par Mathilde Legay (IGE 2018)
Le numérique a profondément transformé nos modes de vie et nos façons de travailler. Tous les métiers et les secteurs sont impactés par la transition numérique, mais à quel prix va t-elle se faire ? D’un côté, certains la voient comme un moyen de «sauver la planète», d’autres alertent sur ses impacts environnementaux (ressources épuisables, consommation énergétique, etc), sociaux et éthiques (protection des données, accès au numérique). C’est à cette question que la conférence organisée par l’ISIGE – MINES ParisTech a répondu. La conférence était animée par Clément fournier, rédacteur en chef E-rse.net. La conférence a réuni plusieurs acteurs clés de la thématique pour témoigner, débattre et répondre aux questions du public : étaient présents Fréderic Bordage fondateur du club GreenIT.fr, Anne Tozzolino et Eric Maillard responsable RSE et référent GREEN IT de La Poste, Grégory Labrousse fondateur et CEO de Nam.R et Hugues Ferreboeuf consultant expert de The Shift Project.
Les impacts du numérique : bien plus que ceux des data centers
A l’échelle mondiale, le numérique représente 2 à 5 fois la France en terme d’émissions. A l’heure où les médias insistent sur la consommation énergétique des data centers, ceux-ci représentent « 13 à 19 % des émissions, quand 56% à 73% des impacts sont du côté des utilisateurs, 18 à 25% du côté des réseaux » (source : F. Bordage) Une étude publiée dans le Journal of Cleaner Production montre que le secteur de l’IT pourrait représenter 16% des émissions de gaz à effet de serre mondiales en 2040. Actuellement ce chiffre est d’environ 4%, soit 50% de plus que les émissions liées au transport aérien.
Une consommation d’appareils numérique s inégalement répartie dans le monde
Il apparaît que la consommation numérique est répartie de manière inégale dans le monde : en 2018, « un Américain possède près de 10 périphériques numériques connectés, et consomme 140 Gigaoctets de données par mois. Un Indien possède en moyenne un seul périphérique, et consomme 2 Gigaoctets ». (source : Hugues Ferreboeuf – Le shift project[1]).
De plus, la production d’objets digitaux (tablette, smartphone, ordinateur…) génère l’extraction des matières premières, telles que celles de métaux rares. L’industrie minière française s’est délocalisée en Chine, où sont produits beaucoup de ces métaux[2]. Les émissions de CO2 en France ne tiennent pas compte de cette délocalisation, alors même que la France importe beaucoup de périphériques numériques dont les métaux sont extraits en Chine.
Vers une sobriété numérique des consommateurs ?
Comment sensibiliser les consommateurs ? Idéalement, acheter moins d’équipements, avec une durée de vie allongée, diminuerait l’impact lié au numérique (F. Bordage.) Les politiques pourraient implémenter des mesures strictes afin que le citoyen pense à réutiliser ou à réemployer ses appareils.
D’un autre côté, a-t-on besoin d’action des politiques pour agir? Des gestes simples, tels qu’arrêter l’utilisation du cloud, de privilégier la TNT, et enfin éteindre la box ADSL quand on ne l’utilise pas, peuvent diminuer significativement l’empreinte carbone liée à l’utilisation des appareils du numérique (F. Bordage). Une autre habitude serait de diminuer les usages vidéos qui représentent 80 % des télécommunications (source : Hugues Ferreboeuf – Le shift project). Julien Vidal (auteur de « ça commence par moi »), dans une vidéo de Brut[3], démontre que des petits gestes peuvent amener à réduire son empreinte carbone. Il suggère de supprimer les e- mails inutiles, à l’aide de la plateforme Cleanfox qui permet de se désinscrire des newsletters et spams en quelques secondes. En plus de la réduction de CO2, d’autres gestes peuvent avoir un impact positif : les recherches sur le moteur de recherche Ecosia génèrent de la publicité dont les revenus sont utilisés pour replanter les arbres et restaurer les écosystèmes. Si une personne sur 5 utilisait Ecosia au lieu de Google, la quantité d’arbres plantés pourraient séquestrer toutes les émissions carbones du monde d’une année (source : Ferdinand Richter, Ecosia[4])
Quels engagements pour les entreprises ?
Selon F. Bordage, à performance égale, l’empreinte carbone peut être divisée par 700, voire plus. Les entreprises pourraient entrer dans l’éco-conception des services numériques. La Poste lie sa stratégie financière à sa stratégie de neutralité carbone et opte pour conserver les équipements informatiques au maximum, soit 7 ans pour les ordinateurs (source : Anne Tozzolino et Eric Maillard – La Poste).
Néanmoins, toutes les entreprises sont – elles prêtes à allonger la durée de vie de leurs produits numériques ? Certaines entreprises, telles qu’Apple, ont été soupçonnées de faire de l’obsolescence programmée en ralentissant leurs Iphone aux batteries vieillissantes. Comment empêcher ce type d’actions à l’avenir ?
Comment favoriser la prise de conscience sur les impacts du numérique ?
The Shift Project a publié, dans son Référentiel Environnemental du Numérique[5], les ordres de grandeur des matières premières et de l’énergie mobilisées pour produire et utiliser les outils numériques courants. Une manière de faire prendre conscience de l’impact environnemental de potentielles nouvelles technologies, avant de décider de leur lancement ou non.
Le numérique comme aide de prise de décision pour la transition écologique
Enfin, sur quels outils se baser pour mesurer les impacts du numérique ? Grégory Labrousse, fondateur de Nam.R, se sert de l’intelligence artificielle et de la compilation de données pour nourrir l’aide à la décision pour la transition écologique, comme par exemple la rénovation énergétique[6].
Un aspect sociétal : Quelle protection des données ?
Avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), l’utilisateur du numérique s’est vu davantage protégé. Cependant, quels effets réels cela a-t-il ? L’utilisateur accepte souvent les conditions des sites internet, qui collectent ses données personnelles. Cependant, certaines données sont considérées à juste titre comme « non personnelles » ou « d’intérêt général ». Par exemple, certains s’interrogent sur la pertinence de la géolocalisation par Waze à des fins publicitaires ciblées, et soupçonnent qu’elles influent l’itinéraire proposé à l’utilisateur.
La fracture numérique : défis et opportunités pour les entreprises
Au delà des aspects environnementaux, certains parlent de fracture numérique : le numérique exclut car certains endroits sont dépourvus de réseaux. Cette fracture numérique touche tous les milieux sociaux, et clive la société, à l’heure de la transformation digitale. La Poste, impactée par le numérique qui a entraîné la diminution de courrier, a su s’adapter et aller vers les services numériques. Le groupe accompagne ses clients pour lutter contre la fracture numérique: elle développe des tablettes pour les personnes âgées (tablette intuitive Ardoiz’[7]), et aide les personnes âgées à faire leur télédéclaration d’impôts. D’autres entreprises s’adapteront – elles pour réduire la fracture numérique ?
Quelles politiques pour limiter les impacts sociétaux et environnementaux ?
Finalement, quelle sera la politique pour déployer le réseau et lutter contre la fracture numérique ? Par ailleurs, quelle sera la réglementation future pour empêcher l’obsolescence programmée? Faut-il qu’elle soit européenne ou française ? Y aura -t-il une incitation pour les entreprises à éco-concevoir leurs services numériques ? Prendront-t-elles en compte les impacts environnementaux délocalisés en Chine ?
Finalement, comment sensibiliser l’individu à réduire son empreinte numérique ? Une bonne communication sociétale peut aider à la prise de conscience collective. Mais est-ce suffisant ? Certains prônent un marché du CO2 appliqué à l’individu, calqué sur le marché du carbone pour les entreprises. Chaque individu aurait un quota et se verrait forcé de le respecter, ce quota diminuerait d’années en années[8]. Un mécanisme qui se doit d’être redistributif car ceux qui n’ont pas beaucoup de ressources ne consomment pas beaucoup. Une manière de concilier enjeux environnementaux et sociaux.
Référence
[1] Site internet de The Shift Project, consulté le 22/03/2019
[2] La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique, janvier 2018, Guillaume Pitron, edition Les Liens qui libèrent
[3] Comment utiliser Internet de manière éco-responsable, Brut , 23/01/2019
[4] Comment utiliser Internet de manière éco-responsable, Brut , 23/01/2019
[5] Rapport du groupe de travail dirigé par Hugues Ferreboeuf pour le Think Tank The Shift Project – Octobre 2018
[6] Site de namR, visité le 22/03/2019
[7] La poste aide les seniors correziens à se connecter, Groupe La Poste, consulté le 22/03/2019
[8] Les quotas carbone individuels à la rescousse de la taxe carbone? Eric Vidalenc, Perspectives sur la Transition enegétique… parfois numérique, Alternatives Economiques, 31/12/2018.
Bibliographie
La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique, janvier 2018, Guillaume Pitron, edition Les Liens qui libèrent
Comment utiliser Internet de manière éco-responsable , Brut , 23/01/2019 : https://www.brut.media/fr/international/comment-utiliser-internet-de-maniere-eco-responsable-e5e5a171-1715-4d20-96fd-57086333e49e
Rapport du groupe de travail dirigé par Hugues Ferreboeuf pour le Think Tank The Shift Project – Octobre 2018 : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2018/11/Rapport-final-v8-WEB.pdf
La poste aide les seniors corréziens à se connecter, Groupe La Poste, consulté le 22/03/2019 : https://www.groupelaposte.com/fr/article/la-poste-aide-les-seniors-correziens-a-se-connecter
Site internet de NamR, consulté le 22/03/2019 : https://namr.com/fr/
Site internet de The Shift Project, consulté le 22/03/2019 : https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift/
Les quotas carbone individuels à la rescousse de la taxe carbone ?, Eric Vidalenc, Perspectives sur la Transition énergétique… parfois numérique, Alternatives Économiques, 31/12/2018.