Article de Juliette Ovelacq (MS EEDD parcours RSEDD 2023-24)
Introduction
« La ville est toxique. Elle vous rend tous malades. Tu as des trous dans ton esprit. […] Venez dans la forêt. J’ai une petite cabane là-bas. » propose une vieille dame sur le point de repartir en Alaska, sa terre natale, à une jeune fratrie citadine en détresse, dans le roman graphique « Les Pizzlys » [1].
Si le bon sens populaire nous a toujours instillé l’idée que la nature pouvait contribuer à notre bien-être, qu’en est-il réellement ?
Alors que la pandémie de Covid-19 a drastiquement accru l’ampleur des problématiques de santé mentale dans le monde [2], nous nous intéressons à la place de la nature dans la prévention et le traitement de ces troubles.
Une santé mentale dégradée, notamment chez les jeunes : une réalité alarmante
Tout d’abord, que recouvre le terme de santé mentale ? Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la santé mentale « est une composante essentielle de la santé et représente bien plus que l’absence de troubles ou de handicaps mentaux » [3].
Elle est définie comme un « état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ».
La prévalence des troubles de santé mentale est élevée : toujours selon l’OMS, en 2019, une personne sur huit dans le monde – soit 970 millions de personnes – présentait un trouble mental, les troubles anxieux et les troubles dépressifs étant les plus courants [4].
Le phénomène est observé dans des proportions similaires en France, et ce dès le plus jeune âge. En juin 2023, Santé Publique France a publié une étude inédite sur la santé mentale et le bien-être des enfants de 3 à 11 ans à partir d’enquêtes menées auprès de 40 000 enfants, enseignants et parents [5]. Les résultats montrent que 13% des enfants en élémentaire présentent un trouble probable de santé mentale (trouble émotionnel, anxieux, de concentration…).
Dans leur enquête « Enfants sous médocs », Elodie Lepage et Bérénice Rocfort-Giovanni relatent une situation qui s’aggrave, en particulier pour les adolescents, et qui se traduit par une consommation en forte hausse de psychotropes chez les 6-17 ans entre 2014 et 2021 [6].
Bien entendu, la santé mentale est déterminée par de multiples facteurs, d’ordres socio-économiques, biologiques, environnementaux…. Si l’exposition à certaines circonstances nous vient spontanément à l’esprit (pauvreté, violence…), la privation de bonnes conditions environnementales – i.e. éléments qui constituent le cadre et les conditions de vie des individus – augmente également le risque de développer des problèmes de santé mentale [3].
La société humaine a connu un mouvement sans précédent de déconnexion de la nature
Aujourd’hui, un tiers de la surface terrestre a été artificialisée et plus de la moitié des hommes et des femmes vivent en ville. Le XXème siècle a ainsi été marqué par un vaste mouvement d’urbanisation mais aussi par le développement des technologies de l’information et de la communication, qui ont favorisé une vie sédentaire d’intérieur, au détriment d’activités en extérieur.
Pour Cynthia Fleury et Anne-Caroline Prévot dans « Le souci de la nature. Apprendre, Inventer, Gouverner », la période contemporaine est marquée par une extinction de l’expérience de nature où les contacts quotidiens avec la faune et la flore sont considérablement réduits [7], et ce dès le plus jeune âge.
Une recherche parue en mars 2023 dans la revue Frontiers in Ecology and the Environment [8] précise en outre que nous vivons de plus en plus loin des campagnes et des forêts. La distance moyenne d’un être humain de la zone naturelle la plus proche était de 9,73 kilomètres en 2020, soit 7% de plus qu’en 2000. Les populations les plus éloignées de la nature vivent en Amérique du Nord et en Europe.
Dès lors, le phénomène de déconnexion de la nature qu’a connu l’Homme sous l’Anthropocène a eu une incidence directe sur ses « conditions environnementales », ce qui a pu exacerber les tensions sur sa santé mentale.
Les effets bénéfiques de la nature sur notre santé mentale sont avérés
Les études se multiplient quant à l’impact bénéfique de la nature sur la santé en général, et la santé mentale en particulier. Cet effet intervient à la fois de manière préventive, pour réduire les risques d’apparition de troubles mentaux, mais également en curatif, pour contribuer à les soulager.
Les bénéfices se situent à de nombreux niveaux, dont principalement la réduction du stress et de l’anxiété, mais aussi l’amélioration de l’humeur et la diminution des symptômes dépressifs et de la rumination mentale, ainsi que la restauration des capacités d’attention.
L’action COST E39 « Forests, Trees, Human Health and Well-being » [9], qui avait pour objectif de réunir les chercheurs européens qui travaillent sur les différents aspects de la relation entre nature et santé entre 2004 et 2009, met en avant des effets réparateurs et salutaires de la fréquentation d’espaces verts sur la santé et le bien-être, notamment sur la santé mentale :
« Dans leur revue, Van den Berg et al. (2015) font état de preuves solides pour dire qu’une exposition importante aux espaces verts aboutit à un risque plus faible de maladie mentale. Plusieurs revues affirment également qu’il est solidement démontré que la fréquentation d’environnements naturels et d’espaces verts urbains a pour effet d’améliorer le bien-être affectif » et plus loin « En outre, il existe des preuves solides établissant des associations positives significatives entre la quantité d’espaces verts autour des zones résidentielles et la santé mentale perçue par les résidents (Van den Berg et al., 2015). La santé mentale, tout comme les niveaux de stress, est liée de manière forte et significative à la distance entre le domicile et les parcs urbains et à l’accès à ces derniers. Au-delà de 300 ou 400 m de distance des parcs, les risques sont plus élevés (Sturm et Cohen, 2014) ».
Il faut néanmoins préciser que ces effets bénéfiques ne sont pas uniformes. En effet, les travaux de Bastien Vajou dans sa thèse sur la santé mentale et les expériences de nature [10], montrent bien que « le sujet est acteur dans la construction de son expérience de nature » et que « les caractéristiques individuelles jouent également un rôle prépondérant » dans cette construction.
Les politiques d’urbanisme et de santé publique font partie de la solution
Devant de tels constats, on peut logiquement conclure à la nécessité de ramener plus de nature en ville. L’urbanisme est déjà impliqué dans ce mouvement de renaturation par la végétation et l’eau, en particulier pour limiter les effets du changement climatique et le phénomène d’îlots de chaleur urbains. Les efforts doivent être poursuivis et amplifiés : « la santé devrait être au cœur de l’aménagement urbain et des plans d’urbanisme » [9], notamment pour ce que la flore apporte sur le plan de la santé mentale (et non uniquement physique).
Des perspectives s’ouvrent en corollaire dans le champ des politiques de santé publique. Si la France méconnait encore largement les approches thérapeutiques nouvelles basées sur la connexion avec la nature, Claude Berghmans [11] évoque la demande croissante pour les thérapies forestières, notamment en Corée et au Japon. Les « bains de forêt », qui permettent la visualisation et l’immersion dans des paysages forestiers, « consistent à utiliser les cinq sens de l’individu (la vue, l’odorat, l’ouïe, le toucher et le goût) pour découvrir la forêt, accompagnées d’activités complémentaires comme la relaxation, la méditation, des promenades et des approches thérapeutiques cognitivo-comportementales ». Ces approches pourraient être développées de manière complémentaire et lorsque cela s’avère pertinent, aux approches médicamenteuses.
Les recherches doivent néanmoins être poursuivies pour préciser les contours des prescriptions à élaborer dans ce domaine. Pour Mélanie Grin et Séverine Vuilleumier dans « Bains de forêts : la nature sur ordonnance ? » [12], « le transfert de ces résultats [i.e. effets bénéfiques des forêts] dans la pratique n’est pas simple ». En effet, « La pratique n’étant pas uniforme, il est compliqué de trouver des recommandations précises en termes de population cible, durée et fréquence d’activité, encadrement ou non par un thérapeute, etc. ». Elles mettent par ailleurs en avant un impensé des études, à savoir l’évaluation des risques de la sylvothérapie, à la fois pour la santé elle-même (exposition aux tiques ou autres insectes, risque de chute, etc.), et pour l’environnement (perturbation des écosystèmes, destruction de la biodiversité par exemple), même si ceux-ci apparaissent limités.
Une transformation sociétale apparaît incontournable pour remettre la nature au centre de nos vies
La littérature confirme l’intuition selon laquelle l’expérience de nature est bénéfique pour l’homme sur le plan de la santé mentale. Les politiques publiques doivent maintenant donner leur juste place à ses conclusions, et la recherche être approfondie sur le plan de l’application pratique.
Néanmoins, remettre la nature au cœur de nos modes de vie et changer le rapport que nous entretenons avec elle suppose vraisemblablement une profonde évolution de notre société, à l’instar de ce que l’ADEME dessine au sein de ses scénarios pour la neutralité carbone à l’horizon 2050 [13]. La nature y trouve une place sans équivoque en matière d’aménagement territorial et de planification urbaine, pour les co-bénéfices qu’elle peut apporter, notamment en matière de bien-être.
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Sources
[1] Moreau J. (2022). Les Pizzlys. Delcourt.
[2] World Health Organization. Mental Health and COVID-19 : Early evidence of the pandemic’s impact. Geneva, 2022 [en ligne] (page consultée le 22/08/2023). https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-disorders
[3] World Health Organization. Santé mentale : renforcer notre action. [en ligne] (page consultée le 22/08/2023). https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-health-strengthening-our-response
[4] World Health Organization. Troubles mentaux. [en ligne] (page consultée le 22/08/2023). https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-disorders, reprenant la source suivante : Institute of Health Metrics and Evaluation. Global Health Data Exchange (GHDx), (https://vizhub.healthdata.org/gbd-results/, consulté le 14 mai 2022)
[5] Santé publique France (2023). Étude nationale sur le bien-Être des enfants (Enabee).
[6] Lepage E. et Rocfort-Giovanni B. (2023), Enfants sous médocs. Le Nouvel Observateur n°3063 du 22 au 28 juin 2023. Reprenant le Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age.
[7] Fleury C. et Prévot A-C. (2017). Le souci de la nature. Apprendre, inventer, gouverner. CNRS Editions.
[8] Cazalis V., Loreau M. et Barragan-Jason G. (2023). A global synthesis of trends in human experience of nature. Frontiers in Ecology and the Environment.
[9] Nilsson K., Bentsen P., Grahn P., Mygind L. (2018). De quelles preuves scientifiques disposons-nous concernant les effets des forêts et des arbres sur la santé et le bien-être humains ? Revue forestière française, 2018, 70 (2-3-4), pp.379-408. 10.4267/2042/70009. hal-03447486.
[10] Vajou B. (2021). Santé mentale et expériences de nature : La construction d’une expérience de nature favorable à la santé mentale et au bien-être étude in situ des composantes comportementales, cognitives et affectives. Psychologie. Université d’Angers. Français. NNT : 2021ANGE0069. tel-03926221.
[11] Berghmans C. (2023). L’impact de l’exposition à la nature (bain de forêts) sur la santé mentale : une revue d’études contrôlées et randomisées et une analyse des processus d’action. [en ligne] (page consultée le 22/08/2023).
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001438552300083X
[12] Grin M. et Vuilleumier S. (2023). Bains de forêts : la nature sur ordonnance ? Krankenpflege | Soins infirmiers | Cure infermieristiche.
[13] Ademe (2021). Prospective – Transitions 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat.