Article de Caroline CUVILLARD (MS EEDD parcours RSEDD 2024-25) 

Introduction

La réduction des ressources naturelles entraîne déjà des arbitrages difficiles. L’eau en particulier déclenche des conflits d’usage partout dans le monde. L’Afrique australe souffre de la pire sécheresse depuis des décennies, principalement due au phénomène climatique El Niño, réapparu en 2023, qui crée un climat plus chaud et sec dans certaines régions du monde (En Afrique australe, la sécheresse provoquée par El Niño laisse dans son sillage des récoltes brûlées et la faim | World Food Programme, 2024).

Du fait de cette sécheresse qui affecte les cultures vivrières et tue le bétail, en juillet 2024, la Namibie avait déjà épuisé 84% de ses réserves alimentaires et près d’1,5 million de personnes sont exposées à une insécurité alimentaire sévère. La production céréalière a chuté de 53% et les niveaux d’eau des barrages ont baissé de 70% par rapport à l’année passée (La-Croix.com, 2024).

La réserve en eau étant jugée insuffisante pour couvrir les besoins des hommes et des animaux, le pays a pris une décision radicale en annonçant, début septembre 2024, l’abattage de 723 animaux sauvages dans ses parcs nationaux, dont 30 hippopotames, 83 éléphants, 60 buffles, 100 gnous bleus, 300 zèbres, 100 élands et 50 impalas.

Cette mesure est présentée comme nécessaire pour fournir de la viande à des milliers de personnes affamées, en plus d’alléger la pression sur les ressources en pâture et en eau. Dans les jours suivants, le Zimbabwe a annoncé procéder lui aussi à l’abattage de 200 éléphants pour les mêmes raisons.

 

Photo : Source WWF
Photo : Source WWF

S’agissant d’animaux emblématiques et protégés, surtout connus pour le risque de disparition de l’espèce, longtemps massacrés pour le plaisir de la chasse et toujours chassés illégalement pour l’ivoire, la décision peut surprendre, voire choquer. Plusieurs ONG environnementales protestent tandis que les pays concernés invoquent une nécessité vitale. Il convient donc d’appréhender au mieux tous les facteurs ayant influencé ce choix.

 

La famine comme seul motif ?

Au-delà de la nécessité humaine, peut se poser la question du bien fondé de cette décision et des alternatives possibles à ce sacrifice. Quand une région subit un évènement grave, les organisations de solidarité mondiales se mobilisent pour lui venir en aide. Mais il semble que cette fois, l’aide humanitaire internationale tardait à venir, et l’urgence aurait précipité la prise de décision (En Afrique australe, la sécheresse provoquée par El Niño laisse dans son sillage des récoltes brûlées et la faim | World Food Programme, 2024).

Le contexte politique

Des élections étant prévues en novembre en Namibie, le contexte politique laisse planer le doute sur un acte qui mettrait le gouvernement en place dans une position plus favorable. La distribution de viande semble en particulier destinée à certaines zones où le gouvernement est moins populaire, ce qui calmerait les oppositions (Pauline Rouquette, 2024).

Un rappel de la souveraineté des états sur leurs ressources 

Le gouvernement namibien s’appuie sur le contexte de crise alimentaire pour rappeler sa souveraineté et donc son droit à disposer librement de ses ressources. Un autre argument électoral potentiel.

Selon les propos rapportés par le New York Times du 29 août dernier, le ministre de l’environnement de la forêt et du tourisme déclare cet abattage « nécessaire » et « conforme à notre mandat constitutionnel selon lequel nos ressources naturelles sont utilisées au bénéfice des citoyens namibiens » (Nierenberg, 2024).

La Namibie et le Zimbabwe comptent la plus grande population d’éléphants en Afrique, justifiant ainsi que les prélèvements annoncés ne mettent pas en péril la pérennité de l’espèce dans ces pays.

Hasard du calendrier ? Ces annonces interviennent quelques mois après la parution en mars dernier des résultats d’une étude de grande ampleur menée avec le soutien du WWF dans la région : « la zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambèze, dite KAZA, s’étend sur 520 000 km2. Situé entre l’Angola, le Botswana, la Namibie, la Zambie et le Zimbabwece réseau de zones protégées héberge près de la moitié des éléphants de savane d’Afrique »

L’étude conclut que « Tandis que l’éléphant de savane africain […] est officiellement classé comme espèce en voie de disparition, ses effectifs à KAZA semblent stables. » (Le Big Data à la rescousse des éléphants | WWF France, 2024). Cette bonne nouvelle s’est donc transformée en permis de tuer. Mais à l’échelle de l’Afrique, toujours selon le WWF, la population globale d’éléphants a chuté de 62% ces dix dernières années et reste vulnérable en KAZA, et même menacée d’extinction dans les autres régions du continent, où il continue à être braconné pour l’ivoire.

Les conflits entre l’Homme et la vie sauvage

En parallèle des considérations purement politiques, le phénomène de conflit entre les animaux sauvages et l’Homme s’amplifie et suscite la colère des paysans. Urbanisation, extension des zones agricoles, tourisme :  l’Homme étend sa présence jusque dans les zones les plus sauvages, augmentant les interactions avec les animaux et les motifs de conflits. Une situation exacerbée par les effets du changement climatique qui réduit les ressources.

Une étude parue fin 2019 faisait état de tensions particulières au Zimbabwe, en périphérie du parc de Save Valley Conservancy, où les communautés se plaignent des dommages causés par la faune sauvage. Après enquête auprès des villages touchés, les 3 principales espèces incriminées sont l’éléphant en tête, puis le lion et l’hyène. La nature des dommages porte essentiellement sur le pillage des cultures, la prédation et le transfert de maladies sur le bétail. La population locale déclare souffrir de la présence de ces animaux et reconnaît en avoir tué certains pour se protéger eux-mêmes ou préserver leurs biens (Matseketsa et al., 2019).

L’Homme cherche avant tout à préserver ses moyens de subsistance et pour cela il est prêt à sacrifier certaines espèces, même protégées. Des exemples similaires existent partout dans le monde, notamment en Inde où l’éléphant détruit les cultures de café, au Groenland où l’ours polaire s’aventure en ville, ou plus près de nous, l’ours des Pyrénées et le loup qui attaquent les troupeaux de moutons.

Le WWF a étudié de nombreux conflits Homme-Animal et déclare :

« Dans ces confrontations, des hommes perdent leurs sources de revenu ou de nourriture (récoltes, bétail…) et parfois même leur vie. En réaction, des animaux, dont certains sont déjà menacés ou en danger d’extinction, sont tués, par vengeance ou pour éviter de nouveaux dommages. Il s’agit aujourd’hui de l’une des principales menaces à la survie de nombreuses espèces animales. »
(Conflits Homme-Animal, apaiser les tensions | WWF France, s. d.)

Au Zimbabwe, les 200 éléphants à prélever seront chassés essentiellement dans ces zones de conflit avec la population, notamment dans la plus grande réserve naturelle du pays qui compte environ 65 000 éléphants, soit quatre fois plus de sa capacité, selon l’Autorité des parcs et de la faune du Zimbabwe.

 

Un choix qui garantit la résilience ?

La réponse rapide à une nécessité immédiate peut entraîner des conséquences à long terme et ne peut constituer la seule réponse au problème. Les choix opérés conditionnent la résilience du territoire et de ses habitants.

L’action en connaissance de cause

« La consommation de gibier sauvage est répandue dans le monde entier », rappelle Rose Mwebaza, directrice du Bureau Afrique du Programme des Nations unies pour l’environnement, ajoutant que « la consommation durable de viande de brousse est autorisée par la Convention sur la diversité biologique » (Le Big Data à la rescousse des éléphants | WWF France, 2024).

La nuance se trouve dans le terme « durable » car à ce jour nous n’avons pas la certitude que la Namibie ait procédé à une véritable analyse d’impact de cette décision, ignorant ainsi les possibles conséquences sur le long terme.

Le prélèvement dans des parcs nationaux, précisément destinés à protéger les animaux et garantir la survie des espèces, ne peut-être qu’un recours exceptionnel, car cette stratégie ne permettra pas de protéger durablement les populations. Quand l’homme met en danger les espèces qui peuvent le nourrir et contribuent à l’équilibre d’un écosystème, il est en train de scier la branche qui le soutient !

Le biologiste Keith Lindsay, qui craint que cette décision crée un précédent, exprime son inquiétude (Jane DALTON, 2024) :
« Cette pratique, si elle est adoptée et normalisée, risque de créer une demande continue sur les populations d’animaux sauvages vulnérables qui ne serait pas durable dans les zones de plus en plus réduites de leur habitat naturel »

L’approche holistique indispensable

Les pays doivent repenser leurs politiques court-termistes au risque de voir s’effondrer leur modèle économique et in fine leur capacité à protéger leur peuple. En effet, les pays d’Afrique australe sont aussi largement financés par le tourisme généré par la présence des réserves naturelles et des animaux qui les peuplent. La savane aura sans doute moins d’attrait si elle est dépourvue de toute vie sauvage.

D’autre part, on ignore encore souvent la dimension économique des services écosystémiques. Nous ne sommes donc pas en mesure d’évaluer les impacts financiers des décisions qui peuvent affecter l’équilibre de la nature.

L’autonomisation des populations

Le problème de la faim est d’ampleur internationale : l’ODD N°2 de l’ONU est justement d’« Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable ».

Selon la Banque Mondiale « Le monde traverse une crise alimentaire majeure : plus de 200 millions de personnes sont en situation de famine et d’urgence humanitaire. Et s’il est crucial de leur apporter une aide immédiate, il faut, en même temps, s’attaquer aux causes profondes de la faim et de l’insécurité alimentaire afin de renforcer la résilience aux chocs futurs. » (Banque mondiale, 2023)

Dans un contexte de sécheresse qui pourrait persister, il faut éviter de rendre les communautés locales dépendantes de l’assistance de l’Etat ou des organisations mondiales, mais les former et les accompagner vers une autonomie qui les mettra durablement à l’abri de la famine. La sécurité alimentaire de la population namibienne devrait passer par des programmes de coopération avec le gouvernement et les ONG, pour une transition des méthodes agricoles afin de les rendre plus durables et résilientes sur le long terme (culture adaptée au climat, agriculture de conservation, systèmes d’irrigation…).

Des exemples concrets d’actions menées par le Programme Alimentaire Mondial ont déjà porté leurs fruits, notamment dans la région du Sahel : « le PAM et les communautés locales ont transformé 158 000 hectares de champs stériles […] de cinq pays africains en terres agricoles et en pâturages. Plus de 2,5 millions de personnes ont bénéficié des activités intégrées. Il est prouvé que les populations sont mieux équipées pour résister aux chocs saisonniers et qu’elles ont un meilleur accès aux ressources naturelles vitales, comme la terre, qu’elles peuvent travailler» .

Niger : des millions de demi-lunes ont été construites avec l'aide du PAM. Elles sont essentielles pour collecter l'eau, remplir les aquifères souterrains et accroître la productivité agricole. Photo : PAM/Evelyn Fey
Niger : des millions de demi-lunes ont été construites avec l’aide du PAM. Elles sont essentielles pour collecter l’eau, remplir les aquifères souterrains et accroître la productivité agricole. Photo : PAM/Evelyn Fey

Les questions qui dérangent au carrefour de la science  et de l’éthique.

L’homme reste un animal qui retrouve son instinct de survie en sacrifiant ceux qui peuvent entraver son accès aux ressources vitales. Tout puissant, sans organe de justice supérieur, il décide qui peut bénéficier ou non des ressources, et plus encore, du droit de vie ou de mort sur toute autre espèce végétale ou animale (autre exemple : la déforestation au Brésil).

De même, l’Homme s’approprie tout l’espace, il laisse une place très limitée à la nature sauvage, ce qui contraint la biodiversité à la survie sur des surfaces réduites et isolées les unes des autres. Ce manque de continuité écologique compromet sa résilience.

  • Que justifie cette hégémonie ? Comment décider de la légitimé d’une espèce par rapport à une autre ?
  • Comment arriver à défendre droits de la nature au-delà des frontières étatiques ?
  • Une nouvelle comptabilité s’installe : combien d’éléphants vaut une vie humaine ?!
  • Le mythe de l’arche de Noé vacille : va-t-on vraiment laisser une chance à chaque espèce de survivre ?
  • Et quand il n’y aura plus d’animaux à blâmer pour le manque de ressources ?…
  • Faudra-t-il un jour songer à réguler la population humaine ? Et selon quels critères ?

Lors de la COP23 en 2017, 15 000 scientifiques issus de 184 pays ont publié dans la revue BioScience un appel urgent à sauver la planète intitulé « Avertissement des scientifiques mondiaux à l’humanité : Un deuxième avis ». Selon eux, pour préserver les ressources et l’environnement, il faudrait prendre des mesures démographiques comme la réduction du taux de fécondité et la détermination d’une taille de population humaine soutenable (Ripple et al., 2017).

Un sujet qui divise car toute tentative de régulation se heurte à des dogmes moraux, religieux ou tout simplement de principe de liberté individuelle. On soulève ici la notion d’éthique de la responsabilité collective (Lassonde, 1996)1.

 

Conclusion

Alors, la raison du plus fort aura-t-elle raison de la biodiversité ?

A la découverte de cette décision de la Namibie d’abattre des animaux protégés, au premier abord, il est tentant de juger et de s’indigner, mais depuis leurs logements climatisés au réfrigérateur bien garni, les occidentaux et leur mode de vie sont en grande partie responsables de la situation dramatique qui affecte les peuples les plus fragiles. Cette injustice est à son comble car ceux qui contribuent le moins aux bouleversements du monde, sont ceux qui en subissent le plus fortement les conséquences.

A mesure que les effets du réchauffement climatique se font ressentir et que ses conséquences s’amplifient pour l’Homme, concilier le développement humain et la protection de la biodiversité devient un véritable défi.

L’adaptation au changement climatique ne pourrait se résumer à la sélection des êtres qui auront le droit de survie. Une transition profonde de nos pratiques, basée sur une approche écosystémique et équilibrée de l’usage des ressources, sera la seule réponse durable pour tous les habitants de la planète. C’est notre responsabilité collective. Et en priorité attaquons-nous aux causes racines du changement climatique, vite !

Sources

Banque mondiale. (2023, janvier 5). Agir face à une crise alimentaire mondiale. World Bank. https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2023/01/05/recognizing-and-tackling-a-global-food-crisis

Conflits Homme-Animal, apaiser les tensions | WWF France. (s. d.). Consulté 14 novembre 2025, à l’adresse https://www.wwf.fr/champs-daction/vie-sauvage/conflits-homme-animal

En Afrique australe, la sécheresse provoquée par El Niño laisse dans son sillage des récoltes brûlées et la faim | World Food Programme. (2024, mai 15). https://fr.wfp.org/histoires/en-afrique-australe-la-secheresse-provoquee-par-el-nino-laisse-dans-son-sillage-des

Jane DALTON. (2024, septembre 8). Namibia to kill more than 80 elephants as protesters call it a ‘colossal disaster’. The Independent. https://www.independent.co.uk/news/world/africa/elephants-namibia-cull-kill-wildlife-population-b2608478.html

La-Croix.com. (2024, septembre 3). Sécheresse : La Namibie a commencé à abattre des centaines d’animaux sauvages. La Croix. https://www.la-croix.com/secheresse-la-namibie-a-commence-a-abattre-des-centaines-d-animaux-sauvages-20240903

Lassonde, L. (1996). Conclusion—Du débat démographique à l’interrogation éthique. Hors Collection, 215‑222.

Le Big Data à la rescousse des éléphants | WWF France. (2024, mars 15). https://www.wwf.fr/vous-informer/effet-panda/le-big-data-a-la-rescousse-des-elephants

Matseketsa, G., Muboko, N., Gandiwa, E., Kombora, D. M., & Chibememe, G. (2019). An assessment of human-wildlife conflicts in local communities bordering the western part of Save Valley Conservancy, Zimbabwe. Global Ecology and Conservation, 20, e00737. https://doi.org/10.1016/j.gecco.2019.e00737

Nierenberg, A. (2024, août 29). Namibia, Facing Drought, Plans to Kill Elephants for Meat. The New York Times. https://www.nytimes.com/2024/08/29/world/africa/namibia-drought-elephants-meat.html

Pauline Rouquette. (2024, septembre 4). Namibie : Abattre les animaux sauvages pour faire face à la sécheresse, une décision contestée. France 24. https://www.france24.com/fr/afrique/20240904-namibie-abattre-les-animaux-sauvages-pour-faire-face-%C3%A0-la-s%C3%A9cheresse-une-d%C3%A9cision-contest%C3%A9e

Ripple, W. J., Wolf, C., Newsome, T. M., Galetti, M., Alamgir, M., Crist, E., Mahmoud, M. I., Laurance, W. F., & 15, 364 scientist signatories from 184 countries. (2017). World Scientists’ Warning to Humanity : A Second Notice. BioScience, 67(12), 1026‑1028. https://doi.org/10.1093/biosci/bix125

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