Article de Charlotte Puechmaille (IGE 2020)
L’ADEME[1] définit un équipement électrique et électronique (EEE) comme “un équipement fonctionnant grâce à un courant électrique ou à un champ électromagnétique, ou un équipement de production, de transfert ou de mesure de ces courants et champs, conçu pour être utilisé à une tension ne dépassant pas 1 000 volts en courant alternatif et 1 500 volts en courant continu”.
Un grand nombre d’appareils du quotidien sont concernés par cette définition: machine à laver, téléphone portable, télévision, perceuse, ordinateur, objet connecté, lampe, lave-linge…
Selon l’ADEME1, “1 928 995 tonnes d’équipements ont été mis sur le marché français” en 2018.
83% appartenaient à la catégorie des EEE ménagers: matériel informatiques et de télécommunication, lampes et petits appareils ménagers.
Le taux de collecte des DEEE ménagers, tel que déclaré par les éco-organismes agréés, s’élevait à 51% (10,9 kg / habitant) et celui de réutilisation et recyclage (tous EEE compris) à 71%.
Dans son livre blanc[2] destiné aux pouvoirs publics français, l’association HOP – Halte à l’Obsolescence Programmée, estime que si on utilisait les produits EEE, d’ameublement et textiles 50% plus longtemps, 77 millions de tonnes de CO2 pourraient être économisées par an. Ce qui représenterait deux fois la quantité d’émissions du secteur aérien.
Au regard des volumes impliqués, l’enjeu de l’allongement de la durée de vie des EEE apparaît donc critique pour réduire l’empreinte environnementale relative à leur fabrication, distribution, usage et fin de vie.
Comment se traduit la prise en compte de l’urgence environnementale dans la filière des EEE ?
Quelles principales évolutions attendre au cours des 5 prochaines années en France et en Europe ?
Une évolution réglementaire encourageant production et consommation durables
En France, le succès de l’application Yuka témoigne de l’importance accordée par les consommateurs à la transparence en matière de qualité des aliments et cosmétiques.
A travers des affichages obligatoires, le gouvernement français souhaite que les évaluations de réparabilité, durabilité et impact climatique des EEE soient communiquées aux consommateurs avant tout achat.
La loi AGEC[3] de Février 2020, dédiée à l’économie circulaire:
- oblige les fabricants de 5 catégories d’EEE (smartphones, ordinateurs, TV, lave-linges, tondeuses à gazon) à afficher un indice de réparabilité[4] depuis le 1er Janvier 2021. Cet indice sera certainement élargi à d’autres catégories dès 2023.
- prévoit un indice de durabilité en 2024
- impose l’information sur la durée de mise à jour des logiciels d’exploitation des téléphones mobiles et tablettes tactiles dès 2021
- impose la communication des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux consommations internet et mobile dès 2022
Par ailleurs, le Projet de loi portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets[5] prévoit un affichage “destiné à apporter au consommateur une information relative aux caractéristiques environnementales des biens et services”. Il fera ressortir “l’impact sur le climat des biens et services sur l’ensemble de leur cycle de vie.”. En cas de vote de la loi mi- 2021, le décret sera publié d’ici 2025.
De même que 92% des utilisateurs de Yuka déclarent que “quand un produit est rouge, ils le reposent en rayons” [6], il est probable que ces indices créent un effet similaire auprès des consommateurs avertis. Informé-e-s sur la réparabilité, durabilité et l’impact climatique de leurs achats, ces dernier-e-s choisiront des équipements plus durables.
Ce recours aux achats durables se traduira également au niveau professionnel dans les relations entre donneurs d’ordre et fournisseurs.
Toujours au niveau réglementaire:
- La Convention Citoyenne pour le Climat propose d’élargir l’obligation réglementaire du bilan des GES à toutes les entreprises (scope 1)
- Le Projet de loi portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets4 prévoit une modification du code de la commande publique:
« Les clauses du marché prennent en compte des considérations liées aux aspects environnementaux des travaux, services ou fournitures objets du marché. » (décret prévu d’ici 2025 si la loi est votée)
Il est à noter que l’Union Européenne suit de près les expérimentations réglementaires françaises.
La promotion d’une économie circulaire est également à l’étude au niveau du Parlement Européen[7]: “droit à la réparation pour les consommateurs”, “soutien à la production durable et aux marchés de biens d’occasion”, “lutte contre l’obsolescence des produits”. Les futures directives pourraient s’inspirer de la loi AGEC française, pionnière en la matière, à horizon 2025.
Ecoconception, réparabilité, durabilité et mesure de l’impact climatique des EEE vont devenir des prérequis au niveau réglementaire en France et en Europe
Emergence de la finance durable pour répondre à l’urgence environnementale
En 2020, plusieurs pays ont réaffirmé leurs objectifs de neutralité carbone:
- Chine: neutralité carbone 2060[8]
- Etats-Unis: retour dans l’accord de Paris[9] décidé par Joe Biden, neutralité carbone 2050
- UE: 55% de réduction des GES d’ici 2030 (vs 1990) et neutralité carbone 2050[10]
- Japon: neutralité carbone 2050[11]
Le secteur financier est fortement incité à orienter ses investissements vers des secteurs et activités permettant d’atteindre ces objectifs environnementaux.
Les obligations vertes (ou « green bonds ») constituent des emprunts obligataires (non bancaires) émis sur les marchés financiers, par une entreprise ou une entité publique pour financer des projets contribuant à la transition écologique. Leurs émissions devraient exploser et atteindre 400 milliards d’euros en 2021[12].
Aux Etats-Unis, Joe Biden va bientôt présenter son Green New Deal qui prévoit d’investir 2 000 milliards de dollars (1 650 milliards d’euros) sur 4 ans (soit 10 % du produit intérieur brut annuel).
En Europe, dans le cadre de son plan de relance EU NextGen de 750 milliards d’euros12, la Commission a prévu d’émettre plus de 200 milliards d’obligations vertes au cours des prochaines années.
D’un point de vue normatif, le plan d’action pour une finance durable de la Commission Européenne[13] prévoit la création d’un système de classification unifié dit “taxonomie” [14]. Son but est de définir les catégories d’investissements “durables” afin d’éviter tout greenwashing.
L’une des catégories phares de la taxonomie sera “la transition vers une économie circulaire, prévention et recyclage des déchets”. La catégorie des EEE sera particulièrement concernée par cette dernière.
La prise en compte des enjeux environnementaux, tels que définis dans des classifications financières comme la taxonomie européenne, va devenir incontournable pour l’accès au financement des industriels. La filière EEE sera concernée.
Evolution des attentes des consommateurs-citoyens
En 2020, les médias mondiaux n’ont jamais autant rédigé d’articles sur le réchauffement climatique et la perte de biodiversité. Selon une enquête du PNUD[15] de Janvier 2021, ¾ des français considèrent que le changement climatique est une « urgence mondiale ».
Une part croissante des citoyens, encore difficile à mesurer, se tourne vers une consommation plus durable inspirée du triptyque “réduire, réutiliser, recycler”.
En France, cette sensibilité se traduit par l’émergence de nouveaux acteurs:
- Achat reconditionné: BackMarket, Rebuy, Darty Occasion…
- Réparation (en présentiel ou distanciel): Murphy, PIVR, Spareka, Sosav…
- Dons: Geev…
- Mesure de l’empreinte carbone liée aux achats et à l’épargne: Carbo, Greenly, Rift…
Des sites web comme Produits Durables (association HOP) ou le baromètre SAV (Labo FNAC) évaluent déjà la réparabilité et la durabilité des EEE pour aiguiller les consommateurs dans leur choix.
La réparation va se démocratiser et devenir un service phare des distributeurs de produits électroniques (Fnac, Darty, Leroy-Merlin, Amazon…). Hors garantie, elle deviendra moins coûteuse pour les consommateurs grâce au futur Fond de Réparation prévu par la loi AGEC. Les distributeurs y perçoivent une opportunité de fidélisation de leur clientèle. La faible réparabilité des produits (par exemple, la difficulté à les démonter, l’indisponibilité des pièces détachées…) pourrait devenir un critère de déréférencement de certains EEE.
En matière de réparabilité et durabilité, le Groupe SEB[16] fait figure de référence française et européenne.
Leurs initiatives phares incluent:
- 94% de leurs produits électroménagers avec un engagement “Produit réparable 10 ans”
- Un guide d’écoconception utilisé en interne
- Un forfait réparation[17] offrant la possibilité de faire réparer son appareil électrique hors garantie sans devis ni perte de temps
La compétitivité des EEE se mesurera à leur capacité à être réparé et durer plusieurs années
…tout en consommant peu d’énergie pour limiter leur impact environnemental.
L’écoconception va devenir un point incontournable du processus de fabrication.
Pour conclure, les évolutions de la réglementation, du secteur financier et des modes de consommation vont inciter les industriels de l’EEE à améliorer la durée de vie de leurs produits et réduire leur empreinte environnementale. Il s’agit d’une formidable opportunité de faire preuve d’innovation et d’inventer de nouveaux modèles économiques pour répondre à ce changement de paradigme.
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Sources
[1] Rapport annuel “Équipements électriques et électroniques”, ADEME, Données 2018
[2] “Livre blanc 50 mesures pour une consommation et une production durables”, HOP, Février 2019
[3] La loi Anti-Gaspillage dans le quotidien des français: concrètement, ça donne quoi?, Ministère Transition Écologique, 2020
[4] https://www.indicereparabilite.fr
[5] Convention citoyenne pour le climat : le Gouvernement dévoile son projet de loi, 09.01.2021, Actu Environnement
[6] #110 Julie Chapon – Yuka – Faire bouger les géants de la food avec une petite startup, podcast Génération DIY, 2020
[7] Le Parlement souhaite accorder aux consommateurs un “droit à la réparation”, 25/11/2020, site web du Parlement Européen
[8] La Chine se fixe un objectif de neutralité carbone d’ici à 2060, 23.09.2020, Le Figaro
[9] Etats-Unis : en revenant dans l’accord de Paris, Joe Biden parie sur les bénéfices d’une diplomatie climatique offensive, Le Monde, 21.01.2021
[10] European Climate Law, 2020, site web de la Commission Européenne
[11] Le Japon souhaite atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, Le Monde, 26.10.2020
[12] 2021 sera l’année des obligations vertes, 13.01.2021, Les Echos
[13] “Financing Sustainable Growth” fact sheet, European Commission, 2019
[14] EU taxonomy for sustainable activities, site web UE, Janvier 2021
15 Le changement climatique est une « urgence mondiale » selon un sondage, ID, 27.01.2021
[16] Document d’enregistrement universel et rapport financier 2019, partie 3: “Responsabilité sociale, sociétale et environnementale” à partir de la page 111, Groupe SEB
[17] Page Forfait Réparation, site web de Seb, Janvier 2021