Article de Lou Verschave (IGE 2019)

 

L’année dernière, la start-up américaine Impossible Foods a fait le buzz aux Etats-Unis en substituant la viande du célèbre Whooper de Burger King par son « Impossible Burger ». Créée en 2011 dans la Silicon Valley, l’entreprise a fait le pari d’imaginer un steak entièrement constitué de produits végétaux mais ayant l’aspect, le goût, l’odeur et même le crépitement d’une viande de bœuf ! Face à la montée des préoccupations environnementales et du bien-être animal, nombreuses sont les initiatives qui souhaitent remplacer notre consommation carnée par des alternatives végétales. Toutefois cette innovation va plus loin : elle se donne comme mission d’offrir les plaisirs que procurent la viande tout en s’affranchissant de ses impacts.

Et c’est justement de cette mission dont il s’agit aujourd’hui de discuter tant d’un point de vue environnemental que philosophique et éthique. Autrement dit, ces steaks végétaux sont-ils aussi bons pour la planète que ce qu’ils revendiquent ? Permettent-ils réellement de changer nos modes de consommation et de passer à l’échelle ? Retours sur la naissance de ces innovations et leurs enjeux.

 

Une solution à moindres impacts

La consommation de viande est aujourd’hui au cœur des pourparlers : émissions de gaz à effet de serre (GES), consommation d’eau, pollution des sols et déforestation sont autant d’impacts de cette industrie. Ainsi, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’élevage est responsable de 15% des émissions de GES dans le monde[1]. Le secteur contribue par ailleurs à la conversion des écosystèmes naturels puisqu’il occupe, avec la production des cultures dédiées à l’alimentation animale, plus des 2/3 des terres agricoles dans le monde. Enfin, l’élevage est très gourmand en utilisant 8% des ressources en eau mondiales dont une grande partie sert à l’irrigation des cultures[2].

 

Réduire notre consommation de viande c’est donc limiter les pressions qui pèsent sur l’environnement quand bien même les projections des Nations Unies pour 2050 prévoient une augmentation de plus de 75% de la consommation de viande (notamment dans les pays en développement) [3] . Mais ces prévisions ne doivent pas occulter le fait que de plus en plus de personnes décident de changer leurs modes de consommation. En France, par exemple, 34% de la population se revendique flexitarienne en 2017 contre 25% en 2015[4].

Face à ces nouvelles demandes, nombreuses sont les études qui cherchent à comparer l’impact environnemental entre un steak de viande et un steak végétal pour déterminer si ce substitut vaut vraiment le coup. Ainsi, le concurrent d’Impossible Burger – Beyond Meat – a publié l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) de son steak végétal à base de protéine de pois. Dès lors, 113 grammes de leur produit émettraient 90% moins de GES, demanderaient 46% moins d’énergie, auraient 99% moins d’impact sur les ressources en eau et 93% sur l’utilisation des terres par rapport à un steak de viande de bœuf américain[5]. Des résultats encourageants qui nous invitent à considérer ces innovations végétales comme des alternatives crédibles.

Relative comparison of impacts between beef (blue bars, set at 100% for each indicator) and beyond burger (red bars).
Relative comparison of impacts between beef (blue bars, set at 100% for each indicator) and beyond burger (red bars).

 

Un steak plus vert, oui mais pour qui ?

Aujourd’hui, la cible principale de ces entreprises c’est l’amateur du rosbif dominical, le fervent du barbecue bref, le viandard qui ne saurait s’en passer car le goût lui manquerait trop[6].

C’est la raison pour laquelle cette étude d’ACV a choisi de comparer un steak végétal à un steak de viande de bœuf conventionnel, en l’occurrence ici américain. Dès lors, si cette hypothèse se justifie lorsque ces steaks végétaux sont consommés pour venir substituer un steak de bœuf conventionnel, il pose davantage question quand il vient remplacer une viande de qualité élevée dans le respect de l’environnement. Les « feed lots » américains n’ont en effet rien à voir avec des élevages de bovins élevés et nourris dans des pâturages de montagne qui, sous certaines conditions, génèrent de vrais bénéfices environnementaux en occupant des fonctions de régulation (stockage de carbone, fertilité des sols) ou de support (habitats pour la biodiversité)[7]. Ainsi, les gains environnementaux sont intéressants pour une personne dont la consommation de steak végétal remplacerait celle d’une viande conventionnelle. En revanche, les résultats ne sont pas comparables, si elle vient substituer une viande de qualité (voire même un steak végétal maison). Or, ce sont les flexitariens que ciblent demain ces start-ups [8] ; des individus déjà sensibilisés qui réduisent leur consommation tout en privilégiant une viande responsable. Des personnes qui peuvent donc a priori se rendre au fast-food sans pour autant ne jamais vouloir y consommer un burger de bœuf.

Des steaks plus verts certes, mais donc pas pour tout le monde. D’autant que les études d’ACV n’intègrent pas encore de critères sociaux et éthiques. Or, la plupart de ces produits contiennent des huiles végétales telles que l’huile de coco produite en Asie du Sud-Est et dont les conditions de production commencent à être dénoncées. Des individus à l’autre bout de la chaîne de production à ne pas oublier.

 

Des produits à risque ?

Végétal ne signifie pas pour autant naturel et la plupart des steaks végétaux sont identifiés par la classification nutritionnelle NOVA[9] comme des produits ultra-transformés. L’Impossible Burger est par exemple composé de plus de 20 ingrédients parmi lesquels on retrouve des additifs, des acidifiants et des liants. Or des études récentes ont montré de fortes corrélations entre la consommation d’aliments ultra-transformés et un risque accru de dyslipidémies, d’obésité, d’hypertension artérielle voire de cancer. En juin 2019, des chercheurs de l’Institut National de la Santé et de la Recherche (INSERM) ont réalisé la première étude épidémiologique sur une cohorte de 100 000 participants. Leur étude conclut « qu’une augmentation absolue de 10% de la part d’aliments ultra-transformés dans le régime (par exemple, en comparant deux individus consommant respectivement 15% et 25% de leurs aliments sous forme ultra-transformée) était associée à une augmentation de 12% de risque de maladies cardiovasculaires au global »[10]. Consommer des steaks végétaux ultra-transformés trop régulièrement pourrait donc potentiellement s’avérer risqué.

 

Quels bénéfices environnementaux à long terme ?

Le procédé de transformation d’un steak végétal est souvent très énergivore. En effet, rien que la production de protéine de pois du steak de Beyond Meat représente à elle seule 33% du total d’énergie nécessaire à la fabrication du produit. Cette consommation d’énergie importante nous invite donc à nous questionner sur les impacts à terme d’une production potentiellement décuplée. Une question intimement liée à celle de la biodiversité puisque les ingrédients sont les principaux responsables des impacts sur les sols. Beyond Meat utilise par exemple une quantité importante d’huile de canola, une huile végétale proche du colza, produite en monoculture de manière intensive. D’ailleurs, selon leur ACV, cette huile est l’ingrédient ayant l’impact le plus important sur les sols (46% à elle seule). Le développement de ce type de cultures ne pourrait qu’amplifier des impacts déjà trop présents sur la biodiversité et la santé de nos sols.

S’interroger sur les effets à terme de ces alternatives revient finalement à se questionner sur leur potentiel développement et passage à l’échelle. Sauront-elles vraiment convaincre un américain dévorant en moyenne 100 kg de viande par an ? [11] Permettront-elles de changer drastiquement nos habitudes de consommation ? En tout cas, une chose est sûre : le marché de la fausse viande générera des bénéfices économiques certains en pesant jusqu’à 100 milliards de dollars d’ici 15 ans[12].

 

Et si tout simplement on cuisinait ?

Depuis la fin de la seconde Guerre mondiale, la consommation hors foyer et les plats préparés n’ont cessé d’augmenter. Selon l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) la consommation de plats préparés a augmenté de 4,4% par an en volume par habitant depuis 1960 ; des changements de modes de vie qui s’accompagnent en parallèle d’une réduction du temps de préparation des repas à domicile[13]. Dans cette frénésie, nous cherchons sans cesse à optimiser notre temps et cuisiner ne semble plus qu’être un reliquat d’un passé, sans doute idéalisé, mais un passé désirable. Prendre le temps de choisir ses ingrédients et de les cuisiner, c’est se garantir une alimentation fiable et transparente.

 

La viande, un cadre normatif encore dominant

Au-delà de ces questionnements écologiques et sanitaires, et même de notre rapport au temps, ces produits nous invitent à nous questionner sur notre capacité à rêver et à imaginer un nouveau réel. Autrement dit, ces innovations sont-elles réellement innovantes ? Imiter la texture, le goût, l’odeur et le son de la cuisson d’une viande semble nous indiquer que nous sommes loin d’avoir réussi à penser en dehors du référentiel encore dominant que représentent les produits carnés. D’ailleurs, l’expression en français « d’alternatives végétales » implique que l’on se réfère à un cadre normatif suffisamment ancré puisque que l’on propose bien une alternative à quelque chose. A ce stade, nul besoin de faire la démonstration de son expression homologue « steak végétal » qui vient carrément fusionner les deux concepts. Devant la ténacité de ce référentiel, c’est en réalité la viande rouge, saignante et crépitante comme symbole de force et de virilité qui demeure. Bref encore et toujours notre (cher) patriarcat.

Le philosophe Gaston Bachelard disait qu’imaginer c’était recomposer le réel en réagençant des éléments de notre quotidien afin de rendre possible l’impossible, sans pour autant que cela ne soit souhaitable ou nécessaire. A cet égard, l’Impossible Burger porte donc bien son nom. Mais au lieu de s’acharner à recomposer le réel, ne devrions-nous pas d’abord le déconstruire pour ne garder que ce qui y est désirable ?

 

Sources : 

[1] Tackling climate change through livestock – A global assessment of emissions and mitigation opportunities, Gerber, P.J., Steinfeld, H., Henderson, B., Mottet, A., Opio, C., Dijkman, J., Falcucci, A. & Tempio, G., FAO, Rome, 2013. Lien.

[2] Livestock’s long shadow environmental issues and options, FAO, Rome, 2006. Lien.

[3] L’élevage dans le monde en 2011 – Contribution de l’élevage à la sécurité alimentaire, FAO, Rome, 2011. Lien.

[4] Le flexitarisme: les Français et la consommation de produits d’origine animale, Entre modes et tendances de fond, Kantar WorldPanel, 2017. Lien

[5] Beyond Meat’s Beyond Burger Life Cycle Assessment: a detailed comparison between a plant-based and an animal-based protein source, Martin C.Heller and Gregory A.Keoleian, Center of Sustainable System, University of Michigan, 2018. Lien.

[6] La viande végétale aiguise les appétits, Hélène Gully, Les Echos, Octobre 2019. Lien.

[7] Viande : manger moins, manger mieux, WWF, 2019. Lien.

[8]An unintended consequence of meatless burger boom: Vegan’s life got easier, Amelia Lucas, CNBC, Octobre 2019. Lien.

[9] La classification NOVA permet de catégoriser les aliments selon 4 groupes, en fonction de leur degré de transformation (aliments peu ou pas transformés, ingrédients culinaires, aliments transformés, aliments ultra-transformés).

[10] Ultra-processed food intake and risk of cardiovascular disease: prospective cohort study (NutriNet-Santé), Srour Bernard, Fezeu Léopold K, Kesse-Guyot Emmanuelle, Allès Benjamin, Méjean Caroline, Andrianasolo Roland M et al.  BMJ 2019. Lien.

[11]  Which countries eat the most meat ? With FAO data.  Lien.

[12] Un objet dans l’actu : le Whooper alternatif de Burger King, Camille Labro, Le Monde, Novembre 2019. Lien.

[13] Cinquante ans de consommation alimentaire: une croissance modérée, mais de profonds changements, Brigitte Larochette et Joan Sanchez-Gonzalez, N°1558, INSEE Première, 2015. Lien.

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