article de Véronique Martin (RSEDD 2019)

 

 

Dans les scénarios du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), l’impact de la croissance démographique, conduisant à presque 10 milliards d’êtres humains à l’horizon 2050 selon les prévisions et statistiques des Nations Unies, est souvent pris comme une donnée d’entrée incontournable. Une donnée que l’on évoque officiellement que peu souvent dans les débats publics et la plupart du temps de manière simpliste et polémique.
Simpliste car on associe la croissance démographique à la natalité et au taux de fécondité dans les pays en voie de développement. Polémique car cela touche à un sujet intime et personnel sur lequel les avis sont tranchés.

Prenons un peu de recul.

La croissance démographique mondiale est liée à deux critères1 : l’augmentation de l’espérance de vie d’une part, au taux de fécondité d’autre part. Les Nations Unies s’appuient sur les projections de chaque pays pour construire des scénarios d’évolution de la démographie mondiale suivant une méthode dite « des composantes ». Cette méthode s’appuie sur l’observation de l’évolution passée des indicateurs de fécondité, de mortalité et de migration pour prédire des trajectoires à long terme. Afin de pallier les incertitudes de la méthode et la faiblesse de certaines hypothèses (prévision mortalité/natalité de chaque tranche d’âge, solde migratoire), 3 scénarios sont calculés à horizon 2050 : une hypothèse basse à 8.75 milliards, une hypothèse haute à 10.8milliards et la référence à 9.7milliards.
Il est difficile d’évaluer les contributions respectives de la mortalité et de la natalité à la croissance démographique mondiale.
L’exercice a été fait pour la France 1, il a montré que la moitié de la croissance démographique était due à l’augmentation de l’espérance de vie et au recul de la mortalité. L’évolution de la mortalité décale les effets d’une baisse de la natalité (d’une génération environ). Il est à noter que si la tendance générale est à l’augmentation de l’espérance de vie, celle-ci stagne voire régresse dans quelques pays comme les Etats-Unis. La crise sanitaire de la COVID19 pourrait également impacter à court ou moyen terme le taux de la mortalité, le virus touchant de manière grave les plus de 65 ans. Actuellement, aucun impact n’est attendu à long terme 4.
Une autre méthode qui extrapole les courbes actuelles de mortalité et de natalité aboutit à une diminution progressive du taux de croissance1. La population mondiale pourrait se stabiliser dans les années 2060-2075 avant de commencer à décroître. Un autre scénario qui s’appuie sur des hypothèses de baisse de taux de fécondité beaucoup plus rapide notamment dans certains pays africains, où il est actuellement relativement élevé aboutit à une baisse de la population mondiale à partir de 2064 4.
La multiplicité des scénarios et de leurs conclusions contradictoires confirme l’extrême difficulté de prévoir l’évolution mondiale.  Cette image globale, résultat de multiples chiffres agrégés, cache de fortes disparités entre les pays. La plupart des études s’accorde sur le fait que l’Afrique et en particulier l’Afrique sub-saharienne et l’Afrique intertropicale, représenterait la majorité de la croissance de la population mondiale (85% à l’horizon 2100).

Les pays du Sahel apparaissent les plus fragiles face à une forte augmentation de leur population compte tenu de leur faible potentiel agricole. Bien avant d’impacter le dérèglement climatique global, les difficultés seront prioritairement locales : déficit alimentaire, problèmes de malnutrition, structures de santé et d’éducation sous-dimensionnées, risques de tension migratoire avec les pays frontaliers… Les conséquences peuvent aller jusqu’à des instabilités politiques, des guerres ou le développement de groupes terroristes 1. Cela montre qu’il est primordial de consacrer des fonds aux programmes d’éducation des femmes et de développement de planning familial 2. L’appel urgent lancé par 15 000 scientifiques lors de la COP23 de Berlin en 2017 et repris par un collectif de scientifiques en octobre 2018 dans un article du Monde 2 pour limiter la croissance démographique reste donc, plus que jamais, d’actualité et pas uniquement en vue de réduction du changement climatique.
Si limiter la croissance démographique mondiale est un levier vis-à-vis du dérèglement climatique, de la préservation de la biodiversité et des ressources, il ne peut pas se résumer à la diminution du taux de natalité de quelques pays en développement présentant une forte natalité actuellement. En effet, le « coût CO2 » d’un enfant africain est largement moindre que celui d’un enfant américain (200 fois moins environ pour un enfant né au Niger) 10. C’est pourquoi avoir moins d’enfants représente un levier individuel efficace partout, voire le plus efficace comme le montre l’étude Seth Wyner et K A Nicholas 5 en s’appuyant sur des estimations basées sur des données provenant du Canada , des USA , de l’Europe et de l’Australie. Cf figure ci-dessous.

 

 

C’est pourquoi, contrairement à certaines idées reçues, les politiques de contrôle de la population seraient plus efficaces vis-à-vis du changement climatique dans les pays développés !

Même si certains mouvements existent comme Childfree, SEnVIk, ginks où des femmes revendiquent le droit de ne pas avoir d’enfants 6 7 8 9, cela reste des microphénomènes. Ces mouvements s’appuient sur des revendications individuelles, où la protection de la planète et du climat n’est qu’un argument parmi d’autres.

Ces politiques d’éducation ne sont jamais envisagés dans les pays développés où le vieillissement de la population est plus ressenti comme une « menace » pour leur économie et leur avenir et donc « l’ennemi » à combattre.  Les conséquences de ce vieillissement sont loin d’être à sous-estimer mais les gérer ne serait-il pas un moindre mal que de gérer celles d’un scénario climatique où l’augmentation de température dépasserait les +2°C ?

La priorité reste évidemment de diminuer l’empreinte environnementale de chaque citoyen, en particulier ceux des pays développés et des plus riches. En effet, diminuer le taux de fécondité est un levier parmi d’autres pour lutter contre le dérèglement climatique. Il ne pourra régler à lui seul l’ensemble des problèmes et doit être déployé dans le respect du choix intime de faire un enfant, mais il peut avoir un impact local important, en particulier en Afrique sub-saharienne et nécessite des fonds pour sa mise en œuvre. Il n’est pas à négliger non plus dans les pays développés compte tenu de leur quote-part CO2 élevée.

Enfin, n’oublions pas que dans les scénarios du GIEC, la démographie restera sans doute une des variables les plus difficiles à prédire –et qu’outre l’évolution de la natalité, qu’elle soit volontaire ou guidée, il faudra aussi compter avec le taux de mortalité – en effet, quelles implications des crises sanitaires actuelles et futures : plus de 45 000 décès prématurés en France liés à la pollution de l’air, autre virus de type COVID19, malbouffe d’un côté, malnutrition de l’autre, etc?

 

 

Références

  1. Le Bras Hervé « Après l’explosion démographique », Institut français des relations internationales, Publié 2019/1 Printemps, pages 107 à 120, ISSN 0032-342X, ISBN 9791037300003, https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2019-1-page-107.htm
  2. Collectif « Climat : « Freiner la croissance de la population est une nécessité absolue ». », Le Monde.fr, Publié 9 octobre 2018, https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/10/09/freiner-la-croissance-de-la-population-est-une-necessite-absolue_5366580_3232.html
  3. Frachon Alain, « Sommes nous trop nombreux ? », Le Monde.fr, Publié 17 juillet 2020, https://nouveau.europresse.com/
  4. Gérard Mathilde, « Une étude suggère que la population mondiale pourrait décliner à partir de 2064 », Le Monde.fr, Publié 15 juillet 2020, https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/07/15/une-etude-suggere-que-la-population-mondiale-pourrait-decliner-a-partir-de-2064_6046192_3244.html
  5. Wynes Seth, A Nicholas Kimberly, « The climate mitigation gap : education and governement recommendations miss the most effective individual actions », Publié 2017, https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/aa7541/meta
  6. Schneider Claire « Renoncer à faire des enfants pour sauver la planète » Marie-Claire, consulté en 2020, https://www.marieclaire.fr/,ginks-ne-pas-avoir-d-enfant,20258,432573.asp
  7. Josselin Valérie « Ces jeunes femmes qui ne veulent pas d’enfant », Version Femina, publié 25 février 2020, https://www.femina.fr/article/ces-jeunes-femmes-qui-ne-veulent-pas-d-enfant
  8. Sutter Béatrice, « « Childfree » : faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? », L’ADN Innovation, publié 29 janvier 2019, https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/tendance-no-child-arreter-faire-enfants-sauver-planete/
  9. Chaverou Eric, « « Childfree », « SEnVik », « ginks » : en France le refus d’avoir un enfant reste stable depuis trente ans », France Culture.fr, publié 11 juillet 2019, https://www.franceculture.fr/societe/child-free-senvol-ginks-en-france-le-refus-davoir-un-enfant-reste-stable-depuis-trente-ans
  10. Bourban Michel « C’est un tabou : le plus efficace pour stabiliser le climat, c’est d’avoir moins d’enfants », HuffPost-France (site web), Publié 13 août 2019 , https://www.huffingtonpost.fr/entry/cest-un-tabou-le-plus-efficace-pour-stabiliser-le-climat-cest-davoir-moins-denfants_fr_5d5175a3e4b0fd2733f37a54?ncid=other_huffpostre_pqylmel2bk8&utm_campaign=related_articles
  11. Bourban Michel, « Croissance démographique et changement climatique : repenser nos politiques dans le cadre des limites planétaires », La Pensée écologique, 2019/1 (N° 3), URL : https://www.cairn.info/revue-la-pensee-ecologique-2019-1-page-19.htm

 

 

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