Article d’Adélie Conan-Nguyen (IGE 2021)

 

 

Vous avez peut-être déjà lu les gros titres : Coldplay reprend la route, avec des concerts écolos ! Le groupe britannique, qui avait annoncé arrêter les tournées mondiales du fait de leur impact sur l’environnement, retrouve le chemin des stades : plus de bouteilles en plastiques, de l’électricité produite grâce aux mouvements des spectateurs, des confettis biodégradables… et 50% d’émissions de CO2 en moins. Une chose est sûre, la planète a le vent en poupe.

Cela fait longtemps que l’industrie musicale se pose la question de son impact sur l’environnement, avec plus ou moins de justesse. Dès 2007, le festival Live Earth, constitué d’une série de concerts à travers le monde, visait à sensibiliser le public à l’urgence climatique (Pottier et al., 2020). Si les premières initiatives s’intéressaient surtout aux impacts visibles des concerts et festivals, comme la pollution plastique ou les atteintes à la biodiversité, l’industrie se penche de plus en plus sur les émissions de gaz à effet de serre, et notamment le transport des spectateurs.

Mais qu’en est-il réellement ? Comment évaluer l’impact environnemental de la musique live, qu’il s’agisse des concerts ou des festivals ? Quelles sont les solutions proposées pour que ces événements s’inscrivent dans la transition bas carbone ? En particulier, que penser des engagements de Coldplay pour leur prochaine tournée internationale ? Et quels sont les défis auxquels l’industrie musicale devra faire face à l’avenir ?

 

Comprendre les impacts

Très tôt, l’industrie musicale, et notamment les festivals, ont vu émerger en leur sein une certaine conscience écologique. Beaucoup d’événements ont d’abord envisagé leur impact environnemental sous l’angle de la pollution, et surtout celui de la pollution plastique. Par exemple, dès ses débuts, le festival Coachella offre une bouteille d’eau gratuite aux spectateurs qui ramassent leurs déchets (LIVE MUSIC AWARDS 07: Facing the music, 2007), un avantage non négligeable pour un événement qui a lieu dans un désert californien et qui permet d’encourager les participants à laisser derrière eux un site en bon état.

Cependant, les déchets ne représentent qu’une petite part des émissions de carbone du secteur musical. Le rapport du Shift Project (Roesch et al., 2021) indique ainsi qu’un festival « recevant 280 000 personnes en périphérie[1] sur quatre jours émettra environ 13 800 tonnes équivalent carbone », dont moins d’1% seraient dus aux déchets… contre près de 55% pour le transport des festivaliers, 28% pour leur alimentation et 15% pour le transport des artistes.  Similairement, une étude de la musique live au Royaume-Uni évalue son impact à 405 000 tonnes équivalent carbone par an (Foster, 2019), dont 34% seraient imputables aux salles de concerts, 33% au transport des spectateurs, 9% au transport des artistes, 12% aux produits dérivés et 10% à l’hébergement.

Malheureusement, le secteur culturel souffre d’un manque de formation au sujet du changement climatique, et si de nombreux acteurs s’engagent pour la planète, leurs efforts sont souvent mal orientés au vu de la répartition de l’empreinte carbone du spectacle vivant (Delotte, 2021). Ainsi, la plupart des festivals dits engagés sur la question écologique se concentrent principalement sur la gestion de leurs déchets : dans son article Earth Day Report: How Green Are Our Music Festivals? (2019), la journaliste S. Jones mentionne bien l’impact carbone du transport, mais ne liste que des initiatives liées à la réduction des déchets plastique et à leur recyclage.

Ces efforts sont évidemment louables, mais dans le cadre de la transition bas carbone, ils témoignent d’un manque de préparation et d’une stratégie mal conçue de la part des organisateurs. Ces défis mettent également en lumière un autre problème du secteur de la culture, et notamment du spectacle vivant, quand il s’agit de réduire son empreinte carbone : la multiplicité des acteurs et la répartition des responsabilités.

En 2010, l’association Julie’s Bicycle (Anable et al.) répertorie ainsi les obstacles à l’action environnementale pour chaque partie prenante dans l’organisation d’une tournée : artistes, managers, agents, promoteurs, directeurs artistiques, ingénieurs sons et lumières, producteurs, gérants de salles, fournisseurs techniques et logistiques… Chacun de ces acteurs a la capacité d’avoir un impact positif dans la transition écologique, mais est limité dans sa capacité à influencer les autres : par exemple, le producteur peut choisir une salle de spectacle, mais n’a pas de contrôle sur le fournisseur d’électricité de cette salle.

Tous ces acteurs sont à la fois dépendants les uns des autres sur le plan économique, et relativement indépendants sur le plan organisationnel. Il leur est donc difficile d’exiger ou d’imposer des normes bas carbone à leurs fournisseurs et clients, dont ils dépendent pour continuer leur activité dans un secteur relativement fragile ; mais il est tout aussi compliqué d’adresser les problématiques environnementales à l’échelle du secteur du fait du manque de cohésion et de communication entre les acteurs (Brennan et al., 2019).

A ces difficultés structurelles s’ajoute la problématique du développement des événements musicaux. Leurs revenus sont principalement issus de la vente de billets, et gagner en popularité permet généralement d’en assurer la rentabilité, et de prendre de l’ampleur. Les salles de spectacle deviennent des zéniths ou des stades, les têtes d’affiches et les premières parties sont de plus en plus connues, les tournées s’enchaînent aux quatre coins du monde, les mises en scène gagnent en extravagance, le public est toujours plus nombreux et plus lointain… et les événements deviennent de plus en plus carbonés.

Pour les festivals, en particulier, gagner en popularité signifie souvent qu’il faut inviter des artistes plus importants, qui demandent généralement des cachets plus élevés et des effets sons et lumières plus spectaculaires. Cette hausse des coûts est couverte en augmentant la taille du public, le prix et le nombre de places vendues, ce qui implique souvent de changer la localisation de l’événement, en s’éloignant des centres-villes, et d’attirer des spectateurs venant de plus loin. Ainsi, plus un festival grandit, plus son empreinte carbone augmente.

Mais alors, comment trouver un équilibre entre rentabilité économique et écologie ? Comment permettre à l’industrie musicale de vivre dans un monde décarboné ?

 

Etudier les solutions

Revenons à Coldplay. Pour sa tournée mondiale Music of the Spheres, le groupe a annoncé des objectifs ambitieux, et notamment une réduction de 50% de ses émissions carbone par rapport à sa dernière tournée mondiale en 2016-2017. Leur site internet détaille les initiatives adoptées pour atteindre cet objectif, qui se divisent en douze catégories : émissions de CO2, énergie, transport, mise en scène, public, eau, déchets, nourriture, produits dérivés, bonnes causes, nature et transparence.

Nous ne rentrerons pas ici dans le détail de chacun des engagements de Coldplay, mais certains méritent tout de même notre attention. Le premier constitue une ligne directrice de leur nouvelle tournée : une réduction de moitié des émissions carbone, et la volonté de compenser ce qui sera effectivement émis, notamment grâce à des projets de plantation d’arbres et de régénération des sols. A cet effet, Coldplay s’engage par exemple à utiliser principalement des énergies renouvelables (notamment solaire et cinétique) et des bio-combustibles pour leurs concerts et le transport (pour lequel ils réduiront l’usage de l’avion et des vols privés). Une autre mesure explique que l’impact du transport des spectateurs sera évalué au moyen d’une application, afin de la compenser au mieux. Enfin, les membres du groupe et leur équipe de tournée suivront un régime local et végétarien.

Un deuxième engagement, qui se retrouve au travers des catégories, est celui de la collaboration avec d’autres acteurs du secteur. Ainsi, la mise en scène de leurs concerts sera adaptée afin d’utiliser, autant que possible, des équipements et du matériel fournis localement. De plus, Coldplay ajoutera une clause de contrat pour les salles de concerts et stades où ils se produiront exigeant de leur part des engagements environnementaux : consommation énergétique, gestion de l’eau, recyclage et compostage des déchets…

En étudiant chacune des propositions détaillées sur le site, on peut constater que, loin d’un greenwashing volontaire ou ignorant, les initiatives prises reflètent une véritable réflexion sur l’ensemble de l’empreinte carbone du groupe et de la tournée, comprenant les trois scopes et une vision à long terme. Depuis deux ans, Coldplay est accompagné par le collectif Green Nation (un programme de l’entreprise de spectacle Live Nation, un acteur majeur de l’industrie) et des chercheurs du Grantham Institute de l’Imperial College de Londres, et cela se reflète dans la diversité des initiatives, qui couvrent beaucoup de sources d’émissions et de solutions, pour tenter de construire un modèle collaboratif de réduction, réutilisation et recyclage des ressources.

Le groupe fait également preuve d’une certaine humilité en présentant ses engagements comme une proposition et non un modèle, une expérimentation et non une solution. L’empreinte carbone réelle de la tournée sera mesurée et comparée à leur objectif de réduction de -50%, et les bénéfices et inconvénients de chaque initiative évalués, afin de pouvoir publier les résultats de cette expérience mondiale. Coldplay se dit d’ailleurs ouvert aux critiques et aux retours afin de pouvoir continuer d’améliorer son impact environnemental.

Nous pouvons donc nous interroger sur les points faibles du programme proposé par le groupe, à commencer par une critique des exigences de Coldplay envers ses fournisseurs. En effet, si le groupe indique qu’ils collaboreront avec les salles de concert pour améliorer leur gestion des déchets, rien n’est précisé quand il s’agit d’améliorer leur consommation d’énergie et d’eau pour répondre aux exigences de la clause durabilité. Peut-on vraiment exiger de ces acteurs, souvent peu formés aux sujets environnementaux et particulièrement touchés par la pandémie de covid-19, qu’ils transforment leurs modes de consommations sans une aide technique, voire financière, le tout pour un ou deux concerts ?

De plus, nombre de mesures proposées par Coldplay ne sont pas contraignantes, et cherchent plus à inciter les bons comportements qu’à sanctionner les mauvais. Ainsi, les spectateurs sont encouragés à utiliser des moyens de transport bas carbone pour se rendre aux concerts, et ceux qui le feront obtiendront des bons de réduction à utiliser sur place. Plutôt que de retravailler les jauges pour proposer des événements favorisant un petit public local, et ainsi réduire directement les émissions, le groupe préfère ainsi tenter de les mesurer et de les compenser, deux tâches qui sont souvent réalisées de manière imparfaite.

Enfin, certaines mesures sont contradictoires. Par exemple, le groupe annonce chercher à réduire le matériel qu’il déplace en se tournant vers des fournisseurs locaux, et utiliser des matériaux plus légers et réutilisables ou recyclables pour diminuer leur impact lors des transports. Cependant, afin de se fournir en énergies renouvelables lors des concerts, Coldplay devra transporter des panneaux solaires, un sol cinétique et des batteries rechargeables. Si ces changements amènent peut-être à une amélioration de l’empreinte carbone, nous pouvons néanmoins nous demander si le groupe a véritablement réduit le poids du matériel qu’il déplace dans sa tournée.

Ces critiques ne sont pas exhaustives, et elles ne pourront être approfondies qu’avec des données plus précises. Cependant, elles permettent de souligner quelques-uns des grands défis auxquels l’industrie de la musique live devra faire face dans le cadre de la transition bas carbone et d’interroger le rôle des artistes dans cette transition. Comment changer le modèle des tournées et des festivals, qui représente une part non négligeable des revenus des musiciens ? Comment proposer une nouvelle vision des spectacles, de la mise en scène à la taille des événements ? Comment concilier les différents rôles des artistes, qui sont à la fois des consommateurs, des créateurs et des entreprises, capables d’influencer leur audience et dépendant des tendances d’un marché ? De nombreux groupes, festivals et collectifs cherchent déjà de nouveaux modèles, comme le groupe Massive Attack qui, avec le Tydall Center, a publié une Roadmap to Super Low Carbon Live Music, ou le festival Visions (Plougonvelin) qui interdit progressivement l’avion pour les artistes participants. La collaboration même de Coldplay et Green Nation laisse espérer plus de communication et de cohésion entre les différents acteurs du secteur sur les sujets de la transition écologique.

Il est aujourd’hui difficile d’envisager de mettre fin aux festivals et aux tournées dans leur entièreté, car elles représentent une part non négligeable des revenus des artistes – et ce d’autant plus que le modèle économique du streaming musical est à la fois moins rémunérateur et source d’émissions carbones plus importantes – plus encore que le CD ! Ainsi, si la tournée de Coldplay n’est pas une solution idéale, elle a au moins le mérite de poser les bases du changement dans le secteur musical, de sensibiliser un public plus large aux questions écologiques, de créer les conditions d’une expérience contrôlée pour obtenir des données plus précises sur lesquelles nous pourrons fonder les initiatives futures, et, peut-être, de sonner la fin de l’exception culturelle dans la transition bas carbone.

 

 

 


Sources

[1] Estimation pour un festival équivalent aux Vieilles Charrues à Carhaix.

 

Bibliographie (APA)

Anable, J., Bottrill, C., Bumpus, A., Elkington, J., Morel, A., Smith, T., Tsiarta, C., White, R., Heathfield, H. (2010). Moving Arts. Volume I : Touring Bands. Julie’s Bicycle. https://juliesbicycle.com/wp-content/uploads/2019/10/MA_Vol1_Touring_Bands_Report_2010.pdf

Brennan, M., Jo, C. S., Connelly, A., & Lawrence, G. (2019). Do music festival communities address environmental sustainability and how? A Scottish case study. Popular Music, 38(2), 252-275. http://dx.doi.org/10.1017/S0261143019000035

Delotte, F. (2021). La culture passe-t-elle enfin au vert ?. Nectart, 13, 142-151. https://doi.org/10.3917/nect.013.0142

Foster, G. (2019). Climate change: Plan to cut carbon emissions from concerts. BBC. https://www.bbc.com/news/science-environment-50562183

Jones, S. (2019). Earth Day Report: How Green Are Our Music Festivals?. Live Design (Online). https://login.portail.psl.eu/login?url=https://www.proquest.com/trade-journals/earth-day-report-how-green-are-our-music/docview/2212004352/se-2?accountid=170096

LIVE MUSIC AWARDS 07: Facing the music. (2007). Music Week. https://login.portail.psl.eu/login?url=https://www.proquest.com/magazines/live-music-awards-07-facing/docview/821002934/se-2?accountid=170096

Pottier, A., Combet, E., Cayla, J., de Lauretis, S. & Nadaud, F. (2020). Qui émet du CO2 ? Panorama critique des inégalités écologiques en France. Revue de l’OFCE, 169, 73-132. https://doi.org/10.3917/reof.169.0073

Roesch, A., Valembois, F., Valensi, S. (2021). Rapport Intermédiaire / Décarbonons la culture !. The Shift Project. https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/05/TSP-PTEF-Decarbonons-la-Culture-RI-mai-2021-VF.pdf

Sustainability Initiatives. (s. d.). Music of the Spheres World Tour : Sustainability. https://sustainability.coldplay.com/, consulted on 05/11/2021

Jones C., McLachlan C., Mander S. (2021.) Super-Low Carbon Live Music: a roadmap for the UK live music sector to play its part in tackling the climate crisis. Tydall Center. https://documents.manchester.ac.uk/display.aspx?DocID=56701

 

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