Article de Céline GARAT BOUTE (RSEDD2020)
Les effets néfastes du plastique sont partout. Chaque année, des centaines de milliers d’animaux confondent les sacs plastiques à leur nourriture, s’étouffent avec une paille en plastique ou s’emmêlent dans ce qui était autrefois un emballage alimentaire… S’ajoutent à cette triste réalité, la pollution par les micro plastiques et ses conséquences multiples. Ces particules, inférieures à 5 mm, proviennent bien souvent de la dégradation de morceaux plastiques plus grands, mais aussi de nanoparticules que l’on trouve dans certains produits de grande consommation. Même si le plastique a permis certaines évolutions et gains de temps dans notre quotidien, la planète nous demande d’arrêter. Ces plastiques conduisent à une gigantesque pollution visible et invisible à l’œil nu et inquiètent la communauté scientifique et politique. Saviez-vous que dans cette soupe de microparticules plastiques présents dans les océans, 35% sont d’origine textile ? Que faire face à cette pollution discrète et insidieuse, née du lavage de nos vêtements? Qui sont les responsables ? Comment agir ?
POLLUTION PLASTIQUE : LA GUERRE EST DECLAREE !
Face au fléau des déchets plastiques, l’Europe prend des mesures contre le suremballage et la production des déchets : suppression des sacs en plastique légers en 2015, réduction et suppression des plastiques à usage unique en 2019 (gobelets, pailles, cotons tiges.).
Avec le Pacte vert Européen, le périmètre s’élargit autour de nombreux secteurs de la vie quotidienne. Ainsi, dans la feuille de route de l’économie circulaire de 2018 fait apparaître d’autres objectifs : atteindre 100% de collecte des déchets recyclables d’ici 2025, simplifier les consignes de tri sur tout le territoire d’ici 2022 (Triman), supprimer les cotons tiges, gobelets et vaisselles jetables (depuis janvier 2020), puis, en 2021, les pailles, couverts jetables, touillettes, couvercles de gobelets à emporter, boîtes en polystyrène, piques à steak, tiges pour ballons, confettis plastiques, emballages plastique pour les fruits et légumes de moins de 1,5kg…
Cependant, un autre fléau existe en matière de pollution plastique, celui des microplastiques issus du textile.
LA POLLUTION MICROSCOPIQUE DES TEXTILES PARLONS-EN
A chaque lavage en machine, des centaines de milliers, voire des millions de micro-fibres dont la taille est comprise entre 333 μm à 5mm franchissent le circuit d’évacuation des eaux usées et terminent leur course dans les Océans…En effet, leur taille microscopique les aide à franchir toutes les barrières, à commencer par celles des stations d’épuration. Ils représentent 35% des micro plastiques déversés chaque année en mer, selon des chiffres de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).
A l’empreinte eau (7000 à 10000 litres d’eau sont utilisés pour fabriquer notre blue jean préféré) et ses autres impacts environnementaux et sociaux, s’ajoute la pollution fibreuse que rejette un vêtement, dès lors qu’il passe dans notre lave-linge.
Selon la Fondation Ellen McArthur[1], le lavage des vêtements libère un demi-million de tonnes de micro-fibres plastiques dans l’océan chaque année, soit l’équivalent de 50 milliards de bouteilles en plastique… Une étude de l’université de Plymouth [2] datant de 2016, montre également qu’une machine de 6kg de linge synthétique libère jusqu’à 700 000 fibres… Toute la penderie est concernée, et principalement les vêtements en polyester, nylon, acrylique, élasthanne, qui sont les premiers coupables en nombre de particules libérées.
MICROPLASTIQUES : UNE POLLUTION OMNI PRESENTE
L’AIR ET LES MONTAGNES
Les microplastiques ont atteint les plus hauts sommets de la planète mais aussi ses abysses les plus profonds : onze échantillons de neige et huit échantillons d’eau prélevés dans les cours d’eaux aval du mont Everest au printemps 2019 ont été examinés dans le laboratoire de l’Université de Plymouth qui a identifié les particules trouvées les plus courantes : le polyester, l’acrylique, le nylon, le polypropylène, presque toujours des fibres textiles. Les chercheurs soupçonnent qu’elles proviennent de l’abrasion des vêtements portés par les alpinistes ou même transportées par le vent jusque-là. [3]
LES FLEUVES
D’autres scientifiques tentent de retracer le chemin de ces microparticules plastiques que l’on observe partout dans les mers du Globe et en amont dans les fleuves…
80% des plastiques présents dans les océans proviennent d’abord des fleuves… expliquent les scientifiques du CNRS qui ont participé à l’expédition menée avec la Goélette TARA en 2019.
Au cours d’une expédition de 6 mois, 2700 échantillons ont été prélevés dans 9 grands fleuves européens avec un but précis : dresser le bilan des microplastiques, d’identifier leurs caractéristiques et leurs sources, et comprendre leur impact sur les organismes marins et leurs effets sur la chaîne alimentaire… Des conclusions qui ne devraient pas tarder à être communiquées. [4]
LE FOND DES OCEANS
L’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’exploitation de la Mer) a contribué à plusieurs études marines et a révélé l’existence de zones d’accumulation de ces microplastiques dans les courants des fonds marins à des niveaux plus élevés que jamais (un mètre carré seulement contient 1,9million de morceaux de plastiques microscopiques). Ces « hotspots » de microplastiques abritent également d’importantes espèces biologiques susceptibles de les consommer… [5]. Les principales micro-fibres textiles dans le viseur sont les fibres synthétiques, issues principalement du polyester… Jusqu’à présent, les précédentes études océaniques avaient tendance à partir du principe, que toutes les fibres naturelles comme le coton, le chanvre, ou la laine, se biodégradent suffisamment vite dans un environnement marin, de sorte qu’elles ne persistent pas dans le temps.
Or, une récente étude vient rebattre les cartes à ce sujet : sur les 2000 fibres analysées par Peter Ryann de l’université du Cap en Afrique, seules 8% sont des fibres de plastiques comme le polyester et le nylon… le reste est constitué de fibres naturelles, dont le coton, qui représenterait 50% du total, la laine 12%, et d’autres comme la soie, le chanvre, le lin dans de plus faibles proportions.
Cette découverte est d’autant plus surprenante que deux tiers des textiles fabriqués aujourd’hui sont synthétiques ! Il est fortement possible que ces fibres relevées soient la résultante de la pollution lointaine…, une pollution qui remonterait à l’époque où ces textiles étaient le plus couramment utilisés dans la confection… Nous pouvons imaginer que ceux-ci n’étaient pas autant chargés de substances, ou de colorants comme ils le sont aujourd’hui. [6]
RETOUR A L’ENVOYEUR ? LES MICROPLASTIQUES DANS NOTRE ORGANISME
Qu’ils soient d’origine plastique ou textile ces microplastiques peuvent relarguer des additifs dans l’eau ou absorber des polluants tel un radeau. Le problème se pose alors lorsqu’ils sont ingérés par les poissons, ou les crustacés qui les confondent avec de la nourriture… puis lorsque ceux-ci sont, à leur tour, consommés par les humains… Nous ingérons environ 5 grammes de plastiques par semaine. On ne compte plus les analyses qui démontrent la présence de ces contaminations au plastique sur l’ensemble des poissons, des crustacés, des moules que nous consommons ainsi que dans l’eau du robinet que nous buvons, avec leurs contenus (agents stabilisants, colorants, additifs…) [7] sans compter ce que l’on respire.
A l’issue de 3 années de recherches sur le sujet, Nelly Pons explique dans une récente interview que ces microplastiques à l’échelle nanométrique peuvent passer la paroi des organes, comme cela a été décrit dans une récente étude italienne parue dans la revue scientifique Environment International.
Pour la première fois, des particules de microplastiques ont été retrouvées dans les placentas de 4 femmes enceintes sur 6. Une taille suffisamment petite de 0,01mm pour permettre aux microparticules de circuler dans le sang et véhiculer les substances chimiques qu’elles contiennent… [8]. Cette dernière affirmation appelle des recherches plus poussées sur les possibles effets sur la santé et la possible libération de contaminants toxiques mais amène certains éclairages.
QUE FAIRE AU NIVEAU INDIVIDUEL POUR REDUIRE LES IMPACTS ?
Qui sont les responsables ? Comment faire en sorte que la charge des microplastiques issus des lavages baisse ? Plusieurs leviers sont envisageables.
Le lave-linge est un coupable souvent pointé du doigt, mais on ne saurait plus vraiment s’en passer. En 2010, nous étions 2 milliards à l’utiliser, en 2050 nous serons 5 milliards, selon la Plastic Soup Foundation. Laura Diaz Sanchez, nous explique que diminuer les températures de lavage à 30°C maximum non seulement est bénéfique pour l’environnement, mais permettrait aussi de limiter le délitage de ces particules. L’usage de lessive liquide est à privilégier plutôt que la poudre qui, entraîne un effet gommage sur le linge. Et surtout, elle nous recommande d’éviter le sèche-linge [9]
Laver moins souvent notre jean préféré et nettoyer les tâches à la main, lui faire prendre l’air plus souvent, lui permet non seulement de traverser les époques, de consommer moins d’eau sur toute sa vie mais aussi de rejeter moins de particules, explique le PDG de Lévi’s lors d’une conférence sur le Développement Durable en 2014, où il porte un jean qu’il n’a pas lavé en machine depuis 1 an [10].
Une autre piste consiste à acheter moins de vêtements également, moins souvent, et même des vêtements d’occasion, car plus le vêtement est neuf, plus il libère de particules aux premiers lavages. En 10 ans, la consommation de vêtements a grimpé de 60%, pendant que la durée de vie du vêtement a diminué de 2 ans, selon une étude de McKinsey & Company [11]. L’essor du polyester et l’explosion de la production de vêtements bon marchés, souvent de mauvaise qualité, révèlent ainsi une dépendance aux fibres synthétiques qui libèrent, lors de leur utilisation (frottement), lavage et élimination, ces minuscules fibres invisibles à l’œil nu. Récemment, plusieurs ONG ont rebaptisé la fast fashion en « fossil fashion » à cause du recours quasi systématique aux fibres synthétiques. [12].
S’ENGAGER AVEC DES SOLUTIONS !
LE FASHION PACT ET LA LOI ANTI-GASPILLAGE POUR UNE ECONOMIE CIRCULAIRE
Des engagements écologiques apparaissent aujourd’hui, avec notamment le Fashion Pact (août 2019) que signent 32 entreprises de la mode et du textile (150 marques fabricants et distributeurs) pour agir collectivement en en faveur d’une réduction de l’impact environnemental de leurs activités.
Innover en vue de réduire les rejets de microplastiques venant du lavage des textiles et éduquer les consommateurs sur l’entretien de leurs vêtements, font partie des lignes de conduite du Fashion Pact. Même si les entreprises sont encore eu nombreuses à avoir prévu d’éliminer les fibres synthétiques de leur gamme, l’inquiétude sur leurs impacts pousse les industriels à y réfléchir [13].
Certains développeurs ont imaginé des dispositifs comme celui de Planet Care, capable d’enrayer les micro-fibres à la sortie des lave-linges !
D’autres astuces comme la Cora Ball ou le filet de lavage extrêmement fin en polyamide 6.6, appelé « Guppyfriend » existent. On trouve ce dernier chez certains revendeurs comme Patagonia : c’est un moyen pour intercepter les fibres et éviter qu’elles partent avec les eaux de lavage. C’est aussi une façon d’éduquer les consommateurs et les inciter à demander aux industriels de s’engager dans des démarches plus transparentes et plus engagées contre ce fléau.
A défaut d’avancées techniques suffisantes sur le tissage et les processus de fabrication, certains industriels préfèrent jouer la carte transparence plutôt que de ne rien faire : ainsi, le fabricant du jean infini « 1083 » a décidé, de partager avec ses clients ses recherches et ses analyses sur le rejet des microparticules. Il mentionne ainsi sur son site internet les tests de relargage particulaire effectués sur ses jeans, et affirme qu’utiliser du plastique recyclé dans la conception de ses pantalons (polyester recyclé), réduit considérablement la quantité de fibres relâchées (Fondation de recherche Rovaltain) et partage sur la technique du filage polyester qui impacte sur le volume de dispersion. [14].
LAST BUT NOT LEAST : UNE LOI POUR LES NOUVEAUX LAVE-LINGE MIS SUR LE MARCHE EN 2025
La France est le premier pays à vouloir imposer aux industriels de mettre sur le marché dès janvier 2025, des filtres à microplastiques sur les nouveaux modèles de machines à laver. Cette mesure figure la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire et le réemploi (février 2020) et dans la feuille de route qui l’accompagne.
Les fabricants sont encouragés d’ici 5 ans, à innover, et à adopter les grands changements technologiques nécessaires pour développer un tel système capable de bloquer les fibres microscopiques avant qu’elles n’arrivent aux stations d’épuration.
La société turque Arçelik, maison mère de Beko et Grundig, semble être en tête des avancées sur le domaine, puisqu’elle a annoncé la commercialisation prochaine d’une machine équipée d’un filtre multicouche qui empêchera 90% des microfibres de s’échapper juste avant l’évacuation d’eau. Son PDG, Hakan Bulguru prévoit d’ouvrir sa technologie à d’autres fabricants qui pourront également adopter cette solution pour lutter contre cette pollution. [15].
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SOURCES :
[1]. https://www.ellenmacarthurfoundation.org/our-work/activities/make-fashion-circular/report
[2]. https://www.60millions-mag.com/2020/10/08/microplastiques-comment-nos-vetements-polluent-17554
[3]. https://www.heidi.news/sciences/les-microparticules-de-plastique-atteignent-le-toit-du-monde
[9]www.plasticsoupfoundation.org
[12]. http://changingmarkets.org/wp-content/uploads/2021/01/FOSSIL-FASHION_Web-compressed.pdf
[14]. https://www.1083.fr/blog/jeans-infini-avenir-de-la-mode/
[15].https://www.arcelikglobal.com/en/blog/playing-our-part-to-beat-plastic-pollution/
POUR ALLER PLUS LOIN :
The story of Stuff Project: sur Youtube l’histoire des microfibres, mars 2017
Pétition : Arrêtez la pollution par les micro-fibres plastiques : https://action.storyofstuff.org/sign/stop_microfiber_plastic_pollution/
https://agirpourlatransition.ademe.fr/particuliers/conso/mode/gros-plan-vetements
https://www.mediaterre.org/actu,20200914190953,2.html
https://www.youtube.com/watch?v=EixwWKzqLH4
https://hopaal.com/blogs/blog/microplastiques-macro-problemes
Génial cet article ! Merci Céline pour ce beau travail de rédaction