Article de Baptiste Vigueur (IGE 2021)
Les Jeux Olympiques d’Hiver 2022 se sont déroulés à Pékin avec 100% de neige de culture. Cet évènement international a permis de mettre en avant l’artificialisation autour de la pratique des sports d’hiver. Plus proche de chez nous, intéressons-nous au modèle français, qu’en est-il dans nos stations de ski métropolitaines ?
Cinquante-trois millions. C’est le nombre de de journées-skieurs enregistrées dans les stations du domaine skiable français lors de l’Hiver 2018/2019 (1). La France fait partie des trois premiers pays mondiaux du ski avec les États-Unis et l’Autriche. Dès 1964, l’État Français investit massivement dans la construction de stations de skis avec le Plan Neige qui avait pour principaux objectifs d’exploiter rationnellement les gisements d’or blanc en équipant la montagne en remontées mécaniques et construisant suffisamment de lits pour accueillir les skieurs. Entre 1971 et 1975, 150 000 lits furent créés (2) et participèrent au développement des stations de ski réparties sur les 6 massifs français. La fréquentation des domaines skiables français n’a cessé d’augmenter jusqu’aux années 2010. Depuis, cette tendance s’est plutôt atténuée puisqu’on observe un taux de fréquentation relativement stable ces dix dernières années .
Aujourd’hui, face aux conséquences déjà perceptibles du changement climatique, notamment la diminution des quantités de neiges naturelles, il apparait nécessaire de repenser le modèle. Certains prônent un tourisme quatre-saisons, d’autres voient l’opportunité de s’orienter vers d’autres activités. A plus long terme, pourra-t-on encore skier en France en 2100 ?
Les sports d’hiver en France
Le ski s’est fortement développé en France dans les années 60/70 grâce à d’importantes politiques publiques. Les sports d’hiver sont un secteur économique majeur pour les régions de montagne. Selon les chiffres de la chambre professionnelle Domaine Skiables de France, plus de 120 000 emplois dépendent de l’ouverture des domaines skiables dans les 250 stations de ski qui y adhèrent (3). 10 milliards d’euros sont dépensés en stations chaque hiver. Pour 1 € dépensé en forfait ski, 6 € sont dépensés par le client en station : logements, commerces alimentaires, location… (1) Les stations de ski sont composées d’un ensemble d’acteurs publics et privés. Dans la majorité des cas, on trouve une commune qui délègue l’exploitation de son domaine skiable à un exploitant privé par délégation de services publics. D’autres acteurs jouent des rôles essentiels dans l’écosystème des stations de ski : hébergeurs, commerces alimentaires, loueurs de matériels, écoles de ski…
La fréquentation des domaines skiables français a tendance à stagner depuis les années 2010, toutefois les recettes continuent à augmenter (hors effets Covid).
86 % des parts de marché sont concentrées sur les différentes régions Alpines. Les Pyrénées et les autres massifs ne cumulent que 14 % de ces parts (1).
La rentabilité des stations de ski varie selon plusieurs paramètres dont la durée d’ouverture. En France, on considère communément qu’une station est rentable à partir de 100 jours d’exploitation – ce chiffre est une tendance générale, il n’est pas ajusté aux caractéristiques de chaque station (4). La durée classique d’ouverture des stations varie selon leur altitude, les plus hautes sont ouvertes avant Noël et jusqu’aux vacances de Pâques. La majorité du chiffre d’affaires est réalisée lors des vacances scolaires de Noël et de février. Pour faire face à la variabilité de l’enneigement d’une année à l’autre, et s’assurer de maintenir un chiffre d’affaires lors de ces périodes, les stations ont investi dans des canons à neige depuis les années 70 (5). Ces machines permettent de fabriquer de la neige artificielle à partir d’eau et d’énergie, lorsque la température extérieure est négative. Les enneigeurs projettent de l’eau sous forme de microgouttelettes qui vont se cristalliser et former de la neige artificielle. Ces installations présentent de réels intérêts en termes de maintien de l’enneigement sur un domaine skiable. Toutefois, elles présentent également de nombreuses contraintes. Outre le fait d’anthropiser des espaces naturels, les canons à neige sont d’importants consommateurs d’eau, il faut 2 m3 d’eau pour faire 1 m3 de neige, et ne fonctionnent que lorsque la température extérieure est négative, idéalement entre -1 et -4°C.
En 2020, le taux de couverture des domaines skiables français par les enneigeurs était de 37 % (1). D’après Domaines Skiables de France, « en 25 ans, la neige de culture a réduit l’exposition des domaines skiables à l’aléa climatique d’un facteur 3. » Ce taux de couverture est amené à progresser dans les années à venir. Pour faire face aux « aléas climatiques », les régions subventionnent massivement l’installation de canons à neige. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, le Plan Montagne de 2016 dédiait une enveloppe de 50 millions d’euros à la sécurisation de l’enneigement (6). En 2021, le président de la région Laurent Wauquiez détaillait un nouveau Plan Montagne de 100 millions d’euros dont la moitié sera consacrée à des projets de “sécurisation de l’enneigement” (7).
Depuis des décennies, ces investissements dans les canons à neige ont permis de maintenir une activité forte sur les stations de skis françaises, en faisant face aux variabilités d’enneigement d’une année à l’autre. En revanche ces modèles n’ont pas pris en compte les conséquences du changement climatique.
Les principaux impacts du changement climatique
Les impacts du changement climatiques sont déjà visibles à l’échelle de la planète. La température mondiale de surface sur la période 2011-2020 était 1,09°C plus chaude que celle sur la période 1850-1900. Ce réchauffement est plus important sur les continents (+1,59°C) qu’au-dessus des océans (+0,88°C) (8). En France, on observe une évolution des températures moyennes de 1,7°C depuis 1900 (9), et au niveau des Alpes françaises on enregistre déjà une augmentation de 2,25°C (10).
Les prévisions météorologiques ne permettent pas d’identifier de baisses significatives du cumul des précipitations. Ainsi on anticipe que le manteau neigeux devrait rester constant à haute altitude, c’est à dire au-delà de 2500 mètres d’altitude, ce qui représente les parties hautes des grandes stations françaises. En revanche, avec l’augmentation des températures et l’élévation de l’isotherme 0, on prévoit plus de précipitations sous formes de pluie à basse et moyenne altitude. Le manteau neigeux devrait donc diminuer sur ces altitudes à la fois en quantité et sur la saisonnalité, les périodes d’enneigement devraient être réduites. Le site « station de ski.net » (11) effectue un comparatif de l’altitude sur plus de 240 stations de ski françaises. Seules six se trouvent à une altitude moyenne de plus de 2500 mètres (Val Thorens, Val d’Isère, Alpe d’Huez, La Grave – La Meije, La Colmiane, Tignes). Pour les autres stations, plus leur altitude moyenne est basse, plus elles se retrouvent exposées à la réduction du manteau neigeux :
- 56 sont installées entre 2000 et 2500 mètres ;
- 105 entre 1500 et 2000 mètres ;
- 62 entre 1000 et 1500 mètres ;
- 12 à moins de 1000 mètres, principalement localisées dans les Vosges.
Outre la réduction de la quantité de neige, le changement climatique a d’autres impacts sur les montagnes. L’élévation des températures entraine le recul des glaciers de montagne. Certaines stations exploitent ces glaciers, c’est le cas notamment de Chamonix avec la fameuse mer de glace. En plus d’un siècle, le glacier a perdu plus d’un quart de son épaisseur et reculé d’environ 2 kilomètres (12). En France, il existe peu de stations de ski qui exploitent ces glaciers tout au long de l’année avec des ouvertures en été, c’est le cas de Tignes ou des Deux Alpes. Le recul des glaciers ne devrait donc pas impacter directement les stations de skis françaises.
La fonte des glaces n’est cependant pas sans conséquences. En effet comme le souligne le géomorphologue et guide de haute montagne Ludovic Ravanel « Plus le climat se réchauffe, plus les glaciers reculent. Et moins nous avons de surfaces blanches, qui renvoient le rayonnement solaire. » (12) On assiste à une boucle de rétroaction positive qui accélère le processus de réchauffement global de l’atmosphère. D’autres conséquences sont moins visibles, c’est le cas par exemple du dégel du pergélisol (ou permafrost en anglais). Ce terme géologique désigne un sol dont la température se maintient en dessous de 0°C. On retrouve ces sols en haut des montagnes, particulièrement sur les faces nord. La hausse des températures liée au changement climatique entraine un dégel de ces pergélisols ce qui a des conséquences sur la stabilité des parois rocheuses et provoque des éboulements. Cela représente de nombreux risques notamment pour les installations de hautes altitudes ou les itinéraires d’alpinisme.
Le changement climatique a des conséquences sur l’ensemble des écosystèmes montagnards. Les risques de sécheresse et de feux de forêts s’amplifient, et la sensibilité aux évènements extrêmes va augmenter. Selon l’ONF, à l’échéance de moins d’une génération, un tiers de la forêt sera impacté par la hausse des températures. On observe déjà des problèmes de dépérissement forestiers dans l’Est de la France. Les forêts protègent contre les risques d’éboulement amplifiés par la fonte des glaces. Elles façonnent les paysages des montagnes, vecteurs d’attractivité pour les stations de skis. Leur dépérissement peut donc également avoir un impact indirect pour les sports d’hivers.
Les modélisations de l’enneigement sur les domaines skiables
Les territoires de montagne n’échappent pas aux conséquences du changement climatique qui influent directement sur la durabilité de l’enneigement. Afin d’anticiper au mieux ces phénomènes des projections climatiques sont réalisées.
L’organisme DRIAS, les futurs du climat met à disposition les projections climatiques réalisées à l’échelon régional par les laboratoires français de modélisation du climat (IPSL (Institut Pierre-Simon-Laplace, CERFACS (Centre Européen de Recherche et de Formation Avancée en Calcul Scientifique), CNRM (Centre National de Recherche Météorologique). A partir des scénarios d’émissions de Gaz à Effets de Serre établis par le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat), des modèles climatiques globaux (Global Climate Model, GCM) simulent l’évolution du climat à l’échelle de la planète. La résolution de ces modèles globaux n’est pas suffisante pour représenter des phénomènes météorologiques locaux. La descente d’échelle dynamique permet d’élaborer un diagnostic à une échelle plus locale. Cette méthode consiste à utiliser des modèles de climat régionaux, construits de la même manière que les modèles globaux, mais représentant le système climatique plus finement sur une sous-partie du globe.
Dans son dernier rapport DRIAS 2020, DRIAS, les futurs du climat met à disposition un nouveau jeu de projections climatiques régionalisées. Concernant l’élévation des températures, on relève que le réchauffement sera plus marqué dans les zones de montagne que pour le reste de la France. Par ailleurs, on note une différence d’élévation d’environ 1°C entre les simulations les plus fraîches (C5) et les simulations les plus chaudes (C95) (13).
DRIAS, les futurs du climat propose d’explorer les simulations des évolutions climatiques en combinant les modèles climatiques, les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre ainsi que des indicateurs climatiques. Parmi les thèmes de modélisations, il est possible d’explorer le « tourisme hivernal en montagne – enneigement ». Les projections montrent que les épaisseurs moyenne de neige risquent de diminuer fortement d’ici la fin du siècle dans les Alpes françaises (selon les scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5) (14).
Il est important de rappeler que ces différentes projections sont accompagnées d’incertitudes relatives à la variabilité naturelle du système climatique, aux modèles climatiques (GCM, RCM), aux données socio-économiques ainsi qu’aux méthodes de correction employées.
Dans ce contexte d’incertitudes, il est très difficile de planifier des stratégies et des choix d’investissements pour les stations de skis. C’est pourquoi Météo-France, l’INRAE et Dianeige (un cabinet spécialisé dans l’aménagement des stations touristiques de montagne) se sont associés pour créer l’outil CLIMSNOW (15). Ce partenariat allie les connaissances de la recherche scientifique et les expertises de l’ingénierie touristique spécialisée sur les stations de montagne.
Le concept de CLIMSNOW est de permettre aux stations de ski de quantifier la fiabilité de l’enneigement afin de planifier des choix d’investissement en se basant sur des projections de l’état futur du manteau neigeux. Les projections des conditions météorologiques de CLIMSNOW sont affinées au niveau des stations, elles prennent en compte chaque secteur de pistes, le damage et la production de neige de culture ainsi que les différents modèles climatiques. L’étude est adaptée à chaque domaine skiable en identifiant les enjeux qui lui sont propres à partir de données locales. Ainsi les quatre principaux objectifs de CLIMSNOW sont de :
- « Évaluer les évolutions des températures et de l’enneigement (fiabilité, variabilité) dans les stations de ski tout au long du 21ème siècle ;
- Quantifier l’impact des techniques de gestion de la neige (damage, production de neige de culture) ;
- Analyser la capacité des stations à maintenir leur exploitation selon quels efforts, selon quelles modalités et à quelle échéance ;
- Participer aux orientations à retenir quant aux stratégies touristiques et aux compositions des prochains programmes d’investissements structurants pour les stations et territoires de montagne. » (15)
En février 2022, CLIMSNOW avait été appliqué à plus de 100 stations françaises, dans les Alpes, le Jura et les Pyrénées. En fonction des résultats émis, de nouvelles stratégies ont pu être définies. Certaines stations n’ont pas hésité à effectuer un changement d’orientation, c’est le cas notamment de Métabief dans le Jura (16). Au moment où se posait la question du réinvestissement pour de nouvelles remontées mécaniques, la direction de la station a pris en compte les résultats de l’étude CLIMSNOW, et a décidé de basculer sa stratégie du ski vers un ensemble d’activités outdoor. Les activités comme le VTT ou la randonnée seront développées pour accroitre l’attractivité de la station tout au long de l’année. Un programme de maintenance des remontées mécaniques permettra de prolonger l’activité ski jusque dans les années 2030. Cette démarche proactive permet d’anticiper les conséquences du changement climatique.
En conclusion, de nombreuses stations françaises sont déjà impactées par la réduction du manteau neigeux sur les montagnes de basse et moyenne altitude. Les projections climatiques et les modélisations de l’enneigement montrent que ces conséquences vont s’accentuer dans les prochaines décennies.
Cependant, il est compliqué de savoir si l’on pourra encore skier en France à la fin du siècle. Cela dépend de nombreux paramètres dont l’altitude et localisation des stations de skis, la taille des domaines skiable, l’évolution du climat, les décisions politiques qui seront prises et d’autres facteurs socio-économiques. La situation actuelle des stations de skis françaises est très hétérogène, de la même manière, les conséquences du changement climatique seront différentes suivant les stations. Les stations les plus hautes en altitudes seront les moins touchées. Les stations des massifs des Vosges, du Jura, du Massif Central et des Pyrénées qui sont déjà impactées aujourd’hui seront les plus exposés aux risques de faible enneigement. La fermeture d’une station de ski est complexe. Aujourd’hui de nombreux acteurs vivent du tourisme hivernal. Alors que les politiques publiques subventionnent massivement les investissements pour développer l’utilisation de neiges artificielles, certaines stations de basse altitude prennent des virages à 180 degrés en s’orientant vers un tourisme quatre saisons. Le développement des activités outdoor comme le VTT ou la randonnée sont des pistes d’évolution. Pour aller plus loin, certains pensent que l’économie des régions de montagnes ne doit pas se baser uniquement sur le tourisme mais se développer au travers d’autres activités comme l’agriculture, la sylviculture ou l’artisanat.
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Bibliographie
[1] Domaines skiables de France – Indicateurs et analyse 2020 – Octobre 2020 – https://www.domaines-skiables.fr/smedia/filer_private/41/d2/41d2abea-3518-4199-a0bf-69539fea06ea/indicateurs-et-analyses-2020.pdf
[2] Le plan neige pour l’aménagement de la montagne – Emmanuelle George-Marcelpoil – 1977 – (site consulté le 20/01/22) – https://fresques.ina.fr/montagnes/fiche-media/Montag00065/le-plan-neige-pour-l-amenagement-de-la-montagne.html
[3]France Montagne (site consulté le 20/01/22) – https://www.france-montagnes.com/
[4] GreenLetter Club (Podcast) épisode 55 – SPORTS D’HIVER : POURRA-T-ON (ENCORE) SKIER EN 2100 ? Loïc Giaccone – https://greenletterclub.fr/
[5] Les canons à neige (site consulté le 21/01/22) – https://www.peisey-info.com/canon-a-neige/
[6] Plan Montagne : près de 18 M€ supplémentaires pour des projets diversifiés – La Région Auvergne-Rhône-Alpes (site consulté le 21/01/22) – https://www.auvergnerhonealpes.fr/actualite/749/23-plan-montagne-pres-de-18-m-supplementaires-pour-des-projets-diversifies.htm
[7] Laurent Wauquiez promet un nouveau plan de 100 millions d’euros pour la montagne – France Bleu (site consulté le 21/01/22) – https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/laurent-wauquiez-promet-un-nouveau-plan-de-100-millions-d-euros-pour-la-montagne-1631791555
[8] Synthèse du rapport AR6 du GIEC publié le 09/08/2021 – The Shift Project – https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/08/Synthese_Rapport-AR6-du-GIEC_09-08-2021_Shifters.pdf
[9] Climat : l’évolution constatée en France – Météo France (site consulté le 21/01/22) – https://meteofrance.com/changement-climatique/observer/climat-levolution-constatee-en-france
[10] AGATE – Observatoire du changement climatique dans les Alpes du Nord – https://agate-territoires.fr/wp-content/uploads/2021/02/obscan-agate-bilan-climatique-annee-2020.pdf
[11] Station de ski.net (site consulté le 16/02/22) – Altitudes – https://www.station-de-ski.net/altitude/
[12] Climat : les menaces que font peser l’inexorable recul des glaciers dans les Alpes – Euronews (site consulté le 16/02/22) https://fr.euronews.com/2020/10/19/climat-l-inexorable-recul-du-glacier-de-la-mer-de-glace-en-france
[13] Les nouvelles projections climatiques de référence DRIAS 2020 pour la métropole http://www.drias-climat.fr/document/rapport-DRIAS-2020-red3-2.pdf
[14] DRIAS Espace Découverte (site consulté le 16/02/22) http://www.drias-climat.fr/decouverte
[15] CLIMSNOW https://www.climsnow.com/
[16] Métabief 2040 : un modèle pour demain ? https://www.climsnow.com/post/article-montagne-leaders-climsnow