Article de Karine Girard et Magda Wozniak (RSEDD 2019)
A la lecture du livre “Le plus grand défi de l’Histoire de l’humanité” d’Aurélien Barrau et de celui de Sébastien Bohler “Le bug humain : pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher”, nous faisons le constat que, pilotés par le plaisir que nous procurent nos décisions et nos actes, nous avons construit un système de valeurs que nous nourrissons à tout prix mais qui nous a poussés à en oublier la Nature. Se pose maintenant la question de, comment utiliser ce constat pour infléchir profondément nos comportements de façon durable et ainsi revenir aux indispensables à notre survie.
Un peu de hauteur
Progressivement, depuis notre apparition sur Terre, en recherchant les outils pour faciliter notre survie, nous nous sommes écartés de la Nature, pourtant indispensable à notre vie, afin de nous rapprocher de l’immédiateté, du “toujours plus”. Ce comportement du “toujours plus” a eu pour conséquence pendant longtemps la réduction des inégalités sociales, l’augmentation de notre espérance de vie… Mais voilà, depuis l’ère industrielle, l’essor exponentiel des machines-outils et la croissance de la population mondiale, nous détruisons inexorablement notre maison Terre. Si ces machines-outils ont été synonymes de promesse de progrès, il semble que nous soyons passés à côté d’un autre message, celui d’une vraie guerre des mondes entre les Hommes et la biodiversité ; guerre que nous risquons d’ailleurs de perdre.
Notre petite entreprise humaine ne connaît pas la crise
Cette entreprise de destruction de la diversité naturelle dans laquelle l’Homme s’est engagé depuis le milieu du XIXème siècle, Darwin l’avait déjà compris. Il comparait à son époque cette destruction à celle des populations humaines confrontées à l’expansion planétaire de la société occidentale. Dans le dernier chapitre de son “Voyage d’un naturaliste autour du monde” publié en 1839 où il évoque ses impressions en Australie et en Tasmanie, Charles Darwin perçoit déjà les difficultés que cette île-continent risque de connaître si son exploitation se poursuit selon les mêmes modalités : il y décrit la misère et la déchéance des aborigènes obligés d’aller toujours plus loin vers les terres centrales, plus inhospitalières, pour traquer un gibier qui se raréfiait déjà (émeus et kangourous). Il remarque également que les espèces invasives apportées par les colons provoquent de formidables déséquilibres écologiques – moutons, lapins, chevaux, boeufs, dromadaires, etc. – tandis que les derniers loups marsupiaux, les thylacines sont impitoyablement éliminés. A ce sujet, il souligne également la piètre qualité des sols et les sécheresses déjà en cours qui ne permettent pas l’expansion d’une agriculture intensive et pourtant… Un siècle et demi plus tard, l’un des pays les plus créationnistes et les plus actifs dans les croisades anti darwiniennes, et qui pour les mêmes raisons, a ratifié les accords de Kyoto près de 10 ans après qu’ils soient entrés en vigueur, subit un véritable désastre écologique à l’échelle de son territoire, ravagé par des sécheresses intenses, d’immense incendies et des sols de plus en plus salinisés à cause de pratiques agraires inadaptées. Les avertissements de Darwin n’ont tout simplement pas été entendus, même dans un pays dont l’une des plus belles villes porte son nom.
L’effet papillon humain
Au fil de ses réflexions, Charles Darwin continuait de s’interroger sur la cause de cette destruction planétaire, cette fois-ci à l’échelle de la planète : l’Homme. Et c’est certainement l’une des toutes premières fois que cette hypothèse est suggérée. Il soulignait déjà à l’époque, une idée mal comprise, à savoir que les petites variations, les petites activités finissent par avoir des conséquences considérables sur l’histoire de la vie et de la Terre : ce fameux mode de vie productiviste et consumériste inventé de son temps mais qui s’avérera non supportable à l’échelle planétaire, provoqua la destruction des écosystèmes et la 6ème extinction (après celles des autres hominidés africains) par un groupe restreint (les Hommes, homo sapiens) capables de s’implanter dans tous les systèmes écologiques et sous des latitudes et des longitudes toujours plus hautes. Rappelons tout de même que les prémices de la révolution industrielle remontent à l’usage des machines mues par des forces naturelles comme le vent et surtout l’eau, grâce à toutes sortes de moulins, mais aussi à des animaux. Pourtant, la vraie révolution industrielle, celle qui nous amène au dramatique constat actuel, a bien pris son essor du temps de Charles Darwin avec l’exploitation de nouvelles ressources d’énergie pour activer les machines : le charbon et la vapeur, avec la construction de canaux pour transporter de grandes quantités de matières premières (bois, charbon, minerais, etc.).
Depuis cette Révolution industrielle, l’Homme a pris conscience de l’impact de ses activités : cette prise de conscience de plus en plus importante monte au cours des années 1960 avec la création de la Liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale de la conservation de la nature (UICN) sous l’égide de l’ONU : liste qui n’a d’ailleurs cessé de s’allonger depuis. En effet, depuis l’époque de Darwin, des dizaines d’espèces de mammifères et d’oiseaux ont disparu ; Aurélien Barrau en fait d’ailleurs l’écho dans son livre susmentionné. L’un des cas les plus brutaux est celui de la rhytine de Steller, une énorme vache de mer, découverte en 1741 autour du détroit de Béring et décimée pour leur viande par les marins au début du XIXème siècle. Darwin, toujours dans l’ouvrage susmentionné, raconte son dépit quand il s’aperçoit que les grandes tortues des Galapagos embarquées sur le Beagle étaient passées à la casserole (de nos jours, ces mêmes tortues géantes sont menacées comme jamais). On peut raconter une histoire similaire concernant les dodos de l’île Maurice dont les dernières observations d’individus vivants datent de la fin du XVIIème siècle avec pour cause de leur disparition : la chasse, la déforestation et les désastres dus à des animaux introduits comme les rats, les chats et les cochons, macaques… Depuis, la liste rouge de l’UICN expose la situation de 28 338 espèces menacées d’extinction sur 105 732 espèces évaluées, dont malheureusement, 4 espèces de grands singes sur 6 classées en danger critique d’extinction.
Aujourd’hui, ce taux d’extinction des espèces est de 1000 à 100 000 fois plus élevé que ceux du passé et aucune météorite, aucun épisode volcanique majeur, aucun changement de courant océanique de grande ampleur n’est intervenu depuis 10 000 ans.
Puis l’extinction de l’Holocène
L’Holocène, notre époque géologique qui débute il y a 12 000 ans, reste une période calme sur le plan géologique et climatique depuis la dernière glaciation et ne connaît pas d’extinction jusqu’à une période récente. Le seul facteur nouveau : nous ! Nous en surnombre. Nous, qui continuons d’éliminer les espèces les plus proches de nous en terme de parenté, de taille et d’apparition dans l’histoire de la vie. En détruisant cette biodiversité à grands pas, c’est l’ensemble de la diversité des gènes, des interactions, des individus et des populations des espèces qui constituent un écosystème que nous déstabilisons. Par conséquent, l’Homme niant cette coévolution (changements biologiques d’une espèce en relation avec d’autres), vit dans l’illusion de ne pas avoir besoin des autres espèces pour survivre. En effet, une espèce n’évolue absolument pas seule, mais bien selon un tissu d’interactions qui passent par toutes les formes de compétition, d’entraide, de parasitisme, de mutualisme, de prédation, etc. Un système écologique est donc stable, uniquement s’il reste dans une situation d’équilibre dynamique. Dynamique que nous avons considérablement abîmée en érodant la diversité domestique, entre autres, par les peuples agriculteurs, sous l’effet de chocs culturels et de nouvelles pratiques agricoles (nuisant ainsi violemment à la richesse nécessaire à notre vie) imposées pour répondre, entre autres, aux enjeux récents liés à la surpopulation mondiale, aux grandes entreprises (dont celles agroalimentaires) ou aux politiques des agences internationales au nom d’un développement devenu insupportable pour la planète Terre. D’ailleurs, nous devrions être vent debout contre toute politique agricole qui tend à réduire la diversité des variétés et donc des savoirs car cette réduction ne constitue rien de moins qu’une atteinte à nos possibilités de nous adapter aux changements en cours et de mettre un terme brutal à l’Anthropocène (nouvelle ère géologique popularisée par le chimiste Prix Nobel Paul J.Crutzen). En effet, la plus grande diversité des bactéries, de champignons et de micro-organismes se trouve dans la couche supérieure de 30 centimètres de la surface des sols : pas moins de 80% de toute la biodiversité ! Pour exemple : 1 hectare de prairie capture autant de CO2 que la même superficie de forêt : ceci, bien évidemment, à condition que les 10 millions de vers de terre qu’il contient, puissent mener leur activité de jardinier en remuant ladite prairie.
Pour résumer, d’abord une première phase ou Préhistoire, la plus longue, influencée par les facteurs de sélection naturelle ; une deuxième phase avec des facteurs de co évolution biologique ; enfin, la phase actuelle amorcée depuis la Révolution industrielle, avec une accélération foudroyante associée à la mondialisation et à l’accroissement démographique. A quand l’âge de l’empathie pour protéger nos générations futures ?
Un clic, zéro fatigue
Les dernières avancées en neurosciences ont permis d’établir que l’ensemble de nos comportements est régi par le circuit de la récompense ; lui-même piloté par le striatum.
Ce striatum, organe super perfectionné, permet de nous mettre en action pour vivre, manger, bouger : c’est notre moteur ! Sans lui, tout individu perdrait sa capacité à s’auto-activer.
A contrario, il est aussi celui qui nous conduit pas-à-pas vers une société qui compromet notre survie. Ce striatum irrigue et contrôle l’ensemble du cortex, sphère de la réflexion, de la coordination, de la coopération et de la planification, qui d’ailleurs nous permet, d’imaginer et de construire cet outillage rendant de plus en plus aisé la réalisation de 5 objectifs visés par le striatum. Notre cortex est donc au service du striatum !
En d’autres termes, le striatum pilote nos actions, nos décisions pour répondre à nos 5 besoins primaires : manger, nous reproduire, faire le moindre effort, glaner un maximum d’informations sur notre environnement et acquérir du pouvoir. Il évalue en permanence l’effort à accomplir et nous pousse à choisir la solution du moindre effort. Ce striatum en veut toujours plus et est incapable de reporter le plaisir car il vit dans l’absolue immédiateté : nous préférons un petit plaisir immédiat et proche qu’un plaisir à long terme.
Chaque fois que nous répondons positivement à chacun de ces 5 besoins, une décharge de dopamine provoque chez nous un sentiment de plaisir. C’est le circuit de la récompense. Tous les vertébrés ont ce même fonctionnement depuis leur apparition sur Terre. Chaque fois que notre cortex conçoit un “outillage” facilitant l’atteinte de ces 5 objectifs, sans le moindre effort, le striatum est à son comble !
C’est ainsi que progressivement, l’Homme s’est doté d’un système lui offrant toujours plus que ce dont il a besoin, toujours plus facilement et toujours plus rapidement ! La construction d’outils pour répondre à nos besoins vitaux a ainsi été progressivement remplacée par celle d’outils répondant à une abondance superflue.
Les sociétés actuelles sont bâties sur ce mode de fonctionnement. Après la Seconde guerre mondiale, le PIB est devenu l’indicateur majeur de nos sociétés, le faire croître était (et est toujours) l’objectif de tous ! Dans son livre “Sortir de la croissance”, Eloi Laurent analyse le caractère désormais obsolète de cet indicateur (sous l’angle économique et social) ; il nous explique en quoi chercher à réduire les déficits publics et rechercher la croissance du PIB nous éloigne du bien-être et de la soutenabilité. Il devient maintenant obligatoire de sortir de ce règne, pour notamment intégrer dans le processus décisionnel le plus important, le processus budgétaire, davantage de dimensions incontournables à notre bien-être que sont l’égalité, la soutenabilité et la responsabilité globale.
Par ce mécanisme de récompense physiologique, l’être humain a basculé en quelques dizaines d’années, dans le monde du trop, de la vitesse, du toujours plus (plus d’argent, plus de réussite, plus, plus, plus…), avec toujours ce souhait du moindre effort. Notre cortex s’en trouve maintenant surentraîné pour fournir toujours plus de plaisirs de base à notre Striatum ! Jean-Jacques Rousseau disait déjà “Il est inconcevable à quel point l’Homme est naturellement paresseux”. Nous savons depuis, qu’il est difficile de sortir de ce mécanisme fondamental qu’est le circuit de la récompense, à moins de trouver d’autres sources de plaisir : celui durable pour notre société et notre survie ?
Patience et effort…
Désormais, tout ce que nous devons faire pour sortir de l’extinction de l’Holocène, doit servir la durabilité (de notre espèce, via celle de la Nature). Eloi Laurent, dans ledit ouvrage, souligne que les actions de transformation doivent s’inscrire à tous les niveaux (national, territorial, mais également dans les entreprises). Nous nous demandons alors ici en quoi l’action collective doit s’appuyer sur des changements de comportements individuels, acquis dès le plus jeune âge, et le rôle que l’éducation peut jouer.
Analysons quelques-uns de nos habitudes et réflexes actuels pour identifier les comportements opposés afin de comprendre rapidement comment les faire évoluer :
- Vouloir toujours plus versus savoir se contenter, profiter de peu ou de moins.
- Vouloir tout immédiatement et sans se fatiguer versus oublier l’immédiateté, retrouver le sens de l’effort, retrouver l’envie de se surpasser, savoir se priver pour son bien-être durable et celui des autres.
- Surexploiter la nature sans limite versus l’utiliser raisonnablement, justement pour prendre conscience du lien fort qui unit l’humain et la Nature, et du fait que nous sommes le maillon le plus impactant, capable de choix complexes, à la différence des autres êtres vivants. Nos choix peuvent donc être nuisibles s’ils sont pilotés par les mauvaises raisons.
Pour la grande majorité des Hommes, notre vie s’appuie sur des plaisirs immédiats (bien manger et beaucoup, s’amuser, se divertir, se commander pour le soir même le dernier T-shirt en vogue, …). La majorité ne sait plus prendre plaisir lors d’activités telles que : apprendre-découvrir, lire-s’évader par l’esprit, prendre soin de ses proches, partager, se promener dans la campagne… Notre humanité n’a-t-elle plus suffisamment conscience de ces plaisirs ?
Ceci présenté, et partant des enseignements des neurosciences décrits dans le “Le bug humain (…)”, on peut d’ores et déjà se demander en quoi l’éducation des jeunes enfants peut influencer massivement et durablement nos comportements et notre société actuelle et future.
… mais surtout encouragement et plaisir!
La question que nous nous posons maintenant concerne l’évolution des apprentissages pour infléchir certains comportements, et accélérer les changements de systèmes de valeur auprès des plus jeunes car le temps nous manque pour répondre au défi écologique actuel.
L’une des premières difficultés est de toucher tous les enfants (quel que soit leur milieu social, leurs capacités intellectuelles, leurs centres d’intérêts, …) pour les engager tous dans un changement de valeurs communes. Comme nous l’avons vu, le mécanisme du plaisir est commun à tous ; il s’agit donc de l’utiliser pour transmettre facilement et le plus rapidement possible les valeurs à respecter pour le bien-être durable de tous. Stanislas Dehaene, dans son article “Il y a urgence à développer le plaisir à l’école”. se pose d’ailleurs la question de savoir s’il y a un levier majeur pour y parvenir. Si tel était le cas, une fois adulte, ces valeurs seraient les valeurs de référence et produiraient le plaisir recherché à tout individu agissant selon ce nouveau schéma. Les matières enseignées seraient utilisées à d’autres fins que celles poursuivies actuellement (rendement, immédiateté, facilité), que ce soit à titre personnel ou professionnel. Notre objectif ne serait plus de faire croître l’économie mais d’assurer le bien-être des citoyens tout en protégeant leur environnement. Nous ne chercherions plus l’élévation de notre statut social, ni la reconnaissance au travers de notre contribution à la rentabilité économique de notre entreprise, mais en assurant sa rentabilité juste et profitable pour tous.
Les modes d’enseignement doivent donc procurer du plaisir. Plus les enfants prendront plaisir, plus ils apprendront facilement et voudront apprendre davantage, que cela concerne de nouvelles valeurs ou les enseignements. S’ils prennent plaisir en partageant dès le plus jeune âge, ils partageront toute leur vie ; s’ils apprennent à protéger ou à s’occuper de la nature avec plaisir dès leur plus jeune âge, ils protègeront la nature durant toute leur existence.
En conduite du changement, si 10 à 30% des acteurs sont convaincus par le changement à opérer, le changement est gagné. Est-ce vrai dans notre cas ? Si 10 à 30% d’une tranche d’âge est “convertie” à des nouveaux schémas de valeur, à prendre plaisir autrement, alors est- ce-que ce sera gagné pour tout le monde ?
C’est au plus jeune âge que nous acceptons le plus facilement de nouveaux réflexes et des schémas de valeur différents : il est démontré que l’esprit est alors très malléable. Aussi, les méthodes employées doivent-elles donner envie d’apprendre et redonner du sens. La réussite est source de plaisir. Si un enfant réussit son apprentissage, alors il finira par aimer apprendre. Tous les enfants n’ont pas les mêmes mécanismes d’apprentissage; pour certains, passer par le concret, l’utilité d’un concept est nécessaire, pour d’autres, une explication différente sera plus adaptée. Il semble donc important, pour engager TOUS les enfants, de ne pas se focaliser sur des méthodes pédagogiques trop standardisés. Il est par ailleurs primordial d’apprendre la curiosité, et de faire prendre plaisir à découvrir. Si l’enfant prend plaisir à apprendre et prend plaisir à découvrir, il cherchera à le faire une fois adulte.
L’enfance est le berceau de l’immédiateté, il est donc important de récompenser immédiatement l’apprentissage ou la curiosité ; notre striatum en redemandera davantage ! Apprendre en s’amusant via le jeu, le rire, l’affection, la reconnaissance, … et récompenser l’apprentissage en lui-même plutôt que le fait de savoir. Ne pas sanctionner, mais plutôt encourager.
L’école devrait donc se baser sur la tolérance et le droit à l’erreur : dans l’inconscient collectif des élèves, des points sont perdus à chaque erreur faite. Ils partent de 20. Ils ne gagnent pas de points à chaque réussite en partant de 0. les appréciations portent trop souvent sur les erreurs et non sur ce qui a été fait correctement. Et si le travail est bien fait, le commentaire est souvent insipide (Bien, Très bien…) et source de déception pour celui qui a réussi ! Il est nécessaire d’inverser cette manière de penser, à l’instar des pays anglo-saxons. En outre, dans le monde professionnel, un bon manager est celui qui appuie sur les points forts et accompagne les points d’amélioration de ses collaborateurs ! Pourquoi ne le fait-on pas avec les plus jeunes ?
Dans “Quelle école voulons-nous ?”, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale et Edgar Morin défendent une école de la confiance : selon eux, encourager et récompenser, s’appuyer sur les points positifs et forts mettent en confiance et procurent du plaisir !
Le plaisir d’aimer les autres et la nature
Pour aller plus loin, les enseignements doivent également transmettre des valeurs fondamentales pour le bien-être durable de chacun et de tous. L’objectif majeur est de faire comprendre que la vie et le bien-être sont bien plus importants que l’argent, même si dans nos sociétés, il est (malheureusement) nécessaire. La vie a une valeur supérieure à l’argent : l’argent ne doit plus avoir sa part dans l’environnement scolaire. Se pose par exemple ici la question du port de l’uniforme, permettant de lisser les inégalités véhiculées par la tenue vestimentaire. Dans de nombreux pays étrangers, il n’est pas un problème, au contraire ; l’uniforme doit être vu comme le symbole d’appartenance à un établissement. Il doit être porté avec fierté et plaisir, doit représenter le sérieux attendu lorsque l’on pénètre dans l’enceinte d’un établissement scolaire. Un simple tablier ne porte pas ces valeurs.
Inscrire dès le plus jeune âge et de façon très régulière à l’école, les réflexes de partage et le sens de l’intérêt général semble aussi important : des actions solidaires, le partage des problèmes, l’intelligence collective pour les résoudre ensemble, l’entraide scolaire, des travaux de groupe pour se détacher de l’action individuelle, pour apprendre à agir pour le groupe, puis pour l’humanité toute entière. Retrouver le plaisir de la discussion, de l’échange (progressivement, en fonction de l’âge). Sans plus attendre, bannir les téléphones dans toutes les écoles : quelle urgence ne pourra pas être gérée sans téléphones portables ? Apprendre à mieux se connaître, à mieux connaître l’autre, à se centrer sur l’essentiel : introduire la philosophie (sans la nommer) dès le plus jeune âge et pourquoi pas la méditation ? D’autres pays, comme l’île Maurice, la pratiquent depuis longtemps. Elle est ancrée dans la culture et les adultes la pratiquent régulièrement, comme nous faisons la cuisine !
(Re)prendre conscience du rôle de la Nature dans notre vie : enseigner fréquemment dans la nature, la remettre dans les écoles (des arbres, du gazon, des fleurs, à la place du bitume), cultiver son potager à l’école et vivre directement les aléas de la météo, des maladies, … Sortir de l’immédiateté, devenir patient, vivre à un rythme différent, savoir attendre la récompense… vivre au rythme de la Nature ? Le jardinier ne récolte pas immédiatement les fruits de l’arbre (il patiente, l’observe, prend soin de lui 3, 5… 10 ans avant la première récolte), outre l’impact CO2, abattre un arbre représente autant d’années d’effort, de patience, d’attachement détruits en quelques minutes…l’impact est bien plus fort! Les légumes sont récoltés plusieurs semaines, mois après le semis. De nos jours, la plupart d’entre nous emprunte un autre chemin : nous prenons notre voiture et achetons des tomates en plein hiver, parce qu’on en a envie, là tout de suite !
Enfin, rechercher le bien-être complet : nous ne sommes pas qu’un cerveau, et le sport est un excellent moteur à dopamine! Le sport supprime les inégalités sociales, placent les élèves sur un rapport différent de leurs capacités intellectuelles. Là aussi, à l’étranger, le nombre d’heures de sport est équivalent à celui des mathématiques ou de la musique. Il n’y a pas de favoritisme en termes de matières à enseigner. C’est l’enfant qui choisit.
Il semble fondamental que l’enfant prenne plaisir à apprendre et à s’imprégner des valeurs fondamentales à la survie de notre espèce et de la Nature. L’objectif ultime est de permettre à chacun, une fois adulte, d’inscrire ses actions dans un objectif de bien-être et de durabilité pour soi-même et pour tous. Ainsi, comme l’écrit Sébastien Bohler, “dès lors que le statut social sera associé à des comportements respectueux de la planète, la partie sera gagnée”.
Et pour aller encore plus loin…
Pourquoi le plaisir n’est-il pas une méthode pédagogique davantage utilisée (alors qu’elle l’est en partie dans les établissements pour enfants en difficulté, ou pour les plus jeunes)?
Quel rôle complémentaire le système d’éducation doit-il / peut-il jouer face à l’éducation parentale ? Est-ce l’état d’urgence qui nécessite l’implication forte du système d’éducation, pour compenser la détresse des dernières générations en mal de repères dans les sociétés modernes ?
Comment l’enfant peut-il se repérer si le système scolaire inculque des modes de fonctionnement pouvant être radicalement différents de son entourage familial ?
Comment peut-on infléchir également le comportement des jeunes adultes, arrivant dans le monde du travail, pour qu’ils contribuent à l’évolution de la mission des entreprises ?
Références
Barrau, A. (2020). Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité: Face à la catastrophe écologique et sociale. Michel Lafon.
Blanquer, J., Morin, E., Lhérété, H., & Dortier, J. (2019). Quelle école voulons-nous ?: La passion du savoir. Odile Jacob.
Bohler, S. (2019). Le bug humain: Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher. Robert Laffont.
Darwin, C. (2003). Voyage d’un naturaliste autour du monde fait à bord du navire le Beagle de 1831 à 1836. Editions La Découverte.
Laurent, E. (2019). Sortir de la croissance: Mode d’emploi. Liens qui libèrent.
Picq, P. (2015). De Darwin à Lévi-Strauss: L’homme et la diversité en danger. O. Jacob.
Rousseau, J., & Zernik, E. (1998). Essai sur l’origine des langues (1781). Hatier.
Viguier-Vinson, S. (2020, March 03). Stanislas Dehaene : “Il y a urgence à développer le plaisir à l’école”.
https://www.scienceshumaines.com/il-y-a-urgence-a-developper-le-plaisir-a-l-ecole-entretien-avec-stanislas-dehaene_fr_42002.html