Article de Célia Coudert (RSEDD 2019)

 

Ce 22 janvier, Jean-Paul Gaultier célébrait 50 ans de carrière avec son dernier défilé Haute Couture, présenté également comme sa première collection Haute Couture upcycling.[1]

“Je pense que la mode doit changer. Il y a trop de vêtements, et trop de vêtements qui ne servent à rien. Ne les jetez pas, recyclez-les ! Un beau vêtement est un vêtement vivant”
“J’ai ouvert tous les tiroirs, j’ai récupéré toutes mes anciennes collections, tout ce que j’ai chiné en voyage ou aux puces, pour en faire des confettis et les réutiliser. J’ai utilisé mes archives comme de la matière, je les ai malmenées, mélangées, tressées Tout un travail d’Artisanat et de Couture. Adieu le flambant neuf, bonjour le flambant vieux !”
pouvait-on lire sur le communiqué transmis avant le début du défilé.

Cet exemple illustrant le phénomène encore émergeant de l’upcycling nous offre l’occasion d’explorer les pistes qui permettraient de réduire l’impact environnemental de la mode.

Cinquième plus gros émetteur de gaz à effet de serre, second si l’on considère l’occupation des sols, troisième en consommation d’eau et de matière : le secteur de la mode apparaît comme une source majeure de pollution, aggravée par le phénomène de fast fashion. Les marques proposent des textiles moins durables qui s’usent plus vite. Ce qui contribue à faire consommer plus : c’est un cercle vicieux. « La moitié de l’impact est due à la production et l’autre moitié, au consommateur : parce qu’il achète trop, parce qu’il consomme beaucoup d’eau en lavant son linge, parce qu’un tiers seulement des vêtements partent dans les bons bacs et peuvent ainsi être valorisés… » (Erwan Autret, Ademe).[2]

L’industrie textile sait vendre des produits à des clients qui n’en ont pas forcément besoin. « La mode est une industrie réputée pour avoir inventé l’obsolescence programmée esthétique. Et elle a toujours mis en majesté, comme élément de réponse à cette obsolescence, la nouveauté, qui doit permettre aux gens de garder du style », rappelle le sociologue Frédéric Godart, professeur à l’Institut européen d’administration des affaires (Insead)[3]. Un consommateur américain achète par exemple un nouveau vêtement tous les 4 jours. Les dressings sont ainsi remplis de vêtements inutilisés.

 

Les pollutions de la mode tout en long de la chaîne. (Rapport 2017, Fondation Ellen Macarthur)
Les pollutions de la mode tout en long de la chaîne. (Rapport 2017, Fondation Ellen Macarthur)

 

Une étude de l’Ifm (Institut français de la mode) a révélé qu’en France encore 10% des personnes interrogées jettent à la poubelle les textiles en bon état dont elles ne veulent plus.[4] Beaucoup de consommateurs ignorent en effet qu’il existe des points de collecte pour le textile comme il y en a pour les emballages en verre. Ainsi chaque année les consommateurs européens envoient
5,8 millions de tonnes de textile en décharge, alors que certains textiles se recyclent beaucoup mieux que le carton ou le plastique.[5]
La France collecte insuffisamment ses vieux vêtements et l’Etat tente de faire évoluer la filière de recyclage[6]. Les professionnels de la mode, eux, accusent leur éco-organisme EcoTLC d’inefficacité. L’année dernière, 239.000 tonnes de textile, de linge de maison et de chaussures (TLC) ont été collectés, équivalant à 38 % du volume mis sur le marché, loin de l’objectif de 50 % qui était fixé.

On note toutefois qu’augmenter la collecte se heurte au manque de débouchés. Aujourd’hui, sur la partie réutilisée, les pièces de meilleure qualité (environ 4 % de la collecte) sont revendues dans les pays occidentaux ; les vêtements de moindre qualité sont revendus en Europe de l’Est ou en Afrique ; le reste est recyclé. Peut-on pour autant parler d’« éternel recommencement » ?

  • Les textiles utilisant des matières naturelles (coton, laine, soie, lin ou chanvre) sont recyclés par un procédé mécanique qui détériore la qualité des fibres : un tissu à base de fibres naturelles ne peut pas être recyclé infiniment. Il peut toutefois toujours être transformé en chiffon ou en isolant pour l’industrie. Ces produits, une fois arrivés à leur tour en fin de vie, peuvent retourner à la terre en se décomposant en compost, s’ils ne contiennent pas de substances toxiques. Puma par exemple a commercialisé, dans le cadre de sa collection InCycle, des chaussures et un tee-shirt biodégradables.
  • Les textiles synthétiques, fabriqués à partir de produits issus du pétrole (polyamide, acrylique, polyester, élasthanne ou lycra) sont recyclés par un procédé chimique. A la différence du recyclage mécanique, le recyclage chimique conserve la qualité des fibres, permettant ainsi de recycler un tee-shirt en un autre tee-shirt. Le recyclage chimique, si est encore en développement, est aujourd’hui devenu une réalité. Par exemple en Italie, l’entreprise Aquafil a développé un procédé qui recycle le nylon sans en dégrader la qualité. L’Union Européenne finance également un projet de développement d’un textile en polyester, Returnity, qui est 100 % recyclable.
  • Les textiles composés d’un mélange de matières naturelles et synthétiques sont plus difficiles à recycler. Toutefois, de nouvelles technologies se développent : la société Worn Again développe un procédé pour séparer le coton du polyester afin d’obtenir une fibre exploitable et à prix compétitif.

La collecte et le recyclage des textiles pourraient donc s’améliorer mais ne constituent pas les pistes les plus intéressantes. En revanche, l’allongement de la durée d’un vêtement de trois mois réduirait son empreinte carbone de 8 %, sa consommation d’eau de 10 % et les déchets de 9 %.[7] Cet allongement peut passer par la réparation . Mais le coût est souvent élevé par rapport au prix d’un vêtement neuf ou parce que le vêtement n’est pas réparable. C’est l’équation de la fast fashion dans laquelle les consommateurs les plus avertis ne se retrouvent plus. Le site Usbek & Rica – associé au Parisien, à Konbini News et à France Culture pour l’opération #SauverLePrésent – publie ainsi un article sur le « syndrome du styliste » : « Quand on travaille dans la mode, on n’arrive plus à acheter de vêtements ; quand on se rend compte du prix par rapport à la petite finition, au lieu de production et au tissu utilisé. Lorsque j’achète mon t-shirt H&M 4€50, je sais ce que cela induit derrière : les conditions de travail, les colorants utilisés, etc. »

Plutôt que d’acheter des pièces de mauvaise qualité ou qui passeront la plus grande partie de leur temps dans une armoire, une solution consisterait à les louer. Cette économie de la fonctionnalité est ainsi proposée par Mud Jeans qui loue des jeans à 5 € par mois ou Bocage, première grande enseigne à expérimenter la location de chaussures, dont la directrice marketing expose : « La cliente va pouvoir se faire plaisir, jouer avec la mode, et trouver une alternative à son mode de consommation habituel. »[8].

Il semblerait de fait que « porter du neuf n’est plus un marqueur ni culturel, ni social, ni économique.»[9] Vinted et autres sites de revente de vêtements connaissent un grand succès, tandis que le vintage est vanté par deux journalistes du magazine Elle dans leur ouvrage « Rétro-Cool : comment le vintage peut sauver le monde » (Flammarion, 2018). On note que les marques s’approprient ce mouvement en développant leurs propres lignes ou sites de seconde main : Petit Bateau, Cyrillus, Camaïeu et Kiabi en France et parmi les marques américaines : Levi’s, North Face et Patagonia. En complément du vintage et de la réparabilité, la marque JM Weston introduit le principe de l’upcycling, valorisant non seulement le savoir-faire de ses artisans mais aussi la créativité du Directeur Artistique, Olivier Saillard, qui explique : « Nous avons toujours proposé de réparer les chaussures de nos clients (…) On a retrouvé des paires anciennes qu’on a bichonnées dans nos ateliers limousins et customisées : j’ai fait sur certaines des perforations, j’ai ajouté parfois de gros pompons ».

On constate ainsi que les entreprises du luxe jouent un rôle important du fait de leur pouvoir d’influence sur l’ensemble du marché. Leur objectif est de séduire de nouveaux consommateurs, – la fameuse « Génération Z » née entre 1995 et 2010 qui représente à l’échelle mondiale un tiers du nombre d’habitants en 2020. « 68 % d’entre eux estiment d’ailleurs qu’il est de la responsabilité des entreprises de résoudre les grands problèmes de société et ne soutiennent que les marques qui partagent leurs valeurs » (« Le Choc Z »)[10]. Les marques sont donc désormais encouragées à repenser toute leur stratégie – jusqu’à la création d’un commerce vertueux ?

En conclusion, le futur souhaitable de la mode serait celui de la « sobriété créative » intégrant le principe d’une consommation plus raisonnée (louer plutôt qu’acheter, acheter moins mais mieux, faire durer : donner, échanger, revendre, collectionner, réparer, transformer), la nécessité de valoriser les savoir-faire, les interactions humaines. Cette « sobriété » ne sera probablement désirable qu’à la condition d’être résolument « créative » : un chemin applicable aux autres secteurs dont l’impact environnemental doit urgemment être réduit (logement, alimentation, transport…)

La fast fashion, ou comment produire toujours plus de vêtements (courbe violette) qu'on utilise de moins en moins longtemps (courbe verte). Graphique issu d'un rapport de 2017 de la Fondation Ellen Macarthur.
La fast fashion, ou comment produire toujours plus de vêtements (courbe violette) qu’on utilise de moins en moins longtemps (courbe verte). Graphique issu d’un rapport de 2017 de la Fondation Ellen Macarthur.

 


Sources :

[1] https://www.marieclaire.fr/haute-couture-printemps-ete-2020-le-derneir-defile-couture-de-jean-paul-gaultier,1337406.asp

[2] http://www.leparisien.fr/environnement/pollution-le-textile-est-le-cinquieme-plus-gros-emetteur-de-gaz-a-effet-de-serre-24-01-2020-8243226.php

[3] https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/01/07/la-seconde-main-passe-la-troisieme_6024987_4500055.html?_ga=2.230473308.1736049926.1580590422-308252565.1580293001

[4] https://fashionunited.fr/actualite/mode/dans-les-coulisses-du-recyclage/2019041720558

[5] http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2014/05/09/cercle_96723.htm : L’économie circulaire réinvente la production textile et sa consommation

[6] https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/bataille-de-chiffonniers-sur-les-textile-usages-1126182

[7] http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2014/05/09/cercle_96723.htm#

[8] https://fr.fashionnetwork.com/news/Bocage-premiere-grande-enseigne-a-experimenter-la-location-de-chaussures,1018781.html

[9] https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/01/07/la-seconde-main-passe-la-troisieme_6024987_4500055.html

[10] https://www.nouvelobs.com/mode/20200128.OBS24036/le-luxe-a-la-conquete-de-l-insaisissable-generation-z.html#modal-msg

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