Article de Vincent Perrot (RSEDD 2021)

 

 

 

L’affichage environnemental : une demande citoyenne face au changement climatique

Jamais depuis 1947 un mois de décembre n’avait été aussi chaud. Comment ne pas y voir une énième conséquence du réchauffement climatique ? Les COP et les rapports du GIEC qui se succèdent nous rappellent sans cesse la nécessité et l’urgence agir. L’empreinte carbone apparaît dans ce contexte être la mère de toutes les batailles pour respecter les Accords de Paris et limiter la hausse des températures à « bien moins de 2°C » d’ici 2100.

Or, en 2020, l’empreinte carbone des Français a été évaluée à 9,15 t eqCO2e/an quand l’objectif à atteindre est 2t eqCO2/an pour chacun des français à échéance 2050 ; avec comme principaux postes d’émissions le transport, le logement et l’alimentation qui représente à elle seule entre 20 et 25% de l’empreinte carbone des français.[1] C’est la raison pour laquelle il est extrêmement important de permettre aux consommateurs de mesurer l’impact de leurs achats et régimes alimentaires.

C’est d’ailleurs relayé par la loi AGEC[2] et constitue une demande plus largement établie par les travaux de la convention citoyenne pour le climat[3]  qui voudrait « Créer une obligation d’affichage de l’impact carbone des produits et services »  (Thématique Consommer) en proposant deux actions associées.

La première est de « développer puis mettre en place un score carbone sur tous les produits de consommation et les services ». La seconde est de « rendre obligatoire l’affichage des émissions de gaz à effet de serre dans les commerces, lieux de consommation ainsi que dans les publicités pour les marques. »

Enfin, l’affichage environnemental [4]a également fait l’objet d’une initiative citoyenne européenne[5] qui demande un ecoscore européen pour faciliter la consommation durable (« to make sustainable consumption easier »).

 

Mesurer, savoir, connaitre, comprendre pour acheter et donc agir en responsabilité.

Si réduire l’évaluation de l’impact de notre alimentation au calcul de son empreinte carbone est une option, ce n’est pas la voie qui a été empruntée jusque-là par les initiatives visant à offrir plus de lisibilité aux consommateurs.

Ces dernières prennent en compte divers impacts environnementaux (sans se limiter au changement climatique) et sociétaux. Ainsi, la Note Globale, l’Eco-score, Planet-score, Bleu-Blanc-Coeur, Remunera-score, ou l’application Mylabel se présentent comme autant d’outils d’aide à la consommation intégrant, au-delà de l’empreinte carbone, des mesures d’impact relatives à l’origine des ingrédients, aux emballages utilisés, à l’attention portée à la biodiversité et aux modes de production. Ils intègrent même parfois la question de la rémunération des producteurs.

Si l’ambition est forte, le développement et la mise en œuvre se révèlent complexes tant il peut apparaître réducteur de ne traiter qu’une partie du sujet. Le climat, la biodiversité, ou les modes de production interagissent et sont donc étroitement liés.

Également complexe dans sa mise en œuvre, l’affichage alimentaire Nutri-score offre donc un retour d’expérience très utile à la construction de l’affichage environnemental alimentaire puisqu’il participe à l’évolution des habitudes de consommation et donc des modes de production.

 

 

 

L’expérience Nutri-score face aux enjeux sanitaires : des avancées mais une mise en place très lente

En 2014, le principe du Nutri-score[6] fut proposé par le gouvernement français à l’Union Européenne avec l’objectif de mieux informer le consommateur. Il devait constituer une réponse à des enjeux de santé publique : lutter contre l’obésité grandissante, contre le développement des maladies cardiovasculaires ou encore contre le cancer et le diabète. Il s’agissait de mieux informer le consommateur en lui offrant une visibilité plus immédiate des qualités nutritionnelles des produits. L’objectif était d’éclairer son acte d’achat et d’amener les industriels à améliorer autant que possible la composition de leurs produits.

Après une période de test, le Nutri-score fut mis en œuvre en France en 2017. Début 2021 ce sont 7 pays qui se sont engagés à faciliter son déploiement comme le note le communiqué de Santé Publique France [7]: «Les autorités compétentes de Belgique, France, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne et Suisse annoncent la mise en place d’un mécanisme de coordination transnational pour faciliter l’utilisation de l’étiquetage nutritionnel Nutri-Score sur la face avant des emballages. Cette coopération se fera au sein d’un comité de pilotage et d’un comité scientifique.»

Si les consommateurs le réclament et si les scientifiques plébiscitent son efficacité, l’affichage Nutri-score ne répond toujours pas à des obligations réglementaires. Le Nutri-score, qui est construit et établi sur la teneur pour 100g ou 100 ml d’éléments favorables (fruits, légumes, protéines, fibres…) ou défavorables (acides gras saturés, sucre, sodium, énergie) a fait l’objet de nombreux débats contradictoires entre les parties prenantes et les acteurs de la filière alimentaire alors même qu’il participe pleinement à une meilleure information des consommateurs et à la transparence dont tous se réclament.

Aujourd’hui, en France, ce sont près de 50% des produits alimentaires vendus qui portent l’indicateur Nutri-score et 500 industriels volontaires qui l’ont adopté, ce qui lui a permis d’acquérir une notoriété importante auprès des consommateurs [8]qui déclarent avoir fait évoluer leurs comportements d’achat.[9]

Il a fallu près de huit années pour atteindre ce seuil « représentatif » des 50% et cela a sans doute été accéléré par le phénomène Yuka (l’application permettant d’accéder à ces mêmes informations enrichies du  niveau de présence d’additifs adoptée par 25 millions d’utilisateurs). Le parlement européen sera bientôt appelé à se prononcer et à étudier un déploiement réglementaire du Nutri-score dans les prochains mois, soit à échéance 2023. [10]

Ces 8 années constituent le temps très long de la concertation, de l’expérimentation, de la co-construction certainement nécessaires à la mise en place de référentiels solides et non discutables. Mais, ce retour d’expérience pose également de nombreuses questions autour de la responsabilité, de l’engagement de la transparence de certains industriels et filières concernées face aux enjeux sanitaires clairement établis. Existe-t-il une réelle volonté de ces acteurs ?

Alors même que nous nous interrogeons sur l’impact de notre alimentation sur l’environnement, avons-nous les moyens aujourd’hui d’attendre si longtemps pour mettre en place l’affichage environnemental alimentaire tant attendu ?

Ce délai est sans doute trop long mais c’est bien ce qui est anticipé par la Loi Climat  n° 2021-1104 du 22 août 2021[11] visant à lutter contre le dérèglement climatique et à renforcer la résilience face à ses effets – qui ouvre une période d’expérimentation de 5 ans avant de rendre enfin l’affichage environnemental obligatoire. Enfin, ces affichages ne seront définitivement adoptés que sous réserve de bonnes évaluations desdites expérimentations…L’État via l’ADEME[12] recueille donc l’ensemble des propositions avant de prendre ses décisions.

 

Êtes-vous plutôt Eco-Score, Planet-score, ou simplement pour plus de transparence ?

Une vingtaine de propositions méthodologiques pour un futur affichage environnemental alimentaire auraient été déposées auprès des services de l’Etat. Parmi ceux-ci figurent l’Eco-score, lancé et expérimenté depuis début d’année 2021 et le Planet-score créé à la fin de l’année 2021. Ces 2 initiatives sont aujourd’hui les seules à proposer dans le même temps des méthodes de calculs et une signalétique.

 

L’Eco-Score

L’Eco-Score est porté par quelques acteurs engagés pour une consommation plus durable comme Yuka, La Fourche, Open Food Facts[13], Marmiton, ou encore la fondation Earth[14]. Il est construit à l’instar du Nutri-score suivant des notations de A à E permettant de visualiser immédiatement l’empreinte environnementale. A chaque note correspond un score. Ce dernier est établi sur la base d’une Analyse de Cycle de Vie produit (ACV) adossée à la base de données ouverte Agribalyse construite par l’Ademe et l’INRAE auquel s’ajoute l’application de 2 bonus (modes de productions labelisés et origine des ingrédients) et 2 malus (emballage et présence ingrédients affectant la biodiversité). Tout comme aux débuts du Nutri-score, certaines informations demeurent incomplètes mais la base de données collaborative  Openfoodfacts engage producteurs, industriels et consommateurs à enrichir les données. Ce sont plus de 750 000 produits alimentaires vendus en France présentent une évaluation L’Eco-score sur le site Open Food Facts.

 

Le Planet-score

Le Planet-score[15] présente un affichage similaire à l’Eco-score (une lettre correspond à un score total) enrichi par 4 indicateurs additionnels immédiatement lisibles par le consommateur et qui permettent de visualiser l’impact du produit sur la biodiversité, le climat, le bien-être animal et le niveau d’utilisation de pesticides.

Il a été élaboré par l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologique[16] (ITAB) en réponse à l’Eco-Score et dispose du soutien de nombreuses ONG (WWF, Générations Futures et CIWF France ..), associations de consommateurs, acteurs de la filière bio, et même de certains industriels de agroalimentaire jusqu’à celui d’Interbev qui avait pourtant proposé sa propre solution[17]. Cette initiative doit sans doute sa plus large adhésion au fait qu’elle apporterait une réponse plus solide scientifiquement avec une mise a jour de l’ACV Agribalyse et la correction de quelques biais soulevés par l’expérimentation Eco-score.[18] Le Planet-score permettrait par exemple de mieux noter des pommes biologiques par rapport aux pommes conventionnelles, de tenir compte du service rendu à la terre par un élevage durable, du rôle des sols dans la captation du carbone, de privilégier l’agriculture extensive par rapport à l’agriculture intensive, ou encore d’encourager la transition vers l’agroécologie.

 

L’affichage alimentaire environnemental,  une question loin d’être résolue

La simple mise en place de ces 2 expérimentations successives, parmi les nombreuses approches méthodologiques proposée à l’ADEME,  illustre toute la complexité liée à la création d’un affichage environnemental alimentaire simple, lisible, scientifique, indépendant et de surcroît efficace pour l’ensemble des produits agricoles et alimentaires.

Pourtant, un affichage efficace fait évoluer les achats[19], infuse un niveau de connaissance et de compréhension des enjeux au plus grand nombre. Il transforme in fine en profondeur les modes de consommation et de production. C’est tout son intérêt.

S’il est acquis que notre alimentation doit évoluer vers plus de végétal, plus de local et de produits de saison, il reste à déterminer quel type d’agriculture nous désirons lui associer. Ce que ces scores mettront en exergue sera clé et nécessite donc, en plus de l’éclairage scientifique[20], un arbitrage politique rapide pour aligner l’ensemble des initiatives. Comme le souligne l’IDDRI.[21], il est primordial d’éviter une démultiplication de labels indépendants qui serait contreproductive

 

Il est nécessaire  de décider et d’agir rapidement car la situation environnementale l’exige et les citoyens le demandent. Souhaitons que cela ait lieu à travers une application réglementaire nationale et européenne, qui rendrait possible une mobilisation rapide de l’ensemble des acteurs, seul gage de succès.

 

 

 

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Références

[1] https://www.liberation.fr/environnement/empreinte-carbone-70-des-emissions-de-co2-proviennent-des-transports-du-chauffage-et-de-lalimentation-20211026_OUUXERGXT5EKDNWG5MBZEXK4WA/

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041553759/

[3] https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/rf/ccc-rapport-final-consommer.pdf

[4] https://www.ecologie.gouv.fr/laffichage-environnemental-des-produits-et-des-services-hors-alimentaire

[5] https://europa.eu/citizens-initiative/initiatives/details/2021/000005_en

[6] https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-activite-physique/articles/nutri-score

[7] https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/7-pays-europeens-se-sont-engages-a-faciliter-le-deploiement-du-nutri-score

[8] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/nutriscorebilan3ans.pdf

[9] https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2021/le-nutri-score-un-logo-bien-integre-dans-le-quotidien-des-francais

[10] https://www.foodwatch.org/fr/communiques-de-presse/2021/nutri-score-oms-et-foodwatch-exhortent-lue-a-rendre-le-logo-obligatoire-partout-en-europe/

[11] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043956924

[12] https://www.ademe.fr/expertises/consommer-autrement/passer-a-laction/reconnaitre-produit-plus-respectueux-lenvironnement/dossier/laffichage-environnemental/affichage-environnemental-secteur-alimentaire-experimentation-20202021

[13] https://fr.openfoodfacts.org/eco-score-l-impact-environnemental-des-produits-alimentaires

[14] https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/un-premier-eco-score-verra-le-jour-sur-des-emballages-a-lautomne/

[15] https://www.usinenouvelle.com/article/qu-est-ce-que-le-planet-score-le-nouvel-affichage-teste-par-27-industriels-de-l-agroalimentaire.N1154307

[16] http://itab.asso.fr/activites/planet-score.php

[17] https://www.usinenouvelle.com/article/pourquoi-les-producteurs-de-viande-veulent-redefinir-l-eco-score-des-produits-alimentaires.N1082024

[18] https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-affichage-environnemental-l-ecoscore-risque-de-promouvoir-l-agriculture-intensive-n86711/

[19] https://www.lineaires.com/les-produits/eco-score-premier-bilan-un-an-apres-sa-mise-en-route

[20] https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/affichage-environnemental-produits-alimentairs-synthese-conseil-scientifique.pdf

[21] https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/derriere-laffichage-environnemental-des-produits

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