Article de Valerie Lallier Bonnard (RSEDD 2020)
La forêt brûle …. La photo de l’Australie prise par la Nasa en 2019 a saisi le monde d’effroi. Idem pour les images d’animaux apeurés sortant des bois pour trouver refuge dans les villes.
Qu’est ce qu’un megafeu ?
Qu’appelle-t-on au juste un megafeu ? En fait il n’existe pas de définition scientifique. Le terme a été défini par Mireille Zask[1] dans son livre « quand la forêt brûle », comme un feu d’une rare violence, incontrôlable, notamment parce que l’air lui-même peut s’enflammer et créer des « ouragans de feu » .
Le phénomène à l’œuvre est décrit par Célina Deluzardche[2] : « En juillet 2017, un incendie géant de plus de 467.000 hectares a dévoré les forêts de la Colombie-Britannique durant plusieurs semaines, avec près de 169 feux dont 29 qualifiés de majeurs. L’incendie était tellement puissant que les fumées injectées dans la stratosphère ont été visibles sur les images satellite durant près de huit mois, dégageant un immense panache noir éclipsant la lumière du Soleil. Une étude parue dans la revue Science, le 9 août dernier, décrit comment ce pyrocumulonimbus, le plus grand nuage de ce genre jamais observé, s’est « auto-alimenté » en raison du rayonnement solaire. Composé de 2 % de noir de carbone (suie), qui absorbe la chaleur du soleil, le nuage a ainsi profité du réchauffement de l’air ambiant qui a favorisé l’ascension de la fumée. Le panache a gonflé de 12 à 23 kilomètres en hauteur en deux mois, ont calculé les chercheurs. »
Des feux plus fréquents et plus intenses
Ils ne représentent que 3 % des incendies mais sont responsables de plus de 50 % des surfaces brûlées de la planète. Depuis une dizaine d’années, les mégafeux incontrôlables se multiplient. On se souvient de Fire Camp qui a dévasté la Californie en novembre 2018 et tué, tuant 85 personnes et ravageant 60 000 hectares. Et le phénomène s’intensifie : en 2020 la Californie a de nouveau connu six megafeux.
Le bilan des feux australiens, quant à lui, se passe de commentaires : le rapport intermédiaire du WWF[3], publié en 2020 pointait le bilan suivant : « Plus de 15 000 feux ont eu lieu à travers tous les États du pays, affectant ainsi une zone totale approchant les 19 millions d’hectares (Filkov et al. 2020). L’Est de l’Australie a subi des conséquences sur la biodiversité et la vie humaine particulièrement dévastatrices. Près de 12,6 millions d’hectares, essentiellement de forêt et de bois, ont été brûlés (Wintle et al. in press). Au total, nous estimons qu’il y aurait eu, parmi les bois et les forêts qui ont brûlé, près de 3 milliards d’individus de vertébrés natifs affectés. Ceux-ci sont composés de : 143 millions de mammifères, 2.46 milliards de reptiles, 180 millions d’oiseaux, 51 millions de grenouilles. »
Et depuis lors, les megafeux ont surgi en Indonésie, en Amazonie, en Bolivie et même en Sibérie (où les feux ont dévoré une surface équivalente à celle de la Belgique) ou en Syrie. Et les prévisions scientifiques ne sont guère optimistes avec la perspective, d’après une étude de l’université de Harvard[4] en 2013, d’un doublement ou triplement du nombre des megafeux d’ici 2050 aux Etats Unis, entraînant une hausse des émissions de particules de 20 % à 100 %. Et même en France, plus de 50% des municipalités françaises seraient exposées au risque du feu d’ici 2050. Le feu n’est plus un phénomène lointain y compris Vosges ou dans l’Aude. Le danger est aux portes de la France.
L’homme, responsable des megafeux
En cause : la pression humaine, l’état des forêts, et surtout la chaleur et la sécheresse liées au réchauffement. Mireille Zask, dans son livre « Quand la Forêt brûle » décrit ainsi le phénomène ; « Indéniablement, ces incendies sont nourris par le réchauffement climatique. L’augmentation des températures fait baisser le taux d’humidité, la végétation sèche et devient extrêmement inflammable. Les forêts sont aussi de plus en plus attaquées par des insectes ravageurs et des pathologies qui croissent avec la chaleur. En Californie, une région qui a connu aussi de nombreux incendies ces dernières années, un arbre sur dix est victime d’agents pathogènes, de virus ou de champignons. Les forêts sont malades, les écosystèmes fragilisés et donc plus vulnérables à des incendies. Avec la sécheresse et le réchauffement climatique, la saison des feux s’allonge ».
De son côté, Jean Clouzel pour ARTE [5] explique ce mécanisme bien documenté : réchauffement, vague de chaleur , sécheresse, feu . Il alerte aussi sur la contribution des feux au réchauffement climatique. Selon lui, en Sibérie, région fragile, avec des étés très chauds (pas loin de 40 degrés en 2020) les incendies ont émis autant de dioxyde de carbone qu’un pays comme la France. Comme une boucle infernale en somme …. En 2018, les feux de Sumatra ont généré autant de gaz à effet de serre que l’activité économique des États-Unis tout entier. De son côté,
Mais le consensus existe pour dire que l’homme est aussi largement responsable de ce phénomène. Tout d’abord parce que l’homme est à l’origine des feux. Selon les régions du monde, 85 à 98% des feux sont d’origine humaine.
Ensuite parce que l’usage qui est fait des forêts par l’homme est devenu un usage productivité et extractiviste, qui change l’équilibre des espèces et favorise la dispersion du feu. Là aussi la lecture de Mireille Zask est riche d’enseignements : « J’ai été frappée par les feux de forêt, totalement inédits, en Suède, à la fin de l’été 2017. C’était sidérant parce que l’on ne s’attendait pas à ce que des forêts boréales et même arctiques brûlent. Ces incendies ont révélé le fait que la Suède possédait une forêt à 70 % industrielle. Des plantations de pins, des monocultures uniformes qui appauvrissent les sols et affament les rennes qui manquent de lichens. Les méga feux se sont rapidement propagés du fait de l’extrême densité de ces pins et de la vulnérabilité de ces forêts industrielles. On voit la même chose se développer en Espagne ou au Portugal avec les plantations d’eucalyptus particulièrement inflammables. Le feu n’a donc rien d’un phénomène naturel, il est éminemment politique. »[6]
L’homme serait donc pleinement responsable de ce nouveau phénomène, coupable de déclencher les feux par négligence, coupable d’avoir réchauffé et asséché les forêts, coupables d’avoir remplacé ses forêts par des forêts mono culture. En Indonésie notamment, la violence des feux, partis d’une technique de déforestation sauvage mal maitrsiée, s’expliquait aussi par des productions industrielles de biomasse ayant conduit au remplacement massif d’hectares de forêts par des palmiers à huile hautement inflammable.
De l’anthropocène au pyrocène
Avec ces megafeux que nous ne savons plus contrôler, nous entrons, d’après Mireille Zask, après l’ère de l’anthropocène dans l’ère du Pyrocène. Mais que faire ?
Ces megafeux qui nous fascinent et nous terrifient sont à la dois un moyen d’éveiller nos consciences sur les impacts du changement climatique et d’amorcer un vrai changement culturel. Sur les conseils de Mireille Zask, sortons de notre rapport moderne à la nature qui se réduit à deux options : la dominer ou l’observer. Elle nous incite à renouveler nos pratiques de soin de la nature, en faveur d’une prévention des feux, sous formes décentralisées, engagées, collaboratives interdisciplinaires. Face à un megafeu, le réflexe le plus facile est d’en imputer la faute à l’incapacité de l’homme, une fois de plus de dominer la nature ; pas assez de pompiers, ou de canadairs, ou d’organisation, comme Donald Trump l’avait exprimé lors des megafeux en Californie. Cette idéologie de domination de la nature n’a pas de sens lorsque l’on parle des megafeux. La solution serait plutôt de remédier aux causes lointaines et , sans parler du changement climatique, revenir à un véritable entretien de nos forêts, sortir du rythme de l’exploitation industrielle de masse, mais aussi éviter que la forêt par défaut d’entretien ne se transforme en amas de combustibles desséchés.
Retourner aussi à des formes de pastoralisme et d’entretien millénaire, y compris avec les communautés locales. En un mot, ces megafeux, qui empoisonnent l’atmosphère, détruisent notre paysage et notre patrimoine, qui nous volent une partie de notre histoire collective nous rappellent que la forêt n’est ni notre esclave ni notre divinité, juste une de nos parties prenantes, comme le reste du vivant.
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Références
[1] Quand la forêt brûle, de Joëlle Zask, Premier Parallèle, août 2019, 208 p.
[2] https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/surveillance-forets-feux-foret-si-puissants-quils-apparentent-guerre-nucleaire-77303/
[3] https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2020-07/24072020_rapport_les%20feux%20autraliens%202019-2020%2C%20la%20faune%20vert%C3%A9br%C3%A9e%20affect%C3%A9e_WWF%20Australie_0.pdf
[4] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1352231013004573?via%3Dihub
[5] https://www.arte.tv/fr/videos/101054-000-A/5-questions-a-jean-jouzel-climatologue/
[6] Itw Reporterre, janvier 2020, https://reporterre.net/Mega-feux-Nous-ne-vivons-pas-seulement-dans-l-Anthropocene-mais-dans-le-Pyrocene