Article de Christian Boileau (RSEDD 2021)
La courbe du deuil, modélisée en 1969 par la psychiatre Elisabeth Kübler Ross, permet de comprendre les différentes étapes vécues par une personne impactée par une terrible nouvelle ( sa mort prochaine dans le modèle initial de E Kübler Ross, étendu ensuite à toute forme de nouvelles catastrophiques ), et l’enchainement des étapes jusqu’à un retour à un comportement normal.
La 1ere étape est celle du déni, c’est-à-dire le refus de reconnaître la réalité d’une perception traumatisante. Il s’agit d’un phénomène de défense inconscient devant une réalité inacceptable par l’individu, qui peut mener jusqu’à un effondrement psychologique.
La courbe du deuil appliquée au changement climatique :
L’analogie avec la problématique du changement climatique est intéressante à réaliser : l’acceptation de l’origine humaine du réchauffement de la planète, maintenant validée par la quasi-totalité du monde scientifique, est impossible pour certaines personnes, qui vont continuer à l’expliquer par toutes sortes d’artifices plus ou moins construits et crédibles. Une de ces justifications s’appuie par exemple sur les variations naturelles du climat, allant parfois jusqu’à considérer le réchauffement climatique comme une bonne nouvelle pour certains secteurs économiques, comme le tourisme ou l’agriculture. Ils considèrent donc qu’il n’y a pas à s’adapter à ce réchauffement.
Une autre traduction du déni du réchauffement climatique consiste à accepter les preuves scientifiques, mais sans être capables d’envisager les conséquences et changements de comportement nécessaires, en minimisant les impacts. C’est le fameux « on s’adaptera bien, on s’est toujours adapté »
Les bouleversements dans nos modes de vie leur semblent impossible à réaliser, les conséquences concrètes, pour soi et sa descendance, impossibles à accepter.
Bien entendu, ce déni est souvent relayé, amplifié par des intérêts financiers importants ( l’industrie liée aux énergies fossiles par ex ), pour lesquels les conséquences du réchauffement mettent en péril leurs activités à court terme. Entretenir l’incertitude et le flou sur ces sujets complexes leur permet de gagner du temps … et de l’argent.
Une des causes facilitant cette attitude est liée à la désynchronisation entre l’immédiateté des actions concrètes à engager pour limiter le réchauffement et l’apparition à moyen terme des conséquences plus ou moins définies et dramatiques sur la planète. Il faudrait agir immédiatement et modifier fortement son mode de vie pour probablement améliorer une situation dans plusieurs dizaines d’années. Comme pour le tabac, qui suit le même raisonnement, le déni du danger est favorisé par le temps long, à l’échelle humaine, entre la cause et la conséquence.
Autre cause alimentant le déni, l’impact géographique plus ou moins précis des conséquences du réchauffement. Si les simulations sont solides depuis longtemps sur le degré moyen de réchauffement de la planète selon les quantités de CO² émises, il est beaucoup plus difficile d’obtenir des impacts précis par zone géographique. L’amélioration des modèles utilisés associée à la puissance de calcul des ordinateurs permet d’améliorer la granulométrie des résultats. Mais dans tous les cas, soit les résultats ne sont pas assez précis, soit les impacts les plus graves ne concernent pas directement les émetteurs, il y a là une raison facile pour nier le changement climatique et tourner le regard.
Enfin, le déni se nourrit aussi des succès remportés ces dernières décennies dans des situations qui pourraient se comparer au réchauffement : les pluies acides, la couche d’ozone dans les années 80, et même la terrible pandémie actuelle avec des vaccins développés en un temps record… Tous ces désastres largement annoncés ont finalement été jugulés et démontrent que le pire n’est pas forcément certain. Le problème est que nous ne sommes pas là sur des enjeux de complexités comparables. Limiter les émissions de soufre des industriels par des filtres supplémentaires ou modifier la composition des gaz réfrigérants, est infiniment plus simple et moins impactant que bouleverser le mode de vie d’une grande partie des habitants de cette planète.
Comment sortir du déni et avancer sur la courbe du deuil :
Au-delà de tous ces éléments qui peuvent justifier une position de déni, peut-on agir et sortir de ce blocage ? Comment suivre cette courbe du deuil pour finalement accepter et agir, en évitant la phase de dépression ?
A mon sens, trois attitudes positives et constructives permettent de dépasser ce stade :
- Ne pas trop insister sur le caractère catastrophique de la situation et relativiser les conséquences d’un monde sans énergie fossile. En effet, la gravité du sujet peut bloquer toute initiative de mouvement, et l’idée est bien d’avancer sur la courbe du deuil. La fin des énergies fossiles ne signifie pas le retour au moyen âge. Le développement d’un certain nombre d’énergies renouvelables permettra de conserver un niveau de vie très largement supérieur à ce qu’il était il y a plus d’un siècle. Il faudra faire des choix éclairés sur l’essentiel
- Accepter que le monde autour de nous, pour nous, va changer et tracer la ligne entre l’essentiel et l’accessoire. Cela va être le moment de réaliser une introspection sur nos valeurs, nos priorités. « Agissons pour que l’accessoire ne devienne pas plus important que l’essentiel » ( Aristote ) . A quoi tient-on le plus finalement ? Redéfinissons notre conception du bonheur : être ou paraitre, les choses ou les êtres ? il est fort probable que, tout en gagnant en sagesse et en bonheur, vous puissiez vous séparer de beaucoup d’objets accessoires, datant du temps d’avant !
- Enfin, entrer dans l’action pour, à son niveau, participer au changement et donner plus de sens à sa vie. Pour y parvenir, il ne faut surtout pas se replier sur soi-même, mais au contraire échanger avec ses proches, qui peuvent en être au même stade de réflexion. On est toujours plus fort à plusieurs.
De même, il faut comprendre la situation, réfléchir, s’informer, prendre de la distance, et c’est possible grâce à une profusion de cours, de livres, de vidéo, d’articles sur le sujet.
L’action est possible, à tous les niveaux :
- Personnel, avec de petites actions du quotidien ( baisse du chauffage, tri des déchets, … ) jusqu’à des décisions plus lourdes et impactantes ( suppression de l’utilisation de la voiture, réduction des voyages en avion, modification de l’alimentation, …). De nombreux sites existent, de nombreux blogs ont été créés pour échanger sur les bonnes pratiques, pour faire ensemble sans se décourager
- Professionnel avec un engagement dans son entreprise, là aussi à différents niveaux suivant la maturité de son employeur. Les actions peuvent aller de l’arrêt des gobelets en plastique à des projets beaucoup plus conséquents, comme le lancement de nouvelles activités durables, l’utilisation de bâtiment à énergie positive.
Le déni, la colère, la dépression font partie du processus de deuil du monde d’avant, mais il faut réussir à passer ces étapes pour remonter la pente, accepter la situation, la combattre, en se projetant dans le futur, grâce à une remise à plat de ses priorités et de son mode de vie, grâce aussi à l’action, petite ou conséquente, mais nécessaire et indispensable, pour participer à l’enjeu principal de ces prochaines décennies.
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Bibliographie
Fresque du Climat https://fresqueduclimat.org/
Article Wikipedia sur E Kübler Ross : https://fr.wikipedia.org/wiki/Elisabeth_K%C3%BCbler-Ross
Maria Hejnar Psychologue clinicienneLe déni – mécanismes de défense (psychologueparis-7.fr)
Cours des Mines JM Jancovici https://jancovici.com/publications-et-co/cours-mines-paristech-2019/cours-mines-paris-tech-juin-2019/
Blog de Tristant Nitot https://standblog.org/blog/post/2020/11/05/Changement-climatique-et-le-deuil
Le changement climatique, ça change tout !http://standblog.org/blog/page/9?q=en%20vrac
Excellent article ! Bravo 👏👏