Article de Cristina Gomez (MS EEDD parcours IGE 2023-24)

Introduction

La prise de conscience des défis environnementaux et sociaux auxquels nous sommes confrontés se développe à l’échelle planétaire. En France, les préoccupations environnementales progressent de 3 points en 2023 par rapport à 2022 selon une étude du CREDOC publiée par l’ADEME [1]. Ainsi, 58% des répondants se considèrent “assez sensibles” et 38% “hautement sensibles” à l’environnement.

L’impact du changement climatique, la perte de biodiversité et les inégalités sociales sont désormais des réalités indéniables qui exigent une action urgente en faveur d’un avenir plus durable. Toutefois, il existe une certaine méfiance quant à l’efficacité des actions individuelles [2], car il est évident qu’elles ne peuvent à elles seules relever ces défis. C’est là que le pouvoir du collectif prend son importance, en tant que vecteur de transformation vers les transitions écologiques et sociales.

La place de l’action individuelle

Imaginons le parcours d’une personne ordinaire consciente des enjeux du développement durable. Elle s’interroge sur les répercussions de nos modes de vie sur l’environnement et se résout à agir. Elle réduit sa consommation d’eau et d’énergie, participe à des initiatives de préservation de l’environnement, adopte un mode de vie zéro déchet, favorise les modes de transport doux et opte pour une alimentation végétarienne.

Pourtant, malgré ces efforts, elle réalise un jour que ses actions, bien qu’indispensables, ne suffisent pas à provoquer un changement significatif. Une étude de Carbone 4 réalisée en France, confirme ce sentiment : même avec un comportement individuel exemplaire, ces efforts ne peuvent à eux seuls contribuer qu’à environ 25 % des objectifs climatiques [3]. L’ampleur des enjeux climatiques en fait un « problème systémique qui nécessite d’être abordé comme tel » [4] .

Au-delà des actions individuelles, il est donc évident qu’il faut unir nos forces pour réussir à impulser des transitions significatives. Il est nécessaire de construire un plan d’action commun en impliquant la communauté locale, les pouvoirs publics et les entreprises dans la prise de responsabilité.

C’est un combat qu’il faut mener sur tous les fronts. Et pour savoir qui peut agir, où, et comment gérer les priorités, il est indispensable d’avoir en tête les bons ordres de grandeur [3].

En outre, car les politiques publiques à l’échelle nationale montrent souvent leurs limites face à l’immensité des défis locaux et sectoriels, notamment en matière de mobilité, d’efficacité énergétique et d’aménagement du territoire [5]. Par où commencer ? Quelle voie pour accélérer la transition écologique ? Il n’existe pas de réponse unique, mais c’est à l’échelle locale que de véritables résultats commencent à émerger en partie grâce aux Villes en Transition.

Un mouvement social pour changer le paradigme

En 2005, Rob Hopkins, docteur en Sciences humaines et sociales de l’Université de Plymouth, s’installe à Totnes, une petite commune de 8 000 habitants située au sud de l’Angleterre. Un an plus tard, animé par la volonté de répondre aux défis engendrés par le pic pétrolier et le changement climatique, il lance avec Naresh Giangrande le projet « Transition Town Totnes ».

Ce projet définit la transition comme « un réseau d’initiatives fondé sur le principe qu’il s’agit d’un processus d’apprentissage, à partir des erreurs et des réussites du travail sur le terrain dans le cadre d’initiatives à différentes échelles » [6].  

Basé sur les principes de partage et de résilience, Totnes devient rapidement un laboratoire d’expérimentations écologiques et sociales diverses. Avec la contribution de Peter Lipman et Ben Brangwyn, émerge un mouvement écologique qui prône des initiatives positives à l’échelle locale, “villes en transition” [7].

Pour Rob Hopkins, il est essentiel de « réorienter l’action humaine autour de gestes écologiques forts » [6]. Il soutient que l’imagination citoyenne et la collaboration entre les secteurs publics et privés sont les moteurs du véritable changement.

La force du mouvement à Totnes réside dans sa capacité à mobiliser et sensibiliser la communauté locale. Des formations et des programmes de partage des connaissances ont permis aux habitants locaux de développer leur imaginaire et les compétences nécessaires à une vie plus durable, de la permaculture à la réparation de vélos, en passant par l’efficacité énergétique. A travers des réunions publiques, des ateliers et des évènements organisés pour eux-mêmes, chaque membre de la communauté est incité à agir collectivement.

Les autorités locales jouent un rôle fondamental dans la transition de la ville, en promouvant l’autosuffisance alimentaire, l’économie locale et la sécurité énergétique. Ces initiatives se concrétisent par la création de jardins communautaires, de marchés de producteurs locaux et des projets de mobilité douce et d’énergie renouvelable décentralisés [8]. Les efforts concertés entre la communauté et les autorités produisent des résultats concrètes et quantifiables, ce qui encourage à poursuivre dans cette voie, même s’il reste encore un chemin à parcourir.

Totnes a su montrer que les actions individuelles sont essentielles dans une démarche de transition à l’échelle locale et qu’elles prennent leur essor en étant organisées. De la même manière, la multiplication d’initiatives locales coordonnées peuvent produire des effets décisifs à l’échelle régionale, puis nationale, voire internationale.

Aujourd’hui, le réseau international de la Transition compte 2000 initiatives de « Villes en Transition » dans 50 pays dont 150 en France [9]. A travers la généralisation de bonnes pratiques, le partage de connaissances et de retours d’expériences, elles travaillent en étroite collaboration afin d’atteindre les objectifs de durabilité et de résilience, en mobilisant les forces de l’imaginaire collectif.

Une approche différente à l’échelle locale en France

Située à 12 km de Rouen, Malaunay est une commune de 6017 habitants et 2700 ménages. Principalement résidentielle avec 63% de propriétaires, elle est également caractérisée par ses 29% de bâtiments publics.

Accompagnée par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), Malaunay a su croiser divers champs disciplinaires, tels que l’ingénierie et la sociologie, pour imaginer un système novateur et devenir un modèle de transition écologique.

Inspirée par la démarche NegaWatt (sobriété, efficacité et énergies renouvelables), Malaunay a progressivement mis en place depuis 2006 une stratégie pour réduire son empreinte énergétique. Cette approche repose sur des plans d’action de plus en plus structurés, où la sobriété énergétique joue un rôle central, visant à distinguer les besoins essentiels des consommations superflues.

« À Totnes, c’est la communauté qui a initié le processus de transition. A Malaunay, l’une des 150 villes engagées dans la transition en France, c’est la municipalité qui est à l’origine de cette démarche »

Dans le cadre d’un voyage territorial organisé par l’École des Mines à Malaunay, mes camarades de promotion et moi-même avons eu l’opportunité de découvrir l’histoire de réussite de cette ville en transition, guidés par Laurent Fussien, directeur général des services de la commune.

Face à des contraintes financières et environnementales, Malaunay a initié une dynamique écologique innovante. La stagnation des revenus des ménages, l’augmentation des charges et les défis environnementaux ont poussé la commune à réduire sa facture énergétique grâce à des rénovations techniquement ambitieuses, tout en améliorant la résilience de ses habitants. En 2014, grâce à sa labellisation Cit’ergie, la commune a obtenu deux millions d’euros de financement pour développer une stratégie énergie-climat favorisant le recours aux sources d’énergie renouvelables. Aujourd’hui, 65 % des besoins énergétiques de la commune sont couverts par ces solutions.

Parmi les projets marquants figurent l’installation de trois chaufferies biomasse, le déploiement de 1600 m² de toitures photovoltaïques en autoconsommation collective, principalement sur les toits de l’école Brassens et de la piscine municipale, ainsi que la rénovation du gymnase Batum, qui a permis de réduire sa consommation énergétique de 60 % grâce à une isolation renforcée et une ventilation double flux [10]. Ces initiatives ont marqué un tournant majeur dans la stratégie énergétique de la ville.

D’autres actions ont également été mises en œuvre, telles que la révision du Plan Local d’Urbanisme pour limiter la construction sur des terres naturelles, des partenariats avec des maraîchers pour favoriser les circuits courts, la création de jardins partagés, la végétalisation des espaces publics et la replantation d’arbres, ainsi que l’acquisition de véhicules électriques et l’aménagement de pistes cyclables pour encourager une mobilité douce.

La transition a toujours été considérée comme un processus itératif [7]. À Malaunay cette transition repose sur une démarche progressive, une gouvernance inclusive et un engagement collectif qui favorisent une transformation systémique. Des réunions publiques sont régulièrement organisées, ainsi que des visites de quartiers, offrant des moments d’échange et de discussion entre les élus et les habitants. En 2018, une centaine d’habitants ont participé au « Défi : la transition prend ses quartiers », une initiative ludique et originale d’implication citoyenne.

Depuis 2020, des forums citoyens et des ateliers participatifs sont mis en place, permettant à ceux qui le souhaitent de partager son expertise, leurs idées et leurs compétences pour améliorer le cadre de vie et accélérer la transition de la ville. C’est grâce à la sensibilisation, au renforcement des liens sociaux et à la mobilisation des habitants que la ville a réussi à réduire significativement sa consommation énergétique et à améliorer la résilience écologique de la commune.

Les résultats obtenus montrent la voie pour d’autres collectivités souhaitant s’engager dans une démarche similaire. Pour Laurent Fussien, une ville en transition consiste à « sortir d’un statu quo, en se réinventant ».

Le mot de la fin… Vivre autrement  

Totnes au Royaume-Uni et Malaunay en France se distinguent par leur engagement inébranlable envers le développement durable et la résilience communautaire. Deux villes qui, avec des approches distinctes, ont mis en œuvre des solutions innovantes pour réduire leur empreinte écologique et promouvoir le bien-être de leurs citoyens.

Aujourd’hui, elles émergent comme des exemples inspirants sur le chemin de la transition, un processus essentiel, complexe et de longue haleine. Leurs efforts nous rappellent que, bien que les défis soient nombreux, ils peuvent être surmontés grâce à la coopération et à l’imagination collective.

En effet, il est possible d’agir dès maintenant, à l’échelle locale, en inspirant des changements plus larges et plus profonds. Totnes, Malaunay et les autres 2000 autres villes en transition prouvent que la transition écologique n’est pas une utopie, mais une réalité en construction, un défi que nous pouvons relever ensemble en faveur des générations futures en quête d’un avenir plus durable.

Cet article a été inspiré par la visite de la promotion IGE de l’école de Mines à Malaunay le 28 février 2024 et doit se lire comme une réflexion personnelle sur les enjeux de changement d’échelle dans les chemins des transitions.

Sources

[1] Sensibilité à l’environnement, action publique et fiscalité environnementale : l’opinion des Français en 2023, Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie_CEDROC, Juillet 2023

[2] Climat et biodiversité : Les actions individuelles ont-elles un sens ? Foresteam, 2021.

[3] Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’État face à l’urgence climatique, César Dugast, Alexia Soyeux, Carbone 4, Juin 2019. 

[4] Climat : on aura besoin de tout le monde, Thomas Wagner, 2020

[5] Mission et Activités, I4CE – Institut de l’économie pour le climat,2023.

[6] Localisation and resilience at the local level: the case of transition town Totnes (Devon, UK), Robert John Hopkins, 2010

[7] Who we are and what we do, Transition Network, Totnes.  Hopkins & Lipman, 2009.

[8] Portail de Transition Totnes  https://www.transitiontowntotnes.org/

[9] Portail de Transition France : https://www.entransition.fr/

[10] Magazine Municipale, Mairie de Malaunay, hors serie 2021.

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