectifs fixés entre 35,1 GW (scénario bas) et 44,0 GW (scénario haut) d’ici 2028 [2]. Les toitures, ombrières de parking, zones polluées et friches industrielles représentent des surfaces appropriées pour l’installation de centrales photovoltaïques, mais elles ne suffisent pas à elles seules pour atteindre les objectifs fixés.
De l’autre, l’agriculture française est confrontée à de nombreux défis, tels que la volatilité des prix, une concurrence internationale grandissante, la réduction du nombre d’agriculteurs et d’exploitations, un endettement élevé, ainsi que des perturbations climatiques qui s’accentuent. Ces dernières, en particulier, ont affecté les rendements agricoles, avec des épisodes de sécheresse, de gel et de grêle de plus en plus fréquents, pouvant endommager partiellement ou totalement les récoltes.
Face au foncier disponible pour installer des capacités photovoltaïques qui se raréfie, certaines terres agricoles commencent à être mobilisées. L’agrivoltaïsme, qui vise à concilier production électrique et production agricole, peut-il répondre à ces deux défis majeurs ?
L’agrivoltaïsme, késako ?
Le terme d’agrivoltaïsme est introduit en 2011 par Christian Dupraz, directeur de recherche à l’Institut National de Recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) [3]. Il le définit comme la combinaison de panneaux solaires et de cultures alimentaires sur une même unité foncière. Il s’agit alors d’arbitrer cette cohabitation afin que la production énergétique ne détériore pas la vocation première des terres et d’éviter les conflits d’usages.
Lorsque des panneaux solaires sont installés sur un terrain, il y a d’abord la question de la location. Un revenu foncier est versé au propriétaire ainsi qu’à l’exploitant. Celui-ci exploite la parcelle sous les panneaux et est responsable de son entretien. Son rôle est essentiel dans ce type de projet, car l’agrivoltaïsme repose sur la nécessité d’une production agricole significative et d’un revenu pérenne pour l’agriculteur.
L’agrivoltaïsme offre un véritable potentiel en matière de recherche et développement, permettant une adaptation optimale à l’ensemble des activités agricoles : grandes cultures, élevages, maraîchage, petits fruits, vignes… Voici les différentes technologies rencontrées sur le marché :
- Panneaux photovoltaïques fixes (la plupart des développeurs le proposent pour de l’élevage notamment ou encore des friches agricoles)
- Les canopées agricoles (Sun’Agri, TSE, Solveo, Sun’R…)
- Les trackers à axe unique (Akuo, TSE, GLHD, Qair, Terapolis …)
- Les trackers bi-axe (OK Wind, Valeco)
- Haies solaires verticales (les « camélias » d’Engie green, TotalEnergies)
Les développeurs cherchent à se démarquer en utilisant une variété de technologies innovantes, ce qui démontre une volonté de différenciation dans un secteur de plus en plus compétitif. Toutefois, cette diversité technologique introduit une complexité supplémentaire en ce qui concerne l’harmonisation des normes et des réglementations à tous les acteurs du secteur.
D’après le décret qui définit l’agrivoltaïsme, une liste « de technologies agrivoltaïques éprouvées doit être établie par arrêté des ministres chargés de l’énergie et l’agriculture en fonction du mode de culture ou d’élevage, du procédé technique photovoltaïque utilisé et de l’implantation géographique […] L’inscription d’une technologie sur cet arrêté se fonde notamment sur l’analyse de l’état de l’art et des statistiques fournis par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie » [9]. L’ADEME recueille actuellement des données auprès des développeurs, afin d’établir une liste qui fera office de référentiel pour le secteur.
En parallèle du choix de la technologie, il est primordial que la production agricole conserve une priorité sur la production d’électricité, en particulier dans le cadre de projets impliquant des installations photovoltaïques. Cela signifie qu’il est essentiel de clarifier et de définir précisément l’activité agricole menée sous les panneaux photovoltaïques. Une telle définition doit être le fruit d’une concertation entre le développeur du projet et l’exploitant agricole.
Afin de garantir une cohabitation harmonieuse entre ces deux activités, un cadre réglementaire spécifique doit être mis en place. Ce cadre permettra non seulement de sécuriser les intérêts des différentes parties prenantes, mais aussi d’assurer que les pratiques respectent les objectifs de développement durable et d’efficacité économique.
La nécessité d’un cadre réglementaire pour réguler ces pratiques
Dans ce contexte, seul un cadre législatif précis peut encourager les bonnes pratiques et sanctionner les dérives, afin de garantir que l’agrivoltaïsme se développe toujours au profit des agriculteurs. En effet, sans une réglementation adéquate, l’agrivoltaïsme peut entraîner une artificialisation des terres, créant ainsi des tensions entre les besoins de production agricole et ceux liés à la production d’électricité.
Le 9 avril 2024, le décret sur le développement de l’agrivoltaïsme est publié au Journal officiel. Il est issu de la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables (APER) de mars 2023 et il a pour but de promouvoir de nouveaux projets en facilitant la coexistence entre production agricole et production d’énergie. Ce décret établit des principes clairs et permet de protéger davantage les agriculteurs.
Cet encadrement du secteur est primordial car les chambres d’agricultures (CA), les associations d’agriculteurs ou encore les directions départementales de territoires (DDT), s’interrogent sur la meilleure manière d’accompagner et d’instruire ce type de projets. Car si certains projets apportent une réelle valeur ajoutée à l’agriculture, d’autres, en revanche, relèguent cette dimension au second plan.
Un exemple typique est celui de certains projets dits “alibis”, où des développeurs modifient l’utilisation initiale des terres de grandes cultures pour les convertir en élevage ovin, simplement parce que cette configuration, associée à l’installation de panneaux solaires fixes, maximise leur rentabilité économique pour le développeur. Le décret prévoie la réalisation de contrôles de ces projets afin de vérifier que la production agricole est maintenue sous panneaux. Dans le cas contraire, le risque étant le retrait du permis de construire voire le démantèlement de l’installation.
A titre d’exemple, les autorités japonaises ont suspendu les tarifs de rachat ainsi que les subventions de 342 projets agrivoltaïques en raison de non-conformités aux nouvelles réglementations concernant l’utilisation des terres agricoles. Cette décision découle du fait que certains projets n’ont pas maintenu une exploitation agricole adéquate après l’installation des systèmes photovoltaïques, ou parce qu’ils n’ont pas obtenu l’autorisation de conversion des terres agricoles dans le délai de trois ans suivant l’attribution du contrat de tarif de rachat par le gouvernement [10].
Synergies agronomiques des panneaux photovoltaïques
La loi exige que l’agrivoltaïsme apporte des bénéfices concrets à la parcelle, parmi lesquels figure le bien-être animal ou encore l’amélioration du potentiel et de l’impact agronomiques. Quels sont ces bénéfices en pratique ?
L’agrivoltaïsme atténue les impacts de la grêle, celle-ci étant interceptée par les panneaux, protégeant ainsi ce qui se trouve en dessous. Si les panneaux sont bien orientés, ils peuvent également réduire l’effet du gel en brisant les courants froids. En termes d’eau, l’agrivoltaïsme permet une meilleure répartition, empêchant un excès d’humidité sur les feuilles et réduisant ainsi les maladies cryptogamiques causées par des champignons. Enfin, l’évapotranspiration est également régulée.
En cas de fortes chaleurs, au-delà de 35°C, les plantes cessent de produire, entrent en état de stress et transpirent pour survivre. L’ombre fournie par les panneaux permet de limiter cette évapotranspiration excessive et de préserver la productivité des cultures. Les rendements de certaines cultures annuelles héliophiles[1], comme les céréales ont tendance à diminuer, sauf lors de fortes chaleurs. Les légumineuses profitent quant à elles davantage des conditions ombragées [11].
Quels sont les freins et risques du développement de l’agrivoltaïsme ?
L’agrivoltaïsme n’est qu’un outil parmi tant d’autres au service des enjeux d’adaptation et d’atténuation du changement climatique. Il est vrai qu’il suscite beaucoup de questionnements sur les modalités de son développement : pertinence agronomique, partage de la valeur, paysage, acceptabilité, bénéfice communale… le débat est posé et reste vif. Bien que des synergies soient créées par ces panneaux, certaines méfiances sont exprimées par les agriculteurs, les riverains ou encore l’administration (élus, collectivités, chambre d’agriculture…).
En effet, le secteur agricole fait déjà face à de nombreuses crises et défis, telles que la diminution du nombre d’exploitations, les conditions de travail éprouvantes, une dépendance importante aux aides publiques, ainsi qu’une production déstabilisée par la recrudescence des risques climatiques.
Ces difficultés alimentent la méfiance de certains agriculteurs envers les projets de centrales photovoltaïques sur leurs terres, ils « refusent que l’on détourne les terres agricoles pour de l’électricité » [12], bien que ces initiatives puissent contribuer à la préservation de l’environnement et à l’émergence d’un nouveau modèle agricole. D’autres risques sont à considérer comme notamment la spéculation foncière, car ces projets pourraient accroître la valeur de terrains qui n’en avaient pas nécessairement auparavant.
L’acceptabilité locale, notamment par les riverains est cruciale et peut être moindre sur certains projets agrivoltaïques. Certains riverains y sont fermement opposés, tandis que d’autres expriment des préoccupations sur l’intégration paysagère de la centrale et les enjeux de co-visibilité. Il est donc essentiel que le développeur soit présent pour les rassurer, répondre à leurs interrogations et éventuellement intégrer leurs remarques dans la conception du projet.
L’approche en matière d’agrivoltaïsme varie selon les territoires et chaque département via la DDT ou encore les CA disposent de directives spécifiques à suivre. Les inquiétudes précédemment expliquées peuvent être appuyées dans certains départements par les pouvoirs publics. C’est le cas du président de la région Normandie, Hervé Morin, qui prévoit de saisir le Conseil d’État pour déposer un recours contre le décret sur l’agrivoltaïsme [13]. Ainsi, il est essentiel pour les développeurs d’énergies renouvelables de collaborer étroitement avec les territoires, en travaillant avec les acteurs agricoles et les services chargés de l’instruction des permis de construire.
Un des risques majeurs de l’agrivoltaïsme souvent soulevé est que l’agriculture soit délaissée au profit des avantages économiques de la location, rendant indispensable un encadrement pour éviter la spéculation foncière et la dérégulation des prix des terres. En effet, la redevance économique de l’exploitant peut entrainer un désintérêt (contrainte de mécanisation, de temps de travail supplémentaire…). Le revenu agricole des exploitations étant bien inférieur aux loyers proposés par les développeurs.
Perspectives
Selon le Sénat, « le Syndicat des énergies renouvelables (SER) a indiqué que la programmation pluriannuelle de l’énergie[14] (PPE) prévoit de réaliser 33 000 à 44 000 hectares d’installations agrivoltaïques d’ici 2028, ce qui correspondrait au maximum entre 0,06 et 0,1 % de la surface agricole utile (SAU) » [15]. Il n’existe pas encore de projets agrivoltaïques conformes à la loi, car les décrets viennent tout juste d’être publiés. Cependant, le potentiel de développement est réel si l’on suit les orientations de la PPE. Bien que ce chiffre puisse paraître modeste, il contribuerait tout de même à l’atteinte des objectifs fixés par la PPE.
En conclusion, il y aura toujours des terres disponibles pour installer des centrales agrivoltaïques, mais restera-t-il des agriculteurs pour les exploiter ? Les agriculteurs deviennent progressivement des producteurs d’énergie dans le cadre de la décentralisation du système électrique. Comme l’indique un agriculteur, « l’agriculteur dans ce système est une variable d’ajustement ». Les modèles agricoles évoluent, et les exploitations s’agrandissent.
Nous pouvons espérer qu’à l’avenir, les agriculteurs soient mieux intégrés dans les projets agrivoltaïques, devenant ainsi des acteurs décisionnels plutôt que de simples « variables d’ajustement ». Des options comme l’ouverture du capital des projets à ces exploitants (co-développement) ou des modèles d’autoconsommation pourraient être envisagées. Toutefois, ces projets comportent également des risques et des responsabilités.
Sources
[1] Service des données et études statistiques and Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, “Tableau de bord : solaire photovoltaïque. Deuxième trimestre 2024,” Jun. 2024. Accessed: Sep. 20, 2024. [Online]. Available: https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publicationweb/668
[2] Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, “Data Lab : chiffres clés des énergies renouvelables – Édition 2021.” Accessed: Sep. 20, 2024. [Online]. Available: https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energies-renouvelables-2021/4-objectifs-dans-le-cadre-de
[3] C. Dupraz, H. Marrou, G. Talbot, L. Dufour, A. Nogier, and Y. Ferard, “Combining solar photovoltaic panels and food crops for optimising land use: Towards new agrivoltaic schemes,” Renew Energy, vol. 36, no. 10, pp. 2725–2732, Oct. 2011, doi: 10.1016/j.renene.2011.03.005.
[4] Colibri solar, “Installation de ferme solaire photovoltaique sur des terres agricoles”, Accessed: Oct. 07, 2024. [Online]. Available: https://www.colibri.solar/agriculteurs/ferme-solaire/
[5] Sun’Agri, “Résultats probants : Viticulture”, Accessed: Sep. 20, 2024. [Online]. Available: https://sunagri.fr/resultats-viticulture/
[6] Visiosolar, “Agri-PV: Neues Trackersystem für höheren Ertrag bei Solar und Landwirtschaft.” Accessed: Sep. 20, 2024. [Online]. Available: https://www.visiolar.de/agri-pv-neues-trackersystem-fuer-hoeheren-ertrag-bei-solar-und-landwirtschaft/
[7] OKWind, “OKWind.” Accessed: Sep. 20, 2024. [Online]. Available: https://www.okwind.com/
[8] Engie Green, “Notre offre de haies solaires Camélia.” Accessed: Sep. 20, 2024. [Online]. Available: Notre offre de haies solaires Camélia
[9] Légifrance, “Décret n°2024-318 du 8 avril 2024 relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers,” Apr. 2024. [Online]. Available: https://www.legifrance.gouv.fr
[10] E. Bellini, “Le Japon coupe les aides gouvernementales de 342 installations agrivoltaïques.” Accessed: Sep. 20, 2024. [Online]. Available: https://www.pv-magazine.fr/2024/08/28/le-japon-coupe-les-aides-gouvernementales-de-342-installations-agrivoltaiques/
[11] Une culture héliophile est une culture qui nécessite beaucoup de lumière solaire pour se développer de manière optimale. Les céréales (comme le blé, le maïs), les tournesols, et certaines légumineuses sont des exemples typiques de cultures héliophiles.
[12] S. Schindele et al., “Implementation of agrophotovoltaics: Techno-economic analysis of the price-performance ratio and its policy implications,” Appl Energy, vol. 265, May 2020, doi: 10.1016/j.apenergy.2020.114737.
[13] E. Souchay, B. Collet, and Reporterre, “Panneaux solaires dans les champs : la fronde des paysans.” Accessed: Sep. 08, 2024. [Online]. Available: https://reporterre.net/Panneaux-solaires-dans-les-champs-la-fronde-des-paysans#nb_2A
[14] La programmation pluriannuelle de l’énergie travaille avec le gouvernement sur la France afin de fixer des orientations des pouvoirs publics et d’atteindre les objectifs de la politique énergétique.
[15] S. Fabrégat, “Agrivoltaïsme : le président de la Région Normandie veut faire annuler le décret.” Accessed: Sep. 08, 2024. [Online]. Available: https://www.actu-environnement.com/ae/news/decret-agrivoltaisme-conseil-etat-normandie-confederation-paysanne-annulation-44097.php4#:~:text=Le%20pr%C3%A9sident%20de%20la%20R%C3%A9gion%20Normandie%2C%20Herv%
C3%A9%20Morin%2C%20a%20annonc%C3%A9,encadrer%20l%27attribution%20de%20projets.
[16] J. Pilloy and UniLaSalle, “Agrivoltaïsme : avantages et inconvénients d’installer des panneaux solaires dans les champs.” Accessed: Sep. 30, 2024. [Online]. Available: https://www.unilasalle.fr/actualites/agrivoltaisme-avantages-et-inconvenients-dinstaller-
des-panneaux-solaires-dansles#:~:text=Une%20%C3%A9tude%20%C3%A9conomique%20des%20syst%C3%A8mes,rapport%20aux%
20exploitations%20agricoles%20conventionnelles.
[17] Sénat, “Proposition de loi en faveur du développement de l’agrivoltaïsme,” Oct. 2022. Accessed: Sep. 08, 2024. [Online]. Available: https://www.senat.fr/rap/l22-013/l22-013_mono.html