Article de Corentin Lamboul MS EEDD parcours IGE (2023-24)
Introduction
Un panier au supermarché, un colis récupéré en point relai, un nouveau pantalon acheté dans une boutique : qu’est-ce que tous ces produits ont en communs ? Ils sont tous passés à travers un système complexe et qui possède une histoire longue : la logistique. Elle désigne d’un point de vue macroscopique l’ensemble des activités organisant les flux de matière sur un territoire, depuis la production de matière premières jusqu’à la réception du produit fini par le consommateur final [1]. Elle s’articule selon différents horizons temporels: à long-terme pour déterminer la configuration physique du réseau et les modalités de transport ; à moyen terme pour piloter la production, l’approvisionnement, les stocks et les transports ; à très court terme pour la surveillance de la chaine logistique et la réponse aux incidents [2].
Le transport de fret, ou simplement “fret”, n’est qu’une des activités de la logistique. Les décisions associées portent principalement sur la taille (volume, poids), la fréquence des envois et les routes empruntées. Ce transport de marchandise est organisé de façon simplifiée autour de trois types d’acteurs : les transporteurs; les chargeurs qui commandent la prestation ; et les intermédiaires.
Maintenant que les définitions sont posées, nous pouvons nous intéresser au sujet de la transition du secteur du fret.
La transition du secteur du fret
Aujourd’hui, le transport terrestre de marchandises (hors oléoducs) est largement dominé par le transport routier par poids lourd (Fig1 .):
Combinés, le transport ferroviaire et fluvial assurent plus de 10% des besoins en transport, mais grâce à leur grande efficacité énergétique, ils représentent moins de 2% de la consommation d’énergie. Cette efficacité s’explique par les caractéristiques intrinsèques à chaque mode : capacité de chargement, masse, frottements appliqués aux mouvement, mais aussi par les pratiques logistiques actuelles.
Ces pratiques sont notamment visibles sur la Fig. 2 où les véhicules utilitaires légers (VUL), utilisés principalement pour ce qu’on appelle la livraison du « dernier kilomètre », sont les plus gourmands en énergie. La pratique logistique du « juste à temps » peut impliquer un remplissage à la baisse et donc une efficacité réduite. Nous retiendrons alors avec cette figure un facteur 4 d’efficacité entre le train et le fluvial par rapport aux poids lourds les plus efficace.
On peut voir que le report du fret vers les transports ferroviaires et fluviaux semble souhaitable d’un point de vue environnementale. Quelles sont alors les conditions favorables à la faisabilité de ce report et comment s’inscrit-il avec les enjeux conjugués de biodiversité, de gestion de l’eau et de l’adaptation des territoires faces aux changements climatiques, complémentaires à celui des émissions de GES.
Nous nous concentrerons ici uniquement sur le cas du fluvial. Selon les scénarios du Shift Project ou de NégaWatt, le trafic de marchandises en tonnes-km diminue [2][4], ou augmente dans le cas de la stratégie nationale bas carbone [5], mais dans les deux cas, le transport fluvial est développé autant dans le transport intra et inter-régional que dans celui du dernier kilomètre au vu de la facilité à rentrer dans les centres urbains concentrés et engorgés au niveau des voies routières. Tout d’abord nous feront un état des lieux du transport fluvial en France, puis dans un second temps nous détaillerons les perspectives développés dans les différents scénarios.
La France possède le plus grand réseau navigable (fleuves, rivières, canaux) avec près de 8500 km [6]. On considère qu’il n’est utilisé qu’à 57% de sa capacité. Il est structuré, comme le montre la Fig. 3, autour des voies d’eau navigables de grand gabarit (Seine, Rhin, Rhône, …). Ces bassins sont reliés entre eux par des voies de gabarit intermédiaire ou petit, ce qui correspond à une taille allant jusqu’à 90 mètres et un tonnage inférieur à 1000 tonnes.
Ce sont les matériaux de construction (42%) et les minéraux bruts associés ainsi que les produits agroalimentaires (18%) qui sont principalement transportés par voies navigables. Ce sont en effet les colis lourds, à forte densité, qui sont le plus favorable au fluvial. Au total en 2016, ce sont près de 1088 unités de navigations qui étaient actives commercialement en France avec une alimentation au gazole non routier. Ce secteur à subit un important déclin depuis les années 1970, expliqué par le « réalignement de l’économie spatiale sur le réseau routier et sa mauvaise insertion économique et commerciale dans le maillage des chaines logistiques modernes » [6].
Cela vient principalement de deux pratiques industrielles, le zéro stock et le juste-à-temps, qui ont provoqués une fragmentation des expéditions et à donc favoriser l’utilisation du transport routier, plus flexible que le fluvial et les autres modes. On peut aussi pointer la diminution globale des colis lourds mais aussi l’étalement urbain avec une implantation des activités industrielles toujours plus loin des voies navigables ou ferrés. Enfin, plusieurs pays d’Europe utilisent le transport par voies navigables de manière plus intense qu’en France. Il ressort de cette comparaison que c’est la densité des canaux et leurs interconnexions qui rendent plus attractif ce mode.
On peut retenir que le transport par voie fluviale est particulièrement adapté aux marchandises lourdes et volumineuses et est évité pour le transport de produit périssables et à haute valeur ajoutée, pour des raisons de vitesse d’acheminement. Il est cependant apprécié pour la fiabilité du temps de transport ainsi que son caractère sécuritaire. Il permet enfin d’accéder au cœur des villes, ce qui est un avantage certain pour la logistique urbaine.
Avant toute perspective de développement, le réseau présente d’ores et déjà des problèmes structurels dans sa forme actuelle. Tout d’abord d’un point de vue des infrastructures, qui présentent des goulots d’étranglement et des chaînons manquant entre les canaux à grands ou moyens gabarits . On parle ici de manque de hauteur sous les ponts, d’absences d’écluses et de canaux permettant de relier ceux déjà existants. De plus, d’un points de vue terrestre, le manque d’infrastructures, de services et de stockages limite le transfert efficace entre les modes de transport.
Enfin, la mise en place de solutions intermodales, comprenant le fluviale, nécessite une disponibilité, une traçabilité et une transparence des informations sur les flux de marchandises qui n’est pas dans les jeux d’acteurs actuels. Cela vient notamment de la concurrences entre les prestataires de services de logistiques fluviaux ainsi que la confidentialité des données des clients, qui diminuent la volonté de partage et de coopération.
Malgré ces limites, les modélisations de Voies Navigables de France (VNF) indiquent que dans certaines zones précises, les niveaux de trafic pourraient être doublés voire quadruplés, et cela sans création de nouvelles infrastructures.
Ce développement potentiel de l’activité conduit notamment à réfléchir à l’implantation de nouvelles installations. Or il est important de rappeler ici que la création de nouvelles infrastructures, ainsi que leur maintenance, constituent une modification profonde de la fonction naturelle des cours d’eau ainsi que de leur habitats. On peut recenser les actions de pompage, d’extraction, de drainage, la création de vagues aux passages des bateaux et encore les contaminations possibles en tout genre qui sont autant d’activités destructrices de la faune et la flore sur le court et long terme. Cela constitue une artificialisation des écosystèmes aquatiques, dont le fonctionnement devient semblable à celui des cours d’eau à écoulement lent [7].
VNF développe un volet d’actions sur la préservation de la faunes et de la flore afin de diminuer les impacts cités précédemment. Cela passe par la prise en compte des cycles de reproductions piscicole pour les opérations de dragage, la non-utilisation de produits chimiques et phytosanitaires sur tout le réseau ainsi que part le remplacement, lorsque cela est possible, des dispositifs de confortement des berges en acier par des techniques végétales. Dans un rapport du ministère de la transition écologique et solidaire [9] qui évalue les dépenses de VNF, il est remarqué que VNF mène des actions « qui vont au-delà des contraintes légales » et qui sont orientés vers l’adaptation au changement climatique et à la protection de la biodiversité.
On peut remarquer deux choses pour affiner cette première lecture. La première c’est que ces actions ne font pas partie des activités principales de VNF et donc la réglementation correspondante est encore très peu contraignante. La seconde c’est que le rapport à mis en lumière des synergies entre les actions favorables à la biodiversité et l’adaptation au changement climatique d’une part, et la performance économique de VNF d’autre part. La conclusion tend donc vers la possibilité d’un développement économique sur la base d’une gestion durable.
Compte tenu des besoins en termes d’infrastructures et des enjeux multiples, quels sont les leviers dont disposent les pouvoirs publics et le secteur de la logistique afin de développer le transport fluvial ? [2][5]. Tout d’abord, il est possible pour l’État de favoriser un report modale plus prononcé vers le transport combiné [10] grâce à des aides ou des taxes. Il convient aussi de planifier les investissements dans les infrastructures pour favoriser le grand gabarit mais aussi le maillage des petits et moyens gabarits, par exemple pour l’entrée dans les agglomérations. Cela va avec notamment le développement de plateformes intermodales stratégiques aux abords des villes pour avoir une complémentarité entre les modes ferroviaires, fluviaux, cyclables et routier. C’est dans ce cadre qu’il faut aussi une amélioration des normes de partages et de transparence d’informations sur les flux de marchandises, expliqué précédemment.
Une des volontés fortes dans les différents scénarios est aussi d’améliorer l’efficacité des bateaux et de décarboner leur propulsion. Cet enjeu est secondaire par rapport au fret routier, qui représente un volume au moins 10 fois supérieur à celui du fluvial, et qui est bien moins efficace, facteur quatre vu précédemment, que les bateaux. Pourtant, une opportunité se dégage avec le vieillissement de la flotte, qui nécessite un renouvellement des moteurs et un remplacement des bateaux pour intégrer des modernisations sur les structures et la propulsion. Il est notamment question ici d’utilisation d’une propulsion électrique ou thermique avec un stockage par hydrogène. Malgré les recherches et étant donné les puissances requises pour transporter des tonnages important et la distance des trajets, aucune des solutions n’apparait au-dessus d’une autre pour la propulsion des transports fluviaux.
Conclusion
En conclusion, le transport fluvial de marchandise est plein de possibilité. Actuellement, c’est une part minime du fret en France, les perspectives à long terme ne tablent pas sur une augmentation drastique. Cependant, dans les perspectives produites par les différents scénarios, ce mode de transport reste indispensable et demande un développement conséquent. Nous avons vu que ce mode est bien plus durable que les modes routiers mais que les problèmes actuels d’infrastructures et de flexibilité ne lui permettent pas de se développer seul sans une volonté publique de mise en valeur, qui est décliné à travers des objectifs dans la dernière loi « Climat et Résilience ».
Les moyens prévus sont donc à la hauteur et l’on peut s’assurer que ce développement sera fait de manière durable au vu de la politique environnementale de VNF. Malgré les freins évidents de coût d’investissement pour ce genre de nouvelle infrastructure, qui s’inscrit dans le temps long, un grand nombre de modifications à plus petite échelle sont envisageables : mise en place d’écluse, renouvellement et accroissement de la flotte, changement de propulsion, etc…
Il est donc à penser que ce secteur va connaître un regain d’attractivité dans les années à venir et va pouvoir contribuer aux objectifs de la France d’un points de vue de sa trajectoire climat. On peut cependant questionner cette trajectoire, qui table finalement sur une augmentation globale du transport de marchandise, et qui va à l’encontre des principes d’évitement ou de réduction.
Paris, 2043, Juin
Il est 8h quand Karima sort de chez elle. C’est dimanche, le soleil brille il fait déjà presque trente degrés mais le fond de l’air est encore frais. Elle prend le métro, ligne 7, et descend à Jussieu, direction les quais de Seine. Cela fait maintenant 8 ans qu’elle habite Paris, d’abord pour ses études et maintenant pour travailler, mais elle ne se lasse jamais de se balader sur les berges.
Elle n’a pas connu ces lieux avant la crue de 2031, mais on lui avait dit que beaucoup de chose avaient changé depuis. Le niveau de l’eau était monté et il avait bien fallu s’adapter. Elle se balada pendant une trentaine de minute, observa Notre-Dame et les autres monuments dont elles oublie toujours les noms. Et puis elle s’arrête prendre un café proche du pont d’Austerlitz. C’était son péché mignon, connaissant le prix maintenant qu’il venait exclusivement par bateau à voile. Aujourd’hui comme d’autre dimanche, elle s’assoit donc là, et regarde la danse des bateaux qui la fascine. Il est 8h30 et c’est déjà la folie, depuis tôt le matin elle l’image.
C’est une cohue et en même temps calme. Tout est plus calme sur l’eau. Depuis quelques années, deux énormes plateformes s’était construite aux abords de la Seine. De chaque côté, des pontons abrités avaient fleuris pour permettre le déchargement des marchandises venant du sud, notamment les fruits et les légumes, mais aussi de la mer, les bateaux arrivants directement depuis la Manche. On pouvait y voir des grues, de toutes tailles, des dockers pour décharger, des livreurs dans tous les sens, à vélo, à triporteur ou à pied pour aller charger les camionnettes à hydrogène. Ces hangars des deux côté de la Seine était directement reliés à la gare d’Austerlitz d’un côté, et de la gare de Lyon de l’autre.
Deux poumons qui font respirer la ville. Elle ne peut pas voire d’où elle est, mais elle avait pu se balader non loin des lignes de chemin de fer, et la même danse s’y déroulait au même moment. Elle peut aussi apercevoir les marchés, les grands marchés. Ils s’étaient rapprochés des points de livraison et le tout Paris s’y affairait, enfin plus tard. Elle finit son café et partit dans la direction des odeurs d’épices et de poulet rôti. Elle ne sait pas encore ce qu’elle va manger, mais elle trouvera de quoi dans ces étals garnis.
Bibliographie
[1] LAROUSSE. Définitions : logistique [en ligne] (page consulté le 15/12/2023). https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/logistique/47677
[2] The Shift Project (2022). Assurer le fret dans un monde fini. Rapport dans le cadre du plan de transformation de l’économie française.
[3] DATALAB (2021). Bilan annuel des transport en 2020. Partie E, 152-162.
[4] Négawatt (2022). Scénario négaWatt 2022. Partie 4 – Le scénario en détail.
[5] Stratégie nationale bas carbone (2020).
[6] ADEME (2019). Efficacité énergétique et environnementale du transport fluvial de marchandises et de personnes.
[7] EAUFRANCE. Le transport fluvial et maritime dans le cycle de l’eau [en ligne] (page consultée le 02/01/2024). https://www.eaufrance.fr/le-transport-fluvial-et-maritime-dans-le-cycle-de-leau
[8] VNF (2003). Application des techniques végétales pour la protection des berges es voies navigables.
[9] Agence France Trésor (2019). OAT verte – Evaluation des dépenses de Voies Navigables de France.
[10] Ministère de la transition écologique. Le transport combiné [en ligne] (page consulté le 02/01/2024). https://www.ecologie.gouv.fr/transport-combine#e3
[11] Legifrance. LOI n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (1) [en ligne] (page consultée le 22/01/2024). https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000043956924/2024-01-16/