Article de Delphine Jacque-Vaucamps (RSEDD 2022-23)

 

Introduction


Les manifestations du dérèglement climatique ont constitué dans notre pays la démonstration matérielle de l’ampleur du risque climatique. Les étés 2022 et 2023 ont été marqués par des incendies, des sécheresses, des périodes caniculaires et des phénomènes extrêmes tels que les inondations, des tempêtes et des glissements de terrain dans de nombreuses régions. Des feux extrêmes ont ravagé plusieurs forêts en France, avec des épisodes très marquants en 2022 dans les Landes et divers épisodes en 2023 également. Ils ont détruit un nombre considérable d’hectares et ont entraîné d’importantes pertes économiques. L’absence de précipitations a installé une situation de stress hydrique sur le long terme dans un bon nombre de régions.

Si ces faits ont été relayés dans la presse nationale, la presse régionale a également joué un rôle important pour la couverture de l’actualité liée aux feux de forêts (exemple : HorsSérie Sud Ouest) en informant au plus près des territoires.)

Ces événements ont été le catalyseur d’un mouvement général de prise de conscience de l’enjeu de la lutte contre le réchauffement climatique et le rôle des média. En effet, au-delà de la couverture de l’actualité, les médias ont été amenés à revoir le traitement du sujet du dérèglement climatique et de la transition écologique dans ses dimensions scientifiques et sociétales.

La couverture des enjeux environnementaux dans la presse française

En matière de presse écrite, les journaux informent régulièrement leurs lecteurs sur le thème du réchauffement climatique. L’Alliance de la presse d’information générale (« APIG »), syndicat professionnel français qui rassemble 285 titres d’information politique et générale appartenant à la presse quotidienne nationale, régionale et départementale ainsi qu’à la presse hebdomadaire régionale, a pris l’engagement en mars 2021 de créer un baromètre de la contribution de ses membres à l’émergence des questions environnementales dans le débat public.

Après analyse de 180 millions d’articles publiés par 278 publications membres de l’APIG pendant 10 ans au cours de la période 2011-2020, Aday (Aday ) et l’Observatoire Société & Consommation (« ObSoCo ») concluent que le nombre d’articles sur la transition écologique publiés par la presse d’information a été multiplié par 3 en 10 ans. En 2022, la couverture éditoriale connaît une hausse moyenne de 11% par rapport à 2021 (Alliance de la presse dinformation générale)

En effet, plus de 350 000 sujets dans les médias ont été consacrés aux évènements climatiques extrêmes, avec une forte progression de la part des articles associant événements météo extrêmes et dérèglement climatique […]. 

La mobilisation de la presse locale sur les enjeux de la transition écologique prend également la forme de la publication de suppléments réguliers. A titre d’exemple, en 2021, les journaux du groupe EBRA (groupe de presse quotidienne régionale français présent dans l’Est de la France) lançaient leur supplément mensuel “Ici on agit ” dédié aux solutions locales en faveur de l’environnement :

Des initiatives communes sont également menées ; Ainsi, au premier semestre 2022, ce sont 50 titres de presse régionales qui se sont associés à Sparknews pour éditer le supplément « En quête de demain » consacré aux réponses innovantes des territoires face aux enjeux de demain. Il est élaboré avec la contribution des différentes rédactions partenaires et il est diffusé par l’ensemble des journaux associés à l’opération

« En quête de demain » consacré aux réponses innovantes des territoires face aux enjeux de demain.
« En quête de demain » consacré aux réponses innovantes des territoires face aux enjeux de demain.

Des attentes importantes sur l’évolution du traitement éditorial relatif au dérèglement climatique

  1. Un constat d’insatisfaction de la part des lecteurs

Dans une étude publiée le 28 novembre 2022 par la Fondation Descartes, le chercheur Laurent Cordonier démontre que les lecteurs réclament plus de mise en avant des solutions d’adaptation et d’atténuation du changement climatique. Ils considèrent  le traitement médiatique du climat  insuffisamment orienté vers les solutions, trop peu rigoureux et pédagogique et trop alarmiste.

Il est également reproché aux médias d’avoir donné pendant des années de la visibilité à une certaine forme de débat et d’avoir nourri la controverse sur l’origine anthropique du réchauffement climatique. Jean-Marc Jancovici critique ainsi le fait que certains médias aient donné la parole, dans un passé  pas si lointain, à des climatosceptiques. (Interview de Jean Marc Jancovici du 30/08/22 dans C à vous).

Dès 2012, Jean-Marc Jancovici publie sur son site internet (www.jancovici.com) un article dans lequel il analyse les causes des insuffisances dans le traitement de l’information sur le dérèglement climatique :

« Les médias et le changement climatique, diffuser correctement l’information, mission impossible »

Il évoque dans cet article le rôle essentiel des journaux et l’impact de l’information (ou de son absence) sur la classe politique. Il indique que la formation essentiellement littéraire des journalistes des grands médias généralistes constitue un handicap pour manipuler les notions nécessaires. Il explique encore que le cloisonnement de l’information par rubriques aboutissait à un traitement qu’il qualifiait « d’incohérent ».

En 2022, les lecteurs sont de plus en plus exigeants sur la cohérence entre l’illustration des articles et le contenu éditorial en matière de dérèglement climatique et il n’est pas rare désormais de voir des journaux se faire épinglés sur les réseaux sociaux en raison d’illustrations d’articles sur le réchauffement climatique en complet décalage avec la gravité du sujet : en témoigne par exemple un tweet de Mathieu Orphelin en juin 2022, massivement relayé dans lequel il stipule que RAPPEL : chaque média qui illustre la terrible #canicule de la semaine prochaine par des gens en train de se baigner / de jouer avec des jets d’eau devra verser 10 000 € de dons pour les assos et les scientifiques qui se battent pour le #Climat ! @LCI @agindre ça craint!

@LCI – 12 juin 2022 – Canicule en vue : quand a-t-on eu si chaud si tôt ?

Les approximations sur l’identification des phénomènes de dérèglement climatique sont « dénoncées » par des lecteurs de plus en plus conscients des risques encourus, comme le souligne l’article publié sur le site du journal « le Monde » le 20 août 2022 sous le titre : « un traitement médiatique qui ne passe plus. »

Un journaliste de Libération explique ainsi lors d’une conférence dans le cadre du « Libé Climat Tour » le 4 février 2023 à Bordeaux que même au sein d’un média attentif au traitement éditorial de la transition écologique, des erreurs d’illustration peuvent subvenir comme dans cet exemple d’un article publié en juin 2022 dans lequel une photo suggérant vacances et insouciance est utilisée pour illustrer un article sur les vagues de chaleur.

d’un article publié en juin 2022 dans lequel une photo suggérant vacances et insouciance est utilisée pour illustrer un article sur les vagues de chaleur.
Article publié en juin 2022 dans lequel une photo suggérant vacances et insouciance est utilisée pour illustrer un article sur les vagues de chaleur.

2. Un appel à un journalisme repensé sur les enjeux environnementaux

Dans un article Informer et agir pour le climat de nouvelles pratiques journalistiques, publié le 7 juillet 2022 sur le site www.meta-media.fr, Eric Scherer, directeur de la prospective de France Télévisions, analyse la nécessité de repenser l’information :

Il indique qu’il faut penser de nouveaux formats, plus innovants, plus engageants, plus pédagogiques et plus imagés, avec de nouvelles méthodes narratives. Il ajoute que « finalement, le rôle des médias est aussi de confronter les décideurs en exposant leur responsabilité ou leur manque d’actions face aux défis climatiques. Grâce à de nouveaux formats, les médias peuvent alors plus facilement inciter les décideurs à rendre des comptes. »

Après les événements de l’été 2022, Radio France a lancé le 31 août 2022 « Le Tournant » pour mieux informer sur les enjeux environnementaux. Il s’agit d’une initiative de formation de tous les journalistes (Radio France, Le Tournant). Parmi les engagements de Radio France figure notamment le fait de créer un véritable compagnonnage avec les scientifiques.

Quels sont les objectifs ?”

Nous ne voulons plus laisser de place aux approximations et contre-vérités. L’objectif est aussi de gagner en réactivité lors d’interviews, avec des politiques par exemple, pour ne pas laisser passer de contre-vérités, d’approximations ou d’erreurs factuelles. (Vincent Giret, directeur géneral de Radio France , site Novethic, Interview de Vincent Giret du 2 septembre 2022)

Parallèlement, le 14 septembre 2022, un appel à repenser de fonds en comble les modalités de l’information éditoriale en matière environnementale était lancé par un collectif de journalistes professionnels qui se sont mobilisés pour proposer une charte «pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique »

 

une charte «pour un journalisme à la hauteur de l'urgence écologique »
Une charte «pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique »

La Charte a rencontré un certain succès avec sa signature par environ 1200 journalistes et 100 médias. Cet appel à la mobilisation a eu une portée symbolique manifeste. Elle est difficilement généralisable cependant en pratique en raison de l’incitation qu’elle comporte à la sélection des ressources publicitaires.

La question porte plus largement sur la frontière entre information et engagement. Le festival Médias en Seine a organisé un débat le 22 novembre 2022 sur ce thème :

Le festival Médias en Seine a organisé un débat le 22 novembre 2022
Le festival Médias en Seine a organisé un débat le 22 novembre 2022

Faut-il un journalisme engagé face à l'urgence climatique ?

Des acteurs engagés ont créé leur propre canal d’information avec succès avec un ton plus en phase avec les usages des jeunes générations. De plus en plus, celles-ci se détournent de la presse dite traditionnelle pour suivre de nouveaux médias sur Internet et sur les réseaux sociaux, dont le ton et la forme correspondent plus aux attentes de la génération Z.

En raison d’une certaine « dérégulation » de la diffusion de l’information sur les réseaux sociaux, le respect des usages professionnels ne sont pas garantis et le pluralisme est souvent inexistant (les nouveaux acteurs s’adressent à un segment précis de l’audience en adoptant ses codes). Le risque désinformation est accru (sur TikTok par exemple).

S’agissant des nouveaux acteurs, tout dépend donc du sérieux voire de la sincérité de la démarche (c’est le cas de bonpote par exemple) et surtout du respect de standards et d’usages déontologiques liés à l’information professionnelle.

La formation

La question de la formation se pose dans toutes les rédactions lorsqu’il s’agit d’examiner les leviers d’amélioration de l’information sur la transition écologique. En pratique, l’une des principales difficultés des journalistes dans ce domaine est de parvenir à identifier et à manier de manière pertinente les sources scientifiques. Vérifier les sources et la portée des propos des interviewés, ou apprécier leur sphère d’expertise requiert des compétences spécifiques.

Les Etats Généraux de la formation et de l’emploi des jeunes journalistes soutenus par le Ministère de la Culture et dont la restitution a eu lieu les 3 et 4 octobre 2022 évoquent à cet égard la nécessité de repenser les cursus pour mieux préparer les journalistes à répondre aux différents défis apparus depuis la crise sanitaire, notamment climatiques.

Avec le « Tournant », Radio France a annoncé la mise en place du plus vaste plan de formation de son histoire à destination de ses journalistes, ses producteurs et équipes de production, et ses animateurs, sur les questions climatiques et scientifiques, en indiquant que l’environnement et la science ne seront pas l’affaire des seuls journalistes spécialisés et qu’ils constitueront le socle de connaissances indispensables mobilisables par toutes leurs équipes éditoriales.

Conclusion

L’été 2022 et les manifestations du dérèglement climatique ont engendré une prise de conscience qui a amené les médias à adopter de nouvelles approches pour pouvoir placer les enjeux environnementaux et climatiques au cœur des rédactions.

Pour éclairer l’opinion tout en prenant leur part dans la lutte contre le dérèglement climatique, de nombreux médias ont revu en profondeur leur approche. L’information sur la transition écologique est devenue plus transversale dans beaucoup de journaux et plus abondante, ce qui participe à la sensibilisation du grand public, à l’information des acteurs clefs (représentants politiques, décideurs d’entreprises privées) et favorise le débat. Le rapprochement avec la communauté scientifique est devenu une réalité plus concrète en 2023 dans les médias nationaux et régionaux.

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