Article de Maria Beraldi (MS EEDD parcours RSEDD 2023-24)

Introduction

Dans son rapport de 2014, le GIEC établit que les effets du dérèglement climatique sont particulièrement sévères pour les groupes de population les plus pauvres, ceux qui dépendent davantage des ressources naturelles pour leur subsistance et qui disposent d’une plus faible capacité d’adaptation aux événements climatiques extrêmes. Par ailleurs, au niveau mondial, parmi les 1,3 milliard de personnes vivant dans des conditions de pauvreté, 70% sont des femmes.

Les femmes représentent donc une part très importante des communautés les plus vulnérables au changement climatique, en particulier dans les régions rurales où elles s’appuient en grande partie sur la nature pour assurer leurs responsabilités familiales (approvisionnement en eau et combustibles, cultures et élevages de subsistance…).

Selon l’ONU Femmes, les situations les plus marquantes se trouvent dans les régions bordant la Méditerranée, en Asie occidentale et du Nord-Est, ainsi que dans de nombreuses parties de l’Amérique du Sud et de l’Afrique. Dans ces régions du globe, les femmes ont généralement un accès réduit aux ressources financières, à la terre, à l’éducation, à la santé et à d’autres droits fondamentaux du fait de l’organisation socio-économique des sociétés dans ces régions.

L’exclusion des processus de décisions et du marché du travail, souvent induits par un système patriarcal, crée également des inégalités entre hommes et femmes et entraîne une plus grande difficulté pour celles-ci à faire face aux événements climatiques.

Effet amplificateur des vulnérabilités

Dans de nombreuses régions, ce sont essentiellement les femmes qui sont responsables de la nourriture, de l’eau et des combustibles nécessaires au foyer. Les effets du changement climatique sur la fertilité des sols, l’état des forêts ou les ressources en eau provoquent une surcharge de travail et exercent ainsi une pression plus forte sur les femmes. Par ricochet, les jeunes filles sont aussi impactées, puisqu’elles sont souvent obligées de quitter l’école pour aider leurs mères à gérer cette charge supplémentaire.

Le dérèglement climatique agit donc avec un effet multiplicateur : il intensifie les contraintes ou les menaces qui pèsent déjà sur les femmes et les jeunes filles notamment dans les environnements fragiles ou touchés par des conflits.

Impacts sur la charge de travail

En effet, les sécheresses, la pollution et la surconsommation ont épuisé les réserves d’eau dans le monde entier, élevant le stress hydrique à des niveaux historiques. Ainsi, là où l’accès à l’eau est sévèrement limité, les femmes et les filles doivent souvent parcourir de longues distances à pied pour en rapporter. Prenons par exemple l’Irak, où le stress hydrique est élevé et où 30% de la population rurale ne dispose pas d’eau potable sur place :  les femmes passent jusqu’à 3 heures par jour à aller chercher de l’eau. En Inde, dans un quart des ménages ruraux qui ne disposent pas d’eau sur place, les femmes et les filles consacrent plus de 50 minutes par jour à la collecte de l’eau, contre 4 minutes par jour pour les hommes.

Sécheresses, désertification et inondations sont également des menaces importantes pour les activités agricoles dont les femmes ont majoritairement la charge. Selon un rapport publié par l’Oxfam en 2021, elles assurent jusqu’à 80 % de la production agricole dans les pays en développement. Pourtant même si elles jouent un rôle clé dans la production alimentaire, les femmes ne gagnent que 10 % du revenu total et possèdent moins de 2 % des terres.

Impacts sur la santé

Évoquer l’accès à l’eau, c’est aussi faire le lien avec un droit à l’hygiène et à la santé.

Le manque d’eau a des impacts spécifiques sur la santé des femmes en raison des besoins accrus pour assurer l’hygiène pendant les menstruations, pendant ou après la grossesse. Chaque année, plus de 800 000 femmes meurent en raison du manque d’eau potable, d’installations sanitaires et d’hygiènev. Des situations qui s’accentuent avec le changement climatique.

Différentes études mettent en évidence les impacts différenciés du changement climatique sur la santé des femmes comme la sous-alimentation, du fait que la nourriture soit distribuée en priorité aux autres membres de la famille, ou un plus grand taux de maladies transmises par l’eau ou d’infections suite à une inondation.

Selon l’ONU, les femmes auraient 14 fois plus de risques de mourir en cas de catastrophes naturelles. Cette différence entre les sexes s’explique notamment par les rôles et tâches attribués aux hommes ou aux femmes selon les cultures. Au Bangladesh, des études ont montré que les femmes n’apprennent pas à nager et sont donc plus vulnérables en cas d’inondation. Au Nicaragua, il est attendu des femmes des classes moyennes qu’elles restent à la maison, et ce, même pendant les inondations et dans les zones à risques.

Impacts sur la sécurité

Les événements climatiques, qu’il s’agisse de catastrophes ou de transitions progressives, peuvent aussi avoir des impacts sociaux indirects. Les territoires sinistrés et le chaos qui en résulte, la perte de ressources, les décès ou l’augmentation des tensions au sein du foyer accroissent les risques de violences envers les femmes. La situation est particulièrement sensible lorsque les femmes ou les jeunes filles sont hébergées dans des structures d’urgence.

Ainsi, selon un rapport de l’ONU, une femme sur cinq réfugiée ou déplacée dans des conditions humaines difficiles est victime de violence ou de violvi.  Autre conséquence majeure, la hausse des unions précoces ou forcés de jeunes enfants dans certains pays d’Afrique ou d’Asie. En Somalie, l’augmentation des événements extrêmes a poussé les familles à migrer des zones rurales vers les villes. Entre 2018 et 2019 vi, entre choc culturel et réorganisation en urgence, le taux de scolarisation des filles est passé de 45 % à 29 %, alors que dans le même temps celui des jeunes garçons a augmenté passant de 29% à 41%vi.

Frappées par d’extrêmes sécheresses, de nombreuses familles font le choix de déscolariser leurs filles pour les marier le plus tôt possible afin d’avoir une bouche de moins à nourrir. L’ONG Vision du Monde rapportait que, dans les zones les plus touchées par le changement climatique, les mutilations génitales féminines, destinées à faire des filles « de bonnes épouses », avaient augmenté de presque 30 %vi.

Toutes concernées

On pourrait croire que ces impacts ne concernent que les régions les plus pauvres ou en voie de développement, mais dans les pays développés, un poids écologique spécifique pèse aussi sur les femmes, avec des conséquences différentes. En Europe, le phénomène est moins visible car la dépendance aux ressources naturelles est moins apparente et moins immédiate. Les impacts pour les femmes se traduisent par une aggravation des inégalités fondées notamment sur la division sexuée du travail (tâches ménagères, emploi précaire, temps partiel…).

Selon une étude de l’Organisation internationale du travail, les femmes effectuent près de trois fois plus de travail domestique et de soins non rémunérés que les hommes. Dans le contexte de crise climatique et de précarité énergétique, les tâches et les dépenses du foyer augmentent et les femmes ont tendance à assumer une part prépondérante de cette charge (soin aux personnes, tri, achats et économies…).

80 % des personnes déplacées par les catastrophes et les changements climatiques dans le monde sont des femmes et des filles.  

Source : ONU femmes, rapport Progrès vers la réalisation des objectifs de développement durable, Gros plan sur l’égalité des sexes, 2022
Source : Nations Unies, Les femmes sont les premières victimes de la crise climatique, selon la COP26, 9 novembre 2021

 

Les femmes, actrices de la transition écologique  

Les femmes ne sont pas seulement les victimes du dérèglement climatique, elles peuvent aussi agir efficacement et promouvoir les méthodes d’adaptation et d’atténuation.

En 1992 déjà, le premier sommet de la Terre à Rio reconnaissait le rôle des femmes dans la résilience des sociétés et dans la conservation des écosystèmes. Dans son dernier rapport, le GIEC insiste notamment sur les savoirs des femmes autochtones.

Savoirs traditionnels et capacité d’adaptation

Dans les pays en développement, pour les besoins du foyer, les femmes interagissent de façon quotidienne avec la nature et les écosystèmes environnants. Elles sont généralement les premières à réagir pour préserver la nature qui les entoure. Face au manque de ressources et de matériel, elles développent des solutions innovantes pour y parvenir.

Par ailleurs, elles sont très souvent détentrices de savoirs traditionnels reconnus aujourd’hui essentiels dans les stratégies d’adaptation locales et de maintien des moyens de subsistance. Dans une étude intitulée « Staying Alive, Women Ecology and Survival in India », Vandana Shiva a répertorié les tâches des hommes et des femmes en Inde, le nombre d’heures et les connaissances de chacun. Elle a mis alors en valeur l’expertise des femmes malgré leur illettrisme grâce à leur lien quotidien à la terre. Dans ce pays, les femmes étaient dépositaires de semences traditionnelles résistantes à la sécheresse.

Délaissées au profit des semences OGM plus rentables à court terme, celles-ci regagnent en importance avec la multiplication des pénuries d’eauvi. En Afrique, les femmes âgées, détentrices de la sagesse, ont hérité du savoir traditionnel et de l’expertise liés aux alertes rapides et à l’atténuation des impacts des catastrophes naturellesi.

Les femmes jouent également un rôle important dans la transmission des connaissances et l’éducation, et sont moteurs dans l’évolution des comportements comme le souligne le rapport du GIEC. Elles influent notamment sur les habitudes alimentaires, un levier essentiel pour lutter contre les effets du changement climatique et la dégradation des sols, mais aussi sur la gestion de l’eau ou de l’énergie.

Leadership et vision collective

Les initiatives de femmes regroupées en coopérative se multiplient pour trouver des solutions locales et en faire bénéficier l’ensemble de la communauté. Dans l’ouest du Kenya, par exemple, des veuves se sont unies pour investir dans des innovations durables comme les systèmes de récolte des eaux de pluie ou l’agroforesterie. Elles mènent aussi des actions collectives en vue d’assurer la sécurité alimentaire et l’apport en eau.

Les femmes sont également plus averses au risque dès lors qu’il s’agit d’avoir recours à des technologies qui peuvent avoir un impact négatif sur l’environnement et la société.

Les recherches existantes avancent qu’elles font preuve d’une plus forte propension à protéger l’environnement. Dans les pays développés notamment, elles portent une plus grande attention à la dimension RSE d’une entreprisexii. Selon certaines études, les femmes occupant des postes de direction en entreprise seraient davantage susceptibles de mener leur société vers des stratégies plus durablesxii.

Les connaissances et l’action des femmes représentent donc un atout dans les politiques luttant contre le dérèglement climatique. Malheureusement, elles sont encore trop nombreuses à être écartées des processus et instances décisionnelles et n’ont qu’un accès réduit aux financements.

En 2019, une étude publiée dans la revue Nature Climate Change indiquait que s’il y avait au moins 50 % de femmes dans les groupes décisionnaires, la préservation de l’environnement serait plus efficacevi.

Réduire les inégalités de genre pour renforcer l’action climatique

Égalité des sexes et lutte contre le changement climatique sont donc liés.  La réalisation de l’égalité des sexes est le cinquième des 17 Objectifs de développement durable (ODD). Dix autres objectifs incluent des points de référence spécifiques au genre, reconnaissant l’interconnexion entre l’autonomisation des femmes et un avenir meilleur pour toutes et tous.

Face à ces constats, l’ONU Femmes, guidée par le Plan d’action de la Convention Cadre des Nations Unies (CCNUCC), multiplie les initiatives afin d’intégrer les perspectives de genre aux politiques de transition climatique. Le Pacte de Glasgow, adopté en novembre 2021, encourage notamment « les Parties à accroître la participation pleine, significative et égale des femmes à l’action climatique et à garantir une mise en œuvre et des moyens de mise en œuvre tenant compte de la dimension de genre, qui sont essentiels pour accroître l’ambition et atteindre les objectifs climatiques ».

Plusieurs mécanismes internationaux de financement du climat se sont également saisis du sujet. Le Fonds vert pour le climat, le Fonds pour l’environnement mondial et le Fonds d’adaptation, exigent que les propositions de projet internationaux prennent en compte la dimension de genre.

Le fait de reconnaître que les hommes et les femmes ne sont pas égaux en droits, ni même en matière de vulnérabilité et d’adaptation, peut permettre de mettre en place des solutions qui tiennent compte des spécificités des deux sexes et ainsi diminuer les impacts différenciés. Dans cet esprit, l’ONU a donc formulé des recommandations visant à améliorer l’adaptation des femmes face au changement climatique.

Elle y aborde notamment la nécessité d’identifier les impacts du changement climatique selon le genre et d’y apporter des solutions dédiées, la prise en compte du genre dans l’accès aux financements, à la formation ou à la technologie, l’intégration des femmes dans les processus décisionnels locaux comme nationaux ou encore l’accès des femmes aux solutions d’atténuation des effets du dérèglement climatique et au développement de nouvelles technologies…

Cette approche a pour but d’englober l’ensemble des politiques publiques et faire de l’intégration du genre non plus une contrainte mais un moteur de la résilience et de la transition climatique. L’objectif est de mettre l’accent sur le pouvoir des femmes plutôt que sur leur vulnérabilité et de s’appuyer sur leurs forces pour construire une société plus durable et plus juste.

La lutte contre le changement climatique ne peut se passer de la contribution intellectuelle et active de la moitié de l’humanité, ou comme l’a déclaré Patricia Espinosa, secrétaire exécutive d’ONU Climat :

« Nous ne pouvons pas exclure les voix, les connaissances, les perspectives et l’expertise de 50% de la population. Nous devons faire en sorte que les femmes, dans toute leur diversité, soient impliquées à tous les niveaux, des négociations sur le climat aux salles de conseil d’administration en passant par les forêts et les champs, en particulier dans les secteurs et les régions durement touchés par les ravages des changements climatiques. »

 

Sources

i Nations Unies, les femmes dans le contexte des changements climatiques.

ii Natura Sciences, les femmes sont plus vulnérables face au réchauffement climatique, 8 mars 2023.

iii Rapport Femmes et Climat, Ségolène Royal, COP 21, novembre 2016

iv ONU Femmes, Inégalités entre les sexes et changements climatiques : des enjeux étroitement liés, 28 février 2022

v ONU femmes, rapport Progrès vers la réalisation des objectifs de développement durable, Gros plan sur l’égalité des sexes, 2022

vi Les Echos, Face au changement climatique, les femmes en première ligne, 7 mars 2023

vii Nelson and Stathers, 2009 ; Kakota et al., 2011 ; Lambrou and Nelson, 2013 / Rapport Femmes et Climat, Ségolène Royal, COP 21, novembre 2016

viii Neelormi et al., 2008 ; Campbell et al. 2009 / Rapport Femmes et Climat, Ségolène Royal, COP 21, novembre 2016

ix TV5 Monde, COP27 : pourquoi les femmes sont-elles plus touchées par le réchauffement climatique ? 7 novembre 2022

x Rapport Incidences, adaptation et vulnérabilité, GIEC, 2014

xi TV5 Monde, Climat, environnement, développement : les femmes en première ligne, 7 janvier 2015

xii TV5 Monde, GIEC 2019 : donner le pouvoir aux femmes pour mieux nourrir le monde et protéger la planète, 9 août 2019

xiii United Nations Entity for Gender Equality and the Empowerment of Women, UN Women, 2015 / Rapport Femmes et Climat, Ségolène Royal, COP 21, novembre 2016

xiv Nature climate change, Gender quotas increase the equality and effectiveness of climate policy interventions, 2019

xv ONU Femmes, Gros plan sur l’Objectif de développement durable 5, 23 août 2022

xvi United Nations Climate Change, Pourquoi l’action climatique a-t-elle besoin des femmes ? 8 mars 2022

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.