Article d’Emmanuel Dijan (RSEDD 2019)

 

Le guépard, un félin majestueux

Depuis bien longtemps, les grands félins sauvages sont une source de fascination, que ce soit pour les jeunes ou les moins jeunes. Le guépard n’échappe pas à ce phénomène. Mammifère carnivore, il vit principalement en Afrique (il demeure une micro-population de moins de 50 adultes en Iran). D’allure fine, doté de longues pattes, il est le mammifère terrestre le plus rapide au monde, sa vitesse à la course pouvant dépasser, certes sur de courtes distances, les 110 km/h. Pour le distinguer du léopard avec lequel on le confond souvent, le guépard :

  • a deux traces noires qui partent des yeux et vont jusqu’aux coins des lèvres, un peu comme des larmes,
  • a un pelage constitué de tâches pleines, de couleur noire.

 

Photo : Emmanuel Djian
Photo : Emmanuel Djian
Photo : Emmanuel Djian
Photo : Emmanuel Djian

 

Le déclin du guépard et le conflit avec les humains

En 1900, on comptait environ 100 000 guépards sur terre. Aujourd’hui, les estimations (1) portent sur moins de 7 500 guépards adultes autonomes dans le monde. Le guépard a successivement disparu de plus de 20 pays (Inde, Moyen-Orient, Asie centrale, Asie du Sud-Ouest). Les pays de l’Afrique australe où l’on trouve le plus de guépards sont la Namibie et le Botswana, puis l’Afrique du Sud et la Zambie, et dans une moindre mesure l’Angola et le Mozambique. Après l’Afrique australe, la seconde région où l’on trouve le plus de guépards est l’Afrique de l’est, en particulier Kenya et Tanzanie. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature a classé le guépard en espèce menacée « Vulnérable » ; parmi les cinq sous-espèces du guépard, les deux sous-espèces « guépard asiatique » et « guépard du Sahara » sont même classées en danger critique d’extinction (2).

Les causes de ce déclin sont multiples : suite à la réduction des territoires et en conséquence la baisse du nombre de proies disponibles, les guépards et leurs petits sont souvent tués par de plus puissants prédateurs (hyènes, lions, léopards), mais ils font aussi l’objet d’une  chasse par l’homme, que ce soit pour protéger leur bétail ou pour vendre la peau, les dents ou les griffes. A ceci s’ajoute une autre menace actuelle, le trafic illégal de guépards pour alimenter le marché des animaux de compagnie de luxe. Ainsi, toutes les raisons de la disparition progressive du guépard ont un point commun : les agissements de l’homme dans le conflit entre le guépard et les hommes.

 

Une illustration avec la Namibie et l’expérience globale du CCF…

La Namibie n’échappe pas à ce conflit entre les humains et les guépards. En Namibie, 75% des habitants sont agriculteurs ou éleveurs, avec de très faibles revenus. Or moutons, chèvres ou veaux peuvent constituer une nourriture pour les guépards (3). Environ  70% à 90% de 3 à 4000 guépards, que compte aujourd’hui la Namibie, vivent en dehors des espaces protégés et des réserves ; ils se trouvent en cohabitation avec les communautés locales namibiennes et ne sont pas protégés contre la chasse.

Nous touchons ici au cœur du problème, exacerbé par une donnée essentielle : la réelle pauvreté des éleveurs namibiens. En effet, la Namibie, vaste comme 1,5 fois la France, a un PIB de 27 milliards de $ (100 fois moins que celui de la France), ce qui le classe en termes de richesse au 139ème rang mondial.

Pauvres pour la plupart d’entre eux, les éleveurs disposent de troupeaux de petite taille. Perdre ne serait-ce qu’un seul animal de leur troupeau peut avoir des conséquences désastreuses. Ainsi, les guépards et autres prédateurs ne sont pas considérés comme des éléments importants d’un écosystème à préserver mais plutôt comme une menace sur les maigres revenus des éleveurs. De ce fait, on ne tue pas forcément le guépard en Namibie par plaisir ou par cupidité, mais bien souvent uniquement pour protéger ses ressources.

 

… avec des chiens au secours des éleveurs et des guépards

Face à cette situation, sensibilisée par le sort des guépards mais aussi par le désarroi des fermiers, le Dr. Laurie Marker, zoologiste américaine installée en Namibie, va mettre en place dès le début des années 1990 une solution aussi simple qu’efficace. Afin d’enrayer le déclin de la population des guépards, elle crée le CCF pour « Cheetah Conservation Fund » (4), que l’on pourrait traduire par « Fondation pour la Conservation des Guépards ». Le CCF travaille aussitôt en coopération avec les fermiers pour rechercher, développer et mettre en œuvre des techniques de gestion du bétail et d’élevage de gibier en cohabitation pacifique avec les prédateurs. La solution va être trouvée : élever des chiens de races Anatolienne et Kangal avec le projet d’en faire des gardiens de troupeaux, pour tenir à distance les guépards et autres prédateurs.

Ainsi, dès les premières semaines de leur existence, les chiens sont intégrés dans les troupeaux de chèvres, moutons et bovins. Le troupeau devient ainsi leur famille, si bien qu’à l’âge adulte, les chiens se sentent responsables de chaque membre du troupeau et sont prêts à tout pour les protéger. Les races de chiens ne sont pas choisies au hasard : ils n’attaquent pas les guépards mais ont un aboiement suffisamment fort pour les effrayer et les éloigner. Afin de garantir le succès de cette démarche, le CCF élève les chiens et commence leur entraînement dans sa propre ferme. Les éleveurs reçoivent une formation d’une journée au CCF avant que ces chiens ne leur soient remis. Le CCF assure le suivi médical de ces chiens tout au long de leur vie. C’est un véritable partenariat avec les éleveurs.

 

Source : ©Cheetah Conservation Fund
Source : ©Cheetah Conservation Fund

 

Les résultats sont là : ces chiens permettent de réduire de 80 à 100% les pertes de bétail dues aux prédateurs.

Depuis 1994, le CCF a placé près de 700 chiens, et continue d’en placer environ 40 à 50 chaque année. Le succès est tel qu’une liste d’attente a dû être mise en place pour les éleveurs désireux de disposer à leur tour d’un chien de garde des troupeaux. Le programme s’est depuis développé au Botswana, en Tanzanie et, plus récemment, en Afrique du Sud.

Ce programme a aussi un effet social et éducatif fort sur la jeunesse namibienne. En effet, très souvent, les parents demandent à leurs enfants de garder leur troupeau. Comme un chien de garde peut protéger seul le troupeau, il libère l’enfant de cette tâche. Les enfants peuvent alors aller à l’école. 700 chiens placés, c’est pratiquement autant d’enfants qui ont pu poursuivre des études et accéder à des métiers et à des responsabilités plus grandes, y compris dans la conservation de leur environnement et de leur patrimoine, la faune sauvage !

 

Source : ©Cheetah Conservation Fund
Source : ©Cheetah Conservation Fund

 

Au-delà des enfants, l’action du CCF crée des emplois et participe à l’éducation de tous, à tous les niveaux (accueil d’écoliers pour sensibiliser les enfants dès leur plus jeune âge, stages et formations d’étudiants de Namibie mais aussi d’universités de tous pays où vivent des guépards). Le CCF a deux partenaires, l’un au Kenya et l’autre au Botswana voisin.

Le CCF forme aussi « les Fermiers de Demain », les futurs rangers, les scientifiques, les responsables de la protection de l’Environnement et de la Biodiversité et toutes les parties prenantes à la conservation du guépard…

 

On pourra retenir de cette expérience deux éléments fondamentaux :

  • la co-construction de la solution avec les éleveurs,
  • la beauté de la solution : simple, écologique, économique, adaptée au mode de vie local et aux difficultés rencontrées par ces communautés.

Le rendez-vous est donc pris dans quelques années pour mesurer si l’action du CCF, renforcée par des mesures fortes prises par d’autres pays, permettra d’enrayer le déclin des guépards en Afrique australe. Et avec le projet pilote de réintroduction du guépard en Inde dès 2021, on peut se prendre à rêver… en grand.

 

 

Sources

[1] Durant, S. Mitchell, N., Groom, R., Pettorelli, N., Ipavec, A., Jacobson, A., Woodroffe, R., Böhm, M., Hunter, L.  Becker, M., Broekhuis, F., Bashir, S., Andresen, L., Aschenborn, O. Beddiaf, M., Belbachir, F., Amel, B., Berbash, A., Machado, I., Young-Overton, K. (2016). The global decline of cheetah Acinonyx jubatus and what it means for conservation. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America. 10.1073/pnas.1611122114.

[2]  Durant, S., Mitchell, N., Ipavec, A. & Groom, R. 2015. Acinonyx jubatus. The IUCN Red List of Threatened Species 2015: e.T219A50649567. https://dx.doi.org/10.2305/IUCN.UK.2015-4.RLTS.T219A50649567.en. Downloaded on 25 May 2020.

[3] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/03/11/en-namibie-la-ferme-modele-ou-l-on-sauve-les-guepards_5269211_3212.html

[4]  https://cheetah.org/

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