Les victimes collatérales du braconnage du rhinocéros
Malheureusement, les braconniers ne se limitent pas à tuer les seuls rhinocéros. Début mars 2016, une centaine de vautours, deux chacals et deux lions ont été retrouvés morts dans le Kruger. Après enquête, les rangers ont conclu qu’un éléphant, après avoir été tué d’une balle dans la tête et s’être fait prélever les cornes, avait été enduit de poison. Les charognards qui se sont nourris ensuite du cadavre ont donc été empoisonnés. Un empoisonnement similaire du corps d’un rhinocéros avait également été constaté en 2015 dans le parc.
Ces empoisonnements de cadavres visent très précisément les vautours, les autres animaux tués ne sont que des victimes collatérales sans importance aux yeux des braconniers. Habituellement, ces vautours sont tués par les braconniers dans le but de récupérer et de vendre leurs parties génitales aux guérisseurs traditionnels qui croient en leur pouvoir curatif. Mais dans le Kruger, les braconniers les tuent pour éviter d’être repérés. En effet, les vautours ont appris que des hommes en armes circulant à pied dans la savane sont synonyme de la mort imminente d’un animal. Les animaux se réunissent alors et tournent dans le ciel en attendant la mise à mort et de pouvoir se nourrir sur le cadavre. Les rangers attentifs à ces phénomènes s’en servent pour repérer les braconniers.
Vautours africains dans le parc national du Kruger (©Matthieu Gallet)
La disparition des vautours impacte toute la biodiversité tant leur rôle est primordial dans la nature. Tout d’abord, ils sont dotés d’un bec puissant et coupant qui leur permet d’ouvrir des cadavres à la peau dure donnant ainsi la possibilité à un grand nombre d’animaux de pouvoir se nourrir à leur tour. Ensuite, les vautours nettoient littéralement ces cadavres, ce qui empêche la prolifération de microbes nuisibles qui apparaissent lorsque l’on laisse un corps se décomposer. A ce jour, selon l’Union Internationale de la Conservation de la Nature, 6 des 11 espèces de vautours d’Afrique sont menacées d’extinction. Leur raréfaction puis leur disparition aura sans nul doute des conséquences dramatiques pour la biodiversité.
Les solutions pour enrayer le braconnage des rhinocéros
La principale solution employée dans le Kruger est la surveillance par des patrouilles de rangers armés. Depuis avril 2011, l’armée a également été déployée dans le parc et plus précisément le long de la frontière du Mozambique qui est extrêmement poreuse. Cette frontière sépare notamment les parcs du Kruger et du Limpopo sur plus de 200 km. Aucune barrière ne matérialise cette séparation. Les rhinocéros du parc du Limpopo étaient environ 300 au début des années 2000. Aucun n’a été aperçu depuis 2013. Ils ont été probablement tous massacrés avec la complicité des rangers locaux. Dans le Kruger, les militaires livrent une véritable guerre aux braconniers. De nombreux braconniers sont ainsi tués chaque année (on dénombre près de 300 braconniers mozambicains tués depuis 2008). Ce déploiement de forces armées, même s’il a probablement contribué à freiner l’hémorragie, n’est à lui seul pas suffisant pour une réserve de la taille de la Belgique et couverte de végétation.
Frontière du parc Kruger et du parc Limpopo
En complément du déploiement d’hommes sur le terrain, le parc du Kruger souhaite se doter de drones pour assurer une surveillance aérienne. En début d’année, le parc a investi plus d’un million d’euros pour évaluer cette technologie. La revue Tropical Conservation Science estime qu’un drone affecté à la surveillance peut être aussi efficace qu’une cinquantaine de rangers sur le terrain. Grâce à des caméras HD et des capteurs thermiques, les drones peuvent repérer des braconniers nuit et jour. Et ce, pour un coût modéré puisque l’utilisation d’un drone reviendrait à 3 000 US € $ par semaine contre 50 000 US $ pour un dispositif aérien classique. Dans les parcs où les drones sont déjà utilisés, l’effet dissuasif semble fonctionner puisqu’on a constaté un recul du braconnage. La technique est prometteuse, mais elle n’est qu’un complément à une présence sur le terrain de forces armées qui devront toujours intervenir en cas de détection d’intrus.
Rhinocéros blancs dans parc national du Kruger (©Matthieu Gallet)
Pour protéger les rhinocéros, le ministère sud-africain de l’environnement a décidé d’en déplacer jusqu’à 500 du Kruger vers d’autres réserves en Afrique du Sud, en Namibie et au Botswana. Cette opération intitulée « Rhino without borders » visent à les déplacer vers des réserves plus facile à surveiller et où les braconniers sont moins présents pour le moment. Des solutions de déplacement encore plus radicales sont également envisagées. Un projet (http://theaustralianrhinoproject.org/) soutenu par les gouvernements australien et sud-africain vise à déplacer des rhinocéros vers l’Australie où il serait totalement en sécurité. Ainsi à partir de fin 2016 et sur une période de quatre années, 80 rhinocéros devraient être transférés en Australie. Mais cette stratégie est par nature limitée. Le coût de transport est exorbitant aussi ce ne seront qu’une partie infime des rhinocéros qui pourront être sauvés de cette manière.
Le ministère de l’environnement travaille également sur la possibilité de décorner les rhinocéros pour les protéger. Cette mesure n’a pas été mise en œuvre dans les parcs nationaux, mais elle est déjà appliquée dans de nombreuses réserves privées. Avant de déployer cette stratégie dans les parcs nationaux, le ministère attend les résultats d’une étude d’impact qui doit déterminer si le « décornage » affecte le comportement de l’animal et si le priver de cette arme de défense ne le met pas en danger dans un environnement hostile. Cette technique se heurte déjà à des limites. Ainsi, des braconnages sur des rhinocéros décornés ont eu lieu pour récupérer la base de la corne qu’il n’est pas possible d’extraire ou pour récupérer des cornes qui avaient commencé à repousser. Dans le parc national de Hwange au Zimbabwe, les rangers ont constaté que l’immense majorité des rhinocéros décornés avait été tués dans les 12 mois suivants.
Rhinocéros blanc (©Matthieu Gallet)
Par Matthieu Gallet