Article de Florence Lauger (RSEDD 2023-24)

Introduction

Les grandes lignes du prochain Plan National d’Actions Loup (PNA) 2024-2029 viennent d’être dévoilées mi septembre 2023. Ce plan comporte 42 nouvelles mesures dont notamment une potentiel réforme du comptage des loups et une simplification du protocole de tirs. Jusqu’ici les prélèvements dérogatoires autorisés par l’État, autrement dit, le quota d’abattage annuel autorisé. En 2023 il correspond à 19% de la population totale, soit 174 loups, sur les 921 recensés sur le territoire français en 2022.

Pourquoi compter les loups ?

Le loup est une espèce protégée en Europe depuis 1979 et fait partie des 480 espèces menacées en France métropolitaine. La liste rouge de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) classifie l’espèce Canis lupus dans la sous-catégorie « vulnérable ou VU », un statut qui guide les politiques et les stratégies d’action au niveau national.

Éradiqué en France dans les années 30, le loup est de retour depuis 1992 ; une recolonisation qui s’est faite à partir du massif des Abruzzes en Italie, de manière progressive et encadrée. Combien sont-ils aujourd’hui ? Une question centrale et hautement polémique, car cette évaluation dicte les politiques qui permettront de le protéger tout en organisant la cohabitation troupeaux/loups.

 

Loup gris. © Jonathan Lajoie
Loup gris, ©Jonathan Lajoie

 

Comment compte-t-on les loups ?

Trop ou pas assez de loups – La question divise les éleveurs, les préfectures, les chasseurs et les défenseurs de la nature. Déterminer le nombre de loups présents est en effet un véritable défi, car le dénombrement exhaustif est impossible !

Mobiles, discrets et vivant sur de grands espaces, la modélisation de leur répartition en France est complexe et combine plusieurs techniques : observations, informations génétiques et analyses statistiques.

Depuis plus de 15 ans, l’OFB (Office Français de la Biodiversité) et le CNRS réalisent cette estimation dans le cadre d’un partenariat scientifique. Ils s’appuient dans ce cadre sur un réseau de bénévoles : le réseau Loup-Lynx.

Cartographie de répartition du loup gris

Sources : Réseau Loup-Lynx OFB L’évolution des cartes de détection de présence de l’espèce au cours du temps est consultable sur le portail de l’OFB « Carmen »

Sources : Réseau Loup-Lynx OFB L’évolution des cartes de détection de présence de l’espèce au cours du temps est consultable sur le portail de l’OFB « Carmen »

Sources : Réseau Loup-Lynx OFB
L’évolution des cartes de détection de présence de l’espèce au cours du temps est consultable sur le portail de l’OFB « Carmen »

Le réseau Loup-Lynx : les compteurs

Le réseau Loup-Lynx a pour objectif la surveillance de la population de loups et de lynx en France. Il vise à obtenir de informations fiables et robustes sur le plan scientifique. Ces données – les indices de présence – permettent ensuite d’éclairer la décision publique en matière de conservation et de gestion.

Le réseau Loup-Lynx a pour objectif la surveillance de la population de loups et de lynx en France.

La taille du réseau est passée de quelques centaines de personnes en 1994 à plus de 4500 en 2022. Toutefois, n’est pas compteur de loup qui veut. La mixité des correspondants, leur répartition sur le territoire, leur disponibilité et leur connaissance du loup est stratégique. Chaque observateur sélectionné est formé lors d’un stage pédagogique de 2 jours animé par l’Institut National de Recherche sur le Loup (INRL). La formation s’organise autour de 4 thèmes : la biologie et le comportement du loup, les méthodes de suivi, la reconnaissance des indices de présence et les procédures de transmission de ceux-ci. … Comment poser un piège photo, prendre des mesures de trace, recueillir un témoignage, collecter des échantillons biologiques et en assurer la conservation ? autant de sujets qui garantissent la pertinence des données.

 

Les indices de présence

En hiver, le suivi repose principalement sur la recherche d’indices indirects, déjections, poils, urines, dépouilles et observations (traces et individus) ; il s’agit d’une méthode dite non invasive car elle n’implique pas de manipulation de l’animal vivant.

Chaque indice fait l’objet d’une fiche standardisée qui est transmise et validée par l’OFB. Sur les 2354 fiches transmises en 2019/2020, 51% ont été classées « retenues », 10% « invérifiables », 6% « non-retenues » et 33% étaient des échantillons biologiques pour lesquels une analyse génétique a statué sur la conclusion technique in fine. L’analyse génétique permet de dresser la carte d’identité ADN (génotype) de chacun des animaux détectés. (Espèce, sexe, identification de l’individu, de la lignée, statut d’hybridation).

Ensuite, chaque indice affecté à une entité géographique est vérifiée grâce à un logiciel de SIG (système d’information géographique). Cette vérification permet de confirmer la récurrence des indices sur un territoire et la présence permanente des loups sur un massif. Le territoire est alors classifié ZPP (Zone de Présence Permanente).

En été, chaque ZPP se voit attribuer le statut de « ZPP Meute » ou non, grâce aux opérations de hurlements provoqués. Cette méthode vise 2 objectifs, d’une part une meilleure compréhension de groupes sociaux connus et d’autre part la détection de potentielles de nouvelles meutes, avec la présence de louveteaux. La présence d’une nouvelle portée confirme la présence d’un couple reproducteur et le statut ZPP (Zone de Présence Permanente).

Ces opérations de hurlements provoqués consistent à imiter le cri du loup pour obtenir des réponses de vrais animaux. Entre août et septembre 2021, 53 opérations ont été organisées dans les Alpes et en Provence, dont 24 ont confirmé une reproduction dans ces nouveaux territoires.

L’utilisation de pièges photos comme outils complémentaires est intéressante, mais cette technique n’est malheureusement pas pertinente pour la caractérisation des individus.

Dernière étape, l’application de modèles statistiques à ces indices, pour tenir compte notamment de :

  • de la détectabilité entre individus afin d’estimer la part de ce qui ne peut être vu
  • de la taille moyenne des meutes selon les saisons (entre 2 et 10 individus)
  • des surfaces occupées par les meutes en fonction de la géographie (entre 150 et 1600 km2)
  • des distances parcourues avant sédentarisation des loups solitaires (ex de suivi GPS en Suède – 1200 km en 8 mois et en Allemagne – 800 km en 5,5 mois)…
  • des contraintes logistiques (temps nécessaire à l’analyse des échantillons /Vs localisation du loup au moment de l’analyse)
  • nombre de « collecteurs »…

Combien de loups pour pérenniser l’espèce en France ?

Le rapport publié en mars 2017 par le Muséum national d’histoire naturelle et l’ONCFS sur le devenir de la population des loups en France (Démarche d’évaluation prospective à l’horizon 2025/2030 et viabilité à long terme) établissait le seuil de viabilité démographique à 400-500 individus sur le territoire métropolitain et le seuil de viabilité génétique à un minimum de 2500 à 5000 loups sur le territoire pour assurer la pérennité de l’espèce sur le long terme. Un écart important qui ne tient pas compte des dommages à l’élevage. C’est tout l’enjeu des Plans Nationaux d’Action Loup (PNA Loup) qui visent à préserver l’espèce tout en mettant en place des mesures de protection des troupeaux et une indemnisation des dommages.

Le coût du loup ?

Le « coût du loup » s’élève à plus de 30 M€ par an, ou plus précisément, en 2021, l’investissement pour la mise en place des moyens de protection étaient de 30,42 M€ et l’indemnisation des pertes aux éleveurs a coûté 3,49 M€. En quelque sorte, cela revient à 54 000 €/loup/an aux contribuables.

Pour la première fois en 2021, le nombre d’attaques a diminué passant de 3730 en 2020 à 3537 (Constats OFB). Quant au nombre d’animaux indemnisés au titre de la prédation du loup, il était de 10 826 en 2021, en baisse pour la deuxième année (11 746 bêtes en 2020 et 12 487 en 2019).

Lorsque les moyens de protection s’avèrent insuffisants pour protéger les troupeaux de la prédation, le dispositif de tirs est mis en place.

Le quota d’abattage n’est en aucun cas un nombre annuel à atteindre pour la régulation de l’espèce, il s’agit de tirs de défense ou de tirs de prélèvement afin d’assurer la protection des troupeaux. Le protocole de tir est dérogatoire, stricte et encadré par deux arrêtés interministériels :

  • Tir d’effarouchement
  • Tir de défense simple (1 tireur près d’un troupeau protégé, loup en situation d’attaque)
  • Tir de défense renforcée (jusqu’à 10 tireurs près du troupeau, loup en situation d’attaque)
  • Prélèvement simple (action de recherche du loup encadrée par un lieutenant de louveterie, type battue administrative, en présence des troupeaux mais sans notion de proximité)
  • Prélèvement renforcé (tir opportuniste au cours d’une action de chasse au grand gibier, la présence des troupeaux étant facultative)

 

Le Plan National d’Action loup adopté en 2018 indiquait que « les scientifiques recommandent de ne pas abattre plus de 10 à 12 % de l’effectif afin de ne pas remettre en cause la viabilité de l’espèce ».

Le Plan National d’Action loup adopté en 2018 indiquait que « les scientifiques recommandent de ne pas abattre plus de 10 à 12 % de l’effectif afin de ne pas remettre en cause la viabilité de l’espèce ». Plafonné à 10% en 2018 et 2019, un nouvel arrêté du 23 octobre 2020 a réhaussé le quota à 19% lorsque l’augmentation du nombre de loups combiné à l’augmentation des dommages sur troupeau a été annoncé. Cette augmentation de 10% à 19% est en totale contradiction avec les orientations communautaires qui affirment (Directive « Habitat » du 12 octobre 2021) « qu’aucun élément de preuve n’étaye l’efficacité du recours au contrôle létal pour réduire la prédation des animaux d’élevage ». Une position de la Commission Européenne et un rempart qui pourraient changer prochainement.

Un statut de protection temporaire en Europe ?

Le 4 septembre 2023, Ursula Von der Leyen s’émeut de la trop grande présence du loup sur le territoire européen et annonce une possible révision de son statut d’espèce protégée et du protocole d’abattage.

Une consultation européenne vient d’être lancée pour actualiser la base de données répertoriant la présence de loups en Europe.

Une consultation européenne vient d’être lancée pour actualiser la base de données répertoriant la présence de loups en Europe.

« Sur la base des données collectées, la Commission décidera d’une proposition visant à modifier, le cas échéant, le statut de protection du loup au sein de l’UE et à mettre à jour le cadre juridique, afin d’introduire, lorsque c’est nécessaire, davantage de flexibilité, à la lumière de l’évolution de cette espèce » – selon le Communiqué de presse de la Commission Européenne.

Conclusion

Compter les loups permet de mieux connaître les populations et de disposer ainsi de données pour éclairer les choix des mesures de protection de populations de loups et la cohabitation avec l’homme et ses troupeaux. Cela devrait permettre d’assurer la pérennité de l’espèce sur le long terme en gardant l’objectif des 2500 individus à minima, en tête. N effet, n’oublions pas les bienfaits du loup pour notre biodiversité et notamment son rôle sur la régulation des populations d’ongulés sauvages (76% de son alimentation – source : OFB).

Les premières lignes du Plan National d’Action (PNA Loup 2024-2029) devaient être l’occasion de revoir, d’améliorer, de poursuivre les actions de préservation du loup et de protection des troupeaux. Ce plan, présenté à huis-clos mi septembre 2023, n’a apparemment pas réussi à satisfaire ni les défenseurs des loups, ni les éleveurs … Il restera donc encore de quoi COMPTER et CONTER le loup pendant longtemps… à suivre.

 

Bibliographie

OFB. Les coulisses du suivi du loup (en ligne) (pages consultées les 2 et 3 septembre 2023).

https://www.loupfrance.fr

Expertise scientifique collective sur le devenir de la population de loups en France. 7 mars 2017. Démarche d’évaluation prospective à l’horizon 2025/2030 et viabilité à long terme. ONCFS et Muséum d’Histoire Naturelle, 97p

Note technique. Mise à jour des effectifs et paramètres démographiques de la population de loups en France. Novembre 2020. Nolwenn Drouet-Hoguet, Olivier Gimenez & Christophe Duchamp. OFB et CNRS. 12p.

Communiqué de presse du 4 septembre 2023. Commission Européenne. Loups en Europe (en ligne) (page consultée les 6 septembre 2023).

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_23_4330

BONUS : Sauriez-vous reconnaître un loup ?

Loup
Loup

Oreilles courtes et arrondies
Queue courte, au-dessus de l’articulation du tarse
Masque labial marqué et restreint
Pelage contrasté, sombre sur le dos et clair au niveau du ventre
Liseré noir sur l’avant des pattes

 

Chien-loup tchèque
Chien-loup tchèque

Oreilles longues et pointues
Queue longue en-dessous du tarse
Masque labial plus étendu
Pelage moins contrasté
Pas de liseré sur les pattes

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