Article de Vincent Ferrari (RSEDD 2022-23)

LES ORIGINES DE TIME FOR THE PLANET

C’est en 2018 qu’est né le projet Time for the Planet, à la fois fonds d’investissement citoyen dont le but est de lever progressivement 1Md € et première société commerciale à but non lucratif dédiée exclusivement à la lutte contre le dérèglement climatique.

Un an plus tôt Mehdi Coly, initiateur du projet et cofondateur de TFTP, se trouve aux États-Unis pour développer une start-up liée à un logiciel de référencement. Interpellé par des collapsologues qui lui expliquent qu’une croissance infinie dans un monde fini est impossible, il s’intéresse davantage à la question et décide d’agir.

De retour en France et après plusieurs lectures de Jean-Marc Jancovici ou encore Pablo Servigne, Mehdi contacte son ami de fac et ancien associé Nicolas Sabatier, avec qui il avait créé une société de colonies de vacances inclusives quelques années auparavant, qui accepte de le suivre dans ce projet un peu fou. Les deux créateurs sont  conscients de l’urgence climatique et du fait qu’il faut agir vite et fort.

Rejoints ensuite par Laurent Morel, Denis Galha Garcia, Coline Debayle et Arthur Auboeuf, ils lancent ainsi la start-up Time for the Planet en 2019 avec l’idée de prendre le meilleur de l’associatif, la cause, et le meilleur de la start-up, partir de rien et viser un impact fort .

UN MODÈLE UNIQUE DÉDIÉ A LA LUTTE CONTRE LE DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE

Time for the Planet a bientôt quatre ans d’ancienneté et compte près de 110.000 associés ou actionnaires, c’est-à-dire des personnes physiques ou morales ayant acquis au moins une action au prix fixe d’1€. Ces actionnaires peuvent donc être aussi bien des citoyens, des entreprises, ou encore des associations ou collectivités.

Depuis ses débuts, la société a déjà collecté près de 17 millions d’€, et l’objectif est de lever progressivement 100 milliards d’€ pour créer 100 entreprises engagées dans la lutte contre le réchauffement climatique en s’attaquant à ce qui a été défini comme « les 20 problèmes à résoudre ».

En effet, les enjeux de décarbonation ont été organisés autour des cinq secteurs d’activité humaine les plus émetteurs de GES (Gaz à Effet de Serre), à savoir l’énergie, l’industrie, le transport, l’agriculture et le bâtiment. Pour chaque secteur, la réduction des émissions peut s’appuyer sur diverses actions, et l’approche retient quatre leviers  principaux : l’efficacité énergétique, le zéro émission, la sobriété et la captation.

Les 20 problèmes à résoudre
Les 20 problèmes à résoudre

UN PROCESSUS D’ÉVALUATION ET DE SÉLECTION ROBUSTE

En mars 2023, plus de 1000 propositions ont été reçues, via une plateforme digitale dédiée. Chacune des propositions fait l’objet d’une évaluation par Time For The Planet qui, à l’issue de votes en Assemblée Générale, a financé en 7 innovations aux profils et impacts aussi intéressants que variés. La structure s’engage et monte au capital de ces sociétés en tant qu’actionnaire majoritaire grâce à une partie de la levée de fonds.

Ce processus de sélection s’appuie sur différentes étapes

L’évaluation des innovations se fait à trois niveaux :

  • Niveau 1 : une première sélection est assurée par des actionnaires bénévoles, qui se chargent donc d’évaluer l’adéquation entre l’innovation et les critères de sélection et la vision de Time for the Planet. La communauté d’évaluateurs, composée d’environ 7000 actionnaires bénévoles ayant suivi une formation en ligne afin de pouvoir évaluer les innovations sur la plateforme dédiée, après avoir consulté les différents documents mis à disposition par l’innovateur, en suivant une grille de 15 critères prédéfinis (exemple : « L’innovation répond-elle à au moins une des vingt problématiques ? », « L’innovation est-elle duplicable rapidement à grande échelle ? », « L’innovation est-elle compatible avec le modèle open source ? », « L’innovation peut-elle comporter des externalités négatives liées aux différentes limites planétaires ? »
  • Niveau 2 : Les innovations ayant passé cette première étape sont ensuite soumises à validation par le comité scientifique, composé de 14 personnalités du monde scientifique (CNRS, IRD, CEA, Commission Européenne…), qui étudie notamment leur faisabilité technique via et leurs externalités potentielles par l’intermédiaire, par exemple, de la méthode ACV (Analyse du Cycle de Vie).
  • Niveau 3 : Après validation scientifique et technique, les innovations sélectionnées sont soumises à validation du potentiel marché via des méthodes de growth hacking, consistant à « activer la croissance » d’une startup par un ensemble de techniques de marketing permettant d’accélérer rapidement et significativement la croissance de son chiffre d’affaires . Ce test marché est assuré par les cofondateurs de Time for the Planet qui sont accompagnés pour cela par des représentants du monde économique.

La dernière étape est la validation éthique par le comité de surveillance, issu de la communauté des actionnaires et élu en Assemblée Générale pour une durée d’un à deux ans, qui précède le vote en Assemblée Générale.

Citons par exemple « Beyond the Sea », qui ambitionne de décarboner le transport maritime en tractant les cargos à l’aide d’ailes de Kite géantes, leur permettant de réduire de 20% leur consommation de carburant,  « Léviathan Dynamics », développant une solution de climatisation industrielle à base d’eau en circuit fermé sans utiliser le moindre HFC (hydrofluorocarbure), ou encore « Carbon Time », qui propose une solution de captage et stockage du carbone grâce à l’olivine, roche composant à 80% la croûte terrestre, permettant à moyen terme de stocker des Gigatonnes de CO2.

Lutter contre le changement climatique
Lutter contre le changement climatique

UNE DÉMARCHE OPEN SOURCE A DOUBLE SENS  

Une des grandes originalité de la démarche est d’imposer pour toutes les  innovations proposées, est la modalité d’une diffusion en Open Source. Cela permet à Time for the Planet, via une licence, d’accorder gratuitement à toute société souhaitant développer les innovations financées, un droit de copier, un droit de commercialiser et un droit d’améliorer.

En retour, deux devoirs pèsent dans le modèle sur les utilisateurs de la licence à savoir (1) mettre à disposition toutes les améliorations apportées à l’innovation, et (2) transmettre annuellement à Time for the Planet les chiffres permettant de calculer les émissions de GES économisées grâce à l’utilisation de l’innovation. En effet, en cas de défaut à ces devoirs, l’utilisateur peut se voir retirer la licence avec des pénalités financières.

Ce modèle en Open Source permet donc un passage plus rapide à échelle sans remettre en cause la paternité de l’innovation, dont l’entreprise initiale en garde la propriété intellectuelle.

DES ACTIONNAIRES D’UN NOUVEAU GENRE

Une autre spécificité du modèle de Time for the Planet est la non-rémunération financière de ses actionnaires. En effet, 100% des bénéfices réalisés par les entreprises financées sont réinvestis dans d’autres innovations au lieu d’être distribués aux actionnaires via des dividendes.

De potentiels conflits d’intérêts sont évités  par ailleurs par le double niveau de validation des votes en Assemblée Générale, qui permet de donner autant de poids dans la décision finale à un citoyen actionnaire qu’à une grande entreprise. La structure fonctionne ainsi selon le modèle suivant, inscrit dans les statuts :

  1. Une action = une voix
  2. Une personne (morale ou physique) = une voix.

En revanche, Time for the Planet distribue chaque année à ses actionnaires des “Dividendes Climat”, qui mesurent et viennent attester de la contribution positive des entreprises en portefeuille à la neutralité carbone. Le Dividende Climat est un indicateur développé par l’Association Dividendes Climat, dont Time for the Planet est membre fondateur, avec l’ADEME et Sweep notamment.

Un Dividende Climat est le pendant d’un dividende financier : on mesure la création de valeur environnementale (en terme d’impact carbone) par une entreprise et on en redistribue une “preuve” à ses actionnaires (selon les mêmes règles que la distribution des dividendes financiers). Un Dividende Climat équivaut à 1tCO2 eq. évitée ou séquestrée.

Chaque actionnaire reçoit ainsi l’information de la quantité de gaz à effet de serre évité ou séquestré par les entreprises dans lesquelles il a investi. C’est une donnée extra financière et non un actif financier. Les Dividendes Climat ne peuvent pas être vendus ou transférés. Ils permettent de mettre en évidence une contribution à la neutralité carbone mais ne rentrent pas dans une logique de compensation (ou *offsetting*) : ils ne doivent être ni additionnés avec les crédits carbone, ni soustraits d’un bilan carbone (ni de l’entreprise émettrice ni de l’investisseur qui les récupère). L’explication du concept, les règles d’émission et de distribution ainsi que la méthodologie d’évaluation d’impact sont définis dans un protocole accessible sur le site climate-dividends.com

Les Dividendes Climat ont pour objectif de devenir un outil utilisé par les institutions et standards internationaux pour fixer des règles et incitations. Il est déjà possible de reporter les Dividendes Climat dans la Net Zero Initiative de Carbone4 (pilier 2Bis) ou dans ACT for Finance et des discussions sont en cours avec d’autres organismes comme le CDP (Carbone Disclosure Project).

Lutter contre le changement climatique
Lutter contre le changement climatique

UN NÉCESSAIRE PASSAGE A L’ÉCHELLE

Avec plus de 100 000 actionnaires, près de 17M € levés et 7 innovations financées en seulement 3 ans, une belle marche a été franchie et le modèle a prouvé sa pertinence en France.

Mais le chemin est encore long pour que Time for the Planet, qui compte aujourd’hui 10 salariés mais peut s’appuyer sur une communauté de milliers de bénévoles engagés, puisse passer à une autre échelle et devenir un acteur à impact mondial. En effet, 95% des actionnaires se trouvent en France et le panier d’actions moyen est de l’ordre de 150€.

La phase d’internationalisation de Time for the Planet sera donc cruciale pour lui permettre d’atteindre ses objectifs et mener à bien sa mission, raison pour laquelle une personne chargée de l’internationalisation a récemment été recrutée.

Par ailleurs, augmenter le ticket moyen et accélérer la levée de fonds signifie évidemment attirer de plus gros investisseurs (grandes entreprises, Family office, grands mécènes…), qui peut poser le problème du temps plus long sachant qu’à ces niveaux il se passe en moyenne 12 à 18 mois entre la prise de contact et la décision d’investissement. Là encore, deux Directrices Grands Investisseurs ont été recrutées pour accélérer sur cette partie.

La mise en œuvre efficace de ces deux derniers points dans un délai relativement court sera déterminante car le réchauffement climatique, lui, n’attend pas…

CONCLUSION

Il semblerait donc que Time for the Planet soit en passe de devenir un, mais pas l’unique, outil puissant et efficace dans la lutte contre les émissions de Gaz à Effet de Serre, en se concentrant sur une des limites planétaires que sont le cycle du carbone et les émissions de GES, son cheval de bataille, tout en essayant de prendre en compte des externalités négatives en s’appuyant sur un comité scientifique et l’utilisation de la méthode ACV.

Mais la start-up va-t-elle permettre de changer la donne au niveau mondial ? L’avenir nous le dira, mais gardons toujours en tête cette citation de Margaret Mead : « Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus conscients et engagés puisse changer le monde. En fait c’est toujours ainsi que cela se produit. »

 

 

Sources

 

https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/10/27/time-for-the-planet-une-start-up-climatique-qui-seduit-les-jeunes-et-veut-lever-1-milliard-d-euros-d-ici-2030_6147516_4401467.html

https://www.join-time.com/fr

https://www.environnement-magazine.fr/cleantech/article/2021/12/17/137458/time-for-the-planet-devoile-trois-innovations-pour-climat

https://www.20minutes.fr/planete/2936563-20201222-comment-marche-time-for-the-planet-fonds-investissement-citoyen-oeuvre-climat

 

Annexe

 

Pour aller plus loin sur les Dividendes Climat

https://www.youtube.com/watch?v=aG32cKPQfP4

https://www.reverlesfuturs.com/blog/climate-dividends-creation-dun-standard-pour-decarboner-leconomie/

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