Préambule
Cet article fait suite à une conférence passionnante présentée aux Assises Nationales de la Biodiversité 2019 où sont intervenus :
- Olivier Lerude, Adjoint à la Haute fonctionnaire du développement durable, Ministère de la Culture
- Francisque Vigouroux, Maire d’Igny et Vice-président en charge des mobilités et des transports au sein de la communauté d’agglomération de Paris-Saclay
- Claude Bourquard, Co-président en charge du projet éducatif, Graine Île de France
- Julia Seitre, Coordinatrice scientifique, Aero Biodiversité (HOP !)
Un grand merci à eux et au public présent pour leurs propos inspirants, qui ont été une bouffée de motivation. J’ai souhaité appuyer leurs témoignages par ce présent article, afin qu’ils puissent bénéficier à d’autres.
Introduction
Le monde d’aujourd’hui a besoin de faire face à une crise climatique sans précédent et de poursuivre sa croissance dans une optique de développement durable, ce qui suppose un changement drastique de son mode de fonctionnement actuel.
Nelson Mandela disait : « Le seul moyen de changer le monde, c’est l’éducation. ». N’oublions pas que l’éducation ne s’applique pas qu’aux enfants, mais à l’ensemble de la population. Les acteurs impliqués dans la démarche environnementale restent convaincus qu’il faut accélérer le pas pour gagner une mobilisation générale. Cependant, aujourd’hui, malgré la forte présence du sujet de l’environnement dans les médias de tous niveaux, l’implication reste très partielle : cuisiner végétarien et faire du vélo demeurent des défis originaux à pratiquer occasionnellement le dimanche, en famille ou entre amis. Alors, comment impliquer réellement le plus grand nombre ?
L’importance du vécu
Il s’avère que l’environnement est un sujet vaste qui touche des thématiques très variées : énergies, déchets, épuisement des ressources, eau, gaz à effets de serre… Parmi celles-ci, il semblerait que la plus visuelle et à la portée de tous soit la biodiversité. Cette-dernière a, par ailleurs, la faculté d’être intégrée à toutes les autres thématiques.
Remarquons que la communication très scientifique, très chiffrée, que l’on applique à l’environnement n’est pas la plus efficace. Dans ce contexte, l’expérience vécue qui prime. L’immersion dans la nature a pour effet de redonner aux gens un intérêt. Celui-ci définit la base de la mobilisation : le vécu commun rallie à une cause commune [1].
Par exemple, l’association AéroBiodiversité emmène régulièrement des collaborateurs du groupe ADP ou encore d’Air France sur le terrain pour observer la biodiversité des alentours. Le « terrain », ici, n’est autre que les aéroports. Ces sorties combinent plusieurs avantages : apporter un moment de collaboration et faire découvrir la nature que l’on peut trouver à quelques mètres de son bureau. Encadrée par des personnes passionnées, l’expérience est à chaque fois une réussite et peut changer le regard des participants sur leur lieu de travail [2].
Ces sorties sont basées sur les protocoles du programme Vigie-Nature fondé par le Muséum National d’Histoire Naturelle, qui propose à tous les citoyens qui en éprouvent l’envie de contribuer à la recherche, en partageant leurs photos d’observations de la faune ou de la flore. Une belle manière de découvrir au passage la biodiversité qui nous entoure, et de se confronter à la nature ordinaire de son milieu de vie de tous les jours [3]. Oui, le moineau fait autant partie de la biodiversité que le panda. Et nous aussi.
Une question culturelle
Il s’avère que la biodiversité n’est pas une question purement environnementale, et c’est ce qui va contribuer à faciliter notre démarche d’implication.
En comprenant que nous faisons partie du vivant au même titre que le reste de la faune et de la flore, on comprend aussi que la société actuelle, basée principalement sur des systèmes de production intensifs, correspond à nos comportements et à nos modes de vie. Il ne s’agit pas d’un élément extérieur, mais bien de nous. Il suffit de se pencher sur les Objectifs Développement Durable : seulement deux objectifs abordent uniquement les sujets de la faune et la flore, les autres concernent notre société [4].
La campagne « Quand les artistes passent à table » illustre bien ce constat. La thématique de l’alimentation est très souvent associée aux problèmes liés à l’agriculture, la surexploitation des terres, aux pesticides, à l’industrie agroalimentaire. Mais en prenant du recul, tout ceci n’existerait pas si nous refusions de consommer ces produits [5]. Finalement, sur un ton un peu provocateur, on a ce qu’on mérite dans nos assiettes. Sur un ton plus nuancé, on a surtout ce qu’on peut avoir : l’alimentation bio, par exemple, présentant toujours des prix d’un tiers supérieur aux autres. Néanmoins, on note de grandes différences alimentaires dans le monde qui conduisent à des démarches telles que (et c’est l’instant cocorico) l’entrée de la cuisine française au patrimoine de l’UNESCO [1]. Et le voilà, le lien entre la biodiversité, origine de nos productions agricoles, et notre culture.
Ce n’est donc pas un hasard si la nature a toujours été une expression de la culture : présente depuis toujours dans nos musées, dans les jardins de nos monuments historiques, elle fait désormais son apparition dans les festivals cinématographiques (Deauville Green Awards) ou musicaux (We Love Green) [1]. Dans ce contexte, les participants sont heureux de se prêter au jeu et n’ont pas de problème à faire attention au tri de leurs déchets ou à utiliser des toilettes sèches. Citons également l’inspiration puisée dans le monde de la nature, avec l’application du biomimétisme dans des secteurs très diversifiés : la mode, l’architecture, le design. La nature se retrouve dans tous les secteurs que nous côtoyons au quotidien.
Certes, l’ère des dinosaures a subsisté 120 millions d’années sans avoir le moindre impact sur l’environnement avant de s’éteindre suite à un phénomène externe. L’ère d’Homo sapiens n’a pas un demi-million d’années et a déjà de lourdes conséquences sur notre planète. Mais nous sommes tout de même une espèce à part entière, qui n’est pas à bannir, et il existe forcément un équilibre entre la protection de notre planète et la culture humaine [1].
Multiplicité, simultanéité et cohérence
Puisque nous formons un tout avec la nature, il en est de la responsabilité de chacun en fonction de son rôle et de son niveau d’actions de relayer le message. Pour réellement impliquer un maximum de monde, les messages doivent faire preuve de multiplicité et provenir des différents acteurs concernés (collectivités, entreprises, presse, territoire, recherche scientifique…) [6].
Cette sensibilisation à origine multiple doit également être simultanée et cohérente. Le public doit avoir une perception d’effet de masse guidant vers un objectif unique des différents acteurs. Supports et sujets différents pour un but commun qu’est la protection de l’environnement. Par ailleurs, les messages communiqués se doivent d’intégrer une cohérence économique et sociale : une personne qui n’a pas de quoi nourrir sa famille ne s’impliquera pas dans les défis environnementaux comme d’autres le peuvent. La crise des gilets jaunes l’illustre bien ; la prise en compte des priorités de chacun est donc nécessaire, au même titre que le niveau de responsabilités [6].
Mais pour ce faire, l’éducation de la population passe par une analyse des niveaux de connaissances de base de chaque personne, de chacun des publics auxquels on s’adresse. La question est donc de savoir de quoi doit-on partir pour amener la population vers une connaissance et un engagement pour les questions de l’environnement. Le projet Graine d’Ile de France apporte une piste de réponse qui consiste à partir toujours du local, du simple, du pratique pour aller au fur et à mesure vers les thématiques globales, complexes et théoriques. La communication doit s’adapter à son public, et définir au préalable les notions et le type de pédagogie qui sera utilisée, sans le tromper. Elle peut ainsi permettre de donner les clés à tous d’être, à leur tour, ambassadeur de la biodiversité [6].
Un bel exemple est la fête de la Nature, organisée cette année en étroite coopération avec la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO). En effet, en appliquant de bonnes pratiques en faveur de la biodiversité, le balcon ou le jardin de tout un chacun peut recevoir l’agrément Refuge LPO [7]. Cette année, ces personnes étaient donc invitées à ouvrir leur jardin pour accueillir des passants ou des voisins. Un moment de convivialité et de partage autour de la biodiversité, qui peut facilement conduire à un engagement spontané.
Cette solution remet en évidence l’importance du vécu pour impliquer les citoyens, et donc, l’ensemble des secteurs d’activités. Montrer les richesses de notre planète reste la meilleure manière de démontrer ce que l’on peut perdre, et convaincre est toujours plus agréable que contraindre.
Rendre l’engagement spontané
Le sujet de l’environnement est abordé depuis peu, mais il a le pouvoir de rassembler, d’unir les citoyens dans un objectif commun qui a du sens. Le succès des conférences et des événements à son propos en témoigne. Les acteurs du développement durable doivent poursuivre les efforts d’animations, même en prenant des risques. Entre le buzz et le flop, les causes sont parfois difficiles à identifier, mais nous ne pouvons pas nous permettre de baisser les bras.
Une petite astuce : rester fun. Les animations qui fonctionnent le mieux ne sont pas celles qui rabâchent des messages alarmistes que tout le monde a déjà entendus, mais bien celles qui impliquent dans une activité, celles avec des slogans drôles qui restent en tête [8]. L’environnement est un enjeu moderne, pour certains même « à la mode » : par exemple, qui aurait cru qu’une session de ramassage des déchets de 3h30 dans Paris (mégots et chewing-gums compris) attireraient plus de 150 jeunes ? C’est possible, lorsque l’événement donne lieu à une vidéo réalisée par des Youtubeurs populaires.
Qu’importe qu’il s’agisse d’une nouvelle bizarrerie de la génération des Millennials, que faire ses courses à l’épicerie en vrac soit considéré comme une activité réservée aux bobos, ou les disco soups aux hippies. Ce qui compte réellement, c’est que ces actions réunissent les citoyens et qu’elles aient un impact positif sur l’environnement.
« J’peux pas, j’ai compost »
Soyons honnêtes, aujourd’hui le compostage, et la plupart des autres activités en lien avec l’environnement, semblent encore peu populaires. Pourtant, rendre à la terre ce qui vient de la terre est un processus tout aussi passionnant que naturel.
Regardez un enfant s’émerveiller devant une fourmi, puis prenez le temps de vous demander pourquoi vous avez perdu cet émerveillement. C’est peut-être pour cela que nous avons tant de mal à nous engager pour la planète. Aujourd’hui, se reconnecter à la nature devient essentiel : visites, balades, animations, événements… Combiné à des messages clairs et positifs, le vécu peut nous porter vers une implication naturelle et pleine de motivation. Au même titre que le sport, l’environnement rassemble.
Et c’est comme ça que le compost deviendra une évidence.
par Giulia Chivée (IGE 2018)
Bibliographie
[1] BOURQUARD, Claude. Culture, social, éducation, environnement : comment impliquer le plus grand nombre ?. In Assises Nationales de la Biodiversité, Massy. 20 juin 2019. Communication orale lors d’une conférence.
[2] SEITRE, Julia. Culture, social, éducation, environnement : comment impliquer le plus grand nombre ?. In Assises Nationales de la Biodiversité, Massy. 20 juin 2019. Communication orale lors d’une conférence.
[3] Muséum national d’Histoire Naturelle, Vigie-nature, un réseau de citoyens qui fait avancer la science [en ligne] in Les Observatoires Vigie-nature, 2019. Disponible sur https://www.mnhn.fr/fr/participez/contribuez-sciences-participatives/observatoires-vigie-nature (consulté le 04/07/2019)
[4] La Fonda, Les 17 Objectifs du Développement Durable [en ligne] in Tribune Fonda n°237, 2018. Disponible sur https://fonda.asso.fr/ressources/les-17-objectifs-de-developpement-durable (consulté le 05/07/2019).
[5] Ministère de la Culture, Exposition : Quand les artistes passent à table [en ligne] in Actualités, 2017. Disponible sur http://www.culture.gouv.fr/Actualites/Exposition-Quand-les-artistes-passent-a-table (consulté le 05/07/2019)
[6] LERUDE, Olivier. Culture, social, éducation, environnement : comment impliquer le plus grand nombre ?. In Assises Nationales de la Biodiversité, Massy. 20 juin 2019. Communication orale lors d’une conférence.
[7] Refuges LPO, Retour sur la Fête de la Nature [en ligne], in Retour sur la Fête de la Nature, 2019. Disponible sur https://refuges.lpo.fr/s-informer/actualités/retour-sur-la-fete-de-la-nature-2019 (consulté le 04/07/2019)
[8] VIGOUROUX, Francisque. Culture, social, éducation, environnement : comment impliquer le plus grand nombre ?. In Assises Nationales de la Biodiversité, Massy. 20 juin 2019. Communication orale lors d’une conférence.