par Valentin Bouteiller (IGE 2017)
En décembre 2017, plusieurs plaintes ont été déposées par l’association Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP) contre des grandes marques de l’électronique. Apple, Epson, HP, Canon ou encore Brother sont soupçonnées d’avoir eu recours à des techniques d’obsolescence programmée pour stimuler les ventes de leurs produits. Retour sur une pratique malveillante pourtant bien réelle.
D’une manière générale, l’obsolescence programmée est la limitation volontaire de la durée de vie des produits par les producteurs ou distributeurs. Cette pratique a pour objectif d’accélérer le taux de renouvellement des produits en poussant les consommateurs à en acheter de nouveaux, et ce malgré leur bon fonctionnement. En France, l’obsolescence programmée fait l’objet d’une définition juridique depuis 2015, grâce à son intégration dans la Loi sur la transition énergétique et la croissance verte (LTECV). La loi française dispose ainsi que « l’obsolescence programmée se définit par l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement ».
L’association Halte à l’Obsolescence Programmée, créée en 2015 et dédiée à la sensibilisation et à la défense des consommateurs vis-à-vis de ce sujet, reconnait qu’il existe aujourd’hui trois grands types d’obsolescence programmée : technique, esthétique et logicielle. L’obsolescence technique est liée à la durée de vie limitée d’un composant ou à l’introduction d’un mécanisme visant à raccourcir la durée fonctionnelle d’un produit (programmation des imprimantes pour s’arrêter après un certain nombre de copies par exemple). L’obsolescence esthétique a quant à elle pour but de rendre des produits psychologiquement dépassés ou peu attrayants (campagnes marketing, communication spécifique, retard volontaire de mise sur le marché d’une technologie pour bénéficier d’un avantage concurrentiel lors d’un lancement futur, etc.). Enfin, l’obsolescence logicielle intervient lorsque des incompatibilités de logiciels, de formats, d’équipements, ou bien une limitation du support technique sont mises en œuvre pour des appareils électroniques (ordinateurs, smartphones, etc.) afin d’encourager l’achat de nouvelles versions par les consommateurs.
Grâce à la loi de 2015, la France est le premier pays à faire de l’obsolescence programmée un délit. Les instigateurs d’une telle pratique peuvent désormais se voir infliger une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. En cas d’infraction reconnue, le montant de cette amende peut même être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5% du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits. De quoi, espérons-le, freiner les ardeurs de certains…
Un coût colossal pour la société et l’environnement
Le gros problème derrière l’obsolescence programmée, c’est son impact et son coût colossal pour la société et l’environnement. Le raccourcissement de la vie des produits oblige en effet les consommateurs à en acheter davantage, augmentant ainsi leurs dépenses financières à long terme, et accélérant d’autant plus la pression sur les ressources disponibles. Selon l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, la durée de vie moyenne des appareils électroménagers aurait ainsi diminué de 20% à 40% ces dernières années.
Le marché des équipements électriques et électroniques (EEE) est lui aussi particulièrement touché. A titre d’exemple, en 2015, ce serait plus de 710 millions d’équipements qui auraient été mis sur le marché français, soit une croissance de 11,4% par rapport à 2014. Bien que l’on puisse y voir le fruit d’une transformation de nos sociétés vers plus de nomadisme et de mise en réseau, la consommation de téléphones serait particulièrement symptomatique de ce renouvellement accéléré. Leur nombre serait ainsi passé de moins d’un milliard en 2000 à près de 8 milliards aujourd’hui. En se référant aux pratiques de consommation actuelles, il est fort probable que la plupart de ces appareils seront un jour remplacés avant même d’avoir la chance de rendre l’âme. L’Ademe reconnait ainsi que 88% des français changent de téléphone portable alors que l’ancien est encore en état de fonctionnement.
Cette problématique de l’obsolescence programmée est d’autant plus importante qu’elle est génératrice d’une grande quantité de déchets. Selon les estimations, un français produirait entre 17 et 23 kg de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) chaque année, soit l’équivalent du poids de 1300 Tour Eiffel si on rapporte ce chiffre à la population française. Par ailleurs, nous aurions une fâcheuse tendance à garder nos anciens téléphones usagés au fond de nos tiroirs, ne permettant pas de les réinsérer sur le marché de l’occasion ou bien de les valoriser dans les filières de recyclages. L’Ademe estime ainsi que plus de 30 millions de téléphones sont aujourd’hui stockés et inutilisés en France, et que seulement 15% d’entre eux sont collectés pour être envoyés vers les filières de recyclage.
Plusieurs entreprises épinglées en France et à l’étranger
Le système de consommation dans lequel nous vivons actuellement nous amène nécessairement à nous interroger sur l’existence de l’obsolescence programmée. Pendant des décennies, certains fabricants ont profité de la crédulité des consommateurs et souvent du vide juridique laissé par les États pour mettre volontairement au point des produits fragiles destinés à être renouvelés rapidement, et favorables à l’accroissement de leurs parts de marché et de leurs profits. Mais les transformations récentes, tant juridiques que sociales, semblent aujourd’hui prendre à contre-pied ces pratiques non respectueuses de la planète et des consommateurs.
C’est ainsi qu’en décembre 2017, plusieurs plaintes collectives ont été déposées aux États-Unis, en Israël et en France contre Apple, soupçonné d’avoir délibérément organisé le ralentissement des iPhones 6, 6S, SE et 7 via une mise à jour de leur système d’exploitation. L’entreprise à la pomme s’est défendue en arguant que ces limitations de performances avaient au contraire pour objectif d’allonger la durée de vie de ses téléphones. Mais suite à cette plainte portée en France par l’association HOP, une enquête préliminaire pour « obsolescence programmée » et « tromperie » a finalement été ouverte par le parquet de Paris contre Apple France. Pour Laetitia Vasseur, co-fondatrice et déléguée générale de l’association, « tout est orchestré pour contraindre les consommateurs à renouveler leurs smartphones. Or, à plus de 1 200€ le téléphone, soit plus d’un SMIC, ces pratiques sont inacceptables et ne peuvent rester impunies. C’est notre mission de défendre les consommateurs et l’environnement face à ce gaspillage organisé par Apple ».[1]
Un mois plus tôt, en novembre 2017, l’association HOP avait déjà été à l’initiative d’une première plainte pour obsolescence programmée contre des fabricants d’imprimantes (Epson, HP, Canon, Brother notamment), accusés d’avoir utilisé des pratiques visant à raccourcir la durée de vie de leurs produits, et d’avoir volontairement limité la capacité des cartouches d’encre[2]. Selon l’association, certains composants des imprimantes sont ainsi fréquemment indiqués comme étant en fin de vie, et les impressions bloquées pour cause de cartouches vides, alors que ces dernières disposent encore d’encre.
Quel avenir pour l’obsolescence programmée ?
Même si ces cas d’obsolescence programmée n’ont pas encore donné lieu à des sanctions, ces premières contre-attaques de la société civile laissent présager qu’il sera de plus en plus difficile pour les fabricants d’agir en toute impunité au détriment des consommateurs. L’association HOP milite notamment pour porter auprès des pouvoirs publics des solutions visant à limiter l’obsolescence programmée, et ainsi réduire l’impact environnemental des produits. Concernant les smartphones, elle défend l’idée d’une transparence accrue de la part des entreprises, la réversibilité des mises à jour logicielles, ainsi que l’amovibilité des batteries. Elle propose également plusieurs solutions pour aider les consommateurs à allonger la durée de vie de leurs produits électroniques telles que se renseigner sur leur répétabilité (Ifixit), privilégier les marques durables (Fairphone, par exemple), ou bien réparer ses produits grâce à des professionnels de la réparation. Cela pourrait également se traduire par le recours à des Repair Cafés, des tutoriels en ligne (comme SOSAV), ou encore des sites spécialisés dans le reconditionnement des anciens appareils tels que Back Market.
Dans le cadre des ateliers de travail pour la « feuille de route de l’économie circulaire » lancé en 2017 par le Ministère de la transition écologique et solidaire, l’association soutient plusieurs propositions visant à renforcer les législations contre l’obsolescence programmée, notamment la mise en place d’une TVA réduite (comme en Suède) et d’un crédit d’impôt pour la réparation, l’allongement de la garantie minimale des biens meubles durables à 5 ans, et le renforcement de l’accessibilité des pièces détachées.
Par ailleurs, l’association souligne la grande responsabilité des consommateurs en ce qui concerne l’obsolescence programmée. Nos actions, et notamment nos achats sont effectivement en partie à l’origine du développement de cette obsolescence programmée et il est de notre devoir d’agir en conséquence pour éviter ce type de pratiques et favoriser les produits responsables et durables. Elle décrit ainsi quatre actions principales pour mieux consommer :
- S’informer : Il s’agit là de mieux connaitre ses droits (site de HOP), de s’informer sur la disponibilité des pièces détachées et d’être attentif à la résistance et la qualité des produits (GreenIT.fr, produitsdurables.com)
- Repenser sa consommation : Notamment consommer moins et mieux, entretenir ses appareils, s’émanciper de la publicité et fabriquer soi-même certains produits (Wikifab, Upcycly, Fablab…)
- Privilégier la réparation : En apprenant grâce aux sites dédiées (commentreparer.com, Spareka), en achetant des pièces détachées (Spareka, SOSAV…), ou en se faisant aider gratuitement (Repair café, accorderies ou système échange local [SEL]…)
- Réutiliser : Par le don (Geev, Freecycle, Ressourceries, donnons.org…), par le recyclage (éco-organismes, communes), via le troc et l’échange (Mutum, cobusiness)
Aujourd’hui, l’existence de techniques d’obsolescence programmée par certains fabricants et distributeurs peu scrupuleux ne fait plus de doute. La justice, tant en France qu’à l’étranger, se trouve désormais sollicitée pour se prononcer sur cette tromperie. S’agit-il pour autant de la fin de cette pratique ? Ces actions vont-elle inciter les producteurs et distributeurs à revoir leurs modèles de prospérité ? Ou bien allons-nous tout simplement saisir cette opportunité pour repenser totalement notre système économique et nous orienter vers une économie réellement durable ? Aujourd’hui, il est encore difficile d’en juger car les incertitudes demeurent. Néanmoins, en tant que consommateurs, nous devons reconnaitre que nous avons un grand rôle à jouer pour que ces pratiques cessent et ne soient plus facteur de frustrations et de destructions. Dans cet objectif, nous ne devons pas sous-estimer notre pouvoir individuel et collectif. Par nos achats, nous contribuons tous à construire le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, mais nous participons surtout à façonner celui de demain !
Pour plus d’informations, nous vous invitons à vous renseigner sur le site de l’association Halte à l’Obsolescence Programmée et à consulter le livre « Du jetable au durable : en finir avec l’obsolescence programmée » de Laetitia Vasseur et Samuel Sauvage.
[1] HOP, « HOP porte plainte contre Apple pour obsolescence programmée », 27 décembre 2017.
[2] HOP, « Les fabricants d’imprimantes mis en cause par une plainte », 17 septembre 2017.
par Valentin Bouteiller