Article de Bertrand Baret (RSEDD 2022-23)
Pour une exploration de la nature citoyenne et responsable
Introduction
Le chasseur de papillons, c’est un peu nous tous qui avons observé la nature avec nos yeux d’enfants : chasse aux papillons, cueillette de fleurs, collection de cailloux, mini-barrages sur les cours d’eaux de montagne, etc.
Pour ma part, je pense avoir commencé à développer mon engagement environnemental par les chasses aux papillons et insectes de mon enfance pendant les vacances, en Ariège, en famille. Le respect de la législation et le sens des responsabilités ont mis fin à nos captures et épinglages, puis le développement de la photo numérique a remplacé la chasse réelle en chasse photographique occasionnelle. Cependant, l’étape initiale constitue un point de comparaison de dynamiques de biodiversité locale sur quelques années. Nous avons aussi appris à ne pas craindre démesurément les petites bêtes qui nous entourent.
Je pourrai généraliser mon cas sans problème ; nos observations, aussi ténues soient-elles, nous construisent en tant que futurs citoyens respectueux de notre environnement.
Le passage à l’âge adulte tend pourtant à regarder de haut cette période, et les injonctions sociales ou sécuritaires réfrènent la curiosité des enfants et les passe-temps des adultes par peur, ou par volonté de ne pas perturber l’environnement.
C’est là que réside le paradoxe : il semble que nous devons « déranger », « nous approprier » la nature, pour mieux la connaître et la respecter, et surtout, mieux mesurer nos impacts sur elle. On retrouve ailleurs l’expression de ce « paradoxe du chasseur de papillons » ou « paradoxe du savant » [1].
Nous devrions donc encourager l’observation de la nature pour le plus grand nombre. Comme évoqué, cela semble cohérent pour mieux la respecter, et à plus grande échelle, de mener des politiques environnementales adaptées et acceptées. L’humain sera ainsi moins cet « agent de destruction » qu’il est devenu.
N’est-il pas vrai en effet que le climatoscepticisme se nourrit d’une ignorance des phénomènes physiques, des échelles de temps géologiques, de comportement des espèces animales face au climat, local ou global, de leur dynamique démographique, que des observations voire des prélèvements de terrain peuvent aider à combattre, parfois plus que des livres ?
N’est-il pas visible que certaines phobies des insectes, araignées, etc. soient liées à l’ignorance, elle-même due à l’éloignement entre l’humain et la nature ? Les comportements destructeurs qui en résultent ont peut-être une part dans la crise de biodiversité qui touche les insectes.
Car cela va plus loin que les seuls actes individuels, des politiques entières étant basées sur la destruction d’animaux jugés nuisibles, et pourtant potentiellement utiles ; citons par exemple le cas du renard : sa mauvaise réputation historique se voit remise en cause par de nouveaux éléments concernant son utilité contre la propagation de la maladie de Lyme [2]. Dans la lignée de cet exemple, on peut aussi remettre en cause tout le processus d’éradication totale des grands prédateurs en Europe Occidentale (ours et loups).
De la nécessité des prélèvements naturels dans le cadre scientifique
Pourtant l’observation est en elle-même une perturbation, et ce d’autant plus qu’elle est pratiquée « en grand nombre ». Même un simple randonneur, participe par son piétinement, sa présence plus ou moins bruyante, à un dérangement et une destruction d’habitat naturel (le nombre de pratiquants étant bien sûr un facteur aggravant).
L’observation est une étape de base dans toute science. Pour les sciences naturelles, les biologistes et naturalistes utilisaient et utilisent encore des méthodes contre lesquelles s’élèvent d’autres défenseurs de la nature ou de la cause animale.
On peut penser bien sûr aux animaux de laboratoire, mais les prélèvements d’animaux pour besoins scientifiques se font aussi sur la base de captures et d’équipage de balise qui peuvent être traumatisants pour les oiseaux.
Depuis les pionniers des sciences naturelles, les pratiques évoluent cependant vers une prise en compte et une diminution des nuisances. Mais en aucun cas la recherche scientifique ne sera « indolore » pour son objet d’étude, même si c’est pour la bonne cause.
De la nécessaire démocratisation de la science et son appropriation par le citoyen
Au-delà de la construction de la connaissance par les scientifiques, comment le plus grand nombre peut-il avoir accès à cette connaissance, alors qu’il n’est pas forcément armé pour lire toutes les connaissances déjà acquises (et cela peut être décourageant) ? Il est bien clair que la pratique et l’observation sur le terrain sont essentielles. Tous les humains n’apprennent pas de la même manière.
On en vient donc à l’époque encore assez récente où les naturalistes amateurs et gens ordinaires faisaient eux-mêmes des prélèvements.
Puis des associations se sont constituées, et leur rôle est de transmettre du savoir, de faire de la « vulgarisation » et de la sensibilisation.
Des abus, inévitables, du fait du nombre d’adeptes de ces pratiques (même dans le cadre d’une pratique individuelle raisonnable) font que des lois ont été édictées, pour protéger les espèces menacées, notamment.
Mais il faut ici signaler l’apport inestimable (au sens propre : on ne peut pas mesurer son impact positif ou négatif) des naturalistes amateurs de vouloir connaître par eux-mêmes, et faire connaître autour d’eux, même avec un bagage théorique minimal, la biodiversité, la géologie, la paléontologie…
Comme pour les scientifiques, les « citoyens naturalistes » bien accompagnés peuvent apprendre à minimiser leur impact sur leur sujet d’étude tout en augmentant la production de connaissances (pour eux-mêmes) et la propagation de ces connaissances pour la société.
Que ce soit à l’échelle du scientifique ou du citoyen, on peut donc répéter ici l’expression de ce paradoxe qui est que le dérangement à petite échelle de la nature est pratiquement nécessaire pour appréhender et respecter à plus grande échelle cette même nature. L’analyse destructive pour les besoins de la connaissance fut aussi nécessaire, mais elle ne l’est a priori plus autant. Il faut accompagner les personnes tendant vers ce type de comportements afin de développer des pratiques vertueuses.
De la nécessaire législation, à sa nécessaire réponse adaptative
La collecte d’animaux tués pour des collections naturalistes est pénalisée, surtout dans le cas des espèces protégées. Cela semble nécessaire, désormais (à l’heure où les appareils photos permettent des miracles et de « chasser » sans tuer), même si les peines sont faibles et que des contreparties positives pour la société existent (collections récupérées par les musées) [3].
Pour aller plus loin, on pourrait imaginer que la chasse au gibier soit remplacée par une chasse plus acceptable socialement, par exemple également plus orientée vers l’observation photographique, mais la puissance du lobby de la chasse fait reculer bien des initiatives gouvernementales.
Concernant les collections qui ne sont pas des espèces vivantes (par exemple minérales et paléontologiques), la législation se durcit aussi peu à peu, mais ne serait-ce pas trop au détriment de la recherche de la connaissance ?
Le cas de la géologie/paléontologie
Il faut ici distinguer ce qui relève de la destruction de l’environnement, et ce qui relève de la protection des personnes. Par exemple, les prélèvements géologiques ou fossiles sur des falaises sont à juste titre très souvent interdits pour des questions de sécurité. Quoique l’on pourrait toujours se demander si la paléontologie et donc notre connaissance des crises de biodiversité passées et de leurs causes, serait aussi avancée, si Mary Anning (chasseuse de fossiles autodidacte) ou d’autres de ses contemporains avaient attendu que ses plésiosaures soient disloqués et rendus méconnaissables par l’érosion, pour ne pas se mettre en danger (il est éclairant de lire le roman inspiré de sa vie, par Tracy Chevalier [4]).
Notre propre émerveillement et donc notre capacité à nous émouvoir de notre impact et à agir à ce sujet sont aussi en jeu. La défiance envers le pouvoir « qui veut tout interdire », et qui grandit partout dans le monde, génère frustration et développement de théories complotistes. Comment démocratiser la science si même le « bas de gamme » (ramassage de cailloux par exemple, très bonne porte d’entrée pour les enfants) est inaccessible au citoyen qui en voudrait « sa » part ? La notion de propriété de la découverte sur un espace public naturel est d’ailleurs ici centrale et pourrait être développée ; elle rejoint partiellement la notion de gratuité des ressources naturelles, lorsque l’exploitation de ces ressources est privée et commerciale.
Pour le ramassage de cailloux par exemple, il a été interdit dans certains sites très courus comme Étretat, avec comme argument que cette érosion humaine supplémentaire détériorerait la côte. Or cette contribution de l’érosion humaine est dérisoire par rapport à l’érosion naturelle, la seule érosion humaine réellement impactante étant celle réalisée à échelle industrielle [5] ; bref, le risque environnemental du ramassage étant négligeable, et des bénéfices pouvant en être tirés, cette interdiction pourrait être revue..
Il faut aussi distinguer ce qui relève du trafic et de pratiques commerciales douteuses, dans le but de s’enrichir. Bien sûr les comportements excessifs sont condamnables, et les pratiques d’extractions ainsi que les prix pratiqués sont parfois plus que questionnables, sachant que trop peu de contreparties autres que commerciales en découlent (le « boom » des « lithothérapies », qui vient parasiter la connaissance scientifique, est ici à souligner).
Les extensions des interdictions pour le ramassage personnel se multiplient. Un projet de réserve naturelle nationale (RNN) incluant l’interdiction du simple ramassage de fossiles (déjà tombés en bas des falaises) notamment sur le site très connu des Vaches Noires en Normandie [6]. Ces interdictions sont mal acceptées par les naturalistes amateurs, et même de nombreux scientifiques les condamnent, car ils savent l’importance des trouvailles fortuites des amateurs dans la construction de la connaissance [7] !
On trouve pourtant des initiatives intéressantes, en France, comme la carrière-musée des Faluns de Touraine [8]. Cette région est riche en fossiles, et une ancienne carrière a été rendue accessible au public pour montrer les évolutions de la faune et de la flore liées aux variations de niveau de la mer au cours des 40 derniers millions d’années. Un espace de fouilles autorisées est dédié aux prélèvements « raisonnables » des visiteurs, au sein même d’une zone naturelle protégée. Des panneaux explicatifs agrémentent la visite et les fouilles.
La carrière-musée de Channay-Sur-Lathan et ce que l’on peut y trouver (dent de requin dans un ensemble de détritus fossiles.)
Mais cet exemple est bien isolé en France dans un contexte où il semble que de plus en plus de sites français publics choisissent au contraire la fermeture à toute prospection amatrice.
Dans d’autres pays, la politique est plus libérale et « co-construite ». Au Royaume-Uni, dans la région d’origine de Mary Anning, « symétrique » des Vaches Noires par rapport à la Manche, les fouilles amateurs sont beaucoup plus encouragées (Charmouth Heritage Coast Center) [9].
Encore une fois, la volonté politique peut parfois faire évoluer les choses en bonne intelligence entre amateurs, scientifiques, et autorités.
Pour le site des Vaches Noires, l’objectif commun serait la « préservation du patrimoine géologique et paléontologique ». La nuance est que pour les minéraux et fossiles la préservation passerait par le prélèvement (L’érosion, toute naturelle soit-elle, est un danger pour ces morceaux de notre patrimoine !).
Il faudrait donc développer la présence des associations,informer le grand public de leurs actions, et étendre la possibilité d’obtenir des autorisations d’observation, de prélèvements plus facilement [10].
De la responsabilisation des amateurs
Dans un monde parfait, les amateurs seraient complètement informés et responsables, du point de vue de la sécurité, du respect des lieux visités et de l’objectif de leurs fouilles (lucratif ou non) et il n’y aurait aucun besoin de légiférer. La pédagogie, la législation et la répression aident à faire diminuer les comportements non désirables, mais ces derniers existeront toujours.
De nos jours, que doit donc faire le naturaliste amateur, enfant ou adulte, qu’il ait une vocation ou qu’il s’ignore ?
La recherche personnelle n’est pas totalement interdite mais la responsabilisation doit l’accompagner. Un objectif pourrait être de se rapprocher d’associations, ces mêmes associations devant être en lien avec les professionnels et scientifiques. Il faut aussi continuer à encourager les initiatives, publiques et privées, visant à rendre accessibles et compréhensibles les bases de l’observation naturaliste. L’argent public n’étant pas une manne suffisante, des initiatives privées font le boulot (musées privés, sites de fouilles payants). Des projets de carrières ouvertes au public, qui mêlent même parfois exploitation commerciale et fouilles pour les curieux, existent [11]. Attention cependant à ce que le privé ne devienne pas la règle générale, la connaissance étant un bien commun !
Des outils modernes sont aussi là pour accompagner le néophyte sur le chemin de la connaissance. Réseaux sociaux (il existe des groupes spécialisés sur Facebook, par exemple « Naturalistes de France »), initiatives de comptage participatif d’oiseaux ou d’insectes (Vigie nature [12]), musées plus interactifs (malgré le manque de moyens et/ou la réduction d’effectifs en médiateurs scientifiques, que ne remplaceront jamais vraiment les écrans, voir par exemple la situation au MNHN [13]).
Mais l’objectif de la découverte fortuite d’un trésor fossile ou géologique, d’une nouvelle espèce vivante, ou de la constitution d’une collection qui apporte gloire (et richesse) à son découvreur ne devrait-il pas être limité au domaine du rêve, sa réalisation et les moyens d’y arriver étant trop susceptible de mener à des abus ?
Il faut aussi des politiques environnementales cohérentes et acceptables pour que la science fasse avancer tout le monde dans le même sens. Tout interdire et sanctionner ne sera pas une solution.
Bibliographie
[1] https://lettresquebecoises.qc.ca/fr/article-de-la-revue/le-paradoxe-du-savant
[2] https://www.fondationbiodiversite.fr/communique/renard-et-risuqe-transmission-maladie-de-lyme/
[4] Tracy Chevalier, Prodigieuses créatures
[5] https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/erosion-littorale.xml
[8] https://espacesnaturels.touraine.fr/carriere-musee.html
[10] https://www.smiril.fr/ensemble-a-la-chasse-aux-papillons/
[11] https://cominauv.fr/visit/
[12] https://www.vigienature.fr/
[13] https://reporterre.net/Personnel-en-voie-d-extinction-greve-illimitee-au-Museum